Jean-Pierre Lebrun

Psychiatre et psychanalyste, Namur et Bruxelles

Le naufrage du religieux

Résumé / Abstract

Relire Les naufragés des Auckland, le livre de Raynal, ce navigateur de la fin du 19e siècle, qui y raconte comment il est parvenu à réorganiser le vivre ensemble d’une petite communauté après le naufrage de leur bateau, et celui de l’autorité du capitaine, est précieux pour saisir les effets du bouleversement qui nous atteint aujourd’hui de plein fouet : la démocratie qui se fonde sur « l’égalité des conditions » (Tocqueville) ne peut aller que dans le sens de vouloir faire disparaître toute différence des places, et donc toute hiérarchie. Pourtant celle-ci continue de s’avérer nécessaire ; mais comment la légitimer, quand elle rappelle d’emblée l’organisation religieuse dont la démocratie veut se départir ? C’est en montrant que la différence des places relève de la structure du langage que la psychanalyse peut ici venir apporter son éclairage.

Mots-clés
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À la mémoire de Simon Leys [1]

En 1866, le navigateur et chercheur d’or français François Édouard Raynal publie le récit autobiographique du naufrage du bateau qu’il avait affrété, le Grafton, survenu aux îles Auckland en 1864. Jules Verne s’est manifestement inspiré de ce récit pour écrire son roman L’Île mystérieuse, qui parut en 1874, et décrit la façon dont les rescapés d’un naufrage se reconstituent un monde matériellement viable et humainement civilisé.
Dans son récit, Les naufragés des Auckland [2], Raynal relate son expédition partie de Sidney pour l’île Campbell, le naufrage lui-même, la survie de l’équipage pendant vingt mois sur une terre inhabitée et subantarctique, et finalement le retour en Nouvelle Zélande sur une embarcation de fortune que les naufragés ont construite à partir du canot qu’ils avaient pu sauver du désastre.
C’est un navire de 80 tonnes qui quitte Sidney le 13 novembre 1863, la goélette le Grafton. L’expédition ayant été infructueuse – Raynal partait à la recherche de mines d’étain – le bateau reprend la route via le détroit des îles Auckland et y fait naufrage le 3 janvier 1864.
Les cinq hommes qui composent l’équipage, tous de nationalité différente, réussissent pourtant à atteindre la terre ferme et à récupérer quelques objets et un canot. Ils savent qu’ils ne pourront espérer aucun secours avant plusieurs mois et c’est avec cette idée en tête qu’ils construisent une cabane capable de résister aux intempéries et aux ouragans qui sévissent dans cette partie du globe.

Plus d’un an après le naufrage, les cinq marins – le capitaine du bateau, Thomas Musgrave, deux marins et un cuisinier, et l’armateur Raynal – doivent se rendre à l’évidence : le navire tant attendu qui pourrait les ramener sous de meilleurs cieux ne viendra pas et il ne reste qu’une issue : reconstruire eux-mêmes un bateau. Ils y arrivent en six mois de temps. Mais l’embarcation qu’ils ont pu construire à partir du canot qu’ils avaient sauvé du naufrage ne peut accueillir que trois personnes. Musgrave, Raynal et l’un des marins quitteront leur lieu de naufrage le 19 Juillet 1865 et après cinq jours de traversée périlleuse, ils auront rejoint l’île Stewart située à 500 km au nord des Auckland, à la pointe sud de la Nouvelle-Zélande. Deux jours après leur arrivée, le capitaine Musgrave reprendra la mer et conduira lui-même l’expédition pour ramener à bon port les deux comparses restés sur les îles. Ce dernier voyage aller-retour va prendre sept semaines mais, en fin de compte, tout l’équipage a fini par se retrouver sain et sauf en terres autrement accueillantes.
À la même époque, un trois-mâts écossais l’Invercauld, fait naufrage de l’autre côté des Auckland. Des vingt-cinq hommes d’équipage, seuls dix-neuf parvinrent à rejoindre la terre mais le groupe se disloqua et s’éparpilla. Un an plus tard, un bateau espagnol recueillit seulement trois survivants à demi-morts de faim et d’épuisement.
L’ouvrage écrit par Raynal qui raconte cette odyssée a été salué par l’Académie française qui lui a même attribué un prix et il devint un livre qu’on distribuait aux élèves en guise de prix de fin d’année. Il a été traduit en plusieurs langues et reconnu comme un témoignage précieux de courage et d’inventivité face à l’adversité mais surtout d’avoir réalisé, comme le commente Simon Leys, le tour de force, dû avant tout à l’intuition et au doigté de Raynal : la bonne entente et l’énergie unanime de ces cinq hommes surmontant sans faiblir vingt mois d’incessantes et écrasantes épreuves [3].


Les affres du vivre ensemble

C’est évidemment ce trait d’un vivre ensemble dans des circonstances très difficiles dont le livre de Raynal rend compte, sur lequel nous voulons nous attarder tant il donne des éléments précieux pour penser l’actualité de notre vie collective.
À commencer par la conséquence majeure du naufrage lui-même qu’évoque clairement le commandant Musgrave qui s’astreignait en effet chaque dimanche à noter dans son journal les événements de la semaine écoulée. C’est à sa lecture qu’on peut apprécier en effet un élément apparemment banal, mais combien crucial : à bord d’un bateau, l’autorité du capitaine ne laisse aucun doute, mais une fois que le naufrage a eu lieu, celle-ci perd toute sa légitimité. Le capitaine n’est alors plus qu’un naufragé parmi les autres. S’ensuit une série de conséquences qu’il note finement dans son journal : « jusqu’à présent, les hommes travaillent bien et se comportent de façon très obéissante et respectueuse à mon égard, mais je sens un certain esprit d’obstination et d’indépendance qui s’infiltre parmi eux. Il est vrai, maintenant je ne suis plus investi d’aucun pouvoir de commandement sur eux ; pourtant je partage avec eux tout ce que nous avons pu sauver de l’épave, et j’ai travaillé aussi dur qu’eux pour tâcher d’assurer leur confort, et il me semble que la gratitude devrait les inciter à demeurer obéissants et de bonne volonté. (…) Jusqu’à présent ils n’ont pas encore refusé de faire ce que je leur disais de faire, mais ils l’exécutent d’une façon qui semble dire clairement : « Pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ? » [4] »
Et c’est là que l’intuition et le doigté de Raynal vont opérer ; il voit clairement le problème : « il ne suffisait pas de pourvoir au matériel de la vie ; le côté moral réclamait aussi notre attention. Assurément, nous avions, depuis notre naufrage, vécu ensemble dans l’union et la concorde, je puis même dire dans une véritable fraternité ; cependant, il était arrivé, tantôt à l’un, tantôt à l’autre d’entre nous, de s’abandonner à un mouvement d’humeur, de laisser échapper une parole désobligeante, qui naturellement provoquait une répartie non moins vive. Or des habitudes d’aigreur, d’animosité, s’établissant parmi nous pouvaient avoir des conséquences désastreuses. Nous avions besoin les uns des autres. (…) Il était évident que nous n’avions de force que par notre union, que la discorde et la division seraient notre ruine. Mais l’homme est si faible que la raison, le souci de sa dignité et même la considération de son intérêt ne suffisent pas toujours à le maintenir dans le devoir. Il faut qu’une règle extérieure, une discipline le protège contre les défaillances de sa volonté [5] ».

Le constat est donc clair : il faut trouver une manière de pallier à ces difficultés conséquentes à la tombée en désuétude de l’autorité du capitaine Musgrave. Et Raynal d’alors envisager un projet pour y faire face et mettre en place ce qui, dans la petite société qu’ils constituaient, leur permettrait de continuer à vivre ensemble tout en réalisant efficacement ce qu’il fallait pour assurer leur survie. Il écrit : « Mon idée était de choisir parmi nous non pas un maître ni un supérieur, mais un chef de famille, tempérant l’autorité légale et indiscutable du magistrat par la condescendance affectueuse d’un père ou plutôt d’un frère aîné.
Le devoir de ce chef de famille serait :

1. de maintenir avec douceur, mais aussi avec fermeté, l’ordre et l’union parmi nous ;

2. d’éloigner par ses sages avis tout sujet de discussion qui pourrait dégénérer en dispute ;

3. au cas où quelque grave contestation s’élèverait en son absence, les parties devraient porter immédiatement l’affaire devant lui : alors, assisté du conseil de ceux qui n’y auraient pas pris part, il jugerait la cause, donnerait raison à qui de droit et réprimanderait le coupable. Si ce dernier, au mépris de la sentence prononcée, persistait dans son tort, il serait exclu de la communauté et condamné à vivre seul dans un autre endroit de l’île, pendant un certain temps, plus ou moins long, selon la gravité de sa faute ;

4. le chef de famille dirigerait les expéditions de chasse, ainsi que les autres travaux ; il distribuerait les tâches, sans être lui-même dispensé de donner l’exemple en s’acquittant de la sienne ;

5. dans les circonstances importantes, il ne pourrait prendre de décision sans l’assentiment de tous ou au moins de la majorité.

Ce projet de règlement fut approuvé de mes compagnons, qui sentaient comme moi la nécessité d’organiser notre petite société, et ils l’adoptèrent à l’unanimité, non toutefois avant d’y avoir ajouté l’article suivant :

6. la communauté se réserve le droit de destituer le chef de famille et d’en nommer un autre, dans le cas où il abuserait de son autorité ou la ferait servir à des vues personnelles et manifestement égoïstes [6] ».

Raynal termine en inscrivant ce règlement sur l’une des pages de la Bible que Musgrave avait sauvée du naufrage. Tous, la main sur le volume sacré, jureront obéissance et respect à ce qu’ils ont appelé leur Constitution.
Alors seulement Raynal proposa qu’on élise Musgrave à la fonction de chef de famille. Il fut élu d’un commun accord et Raynal, aussitôt assuma la fonction de cuisinier qu’il s’agissait d’accomplir chacun à son tour, exception pour le chef de famille qui se trouvait dispensé de cette tâche.
Difficile de mieux décrire en quelques lignes ce qui arrive lorsque s’effrite la légitimité de l’autorité et comment, avec un peu de créativité, il a néanmoins été possible de compenser celle perte. Ce qui du coup permet de risquer la comparaison avec notre actualité. N’est-ce pas dans une telle situation que nous sommes en effet aujourd’hui ? Fin de l’autorité du chef, fin de l’autorité du père, du professeur, tout cela étant à entendre comme conséquence de la fin du religieux, ou plus exactement de la fin d’une société organisée sur le modèle de la religion avec au sommet de la pyramide, la place de Dieu d’où se donnait le programme et d’où s’est donnée pendant des siècles la légitimité de faire autorité.
Bien sûr il pourra être aussitôt rétorqué que la Révolution Française datant déjà d’il y a plus de deux siècles, la comparaison s’avère douteuse. Il y aurait trop longtemps que cet effet se serait fait sentir pour que le parallèle ne suscite quelque intérêt.
Une telle remarque serait certes fondée mais en même temps, il n’est pas sûr qu’elle soit à prendre en compte pour discréditer la comparaison, et ceci précisément suite à la lecture des ouvrages de Marcel Gauchet consacrés à L’avènement de la démocratie [7].

Les deux crises de la démocratie

Nous savions depuis son ouvrage Le désenchantement du monde [8] que la naissance de la société moderne et de la démocratie se soutient de la sortie de la religion et qu’à cet égard le christianisme aura été la religion de la sortie de la religion, selon l’expression aujourd’hui consacrée. C’est donc bien la société pyramidale qui a fait naufrage et s’en suit que l’autorité absolue du capitaine, de la même façon que celle du roi de droit divin ou du père du patriarcat s’est évaporée.
Mais précisément, si la chose est reconnue dans son inscription sociétale depuis longtemps, il est nécessaire de nous apercevoir que ce n’est que depuis peu que le programme de sortie de la religion atteint la construction psychique d’un chacun, ceci sous l’égide de ce que Gauchet a qualifié dans ses derniers ouvrages de deuxième crise de croissance de la démocratie.
La question n’est pas ici de nous en plaindre ; il s’agit plutôt, comme l’a très bien compris Raynal, d’y faire face et de repenser comment dans ces nouvelles conditions d’existence assurer la cohésion du vivre ensemble soutenue hier par ceux qui se trouvaient au sommet de la pyramide.
L’on voit bien comment l’ingéniosité de Raynal parvient à déjouer les pièges possibles. Mais avant de nous y intéresser davantage, il convient peut-être de prendre la mesure des enjeux que recouvre la crise de la démocratie d’aujourd’hui. Celle-ci s’avère selon Gauchet un deuxième moment lié à sa croissance, différent du premier mais identique dans sa structure. C’est tout l’intérêt de ses ouvrages sur L’avènement de la démocratie que de faire apparaître l’identité de structure entre ces deux moments que sont respectivement la première et deuxième crise de croissance de la démocratie, respectivement celle des années 1900 et l’actuelle.

Dans une conférence qu’il a faite à Angers en 2006, La démocratie, d’une crise à l’autre, Marcel Gauchet résume très bien l’ensemble de ses travaux à cet égard. Rappelons d’abord sa thèse se départ : la démocratie moderne ne se comprend en dernier ressort que comme l’expression de la sortie de la religion, c’est-à-dire du passage d’une structuration hétéronome de l’établissement humain-social à une organisation autonome [9]. La démocratie des modernes est la conséquence d’un vivre ensemble qui ne s’organise plus sur le modèle de la religion. Mieux encore, les structures de la société autonome s’éclairent uniquement par contraste avec l’ancienne structuration religieuse [10]. Le fonctionnement démocratique met en scène des citoyens autonomes parce qu’ils se sont extraits du modèle traditionnel – religieux et pyramidal – dont ils sont issus.
Sans entrer ici dans les détails de son considérable travail, je me contenterai de rappeler que pour l’auteur, une première crise de croissance qu’il appelle d’installation est survenue autour de 1900 lorsque commençait à aller de soi que nous étions en route vers le suffrage universel seul capable de substituer au pouvoir d’hier un modèle de pouvoir qui prévalait à partir de la volonté de tous. Pour le dire simplement, là où le pouvoir avait été entre les mains de quelques-uns depuis des siècles, voilà désormais qu’il devait relever, au moins virtuellement, de l’ensemble de la société.
S’en est suivie une perte de maîtrise collective, une subversion quant à la manière de faire de l’Un, qui a entraîné des réactions en sens opposés : d’un côté, l’émergence des totalitarismes qui tentaient de revenir à l’Un du modèle religieux, mais dans un langage laïc ; d’un autre côté, d’une manière alors bien plus positive, la construction qui n’a été rendue possible qu’après la Deuxième guerre mondiale, d’un État social comme régime mixte de la démocratie libérale qui a su nouer exigence d’autonomie et action collective en articulant ensemble les trois vecteurs par lesquels prend corps l’existence d’une société : le politique, le juridique et l’historique.
Sans entrer ici dans les détails, rappelons en effet que pour Gauchet, « la démocratie des modernes est suspendue à trois données ou dimensions (…) : elle emprunte le détour de l’Etat ; elle repose sur le droit universel des individus ; elle se projette dans l’autoproduction collective. Autrement dit encore, les problèmes de la démocratie des modernes se ramènent pour le principal à l’ajustement de ces trois dynamiques de l’autonomie, politique, juridique et historique [11] ».
Et c’est à cet endroit que l’auteur avance que le problème est structurellement du même ordre, à un siècle de distance. En 1900 comme en 2000, on se trouve devant un brutal approfondissement simultané des trois composantes de l’autonomie qui empêche de les tenir ensemble, qui rend leur travail conjoint immaîtrisable et qui interdit en pratique l’autogouvernement promis, en principe, par l’autonomie [12].
Aujourd’hui, ce serait en effet à une deuxième et nouvelle crise de croissance que nous aurions affaire. Car l’arrachement à la structuration religieuse était loin d’être achevée. Elle pouvait paraître acquise du point de vue des règles explicites gouvernant l’action collective ; elle ne l’était pas du point de vue des rouages effectuants et des présupposés tacites de la vie en société [13].
Autrement dit encore, à l’Un religieux s’est substitué l’Un de l’État, l’autonomie venant prendre la place de l’hétéronomie d’hier. Cet état de fait ne laisse désormais aucun doute ; elle s’est installée dans nos têtes. Mais les outils et les rouages pour mettre en place un tel système continuaient à être empruntés à la forme religieuse. Pensons précisément à l’autorité du père et du chef. Autrement dit, tout le monde était d’accord pour substituer le politique au religieux mais seulement en surface. De l’Un religieux à l’Un politique : tel est le passage secret qui conditionne l’originalité de notre univers sans toutefois prendre la mesure de ce que l’éclat de l’autorité religieuse était encore celui qui œuvrait à donner sa place à l’autorité laïque [14]
Ainsi s’était déjà bien installé que c’est la société qui avait le dessus, là où auparavant, celle-ci restait soumise au politique. Désormais, le pouvoir politique ne déterminait plus la société. A contrario, il était devenu clair pour tout le monde qu’il émanait d’elle ; c’est la société qui était désormais en position motrice.
Pour le dire à ma façon, c’est ce renversement désormais acquis au travers des vicissitudes du 20e siècle par la démocratie qu’il s’agissait alors de faire entrer dans les têtes, au un par un pourrais-je dire. Car il s’agit bien de parachever le processus de sortie de la religion, de le faire œuvrer pour chacun afin qu’il soit d’autant plus susceptible d’être opérant pour tous, de lui donner la latitude nécessaire à son développement et c’est pour ce faire, qu’il s’agit de s’en prendre aux racines-mêmes de sa construction dans le psychisme de chacun.
On assiste donc avec ce travail, à une nouvelle poussée de l’extension du concept d’autonomie, à une relance du processus de sortie de la religion qui ne passe plus cette fois seulement par l’organisation collective mais qui s’astreint à dissoudre partout les traces du religieux pour permettre ainsi le renforcement pour un chacun de son autonomie.
On peut aussitôt percevoir ici une double difficulté : d’abord que reste-t-il alors du collectif si ce qui est visé, c’est la tête d’un chacun ? Ensuite ce travail d’extension de la démocratie au travers des ressorts psychique d’un chacun n’entre-t-il pas en contradiction explicite avec ce qu’exige le travail de l’éducation ?
Et c’est ici que l’on voit les trois registres – politique, juridique et historique - évoqués plus haut se dénouer tant ils sont différemment concernés ; ainsi, la promotion des droits de l’homme fonctionnant comme excroissance alimente les difficultés que nous venons d’évoquer car, si l’on ne veut rigoureusement que la plénitude des droits d’un chacun, il n’y plus à l’arrivée aucun pouvoir de tous [15]. S’ensuit que toute espèce de pouvoir devient suspecte en regard de l’idée de droit à laquelle elle entend se conformer. Se pose alors la question : comment allons-nous à partir des droits d’un chacun, encore légitimer l’autorité pourtant toujours nécessaire fut-ce pour l’éducation ou pour légitimer l’instance du collectif ?
Ceci signera plutôt la fin du point de vue de l’ensemble face à l’individualisme de masse jusque dans la tête d’un chacun puisque s’en suit – on le constate tous les jours à l’école – la remise en question d’un principe pourtant évident dans l’éducation : le fait de substituer la prévalence de l’un comme tout le monde à celle du narcissisme du début de l’existence. Pouvoir collectif et autonomie se dénouent cette fois jusque dans le psychisme de chacun.
C’est alors un véritable déracinement qui s’ensuit et auquel l’on assiste : la démocratie en perd son moyen d’action puisqu’elle n’a plus de véritable pouvoir collectif sur lequel elle peut s’appuyer pour transmettre autant ses acquis que ses objectifs. La famille peut se retrancher en toute apparente légitimité dans le seul soutien à l’autonomie pour chacun des siens et se contente d’assurer l’amour qu’il s’agit de donner aux enfants, un amour libéré de toute condition, faisant perdre toute assise au travail de socialisation pourtant toujours incontournable.
Cette seconde crise de croissance de la démocratie entraîne une nouvelle résonance entre la maintenance de la revendication privée et l’exigence de se socialiser mais sans aucuns moyens concrets de l’exiger, entre le vœu de maintenir le cocon narcissique familial et le souhait de vivre ensemble sans devoir se soumettre à une volonté collective.
C’est donc effectivement une nouvelle façon d’être confronté à une perte de maîtrise du collectif dont il s’agit et en ce sens, cette seconde crise de croissance est bien structurée de la même façon que la première. À nous de faire en sorte de ne pas passer par des affres de même ampleur pour sortir de l’impasse.

Ce que nous avons à retenir de tout cela avant d’en revenir à la leçon de Raynal, c’est que le naufrage de la société de la religion a bel et bien eu lieu, mais qu’il a lui aussi eu lieu en deux temps. Une première fois en faisant tomber la légitimité de la pyramide, une seconde fois en s’immisçant dans la tête des sujets pour qu’ils lâchent la référence au père. Ce faisant, la comparaison avec le naufrage du bateau reste de mise sauf qu’elle dissipe la notion de naufrage toujours entendue péjorativement. Elle met plutôt en demeure de saisir le bien fondé du processus. Il s’agit d’en passer par l’évaporation du père pour pouvoir mener plus avant le fonctionnement démocratique.
À la condition de ne pas laisser le processus atteindre de la même façon le père du peuple et celui de l’enfant car s’il s’agit de se passer du premier, il s’agit toujours de se servir du second, simplement parce c’est ce dernier qui a la charge d’introduire au social, qu’il soit celui du monde d’hier ou celui de la démocratie.
De la même façon, il s’agit tout aussitôt de ne pas faire coïncider fonctionnement démocratique avec coexistence de seuls individus sous le prétexte de leur égalité car c’est bien d’une autre façon de mener l’action collective, soit de toujours faire de l’Un qu’il s’agit de mettre en place.
Et c’est là que la leçon de Raynal reste de mise. Reprenons-là donc pas à pas, autant que faire se peut.


Retour sur le naufrage

Le constat de départ fait par Musgrave dans son journal est un indice précieux de ce que les rapports entre les personnes changent dès que ceux-ci ne sont plus sous l’égide d’une organisation qui ne laissait pas de doute sur l’autorité du capitaine. C’est le « Pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ? » qui se substitue très rapidement à l’obéissance traditionnelle. Si dans un premier temps, c’est la vie collective qui est atteinte suite au naufrage de l’autorité du capitaine, dans un second, c’est la façon d’avoir intégré l’autorité dans la tête d’un chacun qui est ébranlée et s’ensuit une levée des acquis du travail de la culture qu’à dû faire chaque membre du groupe à titre privé. Ceci n’échappe pas à la sagacité de Raynal qui comprend très vite les conséquences de s’abandonner à un mouvement d’humeur, de laisser échapper une parole désobligeante, qui naturellement provoquait une répartie non moins vive. Or des habitudes d’aigreur, d’animosité, s’établissant parmi nous pouvaient avoir des conséquences désastreuses. Nous avions besoin les uns des autres.
La perception est juste et certainement que la menace de devoir rester sur cette île inhospitalière aura servi d’aiguillon à ce que chacun se remette à penser les nécessités de la vie collective. Encore faut-il savoir comment faire face à cette situation.

L’idée de Raynal est précieuse : il s’agit de redonner de la légitimité à la place de l’autorité. D’abord indépendamment de l’histoire passée. Il ne s’agit en effet pas de restaurer Musgrave à la place de capitaine qu’il occupait hier. Dans la tête de Raynal, la différence est bien repérée : ni un maître, ni un supérieur mais un chef de famille, autrement dit quelqu’un qui ne participe pas du modèle religieux d’hier mais plutôt quelqu’un qui peut simplement s’excepter de ses égaux juste ce qu’il faut pour que l’exercice de sa fonction ne contrevienne pas à leur autonomie. La position du frère aîné est à cet égard assez précieuse même si l’on peut aussitôt percevoir l’affaiblissement d’altérité que celle-ci implique.
Il s’agit donc d’abord simplement de supporter une autorité pour que l’action collective soit efficace. La plupart du temps en effet, une place différente des autres – que j’ai appelée place d’exception [16] – s’avère nécessaire fut-ce parce que celui qui l’occupe a la tâche clairement énoncée de toujours penser en termes d’articulation de respect de l’autonomie des individus et d’exigence de l’action collective.
Raynal a d’autant plus de facilité sans doute à permettre ce réajustement qu’il sait très bien qu’il n’occupera pas la place dont il revendique l’installation. Mais ce qui importe surtout, c’est comment il s’y prend pour mettre tout le monde dans le coup de l’opération.
Chacun devra donner son consentement et ceci évidemment est en phase avec ce qu’exige l’égalité démocratique. De plus, il prévoit d’emblée que des dysfonctionnements puissent survenir (« Au cas où quelque grave contestation… »). Les règles et les procédures pour y faire face sont déterminées à l’avance. Et il n’est pas anodin que les membres de l’équipage ajoutent le point 6, véritable bouclier contre ce qui a été la caractéristique de la façon abusive d’occuper la place d’exception sous le modèle religieux.

En quelque sorte, tout est mis en place par Raynal pour que l’autorité perdue se retrouve mais transformée par les exigences de la démocratie. Et c’est ce qui d’ailleurs doit nous apparaître clairement : chacun participe à cette mise en place, mais cette place est d’emblée sous le contrôle de l’ensemble. Ce faisant, il est bien rappelé que cette fonction est au service de la collectivité, et qu’il s’agit bien de distinguer quand chacun est sous l’autorité de celui qui occupe cette place et quand le même chacun se réserve le droit de juger si celui qui occupe la place le fait bien au profit du collectif, ces deux moments ne pouvant pas être confondus, ni coïncider.
Dernier point, Raynal a le vœu d’écrire ce nouveau règlement sur l’une des pages de la Bible. Nul doute qu’ici, il profite là encore du religieux mais pas de difficulté non plus à repérer que c’est parce qu’il a le souci de faire que ce règlement fasse tiers, qu’une fois adopté, il ne soit la propriété de plus personne. Derrière l’appui sur la Bible, il n’est pas difficile d’entendre que ce qu’il essaye de faire adopter par tous, c’est son propre trajet : il s’est d’abord mis en place comme un parmi les autres pour avec l’accord de tous, être parvenu à constituer un règlement qui puisse faire tiers. Autrement dit, sa manœuvre a bien fait passer qu’il ne s’agit plus d’un Tiers préexistant mais d’un tiers qu’il s’agit de faire émerger à partir des sujets eux-mêmes.
Terminons l’histoire des naufragés de l’Auckland en évoquant encore une séquence, celle du choix du nom à donner à leur habitation. « Bientôt au lieu d’un, nous en eûmes cinq, et chacun s’évertuait à démontrer la supériorité de celui qu’il avait trouvé. Pour mettre fin au débat, écrit Raynal, on convint sur ma proposition, d’inscrire les cinq noms sur de petits morceaux de papier, qui seraient pliés et déposés dans un chapeau et de tirer au sort. Les bulletins écrits et jetés dans l’urne improvisée. George, le plus jeune de nous tous, en prit un au hasard et l’ouvrit ; il y lut le nom d’Epigwait ; c’était celui qu’avait choisi Musgrave. (…) Il fut adopté [17] ».
L’appel au tirage au sort vient bien rappeler à la fois l’égalité virtuelle de chacun dans le choix à faire mais en même temps l’inégalité de fait du choix accompli. On voit bien comment à partir de procédures anodines, il y a moyen soit de favoriser des rivalités, soit au contraire de faire accepter davantage l’inégalité de fait qui ne peut que survenir et être en même temps de plus en plus intolérable dans un monde défini par l’égalité des conditions. La stratégie du tirage au sort permet de faire apparaître cette contradiction mais fait aussi bien entendre qu’il est possible de vivre avec l’inégalité concrète au quotidien.
Un dernier mot pour insister sur le fait que la place différente des autres légitimée par Raynal est fondamentalement au service de la collectivité et il est bien entendu dans ce qu’il nous rapporte qu’il y avait là un enjeu crucial : ne pas permettre que celui qui occupe cette place en vienne à en user pour sa propre jouissance. Et de ce fait, non seulement il n’est pas dupe mais surtout il prévoit de faire ce qu’il faut pour empêcher cette dérive. Rappelons ses propos : Mais l’homme est si faible que la raison, le souci de sa dignité et même la considération de son intérêt ne suffisent pas toujours à le maintenir dans le devoir. Il faut qu’une règle extérieure, une discipline le protège contre les défaillances de sa volonté.


Une leçon pour l’actuel

D’une certaine façon, voilà jetées les bases de la démocratie moderne dans son application concrète qu’il serait plus qu’utile de prendre en compte aujourd’hui.
Mon lecteur n’aura pourtant pas de difficulté à pourtant me faire remarquer où le bât de ma comparaison blesse : c’est que bien évidemment, Raynal profitait encore l’éclat de l’autorité religieuse et que c’est bien à partir d’elle qu’il reconstitue la nouvelle autorité qu’il met en place.
Mais si cette remarque s’avère pertinente, elle est aussi à tempérer, car justement l’autorité en tant qu’elle relève de ce qui est dû au collectif n’est pas que vestige du religieux ; elle relève de la structure du langage lui-même et c’est là ce que la psychanalyse est en mesure d’apporter son éclairage.
Penser place d’exception, (je dis bien « place »), et autorité reste en effet irréductible, car c’est un trait spécifique à la manière des humains de vivre ensemble, c’est-à-dire par la parole. Et c’est sans doute même précisément l’enjeu actuel, à savoir arriver à la déconnecter d’un lien social pyramidal, organisé sur le modèle patriarcal ou religieux d’hier, mais sans pour autant en méconnaître la nécessité de structure.
Cette place différente des autres est la conséquence irréductible de notre prise dans le langage et c’est bien par l’articulation du singulier et du collectif que peut se soutenir la démocratie comme manière des hommes de se gouverner eux-mêmes via ce qu’exige la parole. Pour qu’il y ait démocratie, il faut donc un citoyen dont le désir se reconnaisse comme divisé entre son souhait propre et ce qu’il doit accepter de perdre pour que le collectif continue d’exister. Il faut un citoyen, comme le disait Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, capable d’exercer le pouvoir (arkhein, infinitif actif) et en même temps d’être gouverné (arkhesthai, infinitif passif).
C’est pourquoi j’insiste sur la légitimité de cette place d’exception car elle est nécessairement, à un moment ou à un autre, celle d’un chacun ! Elle est la place de ce qui ne se justifie pas par des connaissances ou du savoir, elle est la place de ce qui se soutient du rien, ou de pouvoir « faire le trou » d’avec l’Autre. Elle est la place qui ne se soutient que de sa propre parole. Ne dit-on pas d’ailleurs « parler de son propre chef » ?
Parler de place d’exception signifie donc simplement que cette place existe dans la structure du langage – elle se retrouve bêtement dans la différence des places entre locuteur et auditeur – et que celui qui se trouve avoir la charge de gouverner doit pouvoir l’occuper, doit pouvoir y engager sa singularité et assumer les désagréments qui s’ensuivent, entre autres tolérer la haine de ceux qui ne l’occupent pas.

La démocratie ne peut donc se contenter de prôner sans cesse la simple égalité pour tous même si c’est là un vœu dont la légitimité ne fait aucun doute. Simplement parce que prôner simplement l’égalité ne peut qu’aller de pair avec prôner l’illimité. Ceci d’autant plus que comme l’analyse Dominique Schnapper, la dynamique démocratique renforce deux grands principes du monde moderne qui, l’un et l’autre, refusent l’idée même de limite en même temps qu’elle est renforcée par eux : le progrès scientifique et le capitalisme [18]. Or il faut bien que, dans le même mouvement, la démocratie reconnaisse ce qu’elle doit à la parole.
Il s’agit donc de reconnaître que l’égalité des conditions et la différence des places ne s’annulent pas l’une l’autre mais qu’au contraire elles continuent à contraindre chacun à assumer cette division, du seul fait d’être un parlêtre qui partage ce statut avec d’autres parlêtres.
Il s’agit donc aujourd’hui de penser à neuf : en intégrant l’égalité des conditions mais tout autant la dissymétrie des places.
Car celui qui s’est donné, comme dans le patriarcat, ou a reçu, comme dans la démocratie, la charge du collectif, ne pensera jamais dans les mêmes termes que celui qui ne soutient que son trajet singulier. Il y a là une contradiction interne que l’on ne peut en aucun cas faire disparaître : la tendance à l’égalité viendra donc inéluctablement buter sur ce point d’exception qui toujours échappera. Une telle organisation est simplement congruente avec ce qu’implique le fait de vivre dans les mots.
Et la priorité devra alors être donnée au collectif, via celui qui occupe la place d’exception, si l’on veut que la vie en commun et la solidarité soit sauvegardée, ce qui, bien évidemment, dans ce moment actuel de crise, ne pourra que risquer de passer pour une manière de contrevenir à l’égalité démocratique. C’est même souvent l’argument qui sera utilisé pour récuser la nécessité de la prévalence du collectif ! Pourtant, il ne s’agit pas en ce cas d’une opposition à l’égalité, mais plutôt de prendre en compte la limite qui la rend possible ; cette limite ne peut qu’être rencontrée étant donné la présence irréductible de ce vice de structure qu’introduit le langage.
À cet égard, ce que Freud écrivait dans Malaise dans la civilisation a de quoi nous surprendre : « La vie des êtres humains entre eux ne devient possible qu’à partir du moment où il se trouve une majorité plus forte que tout individu et faisant bloc face à tout individu. Le pouvoir de cette communauté s’oppose alors en tant que “droit” au pouvoir individuel, condamné comme “violence”. C’est le remplacement du pouvoir de l’individu par celui de la communauté qui constitue le pas décisif vers la civilisation » [19]. Et il ajoutait un peu plus loin : « Ce qui s’agite dans une société humaine, en fait d’élans vers la liberté, peut être une révolte contre une injustice existante et favoriser ainsi une nouvelle évolution de la civilisation, rester conciliable avec elle. Mais cela peut aussi émaner du reliquat de la personnalité originelle non domptée par la civilisation et devenir ainsi la base de l’hostilité à cette dernière » [20].
Son propos fait bien entendre que la revendication d’égalité n’est pas en soi d’office un progrès mais que celui-ci dépendra de ce qu’elle veut atteindre : une plus grande défense de l’individu ou un supplément de justice pour tous !
Bien sûr, il sera aussitôt rétorqué par certains que précisément la tâche du collectif, c’est de permettre à chacun de se réaliser ! Et c’est le mot d’ordre aujourd’hui en vogue : une société pourrait n’être rien d’autre que le rassemblement, la collectivisation de toutes les singularités qui en font partie. Mais c’est cette illusion que dénonce le propos freudien. Il n’existe pas de vie collective, pas de groupe humain qui n’entame, qui ne limite les exigences de chacun de ses membres : il suffit d’une simple observation pour s’en apercevoir. Et c’est précisément la tâche de celui qui occupe la place d’exception : répartir du mieux possible les places d’un chacun. Mais ceci bute inévitablement sur deux difficultés : il ne sera pas possible de ne pas faire de choix, et ce choix pourra toujours être « contaminé » par la singularité de celui qui occupe la place d’exception et il sera donc toujours possible d’en profiter pour le lui reprocher, voire même pour le délégitimer.
Par contre, vouloir escamoter ces points de butée de l’égalité, c’est alors comme le dit très bien Jean-Claude Milner, transformer la politique des hommes en politique des choses. Car ce qui, en effet, se produit alors, c’est une égalité des hommes comme s’ils n’étaient que des choses ! Quant à l’égalité ainsi obtenue, elle n’est plus une égalité d’êtres parlants, elle est bien plutôt l’égalité des grains de sable, indéfiniment substituables, parce qu’indiscernables [21].
J’oserais même ajouter que le psychanalyste est éthiquement responsable, face à la cité, de ce que sa pratique et sa discipline lui enseignent. Sa tâche est bien plutôt de faire entendre la complexité, voire la nécessité aujourd’hui neuve, d’articuler ce qu’implique la démocratie à laquelle nous tenons évidemment, et ce qu’implique la condition langagière qui est la nôtre

Mais comment soutenir ce paradoxe ? Telle est la tâche qui nous incombe et pour laquelle la lecture de Gauchet est précieuse.
D’abord parce qu’elle permet bien d’entendre le bouleversement auquel nous avons affaire : il ne s’agit pas d’un déclin du père comme on l’entend souvent dire sans ajouter autre chose que ce constat catastrophiste. Il s’agit d’un déclin du père en phase avec la sortie du religieux, autrement dit d’une avancée collective qui, pour en arriver à l’autonomie revendiquée, n’a d’autre manière de procéder que de devoir parachever l’arrachement à la structure religieuse jusque dans la structuration psychique elle-même.
Ceci n’appelle donc aucun retour au modèle d’hier mais par contre, contraint de mettre en évidence les difficultés nouvelles que ce changement introduit. On peut les résumer comme suit : une difficulté à l’action collective, les ravages de l’impouvoir s’ajoutant aux excès du pouvoir et une difficulté singulière, qui dénoue autonomie individuelle de tout ce qu’elle continue à devoir au collectif tant pour sa construction que pour son effectivité.
Car tout le problème est bien là : si la deuxième crise de croissance de la démocratie entraîne ce que je viens de rappeler, alors elle ne peut qu’entrer en conflit direct avec ce qu’exige la construction de l’appareil psychique. Simplement parce que celui-ci ne peut ignorer ce qu’il doit au collectif. L’autonomie ne se construit jamais qu’à partir de la dépendance à l’égard des autres, des premiers autres dont chacun est issu, autant que de la langue de la culture dans laquelle ceux-ci parlent avant moi.
C’est donc à cet endroit qu’un nouvel équilibre est à trouver et ceci ne peut que renvoyer à ce qui est exigé pour le fonctionnement du collectif pour lequel l’aventure de Raynal et de ses compagnons d’infortune reste éminemment précieuse.


Bibliographie

FREUD S., 1929, Le Malaise dans la civilisation, Paris, Seuil, Point Essais.
GAUCHET M., 1985, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines.
GAUCHET M., 2007, 2010, L’avènement de la démocratie, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines (trois volumes sur quatre parus : La Révolution moderne, La crise du libéralisme et À l’épreuve des totalitarismes).
GAUCHET M., 2007, La démocratie : d’une crise à l’autre, Nantes, Éditions Cécile Defaut.
LEBRUN J.-P., 2009, « Remarque sur la place d’exception », in Y a-t-il un directeur dans l’institution ?, Rennes, Presses de l’EHESP.
LEYS S., 2011, Le studio de l’inutilité, Paris, Flammarion.
MILNER J.-C., 2011, La politique des choses, Paris, Verdier.
RAYNAL F.E., 1866, Les naufragés de l’Auckland, Rééd. 2011, Paris, La Table Ronde.
SCHNAPPER D., 2014, L’esprit démocratique des lois, Paris, Gallimard, NRF Essais.


Notes

[1C’est à la préface de Simon Leys que je dois d’avoir été amené à la lecture du livre de Raynal, pour lequel il a fait une remarquable préface reprise dans son dernier ouvrage paru (2011), Le studio de l’inutilité (pp.271-284). Je remercie Jacques Dewitte de m’avoir appris l’existence de ce texte de Simon Leys.

[2La Table Ronde, 2011.

[3S. Leys, op. cit. p. 281.

[4Journal de Musgrave, publié à Londres en 1866, cité par S. Leys, Ibid, p. 277.

[5F.E. Raynal, op. cit. p. 141.

[6Ibid. p. 142-143.

[7M. Gauchet, L’avènement de la démocratie, 2007 et 2010. À ce jour seuls les trois premiers volumes sont parus : La Révolution moderne, La crise du libéralisme et À l’épreuve des totalitarismes.

[8M. Gauchet, 1985, Le désenchantement du monde.

[9M. Gauchet, La démocratie : d’une crise à l’autre, 2007, p. 13.

[10M. Gauchet, L’invention de la démocratie, op. cit. p. 13.

[11M. Gauchet, La démocratie : d’une crise à l’autre, op. cit. p.18.

[12M. Gauchet, La révolution moderne, op.cit., p. 36.

[13M. Gauchet, La démocratie : d’une crise à l’autre, op. cit, p. 33.

[14M. Gauchet, La révolution moderne, op. cit., p. 170.

[15M. Gauchet, La démocratie : d’une crise à l’autre, op. cit., p.42.

[16Cf à ce sujet : J.-P. Lebrun, « Remarque sur la place d’exception », in Y a-t-il un directeur dans l’institution ?, 2009.

[17F.E. Raynal, Les naufragés des Auckland, op. cit., p. 146.

[18D. Schnapper, L’esprit démocratique des lois, 2014, p. 33.

[19S. Freud, Le Malaise dans la civilisation, 1929, p. 93.

[20S. Freud, ibid, p.94.

[21J.C. Milner, La politique des choses, 2011, p. 31.


Pour citer l'article

Jean-Pierre Lebrun« Le naufrage du religieux », in Tétralogiques, N°20, Politique et morale.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article9