Michael Herrmann

Linguiste et ancien professeur au département de langues romanes de l’Université de Trèves (Allemagne).

L’un après l’autre

Résumé / Abstract

L’explication chronologique et verbale du récit conduit à des impasses analytiques car elle évacue la dimension de la personne. Raconter une histoire ne se réduit pas à une suite d’événements qui confond temps et histoire. La conception médiationniste les distingue : l’histoire repose sur la capacité personnelle d’historiciser, c’est-à-dire de récapituler le temps, se l’approprier.

Mots-clés
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Ce qui peut ressembler à un rappel à l’ordre nous servira ici de cadre pour deux conceptions opposées de la narrativité. Face aux tenants d’un récit où l’un après l’autre se définit comme une suite chronologique d’événements, on rappellera l’approche médiationniste fondée sur la distinction entre le temps et l’histoire, et sur la capacité personnelle d’historiciser ce l’un après l’autre, c’est-à-dire de récapituler le temps.

1. Raconter dans l’ordre

En 1967, deux auteurs américains ont publié une étude qui dans le monde anglo-saxon est généralement considérée comme un point de départ et une référence toujours valable de la narratology [1]. Leur enquête portait sur 14 versions orales d’expériences personnelles ; l’idée était d’étudier d’une part le développement de la narration depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, et d’autre part les variations entre différents niveaux d’instruction, dans l’espoir de dégager ainsi des éléments d’une technique narrative (12).

Dans un premier temps, on retracera les grandes lignes de la démonstration, qui s’organise en deux temps : (a) classement des unités narratives (« clauses »), et (b) organisation générale du contenu.

Voici la définition de départ :

[..] on considérera comme narrative une technique verbale de récapituler une expérience, plus particulièrement une technique pour établir des unités narratives qui correspondent à la séquence temporelle de cette expérience (13).

La référence à l’ordre temporel est considérée comme essentielle, par exemple dans le récit n°5 (20) :

1-Donc, ce type avait bu un peu trop
2-et il m’a attaqué
3-et une amie est arrivée
4-et elle a arrêté ça

Présentée dans un ordre différent, la récapitulation de la même expérience, selon les auteurs, ne serait plus qualifiée comme narrative :

3-une amie à moi est arrivée
4-juste à temps pour arrêter
1-ce type qui avait bu un peu trop
2-et qui allait m’attaquer

Ou encore :

4-une amie à moi a arrêté cette attaque
3-elle venait juste d’arriver
2-ce type était en train de m’attaquer
1-il avait bu un peu trop

Leur exigence d’un strict parallélisme verbo-chronologique fait que les auteurs sont confrontés à des difficultés de délimitation, ayant à décider si telle phrase est en rapport ou non avec la successivité chronologique ; la référence à un cadre extérieur ou une construction de subordination, peuvent désigner une temporalité, mais sont exclues de la séquence temporelle. Parmi les segments ou clauses découpés dans le récit, les auteurs distinguent deux catégories principales : ceux qui sont liés au déroulement du récit et ne peuvent donc être intervertis entre eux (« clauses narratives »), et ceux qui, n’étant pas liés par la chronologie, peuvent se placer plus librement.

Illustration par le récit n°6 (« Un incident dangereux pendant une séance de natation »), divisé en 19 unités [2] :

1-à l’époque j’étais dans le scouts
2-et on faisait les 50 yards
3-en faisant la course
4-mais on était à l’embarcadère où c’était délimité
5-et donc on faisait les 50 yards
6-on était 8 ou 9, et on allait et on revenait
7-et au troisième aller j’ai attrapé des crampes
8-et j’ai crié au secours
9-mais les copains ne m’ont pas cru
10-ils ont pensé que je voulais rattraper un retard parce que j’avais ralenti
11-et donc ils ont continué
12-ils m’ont laissé
13-et j’ai commencé à couler
14-le chef scout était sur le bord
15-il m’a regardé
16-mais il n’a pas fait attention lui non plus
17-et je ne sais pas pourquoi, il y avait un autre type qui passait juste à ce moment-là
18-il a simplement sauté
19-et il m’a attrapé

Sont considérés comme narratives les clauses « j’ai attrapé des crampes » (7) et « j’ai commencé à couler » (13), non interchangeables entre eux. L’ordre des clauses suivantes est également fixe : « attraper des crampes », « crier au secours », « les copains ne m’ont pas cru », « ils ont pensé... », « et donc ils ont... », « ils m’ont laissé » (7/8/9/10/11/12). La place du chef scout dans le déroulement (14/15/16) prête à discussion. Si sa présence au bord du bassin peut paraître normal dès le début de la séance (la clause 14 pourrait donc s’insérer après la clause 4), la clause 16 (« il n’a pas fait attention lui non plus ») oblige à placer son inattention après celle des camarades du narrateur (9-12). Les auteurs tentent donc de déterminer formellement ces possibilités de déplacement en attribuant une aire de mobilité à chaque clause : chacune est affectée d’un coefficient indiquant jusqu’où elle peut être rétrogradée et avancée. Ainsi, l’inattention du chef scout est indexée par les chiffres 7/16/2, signifiant que la clause 16 pourrait rétrograder de 7 positions et avancer de 2 positions, sans contredire la séquence temporelle définitoire de la narration. Entre les clauses narratives, éléments de base, viennent s’insérer des clauses strictement successives, séparées par une « jonction temporelle » et dont les aires de mobilité sont donc mutuellement exclusives. On définira ainsi la narration comme une succession de clauses contenant au moins une jonction temporelle. L’exemple suivant (28) :

1-Je connais un garçon qui s’appelle Harry
2-un autre garçon lui a lancé une bouteille en pleine tête
3-et il a fallu lui faire sept point de suture

est considéré comme une narration, puisqu’il y a successivité (jonction temporelle) entre 2 et 3. Chaque clause narrative comporte un verbe fini (son « noyau narratif »), porteur des marques temporelles.

Dans le contenu des récits, les auteurs distinguent ce qu’ils appellent orientation (qui ? Où ? Quand ? Comment ? – précisions pas toujours données), complication (l’essentiel du récit, p.ex. la quasi noyade du nageur), évaluation (l’attitude personnelle du narrateur vis-à-vis de son récit), résolution. En précisant que ces distinctions s’estompent chez certains narrateurs, mais que la partie évaluation est essentielle : sans elle, estiment-ils, ce qui est raconté n’a aucun intérêt et n’a ni queue ni tête. Dans un des récits, le narrateur est confronté avec un mari jaloux et menaçant, dont la femme veut se suicider :

11-elle a laissé un mot pour dire qu’elle allait se suicider puisqu’il lui rendait la vie impossible à cause de moi
12-il est venu dans mon hôtel, joli revolver à la main
13-je l’ai baratiné et je lui dis : bon, on va aller la voir
14-et si on la trouve pas – ben, tu peux, vas-y, tu peux appuyer sur la gâchette si tu veux
15-c’était pour gagner du temps
16-et ça a marché avec lui.

Voici le commentaire sur les lignes 13-15 : « elles suspendent l’action à un moment critique, quand le danger est au maximum, et elles donnent une indication sur l’attitude du narrateur. Son sang-froid à un moment critique souligne le danger et le fait apparaître sous un jour favorable » (36).

2. Raconter n’est pas se raconter, ou Narrative revisited

Plutôt que de valider ce qu’on vient de résumer, il s’agit de retracer le parcours des deux auteurs, et de questionner ce qu’ils considèrent comme acquis.

Voici leur point de départ :

la narration sera considérée comme une technique verbale de récapituler une expérience, en particulier une technique de construire des unités narratives qui correspondent à la séquence temporelle de cette expérience (13)

Ils sont convaincus que les structures narratives fondamentales sont à chercher dans les récits oraux de personnes peu instruites, plutôt que chez des narrateurs cultivés et expérimentés. Le souci de cette recherche est de faire apparaître la corrélation entre variété linguistique et différences sociales. Tout en reconnaissant les mérites d’une étude de terrain au plus près des réalités sociales, le lecteur médiationniste ne peut manquer de relever ce non-dit d’une sociolinguistique de la covariance : elle ne s’interroge jamais sur la source de cette variété et de ces différences. Face aux narrateurs, elle demande : comment racontent-ils ? et non : pourquoi racontent-ils ? Cette dernière question est à leurs yeux inutile : ils racontent parce qu’on le leur demande et parce qu’ils ont quelque chose à raconter !

C’est précisément en se plaçant dans cette perspective purement objective, en considérant la narration comme un phénomène avec des régularités à mettre au jour, qu’on détourne le regard de la personne du narrateur. Ce qu’il a à raconter, c’est en réalité sa différence personnelle (« se raconter ») avec l’intervieweur. Raconter, ce n’est pas mettre en œuvre une technique : c’est partager une histoire avec l’autre. Or, quiconque a quelque chose à partager, se trouve vis-à-vis d’un partenaire dans une position supérieure, il a sur lui une autorité de principe. S’il est vrai que notre appartenance au groupe s’institue doublement – par la place que nous y occupons (âge, origine géographique et sociale), et par la contribution que nous y apportons (dans la terminologie médiationniste : notre statut et notre office) – l’autorité du narrateur est indépendante de son statut social. Étant donné la distribution des rôles dans la collecte des données – un narrateur peu cultivé face à un enquêteur universitaire – accorder une quelconque autorité au narrateur paraîtrait absurde. C’est pourtant là que se trouve le principe de la narration. Les auteurs au contraire se concentrent sur le statut social des interviewés pour y chercher des procédés narratifs, persuadés que ceux-ci sont d’autant plus authentiques que les interlocuteurs sont peu cultivés. Mais en quoi consiste cette autorité de situation, qui semble échapper à l’attention des enquêteurs ? Elle résulte du fait qu’en répondant à la question : avez-vous déjà été dans une situation où vous vous êtes cru en danger de mort ? – l’interlocuteur devient automatiquement l’auteur de l’histoire qu’il va raconter. Ses propos sont autorisés dans la mesure où l’histoire est son histoire et qu’il assume la responsabilité de la raconter. Il délivre en quelque sorte une information que son interlocuteur n’a pas encore et qu’il attend de lui, de la même façon que celui qui demande son chemin ou qui demande l’heure, accepte momentanément l’autorité de celui qui le renseigne [3].

Or, dans une sociolinguistique qui évacue la dimension de la personne, il ne peut y avoir ni langage personnalisé, ni droit de propriété du narrateur sur son histoire. Ce n’est pas lui qui détermine dans quel ordre il va présenter ce qu’il raconte ; le plan est externe, fixé par la chronologie :

L’interprétation sémantique de la narration, comme nous l’avons définie, est fondée sur l’attente que les événements décrits se sont produits dans l’ordre même dans lequel ils sont racontés (30).

Avant de revenir sur la formule description d’un événement, notons d’abord les difficultés que peut entraîner comme critère essentiel de la narrativité, le schéma a puis b.

Comparons les deux versions suivantes (19) :

(a) Eh bien, ce type avait un peu trop bu et il m’a attaqué et une amie est arrivéeet elle a arrêté ça(b) Une amie à moi est arrivéejuste à temps pour arrêter ce type qui avait un peu trop bu et qui m’attaquait

Le schéma (a) : boire – attaquer – arriver – arrêter – est considéré comme narrratif, car strictement successif, alors que (b) selon les auteurs n’est pas narratif, car l’ébriété, sortie de l’ordre chronologique, est rapportée par une subordonnée.

Voici un narrateur qui se reprend en cours de récit :

[…] et donc quand ils ont commencé à sortir, il y a d’abord un Japonais qui lui a dit de se rendre – et avant qu’il lui dit de se rendre, le chien...le chien est entré. Le chien les avait trouvés. Et le Japonais est arrivé et leur a dit de se rendre […] (19)

Peut-on dire que ce retour en arrière répare un trou de mémoire « j’oubliais de dire que... »), le souvenir du chien qui arrive se présente-t-il à contretemps ? Mais pourquoi le schéma b après a serait-il moins narratif que a puis b – pourquoi ne pas plutôt y voir une divergence entre le narrateur et l’enquêteur, qu’on n’attribuerait pas à une différence de niveau culturel, en termes médiationnistes : on ne laisserait pas la classe faire oublier le métier.

Chaque phrase est ainsi soumise au test de la successivité : « j’ai tiré et je l’ai touché » serait donc narratif, mais non « j’ai ri et ri » ; quant à « je l’ai frappé à la tête, sur la bouche et à la poitrine » – est-ce une énumération ou une séquence temporelle (28) ?

La méthode adoptée par les deux sociolinguistes les conduit, avons-nous dit, à envisager les productions enregistrées, non comme des récits d’auteur, mais comme une matière brute d’objets d’étude linguistiques, dans lesquels ils croient distinguer des clauses narratives et des clauses libres. Ces dernières peuvent être déplacées sans affecter la séquence temporelle. Par exemple, dans le récit de la séance de natation cité ci-dessus, la présence du moniteur aurait pu être mentionnée au début ou plus tard, indifféremment aux yeux des enquêteurs, qui produisent ainsi deux versions linguistiquement synonymes. Ce sont, disent-ils, deux structures de surface relevant d’une même interprétation sémantique (30). On leur objectera que la synonymie est une catégorie grammaticale, donc objective, qui ne tient pas compte de la subjectivité auctoriale. La référence à une causalité extérieure, l’ordre dans lequel des événements se sont réellement produits, conduit nécessairement à nier la légalité d’un auteur. La vraie clé de la narrativité ne se trouve pas dans l’identité d’une structure profonde a puis b, mais dans la variété des récits de surface assumés par des auteurs différents.

Il faut encore souligner la différence entre dire et raconter, ou entre texte-échantillon et texte d’auteur. Raconter une histoire, ce n’est pas simplement mettre un complément d’objet à un verbum dicendi transitif. La sociolinguistique de la covariance estime que les différences sociales sont la source, et non le symptôme de notre tendance à nous différencier. Elle n’accepte pas la personne comme le cadre théorique d’une dialectique entre la singularité et le contrat, et elle ne connaît pas l’altérité et donc pas non plus la propriété : la cohérence de l’histoire pour elle n’est pas dans la personne du narrateur, mais dans un ordre chronologique externe, une sorte d’exosquelette, que le narrateur doit respecter comme un simple témoin. On attend de lui qu’il récapitule une expérience ou des événements, présupposant sa capacité de récapituler. En quoi consiste-t-elle ? Raconter n’est pas récapituler des événements, c’est d’abord récapituler le temps, se l’approprier pour en faire de l’histoire. Ce temps de l’histoire n’est pas celui, grammatical, du paradigme verbal. Nos auteurs considèrent le temps verbal comme un élément important des clauses narratives. Mais dans une histoire, aucun mot ne participe plus qu’un autre à la progression narrative. Dans le plan du récit, tous les mots sont des mots à temps. On distinguera donc entre la désinence d’un verbe qui désigne un temps grammatical, et un mot dans la succession narrative qui constitue le temps, en ce sens qu’il fait avancer l’histoire en y tenant sa place. Dans l’axe horistique [4] de l’histoire (qui correspond à l’axe génératif du texte), il n’y a pas un même mot qui se répète, les mots s’ajoutent les uns aux autres. Suivant sa position, chacun porte en lui une part plus ou moins grande de ce qui précède et de ce qui reste à raconter. De même pour les clauses ou phrases, qui seraient d’après les auteurs plus ou moins narratives suivant qu’elles désignent ou non la séquence chronologique. Or, dans l’ordre de l’histoire, toutes les phrases sont narratives ; même celles qui chronologiquement reviennent en arrière nous rapprochent horistiquement du dénouement [5].

Lorsqu’on dit qu’un auteur raconte son histoire, c’est sa temporalité qu’il impose aux événements ; c’est en les évoquant qu’il les constitue : ils n’existent que d’être dans son histoire. Dire qu’on raconte un événement est nécessairement anachronique, car l’événement suppose un retour au début : comment en est-on arrivé là ? Le commentaire médiationniste de la formule a then b des deux Américains [6] soulignera donc que 1. b est déjà contenu dans a (un début n’est tel que s’il annonce une fin), comme a est contenu dans b (la fin est l’aboutissement d’un processus) ; et 2. l’adverbe qui désigne grammaticalement une successivité, est horistiquement tautologique par rapport à une successivité historiquement constituée. Rappelons que l’anachronie de l’événement se définit comme le retour sur un point de la ligne du temps : c’est un point commémoré, c’est-à-dire historicisé comme événement. Aussi paradoxal que cela paraisse : le danger de mort dont parlent les narrateurs n’a pas été vécu par eux en direct, sa réalité comme danger de mort est historique. Le caractère anachronique de l’histoire fait évidemment qu’on ne peut la raconter en direct, il ne peut y avoir de real-time-narrative [7]. Le commentateur d’un match de foot ne peut pas en direct commenter un mouvement du jeu en disant qu’il conduit à un but : il faut qu’il sorte du direct et qu’il revoie la scène en différé pour pouvoir la qualifier. Historiquement, elle devient alors une scène-événement. Relisons ce passage de J. Gagnepain :

[….] il ne saurait jamais y avoir [..] aucune entité [..], qui, en soi, préexiste ou survive à ses avatars. La France que nous connaissons, par exemple, ne saurait sans anachronisme être tenue pour responsable de l’annexion de la Bourgogne ou de la Bretagne, puisque c’est cette annexion qui l’a, entre autres, précisément constituée [8].

Aucun doute que ces annexions ont modifié les frontières du pays, et que la France de l’après annexion soit géographiquement différente ; mais c’est une différence matérielle qui n’altère pas la conviction des habitants qu’ils vivent toujours en France, et que la France a donc toujours son histoire. De même pour le narrateur : une fois son histoire racontée, il n’est plus le même qu’avant, car n’ayant plus rien à raconter, il n’a plus d’avance sur son interlocuteur. Mais ce dernier ne doit pas en tenir compte ; la cohérence de l’histoire qu’il a entendue tient à l’identité personnelle de celui qui la lui a racontée – et non aux marques syntaxiques ou aux chaînes anaphoriques du connected speech, qui ne font que désigner une cohérence sémantique.

Les enseignants ont observé ce phénomène général : en dessous d’un certain âge, avant d’accéder à la Personne, les jeunes élèves ont des difficultés pour appréhender une identité dans une progression. Devant une bande dessinée, il leur est difficile d’admettre qu’il s’agit du même personnage, et donc de réunir en histoire une succession d’images [9].

3. Mot à mot

Nous nous référons d’abord à l’expérience d’un professeur de français, étudiant en classe de Cinquième un roman policier de Simenon ; un élève lui pose cette question : « Puisque Simenon, lui, il sait, pourquoi ne le dit-il pas à Maigret ? » [10] Nous aurions aimé lui demander à notre tour : à quel moment de l’histoire aurait-il pu le lui dire ? La question de l’élève a le mérite de nous faire réfléchir sur la différence entre le Maigret-hors histoire, et le Maigret-dans-l’histoire. Le premier se trouve dans la partie noms propres du Petit Larousse ; le deuxième est cantonné dans une histoire, et chaque occurrence de son nom est affectée d’un invisible indice de temps qui marque la progression de l’histoire et l’ignorance décroissante du commissaire. À quel stade de son ignorance Simenon aurait-il pu « le lui dire », ou à quel Maigret aurait-il dû s’adresser, sinon à celui qui a trouvé « par lui-même », car l’histoire est fondée à la fois sur la progression de l’enquête et sur l’identité de l’enquêteur.

Nous retrouvons ici le problème de la continuité dans le changement, insoluble pour les logiciens depuis l’Antiquité [11]. F. de Saussure l’avait traité sous l’angle de l’immutabilité et de la mutabilité du signe linguistique, et il l’avait ainsi résumé : « le signe est dans le cas de s’altérer parce qu’il se continue », et « nous disons homme et chien parce qu’avant nous on a dit homme et chien  » (CLG, 108/9) [12]. Mais il faut préciser : ce ne sont pas des mots identiques que nous employons, mais des mots que nous croyons identiques. La solidarité avec le passé est de l’ordre de la personne ; ce n’est pas la « persistance de la matière ancienne » qui nous relie au passé, mais la conviction que nous n’avons jamais cessé de parler français, que les mots de nos interlocuteurs sont les mêmes que les nôtres, et qu’on peut toujours s’entendre sur la base d’un même dictionnaire. Nous parlons avec nos mots (en langue), convaincus que ce sont les mots (en langage) ; la confusion est permanente et indispensable. Saussure a raison, mais il ne nous a pas dit tout sur homme et chien.

Extraire les mots d’une histoire pour en faire un inventaire, c’est exproprier les mots propres à un auteur. Rappelons ici la controverse entre Jacques Prévert, auteur de l’Inventaire, et un représentant de la lexicologie littéraire [13]. La même divergence existe avec les lexicographes utilisant des œuvres littéraires pour faire des « trésors de la langue » (le TLF), ou des grammairiens prenant les phrases des bons auteurs pour exemplifier un bon usage. À l’inverse, on peut tirer un poème d’une construction factitive :

Napoléon a battu les Russes à Austerlitz [14]
Fragen eines lesenden Arbeiters
[…]

Der junge Alexander eroberte Indien
Er allein ?
Cäsar schlug die Gallier. Hatte er nicht wenigstens einen Koch dabei ?
[…]
Friedrich der Zweite siegte im Siebenjährigen Krieg Wer siegte außer ihm ?
[...]
Questions d’un travailleur qui lit
[…]
Le jeune Alexandre a conquis l’Inde
Lui tout seul ?
César a battu les Gaulois
N’avait-il pas au moins un cuisinier avec lui ?
[...]
Frédéric Deux a gagné la Guerre de Sept ans Qui a gagné en dehors de lui ?
[...]
(B. Brecht 1935)

Napoléon et Austerlitz : la phrase semble extraite d’un livre d’histoire ; mais, servant d’exemple dans un livre de linguistique, ce n’est plus une phrase d’historien. Il n’empêche que c’est une phrase en quête d’auteur qui peut à nouveau amorcer une histoire, pour peu qu’il se trouve un narrateur pour se l’approprier et d’endosser une responsabilité auctoriale.

« Les langues sont l’histoire du langage », dit J. Gagnepain, et « [...] toute la langue est une appropriation » [15]. C’est une histoire qui est composée d’une pluralité d’histoires. Par exemple : « Le latin crispus, ’ondulé’, ’crêpé’, a fourni au français un radical crép-, d’où les verbes crépir, ’recouvrir de mortier’ et décrépir, ’enlever le mortier’ » (CLG, 119). Aussi petit soit-il, ce renseignement contient tous les éléments d’un récit : un point de départ, qui est moins un mot latin que l’étymon annonçant l’aboutissement du mot français, et un narrateur qui a choisi de réunir a et b en une successivité, pour répondre à la question ’comment en est-on arrivé à b’ ? Mais si on considère que l’appropriation ne concerne pas seulement notre langue, mais, pour chaque interlocuteur, ma langue, on comprend qu’il y a autant d’histoires individuelles et personnelles qu’il y a de sujets parlants pour se demander d’où ce mot me vient-il ? L’anamnèse est forcément lacunaire et surtout, peu intéressante ; la première rencontre avec tel ou tel mot se perd la plupart du temps dans un lointain passé de notre biographie. En résumé, nous ne connaissons pas le détail de notre usage, dans lequel coexistent des mots commémorables et des mots sans mémoire.

Les auteurs du français fondamental avaient déjà remarqué cette dualité en distinguant des mots fréquents et des mots disponibles. En effet, il s’est avéré impossible de constituer un vocabulaire élémentaire sur la seule base de la fréquence. Qu’est-ce qu’il fallait compter ? Faute d’une définition linguistique, on s’est contenté de s’en tenir à l’image graphique.

Voici le début d’une liste obtenue en dépouillant un corpus d’interviews enregistrées, par ordre de fréquence décroissante [16] :

1 être (verbe)
2 avoir
3 de
4 je
5 il(s)
6 ce (pronom)
7 la (article)
8 pas (négation)
9 à (préposition)
10 et
[...]
[...]
[..]
84 jour
[..]
88 chose

Que les premiers éléments thématiques [17] apparaissent si tard dans la liste des fréquences nous fait réfléchir sur la formule mot à mot et aussi sur l’affirmation que tous les mots du récit participent également à la successivité. Constatons d’abord que le mot à mot n’a pas le même statut aux différents plans de médiation. En glossologie, c’est la définition de la syntaxe, c’est-à-dire la projection d’une identité taxinomique sur une pluralité générative. En sociolinguistique, le mot à mot se présente comme une identité auctoriale projetée sur une successivité – non une pluralité, car on ne dénombre qu’en glossologie. À l’inverse, il n’y a de chronie qu’en sociolinguistique, où le narrateur est soumis à l’anachronie en ce sens qu’en racontant, il cesse progressivement d’être narrateur, ayant de moins en moins à raconter. Son identité reste pourtant la même aux yeux de ses interlocuteurs, tout comme des générations de francophones sont persuadés qu’ils n’ont pas cessé de parler la langue de Molière.

En acceptant l’idée qu’en langue, les mots n’existent qu’appropriés, et qu’ils sont donc des noms propres de ceux dont ils ont intégré l’histoire personnelle, on ne peut pas se désintéresser de l’analogie glossologique avec les mots et les termes. La formule définissant la syntaxe - « le règne du même sur plus d’un » (DVD I, p. 56) – reçoit donc une transposition en sociolinguistique. Le même devient alors l’immutabilité auctoriale, et plus d’un est représenté par la mutabilité des termes qui se succèdent, et qui sont marqués par leur propriété à l’auteur. L’exercice traditionnel appelé explication de texte est un partage d’information : l’interprète traduit interlocutivement les mots propres de l’auteur pour se les approprier et en faire des noms un peu plus communs.

Prenons comme exemple un texte expliqué par des générations d’élèves, le récit de Théramène (Phèdre, Acte V, 6) [18]. Même si le style de Théramène est très loin du récit d’un des unsophisticated speakers enregistrés par les sociolinguistes américains, l’un comme l’autre sont des narrateurs en ce sens qu’ils s’approprient le temps en commémorant un événement.

Récit de Théramène (début)
À peine nous sortions des portes de Trécène,
Il était sur son char.
Ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés.
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes.
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes.
Ses superbes coursiers, qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
L’œil morne maintenant et la tête baissée
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri sorti du fond des flots
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu’au fond de nos cœurs notre sang s’est glacé
Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
Cependant sur le dos de la plaine liquide
S’élève à gros bouillons une montagne humide.
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d’écume un monstre furieux.
[...]

Les passages soulignés correspondent à ce que pourrait retenir une première lecture personnelle (donc arbitraire). Retenir par exemple sous la forme de notes rapides prises en vue d’une restitution, c’est-à-dire d’un autre partage du récit. Mis bout à bout, ces passages pourraient constituer un récit en style télégraphique, comparable à un récit d’aphasique [19].

Chaque passage fait avancer le récit ; nous sommes loin des narrative clauses du début : ceux-ci désignent un moment dans le déroulement, leur place est fixe. Les mots-clés de Théramène, au contraire, constituent le déroulement par leur seule présence dans la chaîne. N’oublions pas cependant que ces mots-clés sont sélectionnés par un lecteur, qui ne peut que prêter à l’auteur ses propres mots-clés, persuadé qu’ils correspondent à la part d’auteur contenu dans l’original. D’autres lecteurs, revendiquant la même légalité, pourraient retenir d’autres endroits du texte ; leur récit serait différent, mais ce serait toujours un consensus négocié. Il n’y a aucun écart à juger, puisqu’aucun interlocuteur ne peut mesurer la part de lui-même que l’auteur a mis dans chacun de ses mots. La même chose n’est pensable qu’en glossologie, où « énoncer un message ou le lire – c’est-à-dire le restituer oralement – c’est tout un » (DVD I, p. 93). Le message ici est partagé, il n’y a de sens que consensuel, et l’explication de texte n’est jamais terminée. Il faut souligner le parallélisme entre le mot à mot du narrateur qui avance dans son récit, et le travail du traducteur qui suit mot à mot son auteur. L’un et l’autre partagent un message. Dans le cas du traducteur, le partage est double. Il est en effet doublement interlocuteur, traduisant à la fois quelqu’un et pour quelqu’un. Son risque inévitable est donc de mal comprendre et de se faire mal comprendre.

Pour mieux saisir ce double malentendu de l’interlocution médiate [20], on partira d’un texte d’anthologie, l’épisode de la tasse de thé de Marcel Proust, et on imaginera un élève anglais ou allemand, ayant à déchiffrer ce passage à l’aide d’un dictionnaire bilingue.

Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine.

En supposant qu’à chacun des trente mots soulignés l’élève a consulté le dictionnaire, il a pu se constituer le glossaire suivant :

(d’) abord
accablé
(s’) amollir
Bien des
bientôt
chercher
coquille
coucher
cuillerée
dodu
froid
gâteaux
habitude
hiver
lendemain
lèvres
machinalement
morceaux
morne
moulés
perspective
prendre
proposa
rainurée
(me) ravisai
refusai
rentrais
semblent
valve
voyant

Cette liste des mots appris par l’élève est évidemment fonction de son niveau de langue ; d’autres élèves pourraient avoir plus ou moins de lacunes lexicales, leurs glossaires respectifs comprendraient donc plus ou moins de nouveaux mots. En ce sens, la liste est personnelle, elle contient des mots que l’élève s’est appropriés à l’aide du dictionnaire bilingue. Les équivalents anglais ou allemands ne lui sont accessibles qu’à travers la dialectique de la prise et du don, ce qui signifie que chacun comprend à sa façon les mots que le dictionnaire lui propose. C’est par ce malentendu inévitable que paradoxalement se manifeste l’appropriation.

Ce n’est pas un geste neutre d’extraire d’un texte des mots pour se les approprier : en les soumettant à l’ordre alphabétique du dictionnaire, l’apprenant les soustrait nécessairement à un auteur, qui les avait placés dans un ordre différent. L’ordre alphabétique par contre est indifférent – le glossaire par a-b-c est disponible pour tout usager, car consultable dans n’importe quel ordre.

Retraçons maintenant l’ordre dans lequel le lecteur de Proust a cherché les mots de la liste ci-dessus :

bien des
coucher
hiver
rentrais
voyant
froid
proposa
prendre
habitude
refusai
(d’) abord
ravisai
chercher
gâteaux
dodu
semblent
moulés
valve
rainurée
coquille
bientôt
machinalement
accablé
morne
perspective
lendemain
lèvres
cuillerée
(s’) amollir
morceaux

Cette liste est inutilisable pour tout autre texte. Mais c’est justement cette inutilité-là qui traduit une propriété auctoriale. En quittant la place impersonnelle qu’ils occupent dans le dictionnaire, ces mots se rangent dans un ordre personnel ; ils ne deviennent noms propres que par la place qu’ils occupent les uns par rapport aux autres, leur caractère onomastique n’apparaît qu’en dehors du dictionnaire. En langue, chaque mot a un propriétaire, et chaque contact linguistique est une négociation entre propriétaires. Même l’élève étranger lecteur de Proust devient le propriétaire et l’auteur de sa lecture.

Il nous reste à parler du traducteur [21], dont l’office est de produire une réécriture. Il est personnellement auteur sans avoir le droit de l’être. Pour comprendre l’auteur à traduire, il est sensiblement dans la même situation qu’un simple lecteur ; comme celui-ci, en échange des mots qu’il reçoit, il ne peut proposer que les siens, même si, bilingue, il peut les proposer des deux côtés du dictionnaire d’équivalences. D’où l’alternative qui s’offre à lui. Choisira-t-il un des équivalents proposés par le dictionnaire, ou bien décidera-t-il de reprendre à son compte le mot de l’auteur ?

L’axe onomastique de la traduction se résume par l’alternative emprunt ou équivalent. Dans le texte de Proust : traduira-t-on gâteau, ou gardera-t-on madeleine  ? [22]

L’activité traduisante se conjugue au présent : j’ai à traduire un mot x. Mais elle se conjugue aussi au passé, de façon rétrospective : comment ai-je traduit le mot x aux autres endroits du texte ? L’axe horistique de la traduction se résume par l’alternative répétition ou variation  ? Dans notre texte, cette question peut se poser pour le mot souvenir  :

Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que […]
[9 lignes]
Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu. [...]
[7 lignes]
[..] peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps […]
[9 lignes]
[..] à porter sans fléchir [..] l’édifice immense du souvenir.
[2 lignes]
[..] remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux

Même si, dans le cas présent, le maintien du mot souvenir semble s’imposer, il n’en reste pas moins que cette répétition d’un mot doit retenir l’attention ; elle ne devient chaîne d’occurrences qu’en cas de consensus, et son maintien doit se négocier.

Comment se présente enfin le dictionnaire personnel du traducteur ? Il ne contient pas tous les mots du texte, mais uniquement ceux qu’il a recherchés. Dans ce dictionnaire, l’ordre chronologique et l’ordre alphabétique coexistent, correspondant respectivement aux deux coordonnées du récit.

L’ordre chronologique représente la dimension onomastique : ce sont les mots dans l’ordre où ils ont été recherchés. La chronologie de l’auteur et celle du traducteur s’y trouvent mêlées, car si le premier progresse de façon linéaire, le second ne le suit pas forcément, il peut revenir en arrière ou anticiper sur la fin, il a donc sa propre chronologie. La dimension horistique se retrouve dans l’ordre alphabétique, où sont rangés les mots dont les occurrences ont été recherchées en cours de travail.

Ainsi, le dictionnaire bilingue, qui était au départ un manuel et un auxiliaire, en perdant son utilité, est devenu le procès-verbal d’une opération traduisante. Deux histoires s’y croisent, celle de l’auteur, et celle de μεταφραστής, son traducteur.

Références bibliographiques

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Saussure Ferdinand de, 1972, Cours de linguistique générale, Paris, Payot (CLG).


Notes

[1William Labov/Joshua Waletzky, Narrative Analysis : Oral versions of personal experience (1967), in : Essays on the verbal and visual arts, J.Helm (ed.), pp. 12-44. En 2007, ce travail a pu servir de point de départ à un colloque international : Christian R.Hoffmann (ed), Narrative Revisited, Amsterdam, Benjamins, 2010.

[2Nous traduisons en négligeant les niveaux de langue.

[3Nous ne parlons pas de l’autorité de l’enseignant, du médecin ou du policier ; les propos autorisés dont il s’agit ici ne s’inscrivent pas dans un office professionnel de la personne, mais dans un office circonstanciel et momentané. Cf. Bourdieu 1982, pp. 103-105 ; et Benveniste 1963, p. 273.

[4Les concepts d’onomastique et d’horistique sont développés dans DVD II, p. 147 : « Nous n’identifions pas [..] le lexique et le texte – respectivement abscisse et ordonnée de toute grammaire – non plus que le vocabulaire et la phrase en lesquels chaque locuteur, au gré de la situation, rhétoriquement les aménage, à ce qu’il faut tenir, au contraire, pour les coordonnées tour à tour onomastique et horistique, qui s’avèrent être verbalement définitoires du statut et de la notoriété de la personne [..] ».

[5Nous reprenons ici le raisonnement de J. Gagnepain (1994 b, p. 94) suivant lequel il ne peut y avoir dans un développement ni suspension ni anticipation : « Le principal reste qu’ici l’intrigue se fait argument, que l’introduction annonce par avance les parties et la conclusion, comme les prémisses, la déduction ; que la digression soit exclue au même titre que l’anacoluthe ; qu’en un mot l’ensemble soit clos et qu’on ne commence jamais l’exposé que de ce dont on connaît déjà plus ou moins la fin. »

[6Cette formule de 1967 continue de faire autorité : la narration est « the representation of at least two real or fictive events in a time sequence, neither of which presupposes nor entails the other » (Prince, Narratology. The Form and Functioning of Narrative, Amsterdam 1982, 4). Dans un colloque en 2007, cette définition était considérée comme un point de départ vers l’étude d’une computer-mediated communication : Christian R. Hoffmann (éd.) 2010, p.4. (Cf. n.1).

[7Ceci contrairement à Andreas. H. Jucker, « Audacious, brillant !! What a strike ! », Live text commentaries on the Internet as real-time-narratives, in : Christian R.Hoffmann (éd.) 2010, pp. 57-77.

[8Gagnepain 1994b, p. 43. La même remarque s’applique à l’anatopie : quand nous disons que le Rhin prend sa source en Suisse, nous négligeons la différence entre un fleuve avant ses affluents et après ses affluents.

[9Quentel 1993, p. 218 et suivantes.

[10J.-Y. Guillaume 1989, p. 252.

[11Cf. notre discussion sur le bateau de Thésée, in : Herrmann 2001.

[12L’auteur lui-même juge les deux concepts « en apparence contradictoires », et les éditeurs ajoutent ce commentaire : « On aurait tort de reprocher à F. de Saussure d’être illogique ou paradoxal en attribuant à la langue deux qualités contradictoires » ; mais ce caractère paradoxal n’est pas illogique – il procède au contraire du traitement logique de la question.

[13H. Mitterrand : « [...] on ne peut plus étudier les œuvres comme si l’inventaire de leurs formes linguistiques était impossible. Le texte est là, intégralement ’démonté’, en petits morceaux, au pied de l’ordinateur » ; l’auteur était persuadé que l’analyse pourrait guider le critique « dans le fouillis des mots » (Le Nouvel Observateur, 8/24 mai 1968). Voir le chapitre « Faire de l’œuvre un inventaire ou faire de l’inventaire une œuvre », in : Herrmann 2002, pp. 359-363.

[14Ruwet 1972, p. 177 (« Les constructions factitives »).

[15DVD II, p. 139 ; et Leçons, p.150.

[16Gougenheim et al., pp. 69-71.

[17R. Michéa avait distingué en 1950 des mots athématiques (« mots grammaticaux, adjectifs et verbes courants, quelques noms très généraux ») et des mots thématiques (« mots liés à un thème »), in : Gougenheim, p. 144.

[18Cité par J. Gagnepain comme étant la meilleure illustration de la narration en littérature classique (1994b, p. 82).

[19Voir l’exemple donné par Gagnepain 1994b, p. 91 : « Dimanche-Noël-jouets-Michel-vélo-Annie-poupée ».

[20On se réfère ici à une réflexion de J. Gagnepain, qui note que du domaine de la traduction soient « curieusement exclus les cas les plus nombreux – fussent-ils, bien sûr, les moins spectaculaires – d’interlocution immédiate » (DVD II, p. 159).

[21Nous reprenons ici quelques idées développées dans Herrnann 2020, 99/100.

[22Ou bien, dans un contexte de policier américain : cherchera-t-on un équivalent de rifle, ou, pour paraître plus initié, empruntera-t-on AK-47 ?


Pour citer l'article

Michael Herrmann« L’un après l’autre », in Tétralogiques, N°30, Héritages et actualité de l’anthropologie clinique médiationniste.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article295