Regnier Pirard
Psychanalyste, Professeur des Universités. r.pirard chez wanadoo.fr
La « persexion » du sujet. Personne, sexuation et perversion
Résumé / Abstract
Les repères de socialité et de conjugalité sont aujourd’hui profondément bouleversés. La question du genre prétend subvertir celle de la sexuation en la manipulant sans restriction. C’est la structure même du « devenir personne » qui rend cela possible. Mais rien ne garantit a priori la bonne santé de la dialectique par laquelle advient de la personne. L’auteur tente d’éclairer cette problématique par un dialogue entre la théorie de la médiation et la psychanalyse.
Mots-clés
Jean Gagnepain | personne | perversion | phénoménologie | psychanalyse | psychose | sexuation | sujet | transsexualisme |
Dans la terminologie médiationniste le concept de sujet a un sens précis et, pour ainsi dire, modeste, délesté au maximum de toutes ces surcharges métaphysiques, extrêmement lourdes, qu’on peut lire dans la luxuriante érudition historique d’un Alain de Libera et sa monumentale Archéologie du sujet [1]. Ce serait néanmoins illusion ou hypocrisie de penser que les sciences humaines ne devraient rien à la philosophie et même à la théologie. Elles en héritent largement, ne pouvant s’en démarquer que par le recours systématique à des modes de mise à l’épreuve qui ne sont plus seulement de cohérence logique dans la spéculation ou l’introspection mais doivent se heurter au réel pour ne pas sombrer dans l’imaginaire. Or il n’y a pas d’autre réel pour les performances humaines qu’attesté par leurs dysfonctionnements. L’expérience humaine devient « expérimentale » par le truchement d’une clinique neuro- et psychopathologique. Aussi soutiendrai-je la thèse que ce sont psychoses et perversions qui, après la carte forcée mais biaisée de l’hystérie, imposent en l’occurrence, par leur hyperbole déformée, de mieux penser de l’humain son féminin, qu’une très longue tradition métaphysique patriarcale s’est employée sinon à forclore, du moins à marginaliser [2]. Je dis la question biaisée pour l’hystérie car elle s’y trouve posée à travers celle du désir alors qu’il s’agit d’abord de la rencontrer dans le registre de l’identité. La question de l’hystérique est bien plus celle de sa valeur (dans le regard de l’autre et le sien, tautologie) — et donc du « que suis-je ? » (qu’est-ce que je vaux ?) — que celle du Dasein — et donc du « qui suis-je ? ». Mais pour commencer, il faut reprendre la notion de sujet telle que la définit la théorie de la médiation.
1 Une biologie en site propre
Ce sujet doit s’y entendre comme désignant une réalité strictement biologique. Quelle biologie ? Les secrets de la vie nous seront-ils révélés par une décomposition de l’organisme en éléments physico-chimiques de plus en plus minuscules, mis au jour grâce aux nanotechnologies ? Il convient plutôt de saisir dans le terme d’organisme l’organisation elle-même par laquelle se constitue un ensemble vivant, suffisamment autonome pour se vivre, voire s’auto-percevoir et se mouvoir, que Gagnepain nomme somasie, pour le démarquer de la notion trop ambigüe de corps (puisqu’aussi bien on parle de corps chimiques, par exemple, ou de corps mystique, ce qui fait tout de même un grand écart). Le soma, dans son « essence » propre, n’a rien de chimique ni de mystique. C’est plutôt au sens d’un Kurt Goldstein ou d’un Erwin Strauss qu’il convient d’appréhender la biologie en question. Ce sens est « gestaltique ». La Gestalt d’un organisme vivant est la plus petite entité de vie autonome d’un spécimen dans le registre de son espèce. Bien sûr, son autonomie n’est pas totale car un organisme, quel qu’il soit, du plus simple au plus complexe, n’est jamais désinséré de ce qu’on appelle un milieu, qui n’est du reste que le fond sur lequel et contre lequel il se détache pour conquérir sa forme. Cette autonomie organismique n’est donc que relative et contre-dépendante, elle n’a qu’une durée de vie plus ou moins éphémère avant d’être remixée dans le grand « tout » universel. Il n’est certes pas exclu que des artifices « biotechnologiques » mettent pour ainsi dire au frigo des morceaux de vivant, mais à trop en prélever et surtout à certains endroits « stratégiques », celui-ci pourrait s’en trouver anéanti et précipité plus rapidement ou brusquement que prévu dans la grande baratte cosmologique. Problèmes de médecine moderne, devenus de plus en plus aigus. Quoi qu’il en soit, nous définirons le sujet comme Gestalt d’un corps vivant individué [3].
Cette Gestalt n’est pas un fait d’auto-perception au sens d’une constatation spéculaire (seuls d’ailleurs quelques animaux supérieurs sont sensibles à leur image spéculaire). Il s’agit beaucoup plus profondément d’un « se sentir vivre » qui, au sens le plus fort, informe le vivant, lui donne forme, le constitue comme tel, il s’agit donc d’une Gestaltung. Celle-ci vaut dès la forme végétale, qui permet le tropisme d’une plante par exemple [4]. Nulle conscience n’est pour cela nécessaire, une vie dite végétative y suffit. C’est la condition la plus élémentaire du vivant, en-deçà de laquelle il se désorganise et se minéralise. Bien entendu, si l’on considère le vivant animal et a fortiori hominien, cette végétativité n’a aucune chance de se maintenir sans moyens artificiels car leur condition de vivants comporte plus que la végétalité, leur forme de vie est plus complexe. Un sujet est donc une forme de vie spécifique, propre à une espèce animale, et jouissant d’elle-même. Quand bien même on peut, par quelque prouesse technique, greffer un foie de porc à un humain, voire un cœur artificiel, et substituer à ses molécules naturelles toutes sortes de molécules de synthèse sans altérer son fonctionnement (ce qui n’exclut pas des incidences somatiques sous l’impact des coordonnées culturelles : je vous laisse imaginer l’effet de la greffe d’un morceau de porc chez un musulman ou un juif pratiquants, sans parler des transfusions sanguines pour un témoin de Jéhovah), en dépit donc de tous ces bricolages dont peut se glorifier la médecine moderne, le sujet se définit par sa cohésion de vivant. Ces prouesses ne seront toujours qu’un élargissement du vivant à l’intérieur de certaines contraintes, dont les limites peuvent s’étendre tant que la forme ne se rompt pas (et elle ne se rompt pas même quand la personne se déstructure, comme dans la psychose, qui n’est pas une asomasie [5]). Un sujet incarne ainsi la plus petite composition nécessaire à soutenir une forme vivante de son espèce, par quoi on peut le dire individu typique, celui qui assure pour soi-même une maintenance, une durée de vie qui peut se compter en secondes ou en années, fût-elle de parasitisme car tout nouveau vivant venant au monde, du moins chez les vivipares, s’accroche longtemps à son porteur. Cette maintenance n’est donc pas auto-productrice, elle s’alimente de tout un « environnement » écologique mais cependant fonctionne comme une unité de synthèse organique relative.
2 Un sujet « nu »
Voilà réduite à sa plus simple expression, me semble-t-il, la notion de sujet. A trop faire résonner le sub-jectum dans le sens aristotélicien d’un suppôt en attente de ses attributs, elle ne serait d’ailleurs pas très adéquate. S’il y a bien « support », c’est au sens d’une condition première pour l’émergence de ce que la théorie de la médiation appelle la personne (qui ne correspond qu’approximativement au sujet lacanien). Ce sujet médiationniste, dont le terme a été choisi « poétiquement » ou « mythiquement » par analogie ou assonance avec ceux d’objet (de la conscience perceptive), de trajet (du geste instrumenté) et de projet (de la pulsion orientée), n’est que le préalable indispensable à la mise à feu de la dialectique de la personne. La forme entre ainsi dans le jeu de la structure. Plus exactement, la Gestalt vivante, en subissant la morsure de la négativité, le passage à néant comme on dit passage à tabac, acquiert le statut de pôle dialectique qui, par sa résistance, instaure un conflit à jamais reconduit et sans cesse à négocier, celui de l’enfant dans l’adulte, dirons-nous pour qualifier partiellement mais simplement la condition humaine de l’être-au-monde. Cette dialectique toujours en mouvement cherchera désespérément des solutions « politiques » condamnées d’avance par un effet d’inertie où le pratico-inerte de l’institution tend à figer et « naturaliser », par solidification des habitus, les meilleures configurations ontiques et déontiques. Du coup le processus est incessamment relancé. Polemos est toujours au cœur de Podemos, c’est la leçon héraclitéenne, si bien assumée par Hegel, Marx, puis… Gagnepain en insistant sur la dialectique du conflit au cœur de tout pouvoir [6].
Mais je reprends plus modestement le fil de mon propos. Un sujet, donc, c’est ce qui se maintient en vie par soi-même. Comme sa forme est ouverte, bien que « suffisamment fermée » pour ne pas se disloquer, il ne peut se maintenir qu’à se reproduire. Et là il y a un hic, pas assez pris en compte, à mon avis, par Gagnepain et ses acolytes, celui de la différence sexuée. En dehors des reproductions élémentaires au bas de l’échelle de la vie, il en faut deux pour en faire un, ce qui redouble la finitude du vivant. Même, ces deux se partagent le patrimoine reproducteur. On dit qu’ils sont deux moitiés, à vrai dire ils sont chacun la moitié de deux moitiés, puisqu’ils n’ont à offrir à leur conjonction que la moitié de leurs caractères chromosomiques (phénomène de méiose). La dialectique de la personne, là où la vie entre dans la structure et la structure pénètre la vie [7], ne peut évidemment que disputer de cette donne, en courant de la différence (plus chromosomique qu’anatomique d’ailleurs) des sexes aux querelles conjugales, en quelque sorte. C’est le lot de la subversion culturelle des accouplements humains qui, stériles ou non, sont par structure contre nature. Mais non pas sans nature, au risque de sombrer dans un idéalisme transcendantal qui ne manquerait pas de se retourner vite fait de l’ange à la bête. S’il y a du sujet femelle, il doit bien y avoir du féminin « au bout » de la dialectique, aussi subverti et redistribué soit-il (même raisonnement pour le mâle et le masculin, évidemment). A vrai dire, la dialectique est ce dont on ne voit jamais le bout. Féminin et Masculin constituent donc de la « performance politique infinie », comme le relève judicieusement Jean-Luc Pirard [8], précisant qu’il n’est « plus question de mettre la main dessus, puisqu’ils sont l’enjeu d’une constitution (pour le dire phénoménologiquement) à l’infini ». Que la question de la sexuation soit une affaire de langage, comme dit Lacan, et certainement pas d’aspect anatomique, ne la précipite pas pour autant dans le ciel éthéré des corps angéliques, fussent-ils de postmodernité [9]. Tout simplement l’anatomie n’est pas le destin [10] de la sexualité. Non seulement à cause des formes interlopes ou du jeu des hormones, mais parce qu’un sexe de culture peut largement diverger d’un sexe de nature, jusqu’à le contrefaire le cas échéant, autrement dit le travestir ontologiquement (Schreber n’était-il pas devenu femme par la grâce d’une transsexualisation mystique ?).
3 Du côté de chez Freud
En lançant sa formule « l’anatomie, c’est le destin », que voulait dire Freud ? Faudrait-il y voir un aveu d’impuissance de la cure analytique capitulant devant la force des déterminismes biologiques ? Ce serait étrange pour quelqu’un qui parlait de névrose de destinée, signifiant par là une ornière psychologique dans laquelle vient s’embourber répétitivement le « sujet », plus exactement la personne, par une inertie des identifications. Le « Wo es war, soll ich werden » a bien une portée de construction historique, de conquête culturelle sur les puissances du ça, qui — affirme clairement Lacan dans le Séminaire Le moment de conclure — n’est pas davantage un sac de pulsions mais une structure topologique. Insistance : Freud, lui-même sur le point de conclure, ne parlait-il pas du roc, infranchissable à ses yeux, de la castration et du Penisneid qui lui fait couple ? On remarquera que ce sont là des fantasmes supportant et excitant pulsionnellement des positions « subjectives » et non quelque couperet réel qui, s’il venait à exécution, signerait à coup sûr une issue psychotique. En dépit de ses accents axiologiques, la doctrine freudienne sur la question de l’identité sexuelle semble donc bien relever d’une dialectique de la personne, au moins implicitement. Sans vouloir lui imputer anachroniquement le terme de genre, on peut dire que cette problématique est d’ores et déjà convoquée.
Freud faisait du complexe d’Œdipe un schibboleth de la psychanalyse. Sans doute l’évolution de nos sociétés nous contraint-elle à en redéfinir les paramètres. La question est délicate et Lacan l’a traitée avec patience et circonspection. Y a-t-il un au-delà du complexe d’Œdipe ? D’une certaine façon, le mythe lui-même a déjà répondu affirmativement, puisque le héros assume dans l’horreur l’erreur de son acte. Reconnaissant son hybris, il traverse le fantasme de sa toute-puissance et, par la métaphore des yeux crevés, inscrit réellement la castration de sa jouissance. Freud a déjà répondu oui aussi, quand il ose dire que « pour être, dans la vie amoureuse, vraiment libre et, par là, heureux, il faut avoir surmonté le respect pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la sœur » [11]. La pulsion et le désir jouant en cette affaire un rôle moteur, ce sont là, dirons-nous, des réponses dans le registre de l’affect et le surmontement du refoulement. Mais le cœur du complexe d’Œdipe ne se situe pas là, il est dans le registre des identifications. Le complexe d’Œdipe est identifiant. Alors comment fonctionne-t-il aujourd’hui ? Fonctionne-t-il même encore ou peut-on tout simplement s’en passer sans même s’en être servi ? Freud disait que dans le cas du garçon il est appelé à la destruction sous le coup du complexe de castration, dans le cas de la fille à se diluer avec le temps car elle n’est pas confrontée à une menace brutale de castration mais connaît le manque sur le mode de la privation. Dans l’un et l’autre cas, l’au-delà de l’œdipe se fait au bénéfice d’identifications introjectées dont le prototype est le surmoi, plus virulent chez le garçon que chez la fille.
Les récentes controverses autour du mariage pour tous, les revendications de gestation pour autrui et questions apparentées mettent à leur insu le doigt sur la fonction identifiante qui était jusqu’ici le monopole d’un œdipe classique, celui des « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » (1925). Aujourd’hui cette fonction semble vaciller. Serait-ce en son principe structural ou change-t-elle conjoncturellement par redéfinition politique des rapports sociaux ? Pour y voir plus clair, encore faut-il déciller le regard sur la question du phallus, qui dans l’histoire de la psychanalyse ne doit rien, pour ce qu’il en est de la polémique, à la controverse du filioque qui déchira l’Église entre Orient et Occident. J’affirme d’emblée, mais vais tenter de le montrer, que le phallus fait structure. C’est le pivot de la structure, celle-là même dont parle l’anthropologie clinique médiationniste, mais ici formulé dans le langage de la psychanalyse lacanienne, plus tranché (c’est le cas de le dire) sur ce point que celui de Freud.
On sait le débat qui agita le mouvement psychanalytique autour des années trente sur la sexualité féminine [12]. Freud avait articulé le complexe d’Œdipe au complexe de castration et l’avait centré sur la figure paternelle. Or les travaux de psychanalystes femmes, appuyés par Jones, allaient faire bouger les lignes, sur deux points principaux. Premièrement, il est impossible qu’une petite fille n’ait pas précocement une expérience sensorielle de la spécificité de son corps, donc une connaissance du vagin. Celle-ci suffit-elle à constituer sa position de « sujet désirant » ? C’est la question. Deuxièmement, la mère n’est pas d’emblée perçue comme une femme par l’enfant mais comme une puissance tutélaire, par conséquent dotée fantasmatiquement de tous les attributs possibles, y compris le phallus. L’œdipe s’en trouve nécessairement reconfiguré, puisque la castration majeure, autour de laquelle tout pivote, sera désormais celle de la mère. Les choses restent néanmoins confuses et dans un dialogue de sourds entre Freud et une large partie de ses élèves car le statut métapsychologique, j’oserai dire ontologique, de la différence à faire entre l’organe pénien (qui est un attribut somatique relevant de la différence anatomique des sexes) et le phallus (qui est un marqueur « symbolique » de la différence de genre) n’est pas parfaitement établi. De sorte que la fameuse phase phallique par laquelle tout petit d’homme, garçon ou fille, est censé passer pour se structurer ne peut que heurter les sensibilités féministes. L’éclairage viendra de Lacan. Mais auparavant il n’est pas inutile d’écouter comment la phénoménologie a voulu parler de la femme.
4 La démarche chaloupée du phénoménologue
Un phénoménologue hollandais, F. J. J. Buytendijk, médecin et professeur de psychologie, voulant donner un écho critique à l’ouvrage de Simone de Beauvoir Le Deuxième sexe, publia fin des années cinquante une étude ambitieuse sur la femme [13]. Je néglige le caractère sommaire des critiques qu’il adresse à la psychanalyse, qui sont dans le style trop répandu d’une phénoménologie édulcorée, hésitant entre une dénonciation de naturalisme et une accusation de trivialité (du genre : on savait déjà ce qui nous est jargonné là). Notons, par contre, que Buytendijk passe carrément à côté du principe patho-analytique, en jetant la suspicion sur les expériences qu’il appelle anormales, tout comme sur l’inaptitude de l’enfant à s’exprimer clairement. Son étude repose donc sur un principe d’évidence, certes épuré par la recherche de l’eidos des phénomènes, mais requérant la pleine et adulte conscience nécessaire à sa visée. Sous la fréquentation de Husserl et de Scheler on trouve ainsi des relents piagétiens d’adultocentrisme. Tout cela sur un fond spiritualiste à peine masqué. Je me surprends à dresser là le tableau d’une certaine philosophie chrétienne qui s’est voulue moderne et a cru trouver un aggiornamento de sa scolastique dans la phénoménologie du premier Husserl. Finalement l’entreprise est assez décevante car elle manque de rigueur, en cherchant à ménager sinon tous les contraires à tout le moins tous les contrastes. Dans un grand fouillis de notations (souvent intéressantes quand on les prend une par une), il est malaisé au lecteur de faire la part d’une approche éthologique (Buytendijk enseignait entre autres la psychologie animale) et une approche ethnologique. L’auteur pourtant ne manque pas de lucidité. Dans un chapitre consacré à la relation au corps propre (thème phénoménologique assez convenu), on peut lire : « Dans notre civilisation, cette relation n’est pas la même pour la femme et pour l’homme. On pourrait attendre, il est vrai, que ce simple être-là (nur-da-zu-sein), que cette qualité d’être démonstrative appartienne en propre et immédiatement à la dynamique expansive que le monde animal nous a révélée chez les mâles. Nous avons vu que la crinière, les bois, l’éclat des couleurs manifestent l’être démonstratif chez les animaux mâles ; que chez les peuples primitifs, c’est l’homme qui porte les ornements voyants ; qu’en dépit de la gravité de leur mine et de la sévérité de leurs vêtements, les hommes d’aujourd’hui demeurent intérieurement éclatants. Nous ne pouvons accepter sans réserve l’opinion (largement répandue) qu’après la Révolution française un bouleversement se serait produit et que les hommes, aujourd’hui ternes comme des moineaux, auraient acquis une conscience plus humaine que sous l’Ancien Régime. Que la mode féminine soit désormais très colorée, varie selon la condition sociale, le pays, la saison et même plus souvent, qu’elle se couvre d’ornements et d’artifices et soit jolie à proportion de la nouveauté : on y voit en général une confirmation de la thèse de Scheler qui imagine chez la femme une autre sorte de relation au corps. Mais le problème, en vérité, est plus compliqué » [14]. Buytendijk voit le problème mais échoue à le résoudre faute d’une approche suffisamment dialectique des rapports nature/culture. Alors qu’il s’agirait de montrer qu’ils sont l’objet d’une redéfinition permanente parce que pris dans une contradiction dynamique, le phénoménologue voudrait arrêter le soleil pour stabiliser les ombres au fond de la caverne. Il rêve d’un arrêt sur image. Paradoxe inattendu, tant il est vrai que c’est bien le corps propre qui met inlassablement à l’épreuve la structure et la contraint à un réinvestissement impossible à combler, faisant de la dialectique un tonneau des Danaïdes où la sexuation, parce qu’elle est humaine, est devenue à jamais un problème de convention politique.
Il n’est pas sans intérêt de décrire des modes d’exister qui sont autant de manières d’être par rapport à la nature, à l’autre, à l’enfant etc. La phénoménologie — pour autant qu’on puisse se risquer à une telle généralisation — s’y emploie avec une grande finesse d’observation, mais paradoxalement elle nous parle d’un humain abstrait à force d’en chercher l’essence, d’un humain idéal qui concrètement n’existe pas. D’où une série de « correctifs » très sensibles chez Buytendijk pour adoucir des dichotomies frisant la caricature. Le masculin serait polarisé par une intentionnalité caractérisée par le travail [15], tandis que le mode féminin de présence le serait, de son côté, par le souci [16]. N’empêche que ce sont des aspects de l’humain comme tel qui peuvent, de l’aveu même de l’auteur, parfaitement s’inverser.
Je ne lui ferai pas grief d’être parti à la recherche d’une spécificité du féminin, dont il n’est pas nécessaire d’être femme pour pouvoir parler, car ce n’est peut-être ni plus facile ni plus difficile que d’appréhender le vécu d’un autre quelconque. S’il n’y a pas de rapport sexuel, comme dit Lacan, c’est bien parce qu’il n’y a pas de communication transparente. Le reproche à faire à Buytendijk serait plutôt celui d’un idéalisme spiritualiste trop ignorant des déterminations inconscientes. Ce n’est donc pas la tentative de typologie qui est en cause. A titre de contre-exemple, on trouvera dans un ouvrage récent de Gérard Pommier, pour qui — à juste titre — spécificité n’est pas essence, une belle description de l’énigmatique sourire féminin. « Vu sous ce jour de marbre [Pommier évoque la statuaire mais on pourrait songer à Mona Lisa], le féminin passe pour une sorte d’idéal qui fouette le désir et fait avancer celui qui le voit. Mais les femmes ne semblent pas au courant et ne disent rien quand on leur en parle, comme si elles se contentaient d’en profiter comme des chats. C’est une surpuissance qui trouve sa plénitude en soi — oui, comme celle d’un chat —, contrairement aux hommes, qui exercent leur puissance sur quelqu’un. Il existe un bonheur féminin peut-être incompréhensible pour les hommes » [17]. Cette petite phénoménologie du sourire s’inscrit dans un essai psychanalytique où il est question de la subjectivité féminine, habitée par un désir qui n’est pas nécessairement réservé aux dites femmes. Ce que cette citation met en exergue est la puissance du narcissisme [18]. Une spécificité du féminin existe, qui subjective l’être-au-monde d’une façon particulière (et en ce sens il existe des hommes féminins). Mais il s’agit de la saisir plus profondément que dans des manifestations de surface, qui peuvent être fluctuantes. Freud parlait à propos du féminin et de la sexualité féminine d’un continent noir (c’était n’oublions pas l’époque des explorations de l’Afrique centrale par Livingstone et Stanley), là où se perdent les sources du Nil, le grand fleuve de la vie pour les Anciens. Lacan a prolongé l’enquête et en a renouvelé les prémisses pour déboucher sur l’idée d’une Autre jouissance, supplémentaire à la jouissance phallique appelée pour sa part à gouverner non seulement l’univers masculin mais à asseoir l’humanité de tous. Je vais reprendre la question plus en détails et tenterai de l’éclairer « médiationnistement ».
5 De la signification du phallus à l’Autre jouissance
5.1 Repérage de la fonction paternelle
Le phallus, disais-je, est un marqueur ou un opérateur structural. A ce titre, il reçoit une tout autre portée que la perception de la différence anatomique dans l’image du corps, même assortie d’un cortège de fantasmes, entre un appendice et une fente. Du reste, ces fantasmes n’obtiennent leur pouvoir que par l’incidence de la signification « symbolique » d’un organe qui, d’être fait insigne voire fétiche, transfigure sa fonction et acquiert un statut de démarcation sociale. Car la question du rapport masculin/féminin a toujours été et restera une question politique. C’est ce que montre de manière convaincante Pommier dans un essai provocant, Féminin révolution sans fin.
L’axiome fondamental sur lequel repose toute la démonstration de Pommier est celui de Totem et Tabou un peu revisité. Le père est une figure terrifiante qui ne pense qu’à jouir de ses femmes, ses fils et ses filles. Les fils, redoutant d’être ainsi féminisés par sodomie, n’ont de cesse de tuer ce père, au moins symboliquement, de le propulser dans les cieux et de projeter leur angoisse de féminisation sur celles qui finalement ne peuvent qu’assumer leur condition, bien qu’elles entrent dans la course elles aussi comme des garçons. Cette paterna potestas est bien un axiome, qu’il ne faudrait pas rabattre sur sa contingence historique patriarcale, aussi puissante qu’elle ait été au long de l’histoire. Ce qui s’inscrit là comme fantasme doit se penser structuralement, ce qu’à mon avis Pommier ne fait pas jusqu’au bout en cédant trop à ce que j’appellerai un lyrisme clinique. C’est ainsi que se trouve refoulée en note une remarque de la plus haute importance : « On ne trouvera jamais de définition du père, mais seulement la définition d’un “complexe paternel”, qui ne se comprend que dans la dialectique du fils au père. Le fils “tue” fantasmatiquement son père en le devenant… » [19]. A la même page, l’auteur nous rappelait, à travers le mythe d’Œdipe, la violence du désir du père, car : « Un fils qui devient père veut d’abord se débarrasser de son propre état de fils : cette répétition va le rendre méchant, puisqu’il prend ainsi la place d’un mort – cette identification est à elle seule “tuante” et elle ne s’effraie pas d’envoyer les fils au massacre ». Autrement dit, nous sommes d’emblée dans un cycle de la violence qui porte à hauteur de mort, si je peux dire, le cycle de la vie. Le père introduit la mort ou c’est la mort qui s’introduit par son truchement [20].
Entraîné par la référence à l’essai de Pommier, me voilà projeté sur la face déontologique de la dialectique de la personne alors que la différence du masculin et du féminin se repère sur la face ontologique. Je ne perds pas de vue qu’elles interfèrent (réciprocité des faces) mais il convient d’insister sur ce qui vient d’être dit. A la suite de Gagnepain, on doit affirmer que le père, ou plus exactement la fonction paternelle, est épicène, c’est-à-dire ne connaît pas de genre. Ce sont, si l’on veut, les parents combinés de Mélanie Klein. Pour elle il s’agissait d’un fantasme de nourrisson, en réalité c’est un fait de structure. Certes, si l’on parle de père et de mère, c’est bien parce que sur l’autre face de la dialectique de la personne s’impose la différence sexuée appelée à se « genrer » et qu’elle a une incidence sur le principe de responsabilité où s’exerce la fonction dite paternelle. Pourquoi paternelle plutôt que parentale ? Cette question semble tracasser Jean-Pierre Lebrun [21] mais l’important n’est-il pas le passage du géniteur au parent, et en ce sens du « maternel » (il faudrait dire maternant) au paternel, dans la mesure où idéologiquement le holding primordial est rapporté à la mère. Ceci est en train de changer sous nos yeux avec les couples homosexuels et les familles monoparentales. Reste dans tous les cas de figure le passage nécessaire de l’engendrement (naturel) à l’éducation (culturelle) et donc la métamorphose du géniteur en parent, qui n’est pas évidente ni même donnée une fois pour toutes mais sans cesse à (re)conquérir. On devrait même aller plus loin, oser transgresser le vocabulaire habituel pour en risquer un autre, plus abstrait. Au-delà du parent, c’est le métier (munus) qu’il faut repérer, c’est-à-dire le principe déontologique de responsabilité, dont l’analyse différentielle (des offices, dit Gagnepain) et segmentale (des établissements) se justifie d’un marquage ontologique qui, en lui-même, n’a rien de sexuel mais tout du « nexuel » (nexus, lien, nœud). La désexualisation du sexus (coupure, fente, division) ne reprend des couleurs, toujours provisoires, que politiquement. Les termes de « maternel » et « paternel » sont trop restreints pour caractériser ontologiquement le métier, ils se précipitent trop vite dans la conjoncture politique et se prêtent donc à des controverses idéologiques mal éclairées (du genre : « un bébé = un papa + une maman »).
5.2 Destin du père selon Lacan
Je ne saurais mieux en traiter qu’en m’appuyant sur la conclusion par laquelle Colette Soler termine son excellent Lacan lecteur de Joyce [22]. Par l’œdipe, « Freud légitimait de fait une autorité des pères instaurée bien avant la psychanalyse et portée par l’institution de la famille conjugale classique. Celle-ci était structurée comme un lien social, spécifiquement celui du discours du maître. En effet, elle instaurait un ordre par un semblant, un signifiant maître, un S1, celui du chef de famille, le père, qui commandait à son autre, sa femme-mère et à sa maisonnée. Elle assurait donc la superposition de deux couples, celui social des parents et celui sexué de l’homme et de la femme [23]. Il tenait au prix d’un rapport de domination, domination légalisée de l’épouse qui était soumise pour toutes les activités sociales à l’autorisation maritale » [24]. La femme est donc ici traitée comme un enfant mineur. Aujourd’hui, dans nos cultures, ce n’est plus acceptable. Ce changement est probablement lié à la « dénaturation » de la maternité qui découple le binôme mère-enfant. La mère est désormais d’autant mieux reconnue comme une personne à part entière qu’elle se trouve délivrée, jusqu’à un certain point, des contraintes naturelles de la transmission et de l’élevage de la vie. Du coup, « la famille n’est plus la cellule de base de l’ordre social. Elle ne prépare plus chacun à s’adapter au principe d’ordre, au principe d’autorité qui aujourd’hui paraît abusif au regard de la parité ». Évidemment, il est plus compliqué de partager une autorité parentale que de la monopoliser tout en déléguant les fonctions subalternes. Cette distribution du pouvoir est une question politique, elle est liée au fonctionnement démocratique qui reconnaît les droits individuels. On sait que c’est loin d’être partout le cas, d’autant qu’une société n’est presque jamais mono-culturelle.
D’être précisément entré dans l’ère des individus change la représentation paternelle, sans qu’on sache si c’en est la cause ou l’effet, et la façon dont Lacan a reconnu cette mutation a profondément transformé son approche du complexe d’Œdipe, jusqu’à vouloir le dépasser.
La théorie de la métaphore paternelle mise en place dans les Séminaires IV (relation d’objet) et V (formations de l’inconscient) n’a jamais été qu’une formalisation langagière de l’œdipe freudien, sans changer fondamentalement ses coordonnées, mais elle posait les jalons conceptuels pour penser ses transformations futures. « La métaphore conditionnait un lien de discours entre les sexes, lien où un terme commande à un autre, non plus par le pouvoir de la loi sociale certes, mais par le pouvoir sexuel qu’il tient du phallus comme semblant. Au demeurant, Lacan a longtemps considéré le mariage comme irréductible, dernier résidu de la dégradation des liens sociaux. En quoi il s’est trompé, ce n’est pas la famille c’est l’individu, le résidu dernier » [25].
En tant que présidant à la mise en place de l’idéal du moi, idéal de normativité sexuée et de responsabilité parentale, l’œdipe freudien, même reformulé par Lacan, ne pouvait que conforter l’ordre établi et, par exemple, faire de l’homosexualité une déviance. Mai 68 passant par là aura des conséquences sur la théorie lacanienne. En 70 sort la formule célèbre « y a pas de rapport sexuel » inscriptible dans un discours, alors que Lacan pour rendre compte des bouleversements récents venait juste de produire les quatre discours comme autant de modalités de lien social. Or il s’avère qu’entre les sexes il n’y a pas de lien social. « Le phallus est bien un semblant mais il ne commande qu’à la comédie des sexes dans l’imaginaire, mascarade et parade, et à rien de réel, si ce n’est à la castration » [26]. Toutes les formes sociales prétendant organiser couples et familles sont rongées de l’intérieur par des jouissances en dissensions. Sans discours établi pour suppléer à la forclusion généralisée du rapport sexuel, il ne reste que des symptômes singuliers, le partenaire et jusqu’au père œdipien devenant eux-mêmes symptômes. C’est la Khere de Lacan, sanctionnée dans L’étourdit (1972). Désormais les êtres sexués s’autorisent d’eux-mêmes, sans égard pour l’anatomie ni le discours de l’Autre symbolique. La structure même du langage, plus exactement de la langue, débouche sur un impossible dans la communication qui ouvre sur un réel béant, auquel le symptôme toujours bricolé de bric et de broc, toujours contingent et singulier, toujours événement de hasard (tuchè) devenu nécessité (automaton), tente de faire front.
Une nouvelle économie du sujet procède de cette nouvelle économie sexuelle et parentale. Le Nom-du-père s’est mis à déraper, d’abord en se pluralisant puis carrément en se dénonçant, un « Nom à perdre » dit Lacan. Est-ce à dire qu’un père, qu’une fonction paternelle, ne sert plus à rien ? On connaît le logion « s’en passer à condition de s’en servir », pour le moins paradoxal. Ce qui compte désormais sera l’acte nommant, instituant, celui qui, à partir de son audace désirante, de son auctoritas [27], invite à répondre. C’est, comme dit admirablement Soler, « un dire de nomination, comme index et condition d’un désir non anonyme ». Il s’agit donc d’une fonction existentielle, qui n’est pas préinscrite dans le discours de l’Autre mais se produit comme un événement contingent. A ce titre, Soler pense devoir l’exclure de la structure. Si toutefois on concevait, comme la théorie de la médiation le suggère, la structure prise dans la dialectique, la dite contingence de l’événement apparaîtrait comme la nécessaire négativité qui vient trouer la donne naturelle pour la relancer autrement. La singularité est certes imprédictible dans ses modalités mais absolument pas dans son principe. Le défaut de son forage (forclusion) anéantit l’advenue de la personne (ou du sujet selon Lacan), car la dialectique de la personne est bien contradiction du singulier et de l’universel, du privé et du public, de l’ethnique et du politique, qu’on dénommera ainsi selon le niveau d’appréhension du phénomène où on se situe.
Les propos de Soler mériteraient une analyse serrée dépassant les limites de cet article. Je tâche d’aller à l’essentiel en traduisant (et sans doute trahissant) dans la perspective qui est présentement la mienne. Les deux faces de l’œdipe ont donc tremblé. La fonction sexuante ne s’ordonne plus autour d’une opposition bien repérable du masculin et du féminin, appuyée sur les stéréotypes de l’activité et de la passivité (qui sont en fait des rémanences éthologiques), mais elle distribue des îlots de jouissance-symptôme, comme s’il s’agissait d’un retour à l’autoérotisme. A vrai dire il n’a jamais été définitivement abandonné car les zones érogènes insistent dans leur insularité et la gestaltisation narcissique reste toujours fragile puisqu’elle est décomplétée en permanence par l’analyse structurale. Autrement dit, l’image du corps, qui est une conquête « réflexive », ne cesse d’être entamée par l’incidence des « signifiants » qui la morcèlent. La corporéité n’est donc jamais aboutie mais toujours menacée. Il suffit d’un rêve pour s’en convaincre, et cliniquement du démembrement hystérique [28]. Du coup, la castration prend un autre visage, elle n’est plus la sanction d’un père-la-loi mais le trou dans le corps [29]] infligé par la morsure du langage. Elle laisse une plaie béante, hors sens, arrachant le symptôme aux seules coordonnées symboliques, qui ne font plus que border un réel insensé et irrécupérable. L’inconscient, de langage crypté qu’il pouvait sembler, est devenu réel. Voilà la « vraie » castration. Le statut que Lacan donnera à la lettre par différence d’avec le signifiant veut justement indiquer qu’elle fait bord entre le dicible de la vérité-fiction et l’indicible de la jouissance toujours déjà perdue. C’est la topologie du cross-cap qui en découpant l’objet à choir de la bande de Moebius en donnera la monstration. Le symptôme masque le trou par des pansements de fortune. « L’ordre traditionnel ayant fait long feu, la sexualité se réduit à la présence substantielle des symptômes singuliers, bien réels, qui sont du Un hors sens, qu’il s’agisse du Un de la lettre autiste ou du Un borroméen nouant les diverses jouissances » [30]. Comment un individu sexué aussi malmené pourrait-il faire couple, établir un lien qui soit de rapport (nexus) sexuel ? Ne faut-il pas à cet effet une puissance amphibole, non seulement analysante mais liante ? Telle est la fonction du père lacanien renversé : de Nom-du-Père il est devenu Père du Nom.
Notre anthropologie clinique peut ici retrouver ses billes, me semble-t-il, car on voit apparaître en filigrane un mouvement dialectique. « Seul le Nom peut accrocher un réel à l’ordre langagier », constate Soler, à preuve « le Dieu du mythe qui nomme ce qu’il a créé », je dirais même qu’il crée en nommant. Quand le Nom se retire, nous constatons la prolifération des petits noms, qui fleurissent à foison dans le champ des jouissances. Car le Nom propre, unique, singulier (ce qu’il n’est jamais que tendanciellement, par prise appropriante) assume la dispersion des noms communs (c’est Yahvé contre Baal, l’innommable, qui par le silence habitant son nom l’impose en surprésence, contre les idoles bavardes et mensongères). Nommer c’est instituer par la langue. Le nom est une logothétie. Quand les noms prolifèrent, les jouissances se répandent. On le constate aujourd’hui dans l’énorme partouze où chevauchent réseaux sociaux, sophistications techniques et redéploiement des corps. A un point tel que les noms deviennent des acronymes de jouissance muette. Jouissance de l’idiot (au sens étymologique), pour reprendre une expression de Lacan à propos de l’onanisme.
5.3 Jouissance phallique et Autre jouissance
En promouvant les formules de la sexuation dans le Séminaire XX Encore, Lacan entendait distinguer deux types fondamentaux de jouissance [31] censés répartir, non plus anatomiquement mais logiquement et discursivement, le masculin et le féminin. La fonction phallique contraint tous les êtres parlants à la castration mais une telle universalité n’est posable, conformément à la logique ensembliste, qu’à partir d’un « point de vue » extrinsèque qui excepte à l’encerclement de l’ensemble. Ce « point de vue » est une prétention d’existence. A la castration Un excepte, nie la fonction phallique. Je dirai que cet Un n’est aucun père mythique, aucun « pérorant-outang », mais le noyau pulsionnel incastrable de tout un chacun, jusqu’au plus névrosé. C’est le recel de l’inconscient réel, le fomenteur de tous les fantasmes, le cœur même de la pulsion de vie. La castration pure, ce serait la mort. Et néanmoins, en dépit de cet inentamé pulsionnel, tous sont castrés, tous mordus par la castration qu’impose la fonction phallique, à mesure du refoulement originaire. Tel est le lot des parlants entrés dans les discours [32]. Sauf psychose, chaque « sujet » est ainsi doublement divisé : entre une part de jouissance muette (un « noyau psychotique », si l’on veut, comme on s’exprime dans certains cénacles) et une part entamée par la castration. C’est ce que le cas de l’homme aux loups, diversement interprété, mettait remarquablement en évidence. Par conséquent, si on veut dépasser une lecture mythique [33] pour penser des positions logiques, chaque « sujet » côté « homme » se déchire entre position d’exception (qu’il est susceptible d’exercer vis-à-vis de tous les autres) et insertion dans l’universel où il subit la castration (que lui impose l’exception en tant justement qu’il ne l’est pas). La logique côté « femme » n’est pas du même acabit, ne connaissant ni exception ni universel, mais elle s’appuie sur la première, qu’en quelque sorte elle excède et fait débonder.
On a vu plus haut le défi lancé par le continent noir. La logique ensembliste offre à Lacan l’opportunité de penser un « dire que non » à la fonction phallique qui ne soit pas l’objection existentielle de l’au-moins-un. La négation porte justement sur celle-ci : il n’y a pas de « x » qui échappe à la fonction phallique. Mais cette proposition n’est pas convertible dans l’universelle du « pour tout x » qui appliquerait la fonction phallique. La négation vient au une par une. Il s’ensuit que le « pour tout x » lui-même se nie, du côté droit des formules de la sexuation. Pas-tout x phi de x, par conséquent. Cette modalité de négation serait spécifiquement féminine. Elle dessine une forme de jouissance, dite jouissance Autre, venant en supplément de la jouissance phallique [34]. Au-delà de l’armature logique, cette approche de la jouissance trouve des arguments phénoménologiques, aussi bien du côté du corps vécu (expérience du plaisir moins localisable chez la femme que chez l’homme) que de l’inscription dans un corps social (esprit de troupe ou de meute plus marqué du côté homme).
Il semblerait donc que la débandade de l’au-moins-un (chute du patriarcat, pour parler bref), laisse un grand champ libre au « pas-tout » de la jouissance Autre. En d’autres termes, notre Kultur se féminise. Ce n’est pas un mal mais à cette échelle c’est nouveau et donc unheimlich. Avec le réel des symptômes, c’est-à-dire avec des symptômes qui se donnent de moins en moins à lire mais de plus en plus à sentir, on est entré dans une logique du « pas-tout » généralisé. Cela fait dés-ordre, on ne marche plus au pas cadencé des névroses sous la férule phallique. La clinique s’affole. D’aucuns y voient le retour de l’hystérie. C’est plus profond et différent, il s’agit d’une redistribution des identités. On en mesure de plus en plus l’onde de choc dans l’idéologie sociale. Le XXIe siècle sera féminin ou… guerrier par retour de bâton. Si le Nom-du-père est tombé en désuétude, si le Père du nom vient lui-même à s’effacer (la loi française permet désormais de se passer de son patronyme), si c’est le Nom presque d’où qu’il vienne qui à l’avenir fera acte de « paternité », il est clair que la fonction Père est devenue un symptôme, un sinthome existentiel dirons-nous, « non pas symptôme de jouissance mais dire sinthome, quatrième du nœud borroméen, qui fait tenir éventuellement les trois autres consistances. On comprend que cette réduction de la fonction à la contingence de l’événement de nomination la… précarise, la met elle aussi à la merci de la rencontre, tout comme l’amour, en même temps qu’elle la met en hiatus et avec le mariage, ce qui va de soi, et aussi avec le sexe, et là il fallait le démontrer (…) il faut juste à l’enfant un désir qui ne soit pas a-nonyme, et à partir duquel il choisira sa vie, et ses voies » [35].
5.4 La femme est l’avenir de l’homme
L’incidence du désir sexuel sur le sujet modifie somatiquement celui-ci. L’érogénéisation du corps accentue ses caractères sexuels, dont le plus flagrant est l’érection du pénis transformé en phallus. Sa prégnance imaginaire explique sûrement la place qui lui fut attribuée dans les cultes ithyphalliques et leurs équivalents. Mais on remarquera à la suite de Lacan et Pommier que l’usufruitier n’est pas forcément le détenteur. Si l’homme n’est pas sans l’avoir, disait Lacan, la femme n’est pas sans l’être. La cause qui boute le feu au désir phallique lui est extrinsèque, elle est dans un agalma que détiendrait la femme. Celle-ci est lieu de recel de la jouissance, qui ne se dévoile jamais toute, reste Autre y compris pour elle. Ce qui fait dire à Pommier cette chose inouïe, qu’il n’y aurait qu’un orgasme et qu’il est féminin, le partenaire n’en participant que par identification. Qui allume le désir ? C’est l’objet, au sein duquel peut se retrouver le phallus, en tant qu’objectivé, c’est-à-dire passé à l’image. L’objet ne se montre que dans l’échancrure du fantasme. Mais il n’apparaît jamais en pleine épiphanie et cela une femme le sait, l’homme doit l’apprendre en la prenant.
Il n’y a rien de péjoratif à dire que la sexualité humaine est une comédie (Lacan y insistait) car elle suppose le jeu dialectique de l’être naturellement donné et du paraître culturellement contesté. C’est un jeu de rôles. Cela ne justifie pas qu’on puisse les distribuer à sa guise, en disposant perversement de tous les possibles. Fantasme de névrosé, du reste, car le pervers est beaucoup moins libre qu’on ne l’imagine, il est pris au contraire dans des scénarios contraignants et proprement aliénants. Chez lui comme chez le psychotique le jeu dialectique est coincé.
De ce coinçage les revendications de changement de sexe des transsexuels fournissent un témoignage flagrant. Marcel Czermak, dans une remarquable étude qu’il consacre à cette question [36], marque nettement la différence du transsexualisme d’avec l’homosexualité et le transvestisme. Dans ces deux derniers cas, surtout si l’homosexualité est de structure perverse [37], il s’agit, comme dans le fétichisme ou l’exhibitionnisme, d’une célébration phallique. Le transsexuel, quant à lui, constitue pour Czermak non pas un cas de déni de la castration du phallus mais un cas de Verwerfung. Autrement dit, il relève de la psychose. « Faute de pouvoir en effet se situer par rapport au phallus symbolique, il ne lui reste alors comme possibilité que de se définir par rapport à l’imaginaire, et d’essayer de s’en débrouiller. Et c’est pour s’en arranger qu’il essaie, en réglant son compte à l’organe — que ce soit par un traitement hormonal ou une intervention chirurgicale —, de mettre en place un rapport imaginaire qui tente de se substituer au rapport symbolique impossible » [38]. Le transsexuel est absolument convaincu d’appartenir à l’autre sexe mais il vient buter sur la difficulté d’ordre structural qu’il n’y a aucune harmonie préétablie entre anatomie et sexuation. Ce qui s’impose à lui est donc soustrait à toute dialectique, il lui faut remettre en ordre le réel. Il ne s’aperçoit pas dans sa conviction délirante que tout se joue pour lui sur l’enveloppe imaginaire du corps, et il rêve, en changeant le sexe d’origine attribué par l’Autre, d’incarner enfin la vraie femme ou le vrai homme, par l’anéantissement du semblant. Ce sont deux modalités de « réelisation » du phallus, par l’être ou par l’avoir. Or c’est le semblant qui garantit la contingence du sexe, pose un poids différencié sur les plateaux de la bisexualité originaire, et permet, parce que la « part maudite » n’est jamais que refoulée, l’Einfühlung avec son autre.
Ajoutons quelques traits pointés par Czermak dans la clinique du transsexualisme. Haine du corps déchu/déchet, appelé à se transfigurer dans une beauté en majesté [39], qui en appelle à une néo-nomination avec une détermination de forcené, « pure nomination dont la signification échappe au sujet (…) je ne suis pas un homme ou une femme, puisque je suis La femme ou L’homme. Non-être trouvant son hypostase dans l’affirmation d’un être absolu ; Non-être hurlant au soutien d’une nomination et qui rend compte des phases impressionnantes, tant dépressives que d’élation, voire de confusion, présentées par certains. (…) disjonction de son identification et de sa reconnaissance. (…) véritable hypocondrie phallique, soit une absence d’installation dans l’ordre des générations. On comprend dès lors l’appel aux tribunaux et à l’état civil pour réaliser l’opération symbolique ratée de la filiation, du don et de l’échange. Mais les tribunaux ne peuvent, comme les médecins, qu’y apporter une réponse ratée » [40]. Cet acharnement à vouloir se faire nommer, être dit femme pour le transsexuel d’origine mâle, démontre la dimension psychotique. Sans doute le corps dans l’exhibition de sa castration est-il tout entier phallicisé (hyperbole de la position féminine « normale ») mais ce n’est pas un culte phallique fétichiste comme dans le transvestisme. S’il y a perversion, elle est plutôt du côté du partenaire jouissant du corps transsexuel.
Conclusion (en mode médiation)
Nous ne sommes pas des anges, qui — comme chacun sait— n’ont pas de sexe. La nature nous détermine sexuellement, d’une manière plus ou moins tranchée (sexe chromosomique, hormonal, anatomique, morphologique…), elle fait des individus de notre espèce des sujets sexués. Sans doute peut-il y avoir à cet endroit aussi, comme en tout autre endroit de l’organisme, des bafouillages que la science médicale cherchera à rectifier avec plus ou moins de succès, laissant l’hermaphrodisme aux escargots.
Mais la sexualité humaine n’est plus une affaire naturelle, elle est radicalement subvertie, on pourrait même dire structuralement pervertie. Sexualité de langage, disait Lacan. En termes médiationnistes, je dirais que le principe structural par lequel advient de la personne comme analyseur du donné somatique, cette personne est hors-sexe. Elle nie la contingence somatique et redistribue les identités naturelles en identifications culturelles de genre. Sans réinvestissement, tout est possible, le déni (Verleugnung) peut s’en donner à cœur joie et produire des formes tendanciellement ou franchement autolytiques ontologiques (LGBT, il faut pouvoir le dire, sans aucune connotation morale [41]) ou déontologiques (schizophrénie et psychoses dissociatives). Inversement, par défaut d’analyse structurale, autrement dit par Verwerfung du Nom-du-Père (ou de l’acte nommant, ou du phallus), des pathologies fusionnelles viendront collaber tendanciellement des principes d’analyse « sociologique » défaillants voire détruits avec ce qu’impose alors d’autant plus fortement la condition naturelle. Par exemple sous la forme de l’évidence sans recul qui saisit le transsexuel. Il y a donc des troubles par hyperstructure et par hypostructure qui vont affecter l’identification genrée [42].
Mais, indépendamment de toute pathologie, le jeu dialectique qui fait entrer la structure (l’analyse ethnico-politique) dans l’histoire vectorise les options politiques, ou dans le sens d’une révolution contestataire du passé (politique synallactique), ou d’un conservatisme (politique anallactique), ou encore d’une célébration festive qui, tout temps suspendu, prétend ouvrir les possibles par-delà les contraintes (politique chorale). L’humain, comme disait Nietzsche, n’est pas encore un animal fixé. Il est assez piquant de constater qu’au moment même où les fichages, contrôles, maillages et autres réseaux traquent de plus en plus les citoyens, on voit éclore comme des chrysalides des formes inédites de liaisons sociales et conjugales. Comme si ce qu’un pouvoir stéréotypé enserrait de plus en plus devait par compensation se relâcher du côté d’un imaginaire associatif qui n’hésite pas à bousculer jusqu’aux repères traditionnels de genre.
Bibliographie
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Autre textes cités
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Notes
[1] Alain de Libera, Archéologie du sujet. Trois tomes sur quatre annoncés sont parus chez Vrin : Naissance du sujet (2007), La quête de l’identité (2008), L’acte de penser (I : La double révolution) (2014). Spécialiste de la philosophie médiévale, A. de Libera s’évertue à retracer, en s’inspirant de la méthode foucaldienne des schèmes discursifs, les migrations et les mutations de la notion de sujet à travers l’histoire de la philosophie de l’Antiquité à nos jours. Cette somme a déjà franchi allègrement les 1500 pages !
[2] Il est vrai que le masculin de l’humain est tout aussi difficile à penser que son féminin. La sexuation est un « scandale » ontologique dans lequel tous les parlants sont empêtrés. Mais on a longtemps cru pouvoir faire taire ce scandale en asservissant le féminin. On comprend mieux aujourd’hui, grâce surtout à la psychanalyse, l’impasse dans laquelle s’enferme toute volonté de puissance patriarcale.
[3] C’est évidemment une convention axiomatique. Si elle bouscule une tradition postcartésienne très lourde dans la psychanalyse d’inspiration lacanienne, elle a plusieurs arguments à faire valoir, comme j’espère le montrer. On peut appeler n’importe quoi n’importe comment… à condition de prévenir (ainsi parlait un de mes premiers professeurs de philosophie). J’ajouterai : et d’être conséquent avec la terminologie choisie. Si l’éclectisme conceptuel est la lèpre de la pensée, le figement dogmatique débouche sur la paralysie générale. On se contentera volontiers d’un simple eczéma, plus curable.
[4] La théorie de la médiation dispose d’outils plus fins que ceux ici mobilisés, suffisants pour mon argumentation. Dans un séminaire consacré à l’histoire, Gagnepain affirmait : « L’individu n’est pas le corps. L’individuation n’est pas l’insegmentabilité. L’individuation est ce qui est commun à tout ce qui n’est pas minéral. Elle existe dès le vivant. Elle existe du fait qu’on ne peut, sans changer de règne, en séparer les constituants (chez le végétal comme chez l’animal). Sinon on se minéralise ». On sait qu’il y a une sexualité dès le monde végétal mais il n’y a pas de doute qu’elle se (re)configure somatiquement et se défigure personnellement. Les manipulations techniques des processus de mixage et de reproduction sexués sont désormais en point de mire. Cependant, comme nul ne saute par-dessus son temps, nous avons encore de quoi nous occuper un moment avec le problème de la différence des sexes. Néanmoins, comme un lecteur critique me l’a fait remarquer à juste titre, il faudrait, dans la perspective médiationniste, soigneusement distinguer processus d’individuation (en ce sens le végétal ne peut être dit informe) et processus de somasie (le tropisme végétal ne suppose pas de somasie). J’ai ici pris l’ensemble individu-sujet comme un tout, en cherchant simplement à souligner que le soma « incorpore » quelque chose de déjà sexué (première transformation) que la personne ensuite « acculture » (deuxième transformation).
[5] Je rangerai pour ma part dans les asomasies ces types de démence qui affectent directement le repérage spatio-temporel, certaines formes d’amnésie, la perte du schéma corporel ou son absence… Ce ne sont pas des psychoses, avec lesquelles elles sont souvent confondues et regroupées institutionnellement.
[6] Gagnepain, cependant, écrête définitivement tout espoir de Savoir absolu ou de Grand soir. La foi gagnepanienne ne porte sur aucune performance politique ultime mais parie sur une transcendantalisation de la puissance instancielle. Que le Royaume ne soit pas de ce monde, c’est entendu, mais la conversion transcendantale de la structure, bien qu’objet de foi, pourrait l’instituer ailleurs, pense-t-il. Je n’entrerai pas dans ce débat qui sort de mon propos, sinon pour dire que j’y vois une abdication sur un mode imaginaire du pouvoir rationnel « infini » dont use l’homme dans les limites de sa souffrante finitude. Pour Gagnepain l’Autre existe pour autant qu’on y croie. Cette position, il faut bien le dire, est anti-lacanienne et anti-freudienne, pour qui il n’y a aucun espoir de faire consister l’Autre, si ce n’est imaginairement. Faire fonds sur la structure n’implique selon moi aucune théorie de l’infusion de l’âme ni aucune forme d’hypostase. Pour Gagnepain non plus, mais il croit à la vertu de la conversion transcendantale. Moi pas. C’est à l’intérieur même du vivant hominien qu’un effondrement se produit, qui change radicalement les coordonnées de son être-au-monde. Cette mise en abyme métamorphose sa biologie, certes, mais ne le désincarne pas. Il s’ensuit que la mort du sujet entraîne celle de la personne que je suis, même si le sujet se prolonge dans d’autres sujets supports du principe de la personne, qui me dépasse. La dialectique de la nature et de la culture ne peut se poursuivre qu’en laissant des sujets morts et des consciences éteintes sur le bord de la route, pour en animer d’autres. L’Être demeure, sans doute, mais je ne l’existe plus personnellement et il se passe très aisément de moi. Cela ne résout pas, j’en conviens, la plus profonde question métaphysique qui vaille, celle de Leibniz demandant « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Je pense, mais n’aurai évidemment pas le loisir de le vérifier, que cette question est vouée à rester éternellement sans réponse en attendant un jour possible où même elle se taira.
[7] Ce qu’on appelle structure n’est à mes yeux aucun transcendantal, aucune infusion de je ne sais quelle âme. Ce n’est pas non plus (excusez l’oxymore) une simple complexification de l’étant. C’est plutôt un « rattrapage » de la défaillance de l’être. En ce sens, la structure est l’œuvre du non-être, l’opération d’une kénose cherchant à surmonter l’exil ontologique où le Dasein est laissé parce que le réel s’est effondré pour exister. L’acte créationniste est identiquement cette résurrection sans cesse reconduite. Il faut essayer de le dire plus métaphysiquement que mythiquement. Il me semble que les travaux de Renaud Barbaras (notamment Dynamique de la manifestation et Métaphysique du sentiment) soutiennent cette gageure.
[8] Communication privée. Jean-Luc Pirard, psychiatre et psychanalyste, a eu l’amabilité de réagir au premier jet de cet article que je lui avais soumis, ce qui m’a permis de préciser certains propos. J’en profite pour remercier tous ceux dont les remarques m’ont aidé, de sorte que jusqu’à un certain point ce texte reflète un travail collectif.
[9] Voir Gérard Pommier, Les corps angéliques de la postmodernité, Calmann-Lévy, 2000.
[10] Curieux destin lui-même que celui de cette formule. Freud aurait repris en le détournant un mot de Bonaparte « Le destin, c’est la politique ». Mais surtout, quand on lit attentivement le texte freudien, on remarque que la formule ne revêt pas toujours le même sens. Si dans « La disparition du complexe d’Œdipe », elle est clairement utilisée en rapport avec la miniaturisation du pénis que serait pour la femme le clitoris, dans les « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse », il s’agit de la proximité des organes excréteurs avec les organes sexuels, qui s’en trouveraient affectés (Freud cite alors le « inter urinam et faeces nascimur » dont s’offusquait Saint Augustin).
[11] « Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse » dans La vie sexuelle (1972), p. 61.
[12] Darian Leader, La question du genre et autres essais psychanalytiques, Payot, 2000. Cet ouvrage donne une excellente synthèse des points de vue en débat.
[13] F. J. J. Buytendijk, La femme, ses modes d’être, de paraître, d’exister. Essai de psychologie existentielle, Desclée de Brouwer, 1967.
[14] Op. cit. p. 323.
[15] « Le monde du travail est un monde d’obstacles. Il forme une existence où se succèdent tension et détente, où cette succession même constitue une existence solide, dure et forte, décidée à l’action, faite de vouloirs, de pouvoirs et de devoirs, de courage et de succès. De toute évidence, ces traits sont ceux-là mêmes qu’on reconnaît traditionnellement à l’homme. Le travail est à l’origine d’une certaine éthique et d’une certaine sensibilité. » Op. cit. p. 300.
[16] « Le monde du souci est celui des valeurs réelles et possibles, suscité par l’engagement de la personne qui a souci. L’existence se fait soumise, attentive, obéissante, désintéressée. Le désintéressement comprend ce que le mot indique : ne considérant pas le réel, il renonce à obtenir des buts pratiques éloignés et liés à une initiative personnelle. L’existence ici ne consiste pas dans le “pouvoir”, le “devoir”, le “vouloir” mais dans la “coexistence” et le “respect” : elle est soumise, obéissante et douce. Le monde du souci est celui de la valeur. Son acte est pénétré de l’éthique et de la sensibilité que nous tenons pour féminines. Son objet est avant tout l’humain ou ce qui se présente comme humain. Cela est évident. » Op. cit. p. 301.
[17] Gérard Pommier, Féminin révolution sans fin, Pauvert, 2016, p. 63.
[18] Christian Fierens, L’âme du narcissisme, Presses Univ. du Mirail, 2016.
[19] Op. cit., p. 243.
[20] En poussant les thèses de Pommier, je dirais volontiers que le fait d’être engendré est déjà une féminisation puisqu’il s’agit de subir la vie. En outre, ce n’est pas par hasard qu’un accès à la paternité ou la maternité puisse être l’occasion du déclenchement d’une psychose. A ce carrefour de l’engendrer/être engendré que l’inconscient, annulant le temps, télescope, l’infanticide peut rejoindre le parricide. Cela reste normalement enclavé dans le fantasme mais le psychotique ne dispose pas du filtre du fantasme. Il ne suffit pas d’être géniteur pour être père et, en ce sens, un père est toujours en quête d’auteur et en retard de son acte. La mort du père dans le fils (du parent dans l’enfant) peut se vivre comme un suicide. La dépendance de l’enfant, de son côté, peut se vivre comme un engloutissement, contre lequel la masturbation pubertaire est une prise de pouvoir, une conquête de l’autonomie par l’anatomie…
[21] Voir notamment le petit opuscule Fonction maternelle, fonction paternelle publié chez Yapaka et disponible sur le net.
[22] C. Soler, Lacan lecteur de Joyce, PUF, 2015.
[23] Soit respectivement la face déontologique et ontologique de la dialectique de la personne selon la théorie de la médiation. L’ontologie, d’après Gagnepain, réfère à l’être-avec-l’autre, la parité, le semblable, la répartition horizontale de la communauté. La déontologie est l’être-pour-autrui, la responsabilité (« paternité »), l’Autre (« transcendant »), la dimension verticale transgénérationnelle. La question de l’être est donc intrinsèquement socio-politique et concerne ce que j’appellerais volontiers « l’être-avec-pour-transmettre ».
[24] Op. cit. p. 202.
[25] Op. cit. p. 205.
[26] Op. cit. p. 208.
[27] Op. cit. p. 213 : « Pour les parlants le nom donné ne prend effet que s’il est reçu, accepté, non refusé. Il y a donc une part prise de celui qui est nommé à sa propre nomination ». Cette remarque, si on veut lui donner toute sa portée, ne suppose pas un homunculus interlocuteur constitué en face, mais recoupe l’idée gagnepanienne de l’enfant dimension de la personne. Je veux dire par là que l’acte responsable, à répétition, par lequel l’adulte convertit en personne l’enfant asocial qui ne cesse de renaître en lui, cet acte a sur le petit d’homme un effet d’identification, qu’on pourrait dire aussi d’aspiration. Mais il n’y a aucun doute que c’est à la puberté que la sanction tombe, d’accord ou de refus, étant entendu que refuser ou approuver telle modalité d’assumer la personne n’équivaut pas à se prononcer sur le principe d’avoir à se « personner ».
[28] C’est la question de la prétendue psychose hystérique. Il ne s’agit pas d’une atteinte directe du corps vécu comme dans la dissociation schizophrénique mais de l’incidence des affects perturbés sur l’investissement libidinal du corps. Ce qu’on pouvait savoir dès le cas Anna O. a été remarquablement explicité dans les travaux de Gisela Pankow, auxquels on peut reprocher néanmoins d’avoir retenu le terme de « psychose » hystérique.
[29] Il existe à Rotterdam une sculpture de Zadkine « L’homme troué » qui représente cela d’une manière très expressive. [Le véritable titre de l’œuvre est « La Cité détruite » (NDLR)
[30] Op. cit. p. 217. Ils ne sont pas du même ordre. De ces deux, je dirais volontiers le premier gestaltique, le second syntagmatique.
[31] Dans la perspective de la théorie de la médiation, le terme de jouissance est particulièrement équivoque car il renvoie spontanément à l’axiologie alors qu’il s’agit ici de cerner la question ontologique de l’identité. De même pour la fonction du phallus. L’histoire des idées est pleine d’exemples d’équivoques de ce type, avec lesquelles il faut bien se débrouiller, puisqu’aucune langue (vernaculaire ou théorique) n’est exempte des « pré-dictions » que charrie l’histoire.
[32] Les discours pour Lacan font lien social, ce que ne fait pas de soi le langage, dans lequel baigne le psychotique alors qu’il est hors discours. Dans la théorie de la médiation, discours désigne la censure du langage tandis que c’est la langue qui établit le lien social. Ce sont des difficultés terminologiques avec lesquelles le psychanalyste doit apprendre à jongler pour sortir des frontières de sa doxa. Si les voyages transfrontaliers forment la jeunesse, les voyages transconceptuels, à moins de perdre le nord, sont la jeunesse de la pensée.
[33] Il n’y a pas que le mythe de Totem et Tabou. Homère dans L’Iliade contraste deux figures héroïques qui se distribuent sur les deux positions ici en question et s’entrechoquent dans un ultime combat, celle d’Achille le colérique pulsionnel et celle d’Hector, père acculturé donc castré. L’effet dramatique de cette confrontation provient de ce que tout homme est à la fois Achille et Hector, dans une identification déchirée. Cf. Luigi Zoja, Le père. Le geste d’Hector envers son fils. Histoire culturelle et psychologique de la paternité, Les Belles Lettres, 2016.
[34] Je me demande s’il ne serait pas fécond de rapprocher la jouissance phallique de l’axe génératif sur la face ontologique du plan de la personne, qui permet de définir un espace social borné, repérable dans les associations, clubs, équipes et autres regroupements définis dont sont friands les hommes. A l’axe taxinomique conviendrait cette jouissance « ouverte », indéfiniment démultipliable (sauf justement à se projeter sur l’autre axe), si caractéristique de la femme. Des repérages phénoménologiques pourraient ainsi trouver leurs justifications structurales dans le modèle médiationniste. Mais on peut aussi (et on doit) concevoir le « pas-tout » d’une manière plus profonde, en ce sens que le sujet gagnepanien n’est pas-tout dans la personne. Lacaniennement dit : le sujet n’est pas tout castrable, ou encore : n’est pas tout sujet. On aperçoit ainsi la fonction ontologique du phallus. Les formules de gauche du schéma de la sexuation (« il est un x non-phi de x » et « pour tout x phi de x ») rendraient compte d’un coup de force structural visant à éponger sans reste sur le mode phallique (c’est-à-dire castré, déjà par le fait de devoir parler) le « mystère » de l’être où se niche la donne anatomique. Mais tout ne passe pas dans ce tamis phallique. De toute évidence, le concept de phallus tient un rôle structural (phallus symbolique). Mais comme il garde des rémanences imaginaires, il est aisément critiquable du point de vue féministe. Pas sûr, cependant, que l’imaginaire puisse être complètement purgé, et le réel encore moins. Ce qui veut dire qu’au-delà du phallus on tombe sur l’objet « a » de la jouissance perdue, pour être tout simplement humainement vivant, en-deçà de toute qualification sexuée.
[35] Op. cit. p. 214.
[36] M. Czermak, Patronymies. Considérations cliniques sur les psychoses, Erès, 2012.
[37] La plupart des psychanalystes admettent qu’il existe cliniquement plusieurs types d’homosexualité. Celle-ci peut relever d’une structure perverse mais pas nécessairement, même si son lieu de manifestation est toujours dans une subversion des rapports de couple habituellement convenus. Il semble bien, d’ailleurs, qu’on assiste aujourd’hui à un glissement de terrain : les questions de sexualité se posent moins désormais en termes d’identités sexuées qu’en termes de revendications de jouissance, à la limite par quelque moyen que ce soit. C’est ainsi que le mouvement Queer entend dépasser les classifications LGBT, encore trop convenues à ses yeux. Cf., pour ne citer que lui, l’excellent petit texte de Mari Paz Rodriguez Diéguez, Lacan, les homosexualités et le queer (disponible sur le net). Évidemment un tel glissement n’est pas sans incidence sur la façon dont se structure le lien social mais le considérer comme une destruction de celui-ci emporte plus un jugement de valeur qu’une analyse sociologique.
[38] Op. cit., p. 49.
[39] A plus d’une reprise des transsexuels nés hommes ont postulé à des concours de Miss.
[40] Op. cit. p. 59. S’il faut au transsexuel qui passe à l’acte (non sans complicité) remettre en ordre le réel, c’est bien qu’il n’entend pas se laisser destiner par le réel de l’anatomie. C’est bien au nom de la structure qu’il prétend pouvoir damer le pion à la nature, sans reste aucun, lui retirant du même coup son mystère, avec le cortège de malaise et de désir qui l’accompagne. Il conçoit démiurgiquement ce que sont un « homme » et une « femme » et en appelle à une technique toute puissante qui pourrait les produire sur commande (délais de transmission compris, évidemment, on peut être psychotique et pas complètement fou). Le transsexuel s’appuie donc sur une structure hypostasiée et figée dans la certitude. La dialectique est en impasse et la structure en hypertension. La réparation imaginaire obtenue par le passage à l’acte peut être temporairement résolutoire mais n’obtiendra jamais l’adéquation du réel et du symbolique, du soma et de la personne. Il s’agit d’un délire psychotique, tel un volcan endormi (c’est peut-être le bénéfice du passage à l’acte), qui prend ses marques dans la répartition décidée du sexuel. Le sexuel doit être en ordre. Si Schreber avait pu bénéficier d’une opération, nous n’aurions peut-être pas le témoignage de ses profondes interrogations métaphysiques. Saint Schreber, psychotique et martyr !
[41] Ce point est socialement sensible et je voudrais le décongestionner pour lever autant que possible les malentendus, afin de circonscrire les jugements de valeur pour qu’ils restent dans la sphère de leur légitimité, qui en aucun cas ne peut s’arroger la légalité. L’homosexualité, telle que je l’entends conformément à la théorie de la médiation, renvoie au grec « homoïos » (semblable, même, identique). Elle désigne donc au premier chef cette aptitude de la personne à « annuler » toutes les différences « sociales » de nature, à commencer par la différence sexuée. Homosexualité de structure, donc. De la même façon que pour Lacan l’hétérosexualité répond aussi à la structure, puisqu’elle est définie comme amour de l’Autre, y compris quand c’est une femme qui aime une femme (en tant qu’elle se situe dans le lieu de l’Autre jouissance). A partir de là, pour des raisons qui certainement ont leur poids d’inconscient, se stabilisent des « choix d’objet ». La dramaturgie œdipienne garde ici toute sa pertinence. Que le complexe d’Œdipe soit le grand « échangeur » des « relations d’objet » n’implique d’aucune façon un jugement de valeur (de faveur) pour tel ou tel destin. On peut juste mesurer un écart à la norme, pour autant que celle-ci se guide sur la donne naturelle. On remarquera la tendance au conservatisme de ceux qui gardent les yeux rivés sur ce fanal, ils reproduisent prudemment la vie. Ceux, par contre, qui ont pris le large sont « condamnés » à innover dans la sphère culturelle avec plus ou moins de bonheur. La nostalgie de procréer peut toutefois leur venir et la science actuelle est en mesure de rencontrer leur désir en mimant la nature. Comme quoi, ce n’est pas si simple de se dénaturer ! Affaire à suivre.
[42] Je dois ici, pour lever tout malentendu, préciser une idée ancienne que je partage, sauf erreur, avec Hubert Guyard et Jacques Schotte. A savoir que, si l’on raisonne analogiquement, il y a une étrange dysharmonie entre la dialectique du plan de la Norme qui oppose polairement névroses et psychopathies, et le plan de la Personne qui articule facialement perversions et psychoses. C’est que le modèle hérite d’une tradition qu’il rebaptise partiellement et cela fait immanquablement symptôme. D’abord, le concept de psychopathie est clairement emprunté à Schotte qui lui-même le tient de Szondi au terme d’une élaboration tâtonnante dans la psychiatrie germanique. Faire des psychopathies une sorte de névroses « positives » permet de purifier le champ des perversions. Celles-ci ne se caractérisent plus par d’insaisissables modulations affectives mais par une attaque frontale du lien social. Je trouve particulièrement éclairant de rapporter les perversions à la question du lien (sexuel) et les psychoses à celle du pouvoir, même si, réciprocité des faces obligeant, le pouvoir, on ne le sait que trop, se marque sexuellement tandis que les appariements entraînent des luttes de prestige. Il ne faudrait pas négliger pour autant l’importance de la tension dialectique interne au plan de la Personne, susceptible d’éclater par autolyse ou fusion. Je rapproche l’autolyse de la Verleugnung (sur les deux faces de la Personne) et prétends que la Verwerfung du principe instanciel (toujours partielle d’ailleurs puisque axiale) précipite la fusion. Cette façon de voir renouvelle la clinique en la clarifiant. Je ne retiens que deux exemples. L’ironie du schizophrène semble bien une forme de déni. Freud parlait en ces termes de la psychose. D’autre part, adosser axialement le sado-masochisme à la paranoïa pour en faire une psychose fusionnelle est à mes yeux un coup de génie clinique. Réduction simplifiante de la clinique en portraits-robots ? Une telle objection cache son indigence sous le tapis chamarré de pseudo-traits cliniques et oublie quel nosologue autant que métapsychologue fut Freud, à repérer des cas les traits juste pertinents. Pascal Mettens, malheureusement disparu, avait su faire saillir remarquablement cette heuristique freudienne, dont il nous a laissé quelques témoignages pénétrants. Le dernier en date est paru dans les Cahiers de psychologie clinique n° 38 sous le titre « Les impasses de la dernière nosographie freudienne ».
Regnier Pirard« La « persexion » du sujet. Personne, sexuation et perversion », in Tétralogiques, N°22, Troubles de la personne et clinique du social.