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Appel à contributions pour le n°31 : « Le travail social à l’épreuve de l’épistémologie des savoirs »


Préliminaire

Cet appel à contributions pour le numéro 31 de la revue Tétralogiques consacré au travail social ne vise en aucune façon à soumettre les propositions à un canevas préétabli. Il entend, tout au plus, fournir des axes de réflexion à partir desquelles les propositions d’articles sont invitées à se situer y compris, bien sûr, sur le mode de la controverse. Les quatre axes de réflexion sont donc à considérer comme une invitation à débattre sur la question de l’épistémologie des savoirs qui structurent le travail social. L’appel ne vise nullement à recueillir un seul prisme théorique, quand bien même il s’inscrit dans une revue qui défend une prise de position originale dans le champ des sciences humaines et sociales : celle de l’anthropologie clinique médiationniste.

Argumentaire

La démonstration n’est plus à faire : le travail social en France est soumis aujourd’hui à une perspective gestionnaire et managériale qui vient saper ses fondements socio-historiques (Chauvière, 2007 ; Gaillard, 2023 ; Autès, 1999 ; Astier, 2019), mais aussi anthropologiques (Dartiguenave, 2010 ; Soulet, 1997). Nombre de travaux rendent compte des effets profondément déstructurants de cette perspective tant au plan des institutions du secteur social, éducatif et médico-social qu’à celui des pratiques professionnelles et des modes de formation. Cette vague puissante se manifeste aussi bien au plan international (dans le handicap, par exemple), au plan européen (s’agissant de l’économie concurrentielle des services) qu’au plan simplement national (décentralisation du social, réforme des allocations de moyens publics).

Ce constat n’est bien sûr pas réservé au travail social. On le sait, cette perspective gestionnaire et managériale puise ses ressorts dans une idéologie néolibérale assez fortement mondialisée (Dardot & Laval, 2010) qui s’étend à l’ensemble des sphères d’activité des sociétés (l’enseignement, la recherche, la justice, la santé, les transports, l’industrie, les services, la communication, les loisirs, etc.) et qui touche même la sphère de l’existence humaine en tant que telle, par le jeu d’un processus d’individualisation et de « subjectivation » et l’imposition d’une « gouvernementalité » produisant de nouvelles formes d’assujettissement (De Gauléjac, 2005 ; Gori, 2022 ; Hibou, 2013). Il serait important, à cet égard, que des recherches approfondies abordent la genèse et la signification de ces différentes formulations de la question dite du sujet dans la modernité libérale et dans le secteur social en particulier, vu la position qu’il occupe ou que les autorités publiques voudraient qu’il occupe.

Il reste cependant à éclairer historiquement une telle situation, en s’attachant notamment à comprendre les raisons socio-politiques et économiques pour lesquelles la doxa néo-libérale et sa traduction en termes de marchandisation, de gestion et de pratiques managériales s’est imposée dans le champ du travail social — dans un pays comme la France, riche d’une protection sociale mise en œuvre par des politiques publiques, des institutions et des professionnels dédiés — et comment elle a été incorporée par les différents acteurs, parfois à leur insu et souvent à contrecœur.

Cette question fait l’objet d’un premier axe de réflexion.

Pour avancer dans cette direction, l’appel à contributions invite notamment à décrypter la façon dont la classe politique (toutes tendances) et les divers administrateurs modernistes (Heichette, 2023 ; Jovelin & Liénard, 2022) sont parvenus à instiller dans la doctrine et les orientations financières et idéologiques de l’action sociale et socio-éducative, mais aussi dans les formations et les pratiques du travail social, une perspective rompant politiquement et idéologiquement avec un modèle solidariste et humaniste fondé notamment sur la reconnaissance de droits sociaux en contrepoint d’une « dette sociale ».

Plus précisément, en dépassant la simple chronologie, il s’agit de saisir les étapes et les moments de rupture dans le cours historique qui permettent de comprendre comment des savoirs exogènes au champ du travail social ont fini par s’imposer au détriment d’une culture institutionnelle et professionnelle, fût-elle plurielle, propre à ce champ. Non que l’histoire du travail social n’ait pas connu auparavant des changements de paradigmes et des moments de rupture dans ses références intellectuelles. Mais il nous semble que l’irruption et l’extension rapide du paradigme néolibéral portent en eux quelque chose d’inédit qui se traduit notamment par l’imposition d’une politique de l’offre correspondant à des besoins « objectivés ». Plus précisément, ce paradigme entraîne par une sorte de forclusion, c’est-à-dire par le rejet de la raison humaine hors du « symbolique », de la « culture » pourrait-on dire encore, la négation de tout effort réflexif portant sur l’homme (soit une négation de tout regard anthropologique) et de sa relation à la société (soit une négation de l’apport des sciences sociales). Pour le dire autrement, la dérive naturaliste (Dartiguenave & Garnier, 2014) que porte en elle la perspective néolibérale tend à évacuer toute démarche dialectique (Quentel, 2007), toute pensée analogique (Chauvière, 2011), toute approche de la conflictualité sociale (Brackelaire, 1995), du paradoxal (Autès, 1999), de « l’entre-deux » (Lavoué, 1998) ; toutes choses par lesquelles il est possible de penser l’écart irréductible du travail social d’avec ses objets (le handicap, la précarité, la pauvreté, la désocialisation, la déviance, la délinquance, etc.) et ses missions « modernisées » comme l’inclusion, l’émancipation, le développement du pouvoir d’agir, l’aller-vers, etc.

C’est le deuxième axe de réflexion que propose ce numéro.

Nos observations rejoignent celles du psychanalyste Roland Gori pour lequel nous entrons dans « une époque sans esprit », mais aussi celle du philosophe allemand Robert Kurz quand il évoque « la fin de la théorie » (entendons la « théorie critique » telle qu’elle fut développée notamment par l’École de Francfort). Comme ce dernier le souligne, « alors que le concept de progrès a perdu depuis longtemps son pouvoir d’attraction, la théorie critique de la société est désormais considérée comme obsolète — pas seulement la théorie marxiste, mais la théorie tout court… On ne veut plus regarder l’ensemble de la société et il s’agit dès lors de renoncer aux « grands concepts » pour se mettre à l’aise dans l’indétermination théorique. La théorie critique doit être remplacée par un jeu intellectuel non contraignant » (Kurz, 2013, p. 60). Si, pour lui, ce « désarmement de la théorie » est à rapporter à l’extinction de la dynamique sociale qui normalement la sous-tend, ce constat interroge également, de notre point de vue, les conditions sociales de la production des savoirs et de leur portée explicative. Il ne s’agit pas, bien entendu, de soutenir que plus personne ne pense ou ne théorise, mais de saisir à la fois socio-historiquement et épistémologiquement à quelles nécessités spécifiques ont répondu la production de savoirs dans le champ du travail social durant les dernières décennies, et comment ceux-ci laissent ou non une place à l’explicitation des conduites humaines.

L’idée ici n’est pas tant de procéder à un recensement des divers savoirs mobilisés dans le champ du travail social à différentes époques de son histoire, que d’esquisser, à partir de quelques exemples, une sociologie de la sociologie des savoirs afin de saisir à quels enjeux sociaux et politiques répond leur production, spécialement ceux qui déterminent les orientations actuelles du travail social. Loin d’être abordés dans une sorte de continuum et d’indifférenciation, cette sociologie de la sociologie des savoirs ouvre, dans le prolongement des travaux de Pierre Bourdieu, à la prise en compte de la hiérarchisation de ces savoirs au sein d’un champ qui, comme n’importe quel autre, fait l’objet d’une lutte de pouvoir et de légitimation au regard des différentes positions et statuts des acteurs impliqués.

Pour autant, répétons-le, les savoirs issus de la doxa néolibérale — et les outils sociotechniques qui lui sont associés — ne constituent pas n’importe quels savoirs. En s’érigeant comme des sortes de « méta-savoirs », ils ne connaissent aucune adresse ni aucun auteur — puisqu’ils concernent tout secteur, toute institution, tout acteur, toute pratique, toute procédure, indépendamment de leur caractère singulier et de leur ancrage historique. En outre, ils revendiquent un pragmatisme dénué d’idéologie, prétendant refléter immédiatement et fidèlement le « réel ». Tant et si bien qu’ils échappent ainsi au jeu de la critique, de la controverse, de la contestation, de la conflictualité sociale et qu’ils portent en eux la dénégation de tous les autres savoirs. Autrement dit, pour emprunter à l’analyse foucaldienne, ils se présentent, à la fois, comme la source et le moyen de reconduction d’un pouvoir impersonnel qui se diffuse et se capillarise dans l’ensemble du corps social. Dans ces conditions, l’humain disparaît en tant qu’objet problématique.

On nous objectera qu’il est pour le moins réducteur de ramener l’ensemble de la production des savoirs à l’aune de cette seule perspective néolibérale. N’est-ce pas céder ici à une sorte de monisme qui soumet l’explication de tous les phénomènes à une seule et nouvelle « raison du monde » ? Disons-le tout net : nous ne saurions considérer que le projet d’une société néolibérale s’est pleinement réalisé au point d’exclure toute alternative d’action et de pensée. Pour s’en tenir au champ du travail social, on repère dans bon nombre d’institutions des formes de compromis qui s’établissent entre les nouvelles recommandations de « bonnes pratiques » et les pratiques d’intervention nourries par la tradition du « solidarisme », de « l’éducation populaire », mais aussi de la « clinique ». De la même façon, on observe dans des établissements la présence d’équipes de professionnels où la psychanalyse, la psychothérapie institutionnelle, la psychologie sociale, la psychologie du développement, etc. — même parfois, fut-ce de façon plus marginale, la sociologie et l’ethnologie — continuent peu ou prou à faire référence. On relève également l’importance accordée aujourd’hui aux « savoirs d’expérience » par opposition au « savoir expert », à la « maîtrise d’usages » en contrepoint de la « maîtrise d’ouvrage », à la méthode des « focus group » ou des « démarches collaboratives » à l’encontre de la métrique des évaluations « venues du haut », etc. Tout cela ne relève pas d’ailleurs nécessairement d’une « résistance » à l’ordre néolibéral — les pratiques précédentes peuvent très bien s’y accommoder. Loin de se laisser totalement enfermer dans un formalisme préconçu, c’est en conscience que bon nombre d’acteurs cherchent encore à préserver une relative autonomie dans l’activité institutionnelle et professionnelle. Il reste que la question du statut épistémologique de ces différents savoirs produits « par le bas » se pose. À quelles sources se nourrissent-ils ? À quelles conceptions des rapports sociaux et du travail social répondent-ils ? À quelles finalités répondent ces savoirs produits dans ce champ ? Finalement, dans quelle mesure ces savoirs participent à l’élaboration d’une connaissance partagée et débattue sur les objets autant que sur les pratiques spécifiques ?

Ces interrogations introduisent à un troisième axe de réflexion.

Au moment où le discrédit tend à être jeté sur les sciences humaines et sociales en raison de « leur caractère idéologique », ou encore, de leur prétendue inefficacité ou impuissance à répondre aux problèmes du temps, il s’agit ici de s’interroger sur la place du discours scientifique au sein du champ du travail social. Pendant longtemps, ce dernier a entretenu une « complicité adverse » (Chauvière & Gaillard, 2020) avec le monde académique regardant ainsi avec incrédulité, voire suspicion, les productions scientifiques de celui-ci, considérées comme « surplombantes » et inaptes à saisir les « véritables » enjeux institutionnels et professionnels du secteur. Assurément, cette disqualification, le plus souvent implicite — qui continue pour partie d’opérer — renvoie à une lutte pour la reconnaissance des pratiques institutionnelles et professionnelles, y compris en matière de formation, d’études et de recherches, au regard du monde académique qu’incarne notamment l’université. Ce n’est pas le moindre des paradoxes quand on sait que celle-ci épouse de plus en plus les mêmes objectifs, contenus d’enseignement, évaluations et procédures que le monde de la formation professionnelle. C’est sans doute la raison pour laquelle nous assistons principalement aujourd’hui à une indifférenciation des savoirs produits, à une relativisation absolue des connaissances émises et, au bout du compte, à l’évitement des controverses, soit par une volonté de neutralisation de conflits potentiels entre l’univers académique et celui du travail social, soit parce qu’il n’existe pas d’espace idoine pour mener ces controverses, ni plus profondément de quoi vraiment débattre. Sans jamais oublier que nous sommes bien à l’heure du « capitalisme cognitif » relayé par l’Europe (traité de Lisbonne) qui prétend considérer le savoir et la connaissance et tout l’immatériel comme des marchandises.

Consubstantiels de cette actualité du capitalisme cognitif, il est aussi important de s’atteler à l’analyse de la présence croissante des outils numériques dans l’action sociale, outils qui ne sont pas que de simples appareillages techniques. Sous des formes multiples, ces outils comme le « Chat GPT en intervention sociale » (intelligence numérique assistant la décision des travailleurs sociaux dans leurs pratiques quotidiennes), les casques de « réalité virtuelle » (utilisés pour former les étudiants en travail social, évitant simultanément la confrontation à des situations réelles complexes), ou les « agents virtuels des CAF ou CPAM » (algorithmes utilisés en remplacement d’agents réels afin d’accélérer le traitement des dossiers de prestations), prennent une importance considérable dans l’action sociale et ses organisations, sans que celle-ci (l’importance ? ou ces outils ?) soit débattue, analysée et parfois même explicite.

Cette thématique trouve pleinement sa place dans ce numéro, car les outils numériques déployés sont porteurs d’un type spécifique de rapport au monde et aux savoirs (données-data) qui contribue à la déstabilisation du « social en actes ». Sous l’effet de ces « intelligences artificielles », qui se présentent sous l’apparence de supports vendus pour soit-disant améliorer les performances, l’intelligence historique du social est en danger (Chauvière, 2011).

On ne peut manquer, par ailleurs, de relever un impensé de part et d’autre : le statut de ce qui confère une scientificité ou une visée scientifique à des travaux (aux recherches en action sociale ?) n’est quasiment plus interrogé. Bien souvent, la production de données empiriques « quantitatives » ou « qualitatives », la mise en œuvre « d’études comparatives », « les démarches participatives ou collaboratives » et le « recours à une méthodologie », se suffisent à eux-mêmes en dehors de toute problématisation et référence à un cadre conceptuel (Lahire, 2023). Ce n’est pourtant pas la même chose d’élaborer un objet de recherche en référence à un ensemble d’hypothèses explicatives ou de causalités formalisées au sein d’un cadre conceptuel, que de s’attacher à la compréhension d’un phénomène à partir de la récapitulation d’un vécu, d’une évocation et d’un partage d’expériences, ou encore, de la socialisation d’une connaissance produite. C’est dire l’importance de redonner un statut à la visée scientifique en distinguant ce qui relève de la connaissance proprement dite — c’est-à-dire d’une opération logique de construction de l’objet à des fins explicatives — des savoirs qui, eux, renvoient aux multiples usages sociaux de notre capacité à formaliser le « réel ». Sans toutefois qu’il soit question, ici, d’accorder une quelconque supériorité à l’un ou l’autre de ces deux modes d’appréhension.

On observe d’ailleurs que l’accent est mis davantage qu’hier sur une certaine complémentarité vertueuse entre les savoirs « savants » ou « académiques » et les « savoirs expérientiels » ou ceux des « usagers ». Mais, encore faut-il s’entendre sur la spécificité des uns et des autres avant de postuler leur supposée complémentarité. Pareille distinction déconstruit en effet la rationalité humaine entre un registre logique et un registre proprement social reproduisant la conflictualité ordinaire dans nos sociétés. De plus, la distinction entre savoirs « académiques » et savoirs « expérientiels » ne recoupe guère celle qui préside à la différence entre « visée scientifique » et « perspective compréhensive ». Pour autant, Il nous faut reconnaître qu’il existe des « savoirs académiques » devenus, selon la formule de Bachelard (Bachelard, 1938), des « savoirs endormis » qui ne s’inscrivent plus dès lors dans une « visée scientifique ». Sans compter que cette recherche d’une complémentarité ou d’une articulation entre « savoirs savants » et « savoirs expérientiels » fait fi des conditions sociales de celles et ceux qui produisent ces savoirs (acquisition et délimitation des compétences, développement de « métiers » dédiés et autres cadres spécifiques). Finalement, on peut craindre que la complémentarité ne les précipitent dans un salmigondis duquel plus rien ne devient intelligible des asymétries, des hiérarchies, des relations de pouvoir, des non-dits, des statuts et des rôles, qui structurent tout ensemble social et toute « action collective organisée », activité scientifique y compris.

Ces constats débouchent sur un quatrième et dernier axe de réflexion.

Ces points sont d’autant plus importants qu’ils concernent également le statut épistémologique conféré, ou à conférer, à la « clinique » au sein du travail social. On sait que la « clinique » est souvent revendiquée par les travailleurs sociaux — fût-ce de manière quelque peu mythique — comme une spécificité propre à leur formation initiale, mais aussi comme ce qui vient fonder leur compétence dans l’exercice quotidien du travail relationnel avec « l’usager » ou des « groupes d’usagers ». Cette revendication s’inscrit assurément comme un enjeu social majeur pour le travail social à un moment où les catégories de l’action publique, la législation et les normes administratives, « les référentiels de compétence », les « fiches actions », les multiples guides d’évaluation et de « bonnes pratiques », la démarche de « benchmarking », etc., s’imposent comme les références incontournables de la pratique professionnelle en lieu et place de la « clinique ». Cette dernière apparaît alors souvent comme un des derniers remparts de à la préservation d’une autonomie professionnelle, fût-elle nécessairement relative. Encore faut-il s’accorder sur ce qu’il faut entendre par « clinique ». Il est au moins deux types de « clinique » qui demandent à être distingués : une clinique « explicative » et une « clinique thérapeutique ».

La clinique « explicative » s’inscrit — ou devrait idéalement s’inscrire — dans une démarche logique d’élucidation des comportements des « usagers », mais aussi des conditions sociales qui déterminent leurs actions, sans oublier la relation même qui s’instaure entre le « travailleur social » et son « client », au sens ancien (le cliens) de celui auquel on doit protection. La « clinique explicative » relève donc d’une démarche de connaissance qui nécessite le recours à un cadre théorique et sa mise à l’épreuve en fonction des hypothèses émises et par la mise en forme d’observations voire d’expérimentations s’offrant comme « résistance » à l’analyse.

La clinique « thérapeutique » — au sens large du terme qui ne se limite pas au soin médical stricto sensu mais s’étend au « prendre soin », à la prise en charge, à l’accompagnement — relève quant à elle, non plus de la production d’une connaissance, mais de l’élaboration de savoirs au service d’une fonction sociale de réparation, de ré-institution, ou encore, d’émancipation, selon le point de vue adopté.

Assurément, l’approche clinique, dans les deux acceptions du terme — à l’égard desquelles il faut maintenir une perspective critique qui garantisse contre toute idéalisation — peut constituer un socle à partir duquel la compétence des travailleurs sociaux dans leur relation aux « usagers » qui les sollicitent est à même de se conforter, les préservant peu ou prou des tentatives de réification de leurs pratiques par le biais des injonctions normatives de dispositifs ou de procédés managériaux. Pour autant, tout reste à faire. On sait que pendant longtemps, l’approche clinique dans le travail social a été l’apanage de la psychologie du même nom, de la psychanalyse, de la psychopathologie et de la pédopsychiatrie. Il n’est plus possible aujourd’hui de s’en tenir à cet héritage historique compte tenu du développement d’autres sciences humaines et sociales telles que l’ethnologie, les sciences du langage, de l’éducation, l’histoire, la géographie sociale et la sociologie dont une partie revendique d’ailleurs l’appellation de « sociologie clinique ». Toute la question alors est de pouvoir penser un cadre conceptuel un tant soit peu unifié et cohérent à partir de l’apport de ces différentes disciplines. Assurément, cette tentative ne peut consister à la simple juxtaposition de disciplines scientifiques qui n’ont pas le même objet ni les mêmes concepts, qui n’obéissent pas aux mêmes paradigmes, ni non plus aux mêmes méthodes d’investigation. La construction d’une clinique dans le champ du travail social suppose de pratiquer une « indiscipline » par rapport aux savoirs établis en envisageant une recomposition qui soit en mesure de garantir la cohérence et la cohésion d’un cadre conceptuel tout en évitant de le clôturer sur lui-même. On ne saurait pas davantage élaborer une approche clinique dans l’ignorance des conditions sociales, historiques et épistémologiques qui la rendent possibles.

Responsables du numéro

  • Michel Chauvière, sociologue, Directeur de recherche émérite au CNRS, membre du CERSA (Centre d’études et de recherches de science administrative à l’université Paris 2).
  • Jean-Yves Dartiguenave, Professeur émérite de Sociologie, Université de Rennes 2 – LiRIS (Laboratoire interdisciplinaire de Recherches en Innovations Sociétales).
  • Richard Gaillard, Professeur de sociologie, Université d’Angers – ESO (Espaces et sociétés, CNRS).

Modalités de soumission

Les articles soumis devront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes proposés dans l’appel à contributions.

D’un maximum de 50 000 caractères (espaces compris), ils devront respecter les normes éditoriales qui figurent dans la rubrique « politique de publication de la revue ».

Nous attendons les propositions d’articles pour le 30 juin 2025 dernier délai, pour une publication au printemps 2026.

Les articles seront impérativement accompagnés d’un résumé de 250 mots (longueur maximale), rédigé en français et en anglais et de 5 mots-clés, en français et en anglais.

Les propositions sont à envoyer à ces adresses :

Le courrier indiquera précisément le nom de l’auteur/autrice ou des auteurs, ainsi que leurs affectations professionnelles et titres.

Évaluation

Les textes soumis feront l’objet d’une double évaluation anonyme par des pairs, membres du comité de rédaction, du comité scientifique ou, en fonction de la thématique, par des spécialistes extérieurs et en accord avec le responsable du numéro. Ces lecteurs rendent un avis motivé sur sa publication, ou son refus, et décident des modifications éventuelles à demander à l’auteur.

Les critères de sélection sont :

• Pertinence et rigueur de la méthode, de la démarche et des références ;
• Recours à un terrain, à des études empiriques, à des corpus originaux (archives, etc.) couplé à une approche théorique solide ;
• Originalité des idées et des conclusions ;
• Soin dans la présentation, la structure du texte, l’argumentation ; clarté de l’expression.

Références bibliographiques

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Pour citer l'article

« Appel à contributions pour le n°31 : « Le travail social à l’épreuve de l’épistémologie des savoirs » », in Tétralogiques.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article284