Hériau, Michel

Verbe impersonnel et transitivité

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Le but de cet article est de tenter une analyse syntaxique de constructions telles que :

  • Il sera remédié à cet inconvénient.
  • Il n’a pas été lésiné sur les moyens.
  • Il sera traité de plusieurs questions.

Mais comme le statut de ces constructions est loin d’être immédiatement clair, et qu’en grammaire tout se tient, notre analyse ne pourra éviter de poser certains problèmes plus larges, qui ont trait à diverses transitivités : subjective, objective ou séquentielle, cette dernière concernant le verbe impersonnel (Il vous arrive des ennuis).

Traiter de syntaxe, c’est, dans une conception dialectique du langage, traiter de forme grammaticale, en distinguant celle-ci du contenu rhétorique auquel elle fournit l’instance qui le fonde et dans lequel elle se réinvestit en s’y trouvant réaménagée. Mais plus précisément la syntaxe est l’une des modalités du signifié, une modalité en quelque sorte seconde, puisqu’elle présuppose l’existence d’une double structuration sémiologique (lexicale et textuelle), et résulte, comme d’ailleurs la morphologie, mais en sens inverse, de la mise en relation de ces deux analyses lexicale et textuelle. La syntaxe résulte de l’effet provoqué par la première sur la seconde, quand il s’opère entre elle un recoupement. Le processus textuel a pour fonction d’engendrer des mots, qui forment le cadre segmental implicite de la phrase. Mais le lexique peut opérer sur cet engendrement textuel une contrainte formelle qui en remanie le découpage et fait que plusieurs unités soient engendrées solidairement. Il faut pour cela que d’un mot à l’autre il y ait un conditionnement lexical, que certains sèmes soient choisis en même temps dans les mots que le texte énumère. Cette simultanéité de choix a pour effet de créer des sous-ensembles textuels – des syntagmes – où le principe du rassemblement est celui de la complémentarité.

Parler de mise en relation du lexique et du texte, cela implique que le lexique n’intervienne dans l’analyse que par projection sur l’autre axe. Ce n’est pas son pouvoir différenciateur qui est à l’œuvre, c’est au contraire une sorte de suspension de cette vertu différenciative. À certains endroits du texte, et simultanément, des sèmes sont choisis, mais ils le sont en négatif, parce que d’autres, qui lexicalement sont possibles s’il y a seulement texte, ne le sont plus s’il y a autre chose que le texte, c’est-à-dire relation syntaxique. La syntaxe ne présuppose donc pas seulement que le lexique existe, mais aussi que ce lexique, en quelque sorte, s’efface. Ce n’est qu’en s’effaçant (partiellement, bien sûr) qu’il crée le cadre propre à opérer des rapports de complémentarité entre les mots.

D’autre part, si la syntaxe présuppose le texte, et même si elle en reprend le mode d’analyse, qui est celui du dénombrement, elle a pour propriété de s’appliquer au texte lui-même et d’y introduire son propre dénombrement. Le texte énumère des mots, la syntaxe organise les mots, en créant des frontières formelles qui ne coïncident pas avec celles du texte. À ce titre, elle efface les mots, en leur ôtant dans le syntagme l’autonomie qu’ils ne peuvent détenir que textuellement. La syntaxe est un effacement du texte, rendu possible grâce à un effacement partiel du lexique [1].

Si on accepte de définir ainsi la syntaxe, on conviendra qu’il faut, pour traiter correctement des phrases citées plus haut, s’assurer du dénombrement textuel qui s’y opère implicitement. Ce que beaucoup appelleraient « passif impersonnel » compte-t-il pour un ou deux segments ? Nous proposons de ne voir là qu’un segment textuel.

Le mot étant une unité formelle, il se dénote par l’insegmentabilité de sa marque. Or on a des raisons de croire que les suites du type il sera remédié, il sera obtempéré, il est lésiné sont des ensembles insegmentables, ce qui revient à dire qu’il faut y voir des verbes auxiliés par être et non la succession de deux mots autonomisables : être et remédier. On observera d’abord que le comportement de être n’est pas assimilable à celui qu’il a comme verbe autonome. La comparaison la plus instructive est fournie par le verbe être en syntagme attributif :

Il est/reste libre, fatigué, adulé.

Etre peut comme rester, si on dissocie les constituants du syntagme, se présenter comme un mot autonome.

Fatigué ? Il l’est

Fatigué ? Il le reste.

Au contraire, dans les exemples qui suivent, être n’est plus remplaçable par sembler, paraître, etc., pas plus qu’il n’es tdissociable du participe passé :

Il y est remédié. → *Il y reste remédié.

Il en est parlé. → *Il en reste parlé.

Il en est discuté. → *Il en reste discuté.

Il y est remédié. → * Remédié ? Il y est.

→ * Remédié ? Il l’y est.

Cette différence ne s’explique que si être n’a pas le même statut textuel qu’en syntagme attributif. Il ne constitue plus un mot, mais un fragment de mot, c’est-à-dire un auxiliaire verbal, comme avoir auquel il est seul comparable :

On y a remédié. → * Remédié ? On y a.

→ * Remédié ? On l’y a.

Cette interprétation semble confirmée par l’examen du participe passé. Il se trouve qu’un nombre assez considérable des verbes qui nous intéressent présente un participe passé qui n’existe qu’en liaison avec avoir et être. Alors que des participes comme ouvert, instruit, etc., connaissent des emplois adjectivaux et nominaux divers.

Une porte ouverte.
Ouvert, c’est mieux.
L’ouvert et le fermé.
Il assure le suivi des impayés. (Réclame d’I.B.M.)

Et que cela ne manque pas d’ailleurs d’entraîner une mise en question du passif quand il s’agit d’analyser il est ouvert, il est instruit, on n’a rien de tel avec remédié, obtempéré, lésiné :

*Une chose remédiée, obtempérée, lésinée.

*Le remédié, le lésiné.

Comme nous venons de le signaler, ces participes ne sont pas des cas marginaux. La liste en est au contraire importante : accédé, acquiescé, adhéré, attenté, collaboré, compati, concouru, condescendu, conspiré, contrevenu, contribué, coopéré, cotisé, déplu, dérogé, etc. Elle correspond aux verbes qui n’ont pas de passif personnel ou ne peuvent être préfixés par les morphèmes le, la, les.

S’il fallait donner à ces participes le statut de mot et non celui de fragment de mot, on ne s’expliquerait pas qu’ils n’existent que liés à avoir ou être, car le propre du mot, en tant qu’unité textuelle, contrastant avec d’autres unités, c’est de ne pas être rivé à un contexte étroitement déterminé. Au contraire, s’ils représentent seulement une partie de mot, l’explication est toute simple. Ils jouent le rôle de base verbale dans une forme auxiliée par être ou avoir, et le participe n’est rien d’autre qu’une variante combinatoire du lexème qui figure dans des formes à auxiliaire zéro, telles que il remédie, il remédie-ra. Il n’est pas utile d’ajouter que les possibilités contrastives de l’unité verbale ainsi réinterprétée n’ont plus rien à voir avec les contraintes observées sur le participe, et provenant de son insegmentabilité. Dans le reste de cette étude, nous considèrerons donc comme des mots l’ensemble des passifs impersonnels auxquels nous ferons appel. Le premier critère énoncé plus haut vaut en effet aussi bien pour il est consenti, il en est discuté que pour il est remédié [2].

Venons-en maintenant à l’analyse syntaxique, en choisissant d’abord pour objet de notre raisonnement la phrase suivante :

Il a été remédié à cet inconvénient.

Les deux mots qui la constituent textuellement (un verbe et un nom) forment selon nous un syntagme, c’est-à-dire entrent dans un rapport formel de complémentarité. La marque qui dénote ce syntagme réside simultanément dans l’effacement du morphème verbal y et dans le choix contraint de la préposition à dans le nom. Si on graphie l’effacement par une parenthèse, le rapport syntaxique se lit ainsi :

Une double manipulation permet de vérifier cette proposition. Si le verbe comporte le préfixe y (il a été remédié), le nom recouvre une liberté lexicale qui lui permet d’avoir une autre préposition que à :

Après/Pour/Ø cet inconvénient, il y a été remédié.

Il y a été remédié sans/avec/après cet inconvénient.

Inversement, si le nom a une autre préposition que à, on ne peut avoir la forme verbale sans y :

Il a été remédié sans/avec/ après cet inconvénient.

L’effacement de y va donc de pair avec la présence du nom bloqué à la forme prépositionnelle en à. Les deux choix sont simultanés, et c’est cette simultanéité des contraintes que nous interprétons comme la marque du rapport syntaxique. Les deux mots, au lieu d’être engendrés textuellement de façon autonome, se conditionnent mutuellement. Ils se trouvent intégrés à un sous-ensemble textuel dont le découpage se substitue à celui des mots. Ceux-ci cessent, dans ce nouveau mode de dénombrement, de compter pour eux-mêmes, et acquièrent alors le même rang dans le texte : « Le syntagme, dit J. Gagnepain, n’est rien d’autre que la suite grammaticalement constructible des unités dites de même rang en raison de la simultanéité du choix de certains de leurs sèmes. » [3]

Un deuxième exemple va permettre d’affiner l’explication. Soit la phrase :

Il a été applaudi à vos succès.

Il reste vrai que si on engendre le verbe impersonnel sous la forme il a été applaudi, le nom peut alors comporter une préposition variable :

Il y a été applaudi pour/après vos succès.

Il y a été applaudi avec frénésie/ vers ce moment-là/ sans interruption/ pendant dix minutes.

Il n’est plus exact en revanche que si la préposition est libre, le verbe impersonnel doive être préfixé par y :

Il a été applaudi avec frénésie/vers ce moment-là/dans une ambiance survoltée.

A cause de vos succès/après ce passage il a été applaudi frénétiquement.

Mais cela n’infirme pas l’existence d’un syntagme marqué par la simultanéité de deux choix : l’effacement de y et le blocage de la préposition sous la forme à. En effet, la seconde série d’exemples s’explique par le fait que le verbe impersonnel peut comporter deux programmes textuels : il y a été applaudi et il a été applaudi, c’est-à-dire que deux choix lexicaux sont possibles en ce qui concerne le préfixe y : présence ou absence. Le zéro s’y analyse alors lexicalement comme une absence significative. Et ce qui prouve qu’il s’agit d’un choix lexical sans portée syntaxique, c’est qu’il est possible d’opter pour la forme verbale avec ou sans y, sans que cela change rien :

Il y/Ø a été applaudi avec frénésie/vers ce moment-là/dans une ambiance survoltée.

L’effacement syntaxique de y est autre chose que cette absence lexicalement significative. C’est une suspension du choix y/Ø, en fonction d’un autre choix dans le nom (cas en à), qui est lui-même suspension du choix de la préposition. Et le syntagme n’existe qu’en vertu de cette co-invariance sémique, de cette impossibilité de faire varier librement le lexique en ce qui concerne le préfixe verbal et la préposition nominale.

L’effacement et l’absence ressortissent ainsi à deux analyses distinctes. C’est un cas d’homophonie parmi beaucoup d’autres, et qui tient à la complexité interne du signe, c’est-à-dire à la pluralité des analyses sémiologiques (lexicale et syntaxique ici) qui en expliquent le fonctionnement. Le silence, comme le bruit, peut faire marque de plusieurs façons. En le réifiant, on s’empêche d’accéder à la forme.

Ce deuxième exemple nous permet donc de souligner qu’il faut se garder de positiver les sèmes qui composent la marque syntaxique. Ce n’est pas l’absence matérielle de y, ni la présence de à, ni même le fait qu’on les constate ensemble dans une phrase, qui constituent la marque, puisqu’on ne peut pas exclure des cas d’homophonie tels que :

Il a été applaudi à ce passage.

La marque réside, de manière formelle et abstraite, dans la solidarité de deux choix, qui sont des restrictions lexicales : un effacement qui est l’impossibilité de choisir une présence, la présence de à qui est l’exclusion de toute autre préposition. Le syntagme ne trouve donc son explication ni dans les sèmes ni dans les mots, mais dans les contraintes sémiques que les mots s’imposent l’un à l’autre, et qui simultanément les privent de leur autonomie textuelle. La restriction sur le préfixe verbal efface l’autonomie du verbe en même temps que la restriction casuelle efface celle du nom.

Le processus syntaxique que nous cherchons à décrire va naturellement bien au-delà de la formule qui a été jusqu’ici proposée et qui ne représente qu’un contexte parmi d’autres. La syntaxe n’est pas différente dans les phrases suivantes :

  • (…) il ressemblait comme il n’a jamais été ressemblé à un petit Allemand (…). (J. Giraudoux, Siegfried et le Limousin, p. 27, Livre de poche).
  • Et en ce jour-là il sera sonné de la grande trompette. (P. Claudel, Œuvres complètes, t.24, L’Evangile d’Isaïe, p. 118, Gallimard).
  • Il sera prié pour votre salut.
  • Qu’il soit sévi contre ces fraudeurs !
  • Il fut alors composé avec les exigences de l’ennemi.
  • (…) il serait tiré sur la première tête qui se montrerait. (F. Ambrière, Les Grandes Vacances, p.194, Livre de poche).
  • Il fut fouillé dans le granit à cinquante pieds de profondeur. (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, p. 27, Garnier).
  • Que, pour parvenir à connaître et déterminer bien positivement la dette de l’Etat, il soit pénétré dans toutes les parties du déficit (…). (Cahiers de doléances de la Sénéchaussée de Rennes, t. III, p. I37).

En syntaxe, comme dans les autres modalités du signe, la marque peut présenter des variantes, sans cesser d’être formellement la même, c’est-à-dire ici de commesurer d’égale façon des portions de texte diverses. La simultanéité des choix est suivant les cas :

  • dans l’effacement du morphème lui (ou leur) et le blocage du nom au cas en à,
  • dans l’effacement du morphème en et le blocage du nom au cas en de,
  • dans la restriction touchant le lexème verbal et le blocage du nom sous une forme prépositionnelle définie (pour/contre/avec, etc.).
    La restriction lexématique a exactement la même valeur que l’effacement de y, lui ou en, puisque le terme indique que le choix du lexème verbal s’exerce sous la contrainte. La gamme des choix libres peut être plus étendue, le principe de la réduction de la différenciation lexicale subsiste. Sévir (contre) commute avec pester, protester, récriminer, tonner, mais pas avec accéder, attenter, contribuer. Tirer (sur) commute avec anticiper, appuyer, cracher, embrayer, enquêter, ergoter, mais pas avec débattre décider, disposer, douter. La restriction lexématique est d’ailleurs si peu différente de l’effacement morphémique qu’elle l’accompagne toujours. A un second constituant de forme à N répond un lexème verbal pris dans un ensemble qui inclut contribuer, résister, vaquer, mais exclut débattre, discuter, douter. Et la réciproque est vraie, si le deuxième constituant est de N. Ces ensembles verbaux, auxquels on donne le nom de syllexiques, englobent les sèmes oui sont substituables dans le même contexte syntaxique. Ils représentent donc ce qui subsiste de la variabilité lexicale, mais ne pouvoir choisir qu’un sur deux, ou dix sur cent, ou cent sur mille, c’est toujours devoir exclure. Et l’exigence a la même source : l’ordre syntaxique [4]

Ce qui vaut pour le verbe vaut aussi pour le nom. Suivant les contextes, c’est-à-dire le verbe choisi, la préposition est plus ou moins variable. Après il est compté, on a sur, avec, sans :

  • Il peut être compté sur lui/avec lui/sans lui.
    Après il est veillé, on trouve à ou sur :
  • Il sera plus strictement veillé à la consommation de chauffage. (France-Inter, 24-XI-I976).
  • Qu’il soit veillé sur lui.

Il est certain que la survivance, dans le cadre d’une même syntaxe, de cette double variabilité du lexème verbal et de la préposition nominale pose des problèmes de description qui demanderaient un examen attentif [5]. On retrouve en particulier la fameuse question que posent inlassablement les grammairiens sous des formes variées, mais proches de celle-ci : complément indirect ou complément circonstanciel ? Nous dirions : transitivité indirecte ou non ? Nous nous contenterons ici de poser le principe d’analyse qui nous guide : il y a transitivité indirecte s’il y a restriction lexématique en concomitance avec une restriction casuelle définissable. On pourrait, il est vrai, souligner que dans ces contextes impersonnels les choses sont bien facilitées si l’on se contente de décrire les emplois attestés. La transitivité indirecte y est toujours claire, du fait que les emplois autonomes du type il est combattu avec rage sont pratiquement inexistants. Mais la grammaire ne se confond pas avec l’usage, c’est-à-dire avec la langue, et c’est la structuration grammaticale, articulée dialectiquement avec son réinvestissement rhétorique, qui est l’objet de la description glossologique, à travers la langue où nous la saisissons. Les deux plans (glossologique et sociologique) sont autonomisables, même s’ils ne « sont » pas concrètement séparables.

L’analyse que l’on vient de proposer aboutit à faire de notre syntagme un cas de transitivité indirecte, mais cela reste très imprécis du fait qu’on n’a pas situé cette transitivité dans un ensemble structural, seul capable de la définir véritablement. Certes, on peut, en nous en tenant à ce qui a été dit, ajouter une précision. Il y a deux grands processus syntaxiques, la coordination et la subordination. La transitivité indirecte relève de ce deuxième mode d’intégration. La complémentarité y est en effet réciproque, et non pas sérielle. Elle est fondée sur la dépendance mutuelle de deux constituants qui se répondent à travers la dissymétrie de leur marquage, de sorte que le syntagme, en même temps qu’il ouvre dans le texte une parenthèse, en prévoit la fermeture. Dans la coordination, au contraire, la dépendance est sérielle, et elle est fondée sur une réitération des mêmes contraintes d’un constituant à l’autre, de sorte que le parenthésage ne prévoit pas sa propre clôture [6].

Mais cette précision est un élargissement du champ, plutôt qu’une focalisation. Le flou subsiste, et il provient de ce que nous avons volontairement mis entre parenthèses un problème essentiel, qu’il s’agit maintenant d’aborder : celui du rôle éventuel joué par le verbe impersonnel dans la relation syntaxique. De la réponse qui sera donnée dépend, nous semble-t-il, une formulation à la fois plus précise et plus générale de ce qui apparaît jusqu’ici comme un fait de transitivité indirecte.

Pour tracer un cadre d’analyse, on formulera les deux hypothèses suivantes :

  • Si le verbe impersonnel a un rôle dans la marque syntaxique, on sera amené à rapprocher la construction examinée de celle où figure aussi un verbe impersonnel ayant une fonction syntaxique :
    Il a été renoncé à cette augmentation.
    Il a été envisagé une augmentation.

On voit alors se profiler une double transitivité séquentielle, directe et indirecte.

  • Si le verbe impersonnel s’explique autrement, on sera, invité à opérer d’autres rapprochements,et on songera à la transitivité objective, elle aussi directe et indirecte :

Il a été renoncé à cette augmentation.
On a renoncé à cette augmentation.
On a exclu cette augmentation.

Nous allons essayer de montrer, en faisant appel à divers arguments que c’est la seconde hypothèse qui paraît s’imposer, et donc que l’égale présence d’un verbe impersonnel n’empêche pas qu’il y ait une différence de syntaxe, ou inversement, qu’une différence de contextes (personnel et impersonnel) n’empêche pas qu’il y ait même syntaxe.

1)

Un examen rapide des constructions impersonnelles peut faire croire à une double transitivité séquentielle. Analysons dans cette perspective les deux phrases suivantes :

Il a été envisagé plusieurs solutions.
Il a été usé de ce procédé.

La marque du premier syntagme est simultanément dans le blocage [7]du préfixe il (qui n’est ni commutable avec je, tu, elle, ni suppressible) et dans l’exclusion du cas indirect du nom :

Ce qui montre que ces deux indices font marque ensemble, et qu’ils créent un rapport spécifique entre les deux constituants, c’est que toute modification unilatérale de l’un des deux a une répercussion sur l’autre et entraîne un changement dans le rapport des deux mots. Le déblocage du préfixe verbal entraîne une agrammaticalité :

Il/elle a été envisagé(e) Ø plusieurs solutions.

La suppression du préfixe oblige à introduire un accord verbo-nominal, et le second mot a une disposition libre :

Ø Ont été envisagées Ø plusieurs solutions.

Ø Plusieurs solutions Ø ont été envisagées.

La variation de la préposition entraîne un déblocage du préfixe, et on a le même effet si on supprime le deuxième mot :

Il/elle a été envisagé(e) avec, pour, contre plusieurs solutions.

Il/elle a été envisagé(e) Ø.

En ce qui concerne le deuxième syntagme, on peut en apparence maintenir une analyse équivalente : il y aurait une corrélation entre le blocage du préfixe il et le choix exclusif du cas en de :

Il a été usé de ce procédé.

Et ce qui tend à le prouver, c’est qu’en faisant varier l’un des indices on détruit le rapport syntaxique ou on provoque une agrammaticalité :

Il/*Elle a été usé(e) de ce procédé.

Il/Elle a été usé(e) par/avec un mauvais procédé.

Il/Elle a été usé(e) + Ø.

En réalité, cette analyse escamote un problème : elle n’explique pas pourquoi de fait marque dans cet exemple, mais pas dans d’autres où c’est à, sur, contre, pour, etc.

Il a été touché à cette question.

Il a été statut sur cette affaire.

Il a été opté pour une bonne solution.

Or on sait, par ce qui a été dit précédemment, où se trouve la réponse : le choix de la préposition, voire sa variabilité relative, est en rapport avec le choix du lexème verbal, et dans certains cas avec l’effacement d’un préfixe (y, lui, en). Et il n’est nullement évident – comme on le montrera plus loin – qu’il le soit aussi, en plus, avec le blocage du préfixe il.

Mais, déjà, la restriction lexématique crée une différence capitale entre les deux constructions, car elle joue seulement dans la transitivité indirecte et pas dans l’autre. Il faut bien voir en effet que dans la transitivité séquentielle directe, il n’y a pas lieu d’invoquer une restriction de ce type pour expliquer la préposition zéro. La séquence directe n’est pas en corrélation avec le choix du lexème, mais avec la présence d’un il invariable.

Pour résumer cette question complexe, qu’il est impossible de réexaminer en détail [8],disons que le lexème verbal jouit du même degré de variabilité dans la transitivité séquentielle que dans la transitivité subjective. Et la chose se comprend si l’on examine la marque de cette dernière, qui offre une sorte d’image inversée, ou partiellement inversée, de la première.

Elle consiste essentiellement dans un effacement du préfixe personnel du verbe et dans l’exclusion du cas indirect pour l’autre constituant :

Ø les clients (ils) sont venus.

On ne peut donc, sans détruire le rapport subjectif,rétablir le préfixe, car le verbe redevient autonome, et le nom variable, ni faire varier le cas du nom, car on obtient une agrammaticalité :

Les clients/Pour les clients/Ø ils sont venus.

Pour les clients/Avec les clients/Ø *sont venus.

Personne n’aurait l’idée de soutenir que dans cette transitivité subjective, le choix exclusif du cas direct est en rapport avec le choix restreint du lexème dans le verbe. Il est seulement corrélatif à l’effacement du préfixe [9]. Les choses se présentent exactement de la même façon dans la transitivité séquentielle. Cela ne signifie pas que « sujet » et « séquence » se rencontrent avec les mêmes verbes dans les mêmes conditions, ni surtout que toute phrase personnelle se transforme en impersonnelle, et vice versa, mais que s’il y a des différences et des restrictions diverses, le conditionnement syntaxique ne repose pas sur une restriction lexématique verbale, même si on envisage le lexème associé aux diverses catégories qui définissent le verbe. On citera simplement, en guise d’illustration, une petite liste d’exemples montrant le polymorphisme du verbe impersonnel :

  • Il s’est constitué (il s’est formé, il réapparaît) un conseil de discipline.
  • Il se forme, grandit et épaissit incessamment sur le même type, en de nombreux endroits du monde, des bâtiments plus ou moins vastes dont je vais essayer de décrire un modèle (…) F. Ponge, La Rage de l’expression, p. III, Poésie, Gallimard.
  • Il se donnait à Danton beaucoup de ces gens-là (…).
    (= ils se donnaient) Michelet, Histoire de la Révolution française, t. I, p. 1208 (Pléiade)
  • Un signe lumineux marquait une verrerie de Lalique comme s’il s’y était replié l’aile couleur de turquoise qui venait d’effleurer mon front.
    J. Bousquet, Œuvres Romanesques complètes, t.II,p. 35 (Albin Michel).
  • Il nous attend encore beaucoup de difficultés. Un journaliste d’Antenne 2, 12-XII-I982.
  • Il nous y guette des renards.
    Aragon, Le Voyage de Hollande et autres poèmes, p. 79 (Seghers).
  • C’est bien pourquoi il n’effraie justement personne d’entendre périodiquement crier à l’apprenti sorcier.
    J. Gagnepain, Du Vouloir dire, p. 202 (Pergamon Press).
  • Il m’amuse (m’humilie, me réconforte, dépasse mes forces, ne signifie rien, me brûle les lèvres, ne me fait rien, ne me dit rien) de raconter cela à nouveau.
  • Il lui saute aux yeux (il lui est révélé, il se découvre, il me frappe, il est surprenant) combien c’est difficile.

Le verbe impersonnel n’est pas plus contraint lexématiquement que le verbe personnel, et l’on y retrouve les diverses catégories verbales, quel que soit le classement adopté : formes simples et auxiliées par avoir ou être (actif et passif), pronominal, verbes compatibles ou incompatibles avec le, la, les.

Ce qui favorise l’hypothèse d’une double transitivité séquentielle, c’est la présence dans les deux cas d’un verbe préfixé par un il invariable. Mais on vient de voir qu’en dépit de cette commune présence les deux constructions ne reposaient pas sur le même marquage. Pour la construction directe, le blocage du préfixe verbal entre dans la définition syntaxique, puisque c’est lui seul, et non la sélection du lexème, qui fait du verbe le complémentaire d’un autre mot au cas direct. Au contraire, pour la construction indirecte, c’est la restriction lexicale du moins est-ce le résultat de notre analyse – qui marque le verbe comme dépendant et institue un rapport de complémentarité avec un autre mot au cas indirect, la préposition variant en fonction du lexème choisi. Le rôle du préfixe invariable n’a pas été complètement écarté, il reste hypothétique, mais en tout état de cause il ne saurait être le même que dans le syntagme précédent.

Si on devait tirer une conclusion de ce premier examen, il ne paraît guère douteux que, malgré le point obscur présenté par le il invariable, on rapprocherait plutôt la seconde construction de la transitivité objective indirecte que de la transitivité séquentielle directe. La syntaxe est descriptible dans les termes utilisés plus haut pour des exemples tels que :

On a usé de ce procédé. = On (en) a usé de ce procédé.

On a touché à cette question. = On (y) a touché à cette question.

On a opté pour une bonne solution. = On a opté pour une bonne solution.

Et ce n’est pas un hasard si ce sont les mêmes lexèmes verbaux qui se retrouvent ici.

2)

Pour que l’analyse de la transitivité indirecte soit plus claire, il reste donc à élucider le problème de il. On ne peut y parvenir, sans modifier la présentation que nous avons faite de ce morphème. La conception d’un il bloqué consiste en effet à expliquer ce préfixe par un phénomène de syntaxe, comme arrêt de la variabilité lexicale du sème personnel, et donc en faisant l’économie d’un sème impersonnel. Cela peut, en première approximation, être satisfaisant pour expliquer la transitivité séquentielle directe :

Il vient des amis.

Il se raconte des choses curieuses.

Il a été aperçu des étrangers.

Mais on oublie alors des exemples comme :

Il en vient.

Il s’en raconte.

Il en a été aperçu.

où le verbe est autonome, et où il est difficilement niable, malgré la constante homophonie avec diverses formes personnelles, qu’il y ait une différenciation lexicale. La seule explication plausible est de poser un sème impersonnel, dont la dénotation serait, comme c’est régulièrement le cas, discontinue, reposant à la fois sur il et sur en [10].

La notion de blocage est de la même façon impuissante à expliquer, en ce qui concerne les verbes entrant dans la transitivité indirecte, qu’à côté de ses emplois syntaxiques le verbe connaisse aussi des emplois autonomes. D’où les paires :

(1)
(a) Il a été discuté de cela.
(b) Il a été discuté (avec acharnement).

(2)
(a) Il a été insisté sur cela.
(b) Il a été insisté (farouchement).

(3)
(a) Il a été renoncé à cela.
(b) Il a été (définitivement) renoncé.

Comment exclure là encore l’existence d’un sème impersonnel, marquée de façon discontinue par il et par l’auxiliaire être, sans que ce dernier cesse pour autant, par imbrication, de dénoter le passif, puisqu’on a une opposition avec un actif en avoir (Il en a discuté, des gens), où le sème impersonnel se répartit sur il et sur en ? L’accumulation de faits convergents [11] n’autorise pas à postuler une indifférenciation formelle où le sème de 3e personne, s’opposant à je, tu, etc., couvrirait dans il est discuté les deux sens : il a eu discussion et il (ce sujet) a été discuté. Ni à recourir au concept de neutralisation lexicale pour expliquer les cas où il est invariable (il est renoncé/*Je suis renoncé).

Notre propos n’est pas de fournir ici une description détaillée de la marque lexicale de l’impersonnel. Elle est complexe d’ailleurs dans la mesure où elle est discontinue et allomorphique. Nous signalons seulement l’existence de ce sème afin de pouvoir montrer qu’il fournit une explication des passifs impersonnels entrant dans la transitivité objective indirecte, en nous faisant par ailleurs échapper à une contradiction.

On ne peut pas en effet à la fois dire que il résulte d’un blocage syntaxique et qu’il n’a pas de rôle dans le syntagme. Si au contraire il y a un sème impersonnel, ce qui ne peut s’établir que lexicalement, on est en mesure de maintenir l’hypothèse d’une transitivité objective et de fournir une interprétation cohérente du préfixe, c’est-à-dire lexicale et non syntaxique. Rien n’empêche plus de comparer les trois phrases suivantes, en y repérant la syntaxe commune et les différences lexicales :

  • Il est résisté à cette oppression.
  • Il en a résisté à cette oppression (des millions de gens).
  • Ils ont résisté à cette oppression.
    La transitivité objective indirecte s’y marque de façon invariante par la restriction lexématique et la factorisation de y d’une part, et par le choix contraint du cas en à, sur le modèle :
  • Il (y) est résisté à cette oppression.
    Le sème impersonnel est une variable lexicale, comme aussi le passif, puisque il est résistés’oppose à un actif impersonnel et à un actif personnel.

On est aussi en mesure d’expliquer à quoi tient l’effet d’illusion provoqué très fréquemment par le passif impersonnel dans ce type de constructions. Quand on se trouve devant des exemples tels que :

  • Il a été obvié à ce danger.
  • Il a été remédié à vos difficultés.

On a l’impression que il joue un rôle syntaxique. Et cela pour une double raison. D’abord parce qu’il n’y a pas de passif personnel avec ces verbes, et donc que, contextuellement, il est la carte forcée. Mais ce qu’on néglige alors, c’est de situer ce verbe dans l’ensemble des oppositions lexicales. La seconde raison est plus subtile. Elle tient au fait que la factorisation du préfixe y, qui est un élément de la marque, a une incidence sur notre compréhension de l’impersonnel : une fois y factorisé dans il a été obvié, il a été remédié, on a le sentiment que le verbe doit avoir un complément et on attribue cela non pas seulement – ou pas du tout – à y et à la restriction lexématique du verbe, mais au préfixe impersonnel. Ce n’est qu’une illusion, mais engendrée par un fait qui a une réalité. Il se trouve qu’il y a une coexistence régulière de il et y dans la programmation textuelle de ces verbes impersonnels, quand ils sont autonomes. On a plutôt il y a été remédié que il a été remédié, il y a été obvié que il a été obvié. On pourrait même se demander si y ne participe pas à la marque du sème impersonnel, comme c’est le cas pour endans il en vient, il en a été dit. En fait non,car la même collusion se produit à l’actif. On a : on y remédie plutôt que on remédie, on y obvie plutôt que on obvie. Etant donné cette association régulière dans l’unité textuelle, on devine l’effet provoqué par sa rupture. L’effacement de y fait attribuer au sème impersonnel un rôle syntaxique qu’il n’a pas plus dans il est remédié que ondans on remédie.

L’illusion d’optique, dont on vient de chercher la source, peut d’ailleurs cacher une erreur plus profonde portant sur la compréhension du syntagme, et que nous avons déjà signalée. Quand on dit qu’un premier mot comme il est remédié rend nécessaire la présence d’un autre mot, la formule est ambiguë, car elle fait croire que la nécessité syntaxique est dans le premier mot considéré en lui-même et unilatéralement. Or elle est fonction – et c’est l’ordre propre de la syntaxe – des deux constituants mis en relation par une persistance sémique. Et donc, sauf cas favorable, car ce n’est nullement requis, le premier mot ne rend pas le second nécessaire. En engendrant il est insisté on n’a pas nécessairement sur cela, puisque il est insisté est engendrable textuellement et qu’il n’y a effacement de l’autonomie textuelle du verbe que s’il s’établit un lien de complémentarité avec sur cela. La restriction lexicale efface l’autonomie du verbe en même temps que la restriction casuelle efface celle du deuxième mot.

Si nous faisons à nouveau le bilan de nos analyses, cela aboutit donc à une dissociation de deux transitivités en contexte impersonnel. Dans l’une, le verbe impersonnel s’explique comme variable lexicale et ne participe pas par son préfixe à la contrainte qui lie les deux constituants du syntagme. Dans l’autre, au contraire, le verbe est engagé syntaxiquement en tant qu’impersonnel puisqu’il participe à la marque du rapport de complémentarité par la sélection de son préfixe. Notre conclusion ne peut pas aller au-delà de cette distinction, c’est-à-dire de cette frontière formelle établie entre deux syntagmes. Les étiquettes utilisées transitivité objective indirecte et transitivité séquentielle n’apparaissent que comme des commodités d’exposition, ou, au mieux, comme le fruit d’une intuition. Pour aller au-delà, il faudrait situer ces deux syntagmes dans l’ensemble de la transitivité, au moins de la transitivité verbale, en sachant que ce n’est qu’un angle d’approche, puisque la syntaxe n’a aucune raison d’être spécifiquement verbale ou nominale. Ce n’est pas recourir à un alibi de dire que le problème est vaste, puisque c’est, de fil en aiguille, l’ensemble des frontières syntaxiques qui est en cause. Avant de reprendre notre analyse pour chercher une confirmation de son bien-fondé, traçons une esquisse en ce qui concerne nos deux transitivités.

La transitivité séquentielle doit être rapprochée de la transitivité subjective. On a déjà souligné qu’elles offraient entre elles une image symétrique et inversée. Dans les deux cas, il y a un rapport de complémentarité entre un verbe, où la marque se situe dans le préfixe de personne, et un autre constituant marqué comme au cas direct [12]. Mais – ce sont les différences apparentes – le préfixe s’efface s’il est personnel, il est ineffaçable s’il est impersonnel (au moins pour l’élément il) ; l’autre constituant n’est pas soumis aux mêmes contraintes de disposition : obligatoirement postverbal avec l’impersonnel, il est partiellement mobile quand le verbe est personnel ; enfin il y a possibilité ou exclusion d’accord en personne et nombre. Ces différences – dans la mesure où elles offrent une correspondance étroite dans leur inversion même – sont interprétables comme les variantes d’une même marque, et on observe qu’elles sont largement conditionnées par le clivage morphologique du verbe en personnel et impersonnel. Comme par ailleurs les deux constructions se situent ensemble et à part dans l’univers de la transitivité, il nous semble qu’il s’agit d’un même syntagme sous la variation de deux formules.

Pour l’autre syntagme, nous garderons l’appellation de transitivité objective indirecte, sans nous dissimuler qu’elle demanderait une discussion approfondie. Ce qui la motive, c’est une parenté et une différence indéniables avec la transitivité qu’on trouve dans il voit la ville, et qu’on appelle objective directe. Celle-ci est fondée sur l’effacement du morphème verbal le, la, les dans le constituant verbal (morphème qui n’est pas compatible avec tous les lexèmes verbaux ou toutes les formes verbales : *il les vient, *il les est perdu) et sur le cas direct du second constituant.

Ce cas direct (défini par son rapport à l’effacement morphémique du verbe) englobe, suivant les contextes verbaux et les types morphologiques choisis pour former le constituant, des mots assez variés, avec préposition Ø, mais aussi à et de (Il tente cette aventure, il tente de le faire ; il cherche ce résultat, il cherche à le faire). La transitivité objective ainsi constituée se distingue de la transitivité subjective, mais il y a d’autres rapports à définir, en particulier avec la transitivité attributive qui se marque dans le verbe par effacement du morphème le (invariable), et avec laquelle elle forme un ensemble face à la transitivité subjective, puisque l’effacement morphémique témoigne indirectement d’une restriction lexicale.

3)

Pour clore cette étude nous allons revenir aux phrases impersonnelles passives d’où nous sommes partis, en essayant de voir le pouvoir explicatif des deux propositions auxquelles nous venons de parvenir : il y a dans il est remédié à cela une transitivité indirecte qui n’est pas liée à l’impersonnel (c’est la transitivité objective indirecte) ; la transitivité proprement impersonnelle n’est qu’une variante de la transitivité subjective. Afin de multiplier les angles d’observation, nous envisagerons diverses possibilités contextuelles : celles où les deux transitivités alternent, celles où elles se cumulent, ou encore s’excluent.

L’alternance apparente


Il y a un nombre appréciable de verbes qui, à l’impersonnel passif, sont suivis d’un complémentaire avec ou sans préposition :

(1)
(a) Il a été discuté de cette question.
(b) Il a été discuté une question importante.

(2)
(a) Il fut fouillé dans le granit à cinquante pieds de profondeur.
(b) Il fut fouillé plusieurs grottes.

(3)
(a) Il a été touché à certains objets.
(b) Il a été touché certains objets.

On trouverait ainsi : conclure (à), consentir (à), croire (à), débattre (de), décider (de), délibérer (de), disputer (de) ; dicter (de), écrit (de), juger (de), justifier (de), prédire (de), traiter (de), travailler (à), veiller (à), etc.

Il serait tentant de voir dans ces phrases une même syntaxe diversifiée en directe et indirecte. À un même verbe impersonnel répondrait une double possibilité de complémentation. Mais cette analyse laisserait sans solution un phénomène d’importance : si on observe l’ensemble des phrases (a), on s’aperçoit que la préposition varie d’un exemple à l’autre. Pourquoi cette variabilité de la préposition suivant les contextes, alors que la construction directe est constante en (b), comme elle le serait si on avait d’autres impersonnels : il survient, il se pose  ? La réponse ne peut être donnée que si, sous l’alternance apparente, on voit une profonde différence syntaxique. Les phrases (a) comportent un syntagme objectif indirect, les phrases (b) une relation subjective (impersonnelle).

Le verbe impersonnel semble être le même. Mais c’est une illusion, due au fait qu’on ne déconstruit pas le signe en ses diverses modalités (lexicale, textuelle, morphologique, syntaxique), ou qu’on oublie que chacune de ces analyses appréhende le signe sous un angle qui lui est propre. Or, quelle que soit par ailleurs l’analyse morphologique, le verbe représente deux homophones syntaxiques, c’est-à-dire que, sous une même suite de langage, il y a deux constituants distincts. En (a) le verbe impersonnel n’intéresse la syntaxe que par la restriction qui frappe le lexème et, éventuellement, par la factorisation des préfixes y, en. En (b), c’est le sème impersonnel qui sert de marque. Au constituant verbal ainsi défini ne peut répondre en (a) qu’un cas syntaxiquement indirect, marqué par la restriction lexicale frappant la préposition (de N ou sur N ou à N, etc.), et en (b) qu’un cas direct, marqué par la préposition zéro s’il s’agit d’un nom.

La frontière formelle qui sépare (a) et (b) n’est donc pas celle de deux constructions impersonnelles, directe et indirecte, car ce n’est pas en ces termes que peuvent se lire les deux rapports de complémentarité constitutifs des syntagmes. Le constituant verbal en (a) reste le même si on opère une transformation morphologique en actif personnel ou impersonnel, car le rapport syntaxique qui le lie au cas indirect reste invariant :

(1)
(a’) On a discuté de cette question.
(a’’) De cette question, il en discute encore maintenant. (= il discute encore maintenant des parlementaires résignés).

Nous pensons qu’il en est de même pour (b), si on passe à (b’) :

(2) (b’) Une question importante a été discutée.

Mais la variation contextuelle est plus grande, et pour qu’il y ait même syntaxe, il faut admettre que la marque comporte deux variantes, et que le syntagme subjectif peut être « personnel » ou « impersonnel ». C’est une question que nous allons reprendre, mais du moins peut-on affirmer que (b) et (b’) n’ont aucunement la syntaxe de (a) et (a’)ou (a’’).

L’enchaînement des syntagmes


Certains verbes impersonnels passifs (parmi lesquels on retrouve partiellement les premiers) permettent soit de dissocier les deux syntagmes, soit de les enchaîner :

(1)
(a) Il a été objecté à vos affirmations péremptoires.
(b) Il y/Ø a été objecté bien des choses.
(c) Il a été objecté bien des choses à vos affirmations péremptoires.

(2)
(a) Il n’a pas été pardonné à cet assassin.
(b) Il ne lui/Ø a pas été pardonné un crime pareil.
(c) Il n’a pas été pardonné un crime pareil à cet assassin.

Peuvent se construire ainsi, par exemple : ajouter (à), consentir (à), décréter (contre), fournir (à), ouvrir (à), pardonner (à), prédire (de), prononcer (sur), renvoyer (à), répliquer (à), répondre (à), sacrifier (à), etc.

C’est l’enchaînement de syntagmes qui offre un intérêt pour tester le rôle du il impersonnel dans la transitivité objective. Si, en effet, dans les phrases (a), où ce syntagme indirect est seul,on est en droit de se demander comment expliquer le préfixe verbal, il n’en est plus de même dans les phrases (b), où il y a cumul de deux syntagmes. La transitivité subjective (impersonnelle) requiert le préfixe il comme marque dans le verbe. L’autre transitivité peut exister sans lui. On s’en aperçoit au fait que celle-ci ne change pas quand on supprime il, c’est-à-dire quand on choisit la variante personnelle du syntagme subjectif :

  1. (d) Bien des choses ont été objectées à vos affirmations péremptoires.
  2. (d) Un crime pareil n’a pas été pardonné à cet assassin.

Le verbe impersonnel – exactement comme le verbe personnel – se trouve cette fois le lieu d’une imbrication de deux constituants entrant dans deux syntagmes différents. Il y a deux descriptions séparées à faire, même si l’enchaînement des syntagmes pose éventuellement des problèmes spécifiques, tant d’ailleurs au point de vue grammatical, qu’à celui, rhétorique, de l’organisation propositionnelle. Si le rapport objectif est seul en cause, il n’importe pas que le verbe soit personnel ou impersonnel, puisque la contrainte porte sur la sélection du lexème. D’où, en ce qui concerne celui-ci, les mêmes séries commutatives (les mêmes syllexiques) et les mêmes exclusions :

Il a été objecté/répliqué/*remarqué à vos affirmations.
Elles ont été objectées/répliquées/*remarquées à vos affirmations.

Si le rapport subjectif est seul en cause, il n’y a plus de sélection du lexème, d’où la liberté de commutation, absolument parallèle :

Il a été objecté/répliqué/remarqué bien des choses.
Bien des choses ont été objectées/répliquées/remarquées.

Les cas d’exclusion


On a déjà souligné qu’il y a des passifs qui sont uniquement impersonnels (être insisté, être lésiné, etc.). Cela a une conséquence que l’on attendait : l’exclusion de tout rapport subjectif personnel. Mais on constate aussi, et il y a là un enseignement, que ces impersonnels ne se construisent pas non plus avec une « séquence directe » :

(1)
(a) Il a été renoncé à cet effort d’adaptation.
(b) *Quelqu’un (quelque chose) a été renoncé à cet effort d’adaptation.
(c)* Il a été renoncé quelqu’un (quelque chose) à cet effort d’adaptation.

(2)
(a) (…) l’acte obsessionnel auquel il est résisté. (Marie Bonaparte, citée par Damourette et Pichon, t. 5, p. 687).
(b) *auquel quelqu’un est résisté.
(c) *auquel il est résisté quelqu’un.

(3)
(a) (…) le présent, auquel il est accédé des deux côtés (…).(G. Guillaume, Langage et science du langage, p. 68, Nizet).
(b) *auquel quelqu’un est accédé des deux côtés.
(c) *auquel il est accédé quelqu’un.

Les correspondances que nous avons relevées entre les deux transitivités directes se confirment ici. On savait qu’elles se rencontraient avec les mêmes formes verbales et qu’elles s’excluaient entre elles. On découvre qu’elles sont exclues ensemble. C’est un nouvel indice de leur parenté structurale, et il devient de plus en plus clair que la transitivité indirecte n’est pas en complémentarité avec une transitivité impersonnelle directe, mais qu’elle se distingue des deux autres transitivités qui font toujours bloc.

D’autre part, il suffit de faire varier la morphologie de ces verbes, pour s’apercevoir que la syntaxe indirecte subsiste en dehors du passif impersonnel. En sortant de son isolement, celui-ci se révèle pour ce qu’il est : un contexte verbal parmi d’autres. Transposons l’un des précédents exemples :

(2)
(d) A de telles tentations il résiste peu de gens.
(e) Peu de gens résistent à de telles tentations.
(f) Il en résiste à de telles tentations.
(g) Il y résiste peu de gens.

La transitivité indirecte se rencontre donc avec une forme non passive, personnelle ou impersonnelle, elle se cumule ou non avec l’une des deux autres transitivités directes. Et cela s’explique, si c’est la restriction lexématique du verbe qui est en cause dans tous les cas où la relation objective indirecte apparaît, et si la marque est dans le préfixe personnel ou impersonnel s’il s’agit de la transitivité subjective, sous sa double forme.

Conclusion

Si nos analyses sont fondées, on pourrait finalement conclure que les constructions indirectes que nous avons examinées ont tout particulièrement – mais elles n’ont pas l’exclusivité ! – la faculté d’égarer le descripteur. Tout invite en apparence à faire jouer au verbe impersonnel passif le même rôle en construction directe et indirecte. On a le sentiment qu’un même blocage de il est en rapport avec une restriction portant sur le complémentaire du verbe, qui est prépositionnel ou non. Le regroupement de ces deux constructions sous une syntaxe de l’impersonnel a une conséquence à peu près inévitable : on a beau saisir la symétrie antithétique de la transitivité subjective et de la transitivité impersonnelle directe, on ne peut guère y voir une même syntaxe, car il faudrait aussi y rattacher la transitivité indirecte, et cela représente, structuralement, une difficulté, sinon une impossibilité.

En réanalysant plus correctement la transitivité indirecte, on s’aperçoit qu’en fait le verbe impersonnel n’y intervient pas en tant qu’impersonnel, et que le mode de marquage par sélection lexématique qui la caractérise se retrouve dans des contextes verbaux différents. Dès lors naît l’hypothèse qu’il s’agit d’une transitivité objective indirecte. Corollairement, l’obstacle est levé qui empêchait de voir dans l’autre transitivité liée à l’impersonnel une variante du syntagme subjectif, puisque tout par ailleurs porte à les réunir. Ce sont ces deux propositions que nous avons soutenues. Elles ne prétendent pas à la nouveauté, encore qu’il serait aisé de marquer les différences avec certaines autres, mais elles ne peuvent pas être considérées comme indépendantes de la méthode oui permet de les poser, et nous croyons que le cheminement qui a été suivi comporte, lui aussi, ses « raisons ».

La redistribution syntaxique à laquelle nous aboutissons, et qui modifie, tout en le prolongeant, un travail antérieur, offre l’occasion de souligner une réalité glossologique trop méconnue. La syntaxe, dans la mesure où on en cerne les mécanismes propres, apparaît bien comme indépendante des clivages de la morphologie. Elle peut s’avérer indifférente aux distinctions d’actif et de passif, d’impersonnel et de personnel, de verbes préfixables ou non par le, la, les, car ce qui est en cause, ce ne sont plus les rapports de similarité, mais les rapports de complémentarité que nouent les mots. Et il n’y a guère de doute qu’une observation élargie à d’autres contextes montrerait que la transitivité n’est pas spécifiquement verbale, mais peut concerner aussi par exemple le nom ou sa forme adjective, voire l’adverbe. Ne retrouve-t-on pas dans aptitude au service, apte à circuler et contrairement à vous un mécanisme analogue à celui de la transitivité dite objective indirecte ? Evidemment, les nouvelles données que l’on intègrerait à l’analyse de la transitivité ne peuvent guère ne pas entraîner son remodelage, et les étiquettes syntaxiques ont toutes chances d’apparaître plus inadaptées encore qu’elles ne le sont, dans un cadre structural modifié. C’est dire que notre étude inclut, dans sa démarche même, ses propres limites, et son éventuel dépassement.

Bibliographie

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Hériau, Michel, Le Verbe impersonnel en français moderne, Serv. de repr. des thèses, Univ. de Lille III et Paris, Champion, 1980, 1205 p.

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Rivière, Nicole, La Construction impersonnelle en français contemporain, Saint-Sulpice de Favière, éd. Jean-Favard, 1981, 130 p.

Urien, Jean-Yves, Le Schème syntaxique et sa marque. Application au breton contemporain, Th. d’Etat dact., Rennes, 1982, 915 p.

Vet, Co, « Les Constructions impersonnelles en français : Une approche dans le cadre de la Grammaire fonctionnelle de S.C. Dik », Travaux de linguistique, t. 8, Gand, 1981, p. 49-64.

Zribi-Hertz, Anne, « La Morphologie verbale passive en français : essai d’explication », in Grammaire transformationnelle théorie et méthodologies, Paris, Centre de Rech. de l’Univ. Paris VIII, 1982, p.127-153.


Notes

[1Pour une analyse théorique de ces divers concepts de lexique, texte, morphologie, syntaxe, voir : Jean Gagnepain, Du Vouloir dire, Traité d’épistémologie des sciences humaines, t. I, Pergamon Press, 1982, pp. 25-66.

[2Le terme de passif n’est ici qu’une commodité d’appellation. Mais il désigne de façon précise une forme auxiliée par être s’opposant à une forme en avoir. La forme simple (il remédie) échappe à cette diathèse, comme aussi les formes où se trouve neutralisée l’opposition, quand un seul auxiliaire est possible.

[3Op. cit. p. 56.

[4Le terme de syllexique, proposé par J. Gagnepain, permet d’éviter un télescopage entre les analyses relevant des deux axes. Les ensembles lexicaux dont nous parlons ne déterminent pas une classe morphologique, puisqu’ils ne sont définissables que dans un cadre syntaxique précis. On voit la différence, par exemple, avec les descriptions de Maurice Gross. Pour ce dernier, une classe verbale serait l’ensemble des verbes ayant les mêmes propriétés syntaxiques. Traduisons, de la manière la plus favorable, en supposant que tout est syntaxique dans les tables qu’il propose : les verbes entrant, non pas dans un même syllexique, mais dans un même ensemble de syllexiques. Le point fixe dans ce type d’analyse est donc l’entrée verbale, mais on l’a positivée, en feignant de croire qu’elle est la même syntaxiquement, dans tous les rapports de complémentarité où elle figure. Ces classes – dont on ne s’étonne pas qu’elles soient plus nombreuses que les verbes examinés, quand le sens s’en mêle – sont à notre avis le pur produit du descripteur, car elles n’existent ni dans un axe, ni dans l’autre. On sort de la syntaxe, si on croit que plusieurs syllexiques, définis selon des principes différents, convergent quelque part dans une classe ou un super-syllexique, et il n’est pas question de rapports de similarité quand on traite de syllexique.

[5Il faudrait d’ailleurs élargir l’observation aux cas où le second constituant est de type verbal, et non plus nominal : infinitif prépositionnel, verbes en que (ou à ce que, de ce que), verbes préfixés par si ou un interrogatif (« interrogative indirecte ») :

  • Que tous les députés étant assemblés, il soit commencé par délibérer en commun (…) Cahiers de doléances de la Sénéchaussée d’Angers, t. I, p. 87.
  • Il a été parlé de déménager.

[6On mesurera la capacité heuristique de ces concepts, ainsi redéfinis, à travers deux applications qui en ont été faites au français et au breton par : Suzanne Allaire, Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs, Lille III et Paris, Champion, I982, 601 p. ; Jean-Yves Urien, Le Schème syntaxique et sa marque, application au breton contemporain, Thèse dact., Rennes, 1982, 914 p.

[7En parlant de blocage, on se limite à dire qu’il y a syntaxiquement un arrêt de toute variabilité lexicale dans le préfixe personnel. Cela ne postule donc pas qu’il existe un sème impersonnel. Mais on devine que l’analyse ne changerait pas, si, après avoir posé lexicalement ce sème (sous une marque dont il ne serait qu’un fragment), on en faisait un indice du rapport syntaxique : le sème impersonnel serait choisi à l’exclusion des sèmes personnels je, tu, il, etc. Nous reviendrons plus loin sur cette question, mais pour l’instant nous utilisons le concept de blocage qui facilite l’exposé sans dénaturer le raisonnement.

[8Cf. M. Hériau, Le Verbe impersonnel en français moderne, Lille III et Paris, Champion, I980, 2 tomes, I205 p.

[9Ce n’est pas une objection de constater que la variabilité du lexème est limitée dans le syntagme subjectif :la chose est classée/la chose est remédiée. Car la restriction lexicale n’est pas d’elle-même un fait de syntaxe. Elle demande à être interprétée. On est renvoyé ici au fait que le préfixe personnel est impossible dans le contexte est remédiée (*elle est remédiée), et donc que l’une des conditions du syntagme, l’existence d’un préfixe qu’on peut effacer, n’est pas remplie. La restriction lexicale frappant remédiée s’inscrit donc dans celle du mot *elle est remédiée et elle doit être rapportée à une autre dimension du signe que la syntaxe. Si elle intervient dans le syntagme, c’est comme effet, et parce que le lexème fait partie de l’un des constituants.

[10Pour rendre compte de ce sème et des multiples cas d’homophonie entre verbe personnel et verbe impersonnel – ce dont témoignent entre autres les exemples cités – il faudrait insister sur les faits suivants :
Il personnel et en commutent séparément (il en vient/j’en viens ; il en vient/il Ø vient – et il faut poser deux en distincts car les substitutions ne sont pas les mêmes (il en vient/*il les vient/il Ø vient – Il s’en raconte/il se les raconte/il se Ø raconte).
Il et en font marque ensemble dans le cas du sème impersonnel, et la commutation s’opère avec je, tu, on, elle, il, etc. ( (Je viens/il en vient – Tu vieillis/il en vieillit – Elle grisonne/Il en grisonne – Il se promène/Il s’en promène – Nous nous acharnons/Il s’en acharne – Vous êtes attendus/il en est attendu – Ils vous attendent/il vous en attend (des surprises) – Elles t’assiègent/il t’en assiège). Il est remarquable qu’on retrouve ici la compatibilité de l’impersonnel avec les diverses catégories verbales. Le en n’est plus explicable comme les deux précédents. Il est impossible en particulier de le confondre avec le en de la catégorie le, la, les/me/ta/en. C’est seulement associé à il invariable que en s’explique, par opposition aux sèmes personnels (je, tu, elle, il, etc./il + en).

[11Qu’on songe à des exemples comme :

  • (…) car il fut bu et dansé plus qu’on ne fait en pareil cas. (Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 44, Pléiade).
  • (…) les cinq mille hectares du monde où il a été le plus pensé, le plus parlé, le plus écrit. (J. Giraudoux, Juliette au pays des hommes, p. 134, Livre de poche).
  • On sent dans tout cela danger qu’il ne soit assez veillé (…). (H. Michaux, Chemins cherchés/Chemins perdus, p. 23, Gallimard).
  • (…) l’exigence qu’il ne soit jamais donné sans qu’il soit rendu, jamais gagné sans qu’il soit perdu, jamais produit sans qu’il soit détruit, jamais parlé sans qu’il soit répondu (…). (J. Baudrillard, Le Miroir de la production, p. 126).
  • Le mendiant devant ta porte
    Qui se morfond que tu ne sortes
    Et peut mourir s’il est tardé
    (Aragon, Le fou d’Elsa, p. 96, Gallimard)

[12Levons une ambiguïté sur ce terme de cas direct. Il peut désigner une réalité morphologique (cas non prépositionnel) et une réalité syntaxique (constituant d’une transitivité directe). Les deux n’ont aucune raison de coïncider, car elles ressortissent à deux analyses distinctes. Il se trouve qu’ici le second constituant peut être nominal ou verbal, qu’il est le plus souvent non-prépositionnel, mais pas toujours (De mes amis sont venus – Il lui arrive de le faire – De le faire l’ennuie). Le cas direct couvre ces formes morphologiquement diverses, car le principe de la complémentarité marqué par la restriction lexicale subsiste : le choix de la préposition de est aussi contraint dans il lui arrive de le faire que celle de Ø dans il arrive qu’il le fasse ou il lui arrive un ennui. Dans une conception suffisamment déconstruite du signe, il n’y a de point fixe nulle part, et à positiver en particulier un axe par rapport à l’autre, on bloque l’analyse.


Pour citer l'article

Hériau, Michel« Verbe impersonnel et transitivité », in Tétralogiques, N°1, Problèmes de glossologie.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article280