Suzanne Allaire

L’infinitif a-t-il un sujet ?

Mots-clés
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« Que chacun en toute question essaie
d’abord de se donner un vocabulaire
bien ordonné, il y trouvera au moins
le commencement de sa recherche et
bien plus solide qu’il n’aurait cru »
Alain (Propos II Pléiade p. 902)

Pour le grammairien qui dépouille aujourd’hui le volumineux dossier de travaux où se joue le sort du sujet de l’infinitif, et qui, cherchant à maîtriser les données du problème, se heurte encore au cas des « subordonnées infinitives », ces subordonnées qui sont l’objet de « contestations infinies touchant leur nature propositionnelle » [1], il n’est peut-être d’issue désormais que dans le déplacement du regard sur les faits : accepter là que le détour par les principes qui orientent l’analyse en grammaire, détour ordonnateur des concepts et du vocabulaire grammatical, soit encore, sinon le chemin le plus court pour traverser un terrain hérissé de tant d’obstacles, du moins celui qui conduit le plus sûrement, par la construction de l’objet d’étude, à la conscience des malentendus que tisse, autour de notions aussi familières que celle de sujet, le long usage des mots de la tribu.

Un exemple pour situer la nature des difficultés en cause : « Les documents sont assez flous pour inspirer l’inquiétude. » Identifier dans cette phrase le nom les documents comme le sujet, au sens traditionnel du terme, de l’infinitif en pour, et donc interpréter l’exemple cité comme porteur, ou plutôt inducteur de la proposition « les documents inspirent l’inquiétude », est-ce là saisir un fait de syntaxe implicitement à l’œuvre dans l’énoncé, ou bien essentiellement le lien construit par le sujet parlant dans l’élaboration sémantique du message ? Problème de partage des domaines d’analyse, mais aussi, et surtout, problème de conception du langage ; car s’il est clair que la proposition par laquelle le linguiste rend compte paraphrastiquement du lien de l’infinitif avec le sujet de phrase les documents ne lui est pas livrée par l’énoncé qu’il examine, mais bel et bien reconstituée par lui pour en traiter, alors, et c’est là que se noue la difficulté, il faut pouvoir répondre sans ambiguïté à la question majeure : cette opération de reformulation est-elle, à proprement parler, « grammaticale » ?

Autre regard sur le même problème : désigner par le même mot, le mot sujet, le terme tour à tour lié au verbe conjugué – « les documents sont assez flous » – et le terme lié au verbe à l’infinitif – « les documents sont assez flous pour inspirer l’inquiétude » –, pour en venir secondairement à distinguer dans cet ensemble appelé phrase un sujet formel (grammatical ?), le premier, et un sujet « logique » (sémantique ?), le second, ce n’est guère progresser, sinon dans la conscience, ou le degré d’abstraction, de la difficulté. Car il faudra bien se résoudre à reconnaître que le premier de ces deux sujets – « les documents sont flous » – garde toujours sur le second l’avantage d’être aussi un sujet « logique » (ou, ce qui revient au même, que le second a toujours contre lui de n’être là qu’un sujet logique) si bien qu’en toute rigueur le problème en cause n’est pas tant de cerner le rapport sujet-verbe que de comprendre, puisque c’est autour du mode impersonnel que se cristallise la différence, pourquoi l’infinitif est là, et quel est son statut dans la construction de la phrase.

Mais on voit bien qu’à se déplacer du sujet vers le verbe, la difficulté ne fait que rebondir. Car s’il est vrai que l’infinitif n’a pas de sujet formel (syntaxique ?) alors que l’opération de paraphrase lui en donne un qui est « logique » (sémantique ?), alors il est vrai aussi qu’en se dédoublant l’analyse impose au grammairien de remettre en cause la vieille conception unitaire de la phrase (P → SN + SV ?), ainsi que fut remise en cause par la linguistique saussurienne la vieille conception unitaire du langage. Et c’est bien là que la question se resserre, et de façon décisive.

En effet comment, si on détermine dans la phrase une opération imputable a l’ordre de la forme, fût-ce négativement pour le sujet grammatical de l’infinitif, et une opération qui relève de l’ordre du contenu, avec l’attribution d’un sujet « logique« à l’infinitif, comment concevoir l’articulation de ces deux opérations dans le même message ?

Il semble bien que tout le problème du sujet de l’infinitif soit là, dans le faisceau de ces interrogations, et tout entier situé du côté de la théorie et de sa clef de voûte, la définition du rapport entre forme et contenu dans la phrase. Problème majeur, donc, il y va de la question majeure de la conception de la grammaire, et problème d’actualité s’il en est [2].

Car tout dans le consensus qui s’est établi, autour de la notion de sujet et de prédicat, entre les grammairiens de la tradition, solides partisans de l’axiomatisation du sens, et les transformationalistes dont la démarche se veut résolument syntaxique, conduit à penser que loin de dissiper le brouillard conceptuel qui s’est amassé là, la linguistique travaille en le perpétuant à élargir un profond malentendu. Face à la relation sujet, lieu incontournable, carrefour obligé des études de syntaxe, la théorie a pu changer de cap et modifier la perspective, il apparaît qu’elle n’a pas, dans son attachement à la notion de phrase (P → SN + SV), fondamentalement renouvelé les données du problème [3].

Et c’est sur ce point que nous voudrions porter plus étroitement l’attention, en revenant d’abord sur les positions du passé, qui ont sans nul doute leur cohérence dans l’impasse où les enferme le globalisme de la théorie, mais en analysant aussi les « solutions » mises au point par la grammaire transformationnelle, solutions qui doivent au postulat chomskyen leur efficace et leur clarté, mais au prix d’une définition du mot grammaire qui, par l’ambiguïté de son principe, sacrifie délibérément l’instance de la forme sur l’autel de la compétence langagière. D’où l’aporie que connaît la linguistique en syntaxe aujourd’hui, et sa fuite en avant vers les problèmes du sens ou de l’énonciation [4].

La syntaxe serait-elle vouée à disparaître du champ de vision des linguistes ?

Pour répondre à cette question tout en venant, sur le chemin du détour théorique, à la rencontre des faits, nous retiendrons exclusivement dans le champ d’observation le cas des systèmes corrélatifs en pour. Et ce n’est pas seulement parce qu’il nous est impossible de faire référence à l’ensemble des infinitifs compléments de phrase sans entériner le principe de la phrase comme préalable à l’étude de syntaxe, c’est aussi parce que, face à une question qui met en cause le statut syntaxique de l’infinitif, il importe de circonscrire étroitement le domaine d’étude pour réfléchir en toute priorité à la démarche qui permet d’en traiter [5].

1 Le sujet de l’infinitif prépositionnel : traitement traditionnel du problème

La position des grammairiens de la tradition est très connue, et d’autant mieux que les manuels scolaires en ont largement assuré la diffusion : l’infinitif complément « circonstanciel » a un sujet, et l’usage veut que ce sujet soit le même que celui du verbe antérieur, le verbe principal :

« La politique suivie comporte trop d’éléments contradictoires pour être réaliste »
« Aucun ordinateur ne serait assez puissant pour recenser les libertés bafouées »
« Le gouvernement juge le sujet trop brûlant pour le mettre a l’ordre du jour » [6]

Qu’il y ait des exceptions, certes, mais ce sont là les manifestations d’un écart par rapport à la norme, une norme que définit la somme des emplois en vigueur dans la langue :

« Les chansons sont trop connues pour ne pas céder au plaisir dès les premières notes »
« L’aubaine est trop rare pour ne pas aller le saluer »

Et c’est conduit ainsi, orienté, canalisé par la volonté de l’usage, et de l’usage dominant, que le grammairien, radicalement coupé du problème de syntaxe (ce n’est pas le fonctionnement du complexe de verbes qui est au cœur de la réflexion, mais très empiriquement l’ensemble des tours qui l’actualisent) et tout entier tourné vers le jeu de tendances langagières dont il ne retient que le pôle convergent, choisit d’exercer son pouvoir en faveur du mode de construction le plus largement répandu : la phrase où derrière préposition paraît un infinitif complément circonstanciel d’un autre verbe est une phrase où prévaut, doit prévaloir hiérarchiquement le sujet du verbe conjugué :

« Notre histoire est trop marquée de la lutte des classes pour conduire à cette analyse »
« L’affaire a connu des rebondissements trop nombreux pour tomber aujourd’hui dans l’oubli »

Bien sur, d’un grammairien à l’autre le raisonnement explicatif peut varier. Mais qu’on la pose au nom de la logique propositionnelle, ou de la clarté qu’exige le sens, ou de la souveraineté de l’usage, ou de tous ces principes à la fois, il s’agit toujours de reconnaître, d’affirmer et dans le même moment de faire prévaloir cette prévalence du « sujet de phrase » dans l’interprétation de l’infinitif [7]. Ainsi Tesnière : « L’infinitif transféré en adverbe reste impersonnel. C’est pourquoi son prime actant est obligatoirement celui du verbe régissant l’adverbe. Cette nécessité logique donne lieu à de nombreuses incorrections » ; Grévisse : « L’infinitif équivalant à une proposition circonstancielle doit régulièrement pour la clarté se rapporter au sujet de la proposition principale », et Wagner et Pinchon : « L’usage veut que l’infinitif assumant la fonction de complément circonstanciel ait le même agent que le verbe personnel qui le détermine. » [8]

Tout se passe dès lors comme si la règle établie par la forme en syntaxe, règle qui détermine la présence de l’infinitif, se confondait dans l’esprit du grammairien avec le domaine des emplois auxquels elle donne lieu – et la régularité de ces emplois avec la réglementation que légitime une évaluation de l’efficacité des types de phrase où s’actualise le sens de l’infinitif. C’est dire qu’on retrouve dans la globalisation de la démarche et dans ses glissements et fluctuations tout le nomadisme du concept de norme [9].

Et cependant notons dans ce mouvement réducteur de la perspective syntaxique deux points qui valent d’être soulignés. Il apparaît d’abord que la loi du sujet de l’infinitif est toujours rapportée là à un principe d’aménagement du sens. Si exception ou infraction il y a, c’est essentiellement l’interprétation du message qui permet au grammairien de la repérer et de l’évaluer, jamais la forme dont le cadre – à la proposition pour d’assumer, en corrélation, ou non, avec un adverbe, la responsabilité de la complémentation infinitive dans la phrase – est posé, reconnu, fixé au préalable [10]. La distinction opérée est essentielle, mais on voit bien qu’elle ne repose, ainsi formulée, sur aucune assise explicative. Tout montre en effet qu’en s’attachant à construire un vaste système de superposition syntactico-sémantique dans le traitement de la phrase, et en concevant le sujet du verbe exclusivement dans le cadre propositionnel où se joue aussi le sort du mode personnel, la tradition s’est mise d’elle même en demeure de refuser toute construction infinitive dont la présence exige le dédoublement d’une analyse qu’elle a d’emblée posée comme unitaire. Ainsi que faire dans le cas d’une phrase ou se présente un nom contradictoirement analysable comme complément et comme sujet : « Le patron n’engage que des jeunes assez dociles pour suivre les cadences » ? En cette difficulté redoutable pour le syncrétisme de la théorie, il n’est plus d’autre issue pour le grammairien, sauf à remettre en cause les principes de départ, que de lever l’obstacle des faits en « normalisant » la langue.

Or, et c’est là le second point notable, on peut constater qu’en traitant de l’infinitif dans la phrase complexe, les grammairiens de l’usage hésitent, oscillent en permanence entre plusieurs plans d’analyse, et notamment entre la reconnaissance d’une contrainte inhérente au langage d’un côté, contrainte liée à la présence grammaticale de l’infinitif, et de l’autre le souci de régulariser la langue pour réduire l’étonnante et déroutante complexité des données. Ce qui est en jeu alors, inextricablement, dans la démarche analytique, c’est à la fois le langage et sa clarté, et la langue et son homogénéité : problème de « génie » français et d’impératifs du sens dans le message, mais aussi problème de lutte contre les forces de dispersion à l’œuvre dans la parole [11]. Et comme à ce point de confusion les besoins de la langue finissent toujours par rejoindre ceux du langage – et de la théorie, on comprend qu’à défaut de déconstruction épistémologique, l’analyste soit conduit, pour en traiter efficacement, à délimiter étroitement le terrain de son enquête en ignorant, voire en proscrivant,tout exemple rebelle à sa cause. Et sans doute est-ce là la seule cohérence à laquelle il puisse prétendre puisqu’il se réfère à des positions théoriques où le sens est conçu à la fois comme principe et fin de l’énoncé et de sa construction dans la transparence d’une communication réussie [12].

Or s’il est certain que la prescription d’un usage est un moyen éminemment pédagogique de clarifier la situation par restriction du champ des possibles au cas le plus général, et le plus simple, et, 1e plus clair [13], ce n’est évidemment pas de ce côté-là que le linguiste trouvera l’explication d’énoncés qui tous, qu’ils soient à ses yeux bien ou mal construits, transparents ou obscurs, et « logiques » ou non, ne s’imposent à lui comme un ensemble linguistique que parce qu’ils renvoient plus abstraitement à un même type d’organisation de la phrase :

« Le ministre a une autorité suffisante pour arbitrer les différends »
« Le ministre a une autorité suffisante pour n’être pas contestée »
« Le ministre a une autorité suffisante pour nous sentir concernés »

Il suffit d’ailleurs de considérer un large échantillon de systèmes corrélatifs pour remarquer que l’infinitif complément peut fort bien, après pour, recevoir un sujet autre que celui de la prinipale. Qui plus est, il ne faut pas être bien grand clerc pour découvrir qu il est impossible alors, dans bien des cas du moins, de condamner le locuteur pour infraction aux lois du sens, ou de la clarté, et même de le réprouver pour conduite marginale. Rien d’obscur en effet dans les énoncés que voici :

« Les artistes disposent d’un délai trop court pour leur permettre de réaliser un film »
« Les grandes écoles forment des ingénieurs assez polyvalents pour exercer très vite de hautes responsabilités »

Et rien qui temoigne d’une déviation par rapport au système grammatical, puisque les lois de la syntaxe permettent à tout sujet parlant de générer aussi bien l’un que l’autre des deux énoncés suivants :

« Tu n’as pas d’adversaire assez rusé pour se mesurer avec toi »
« Tu n’as pas d’adversaire assez rusé pour te mesurer avec lui »
« Le syndicat a présenté des motions trop modérées pour être efficace »
« Le syndicat a présenté des motions trop modérées pour être efficaces »

À bien lire d’ailleurs, au travers des cas qui font jurisprudence, l’argumentation de tel ou tel juge grammairien, il apparaît que la réprobation des puristes frappe essentiellement les phrases où l’infinitif s’interprète par rapport à la situation de parole lors même que l’énoncé où il se présente est porteur d’un élément susceptible de devenir son sujet :

« Les ambiguïtés ont été assez nombreuses pour ne pas en ajouter de nouvelles »
« Les divergences d’intérêts sont encore trop grandes pour imaginer une telle perspective »

Le cas des phrases ambiguës, celles du moins qui s’ouvrent à des interprétations divergentes, reste généralement dans l’ombre, bien qu’elles soient de nature, plus que toute autre, à compromettre la clarté du message [14] :

« La relance ne donne pas encore assez de rentrées fiscales pour résoudre les difficultés »
« Les victimes ont vécu des évènements trop sinistres pour se laisser oublier »
« Le gouvernement a trouvé là un sujet trop mince pour soutenir son verbe »

L’information est importante et nous y reviendrons.

Au total, ce qui apparaît le plus nettement lorsqu’on est ainsi conduit à saisir analytiquement des positions globalisantes – que nuance d’ailleurs parfois, jusqu’à les rendre insaisissables, le souci de respecter les faits témoin ici ou là le déplacement du seuil de tolérance aux écarts [15] – c’est que toute solution au problème du sujet de l’infinitif passe nécessairement par une étroite et immédiate dépendance des principes de la théorie convoquée pour le lire et le rendre intelligible. Ce qui est en jeu en effet, c’est l’explication d’une phrase à deux verbes, et d’une phrase où la relation d’un verbe conjugué (V1) et d’un verbe non conjugué (V2), liée dans le champ retenu à celle de l’adverbe et de la proposition pour (V1 adv… pour V2) ouvre éventuellement l’énoncé à un double problème de sujet :

« Ce pays connaît des difficultés trop grandes pour se mêler aujourd’hui de celles des autres »
« Cette stratégie présuppose un courant réaliste assez puissant pour préférer la recherche d’un compromis ».

Que la réduction de ce double problème à l’unité soit devenu l’un des chevaux de bataille de la grammaire normative donne bien la mesure de la difficulté en cause. On touche la et à la notion de verbe (verbe fléchi et verbe non fléchi) et à la notion de proposition (proposition au mode personnel et proposition au mode impersonnel) et, par le jeu de la proposition, aux frontières de la relation syntaxique et de la relation prédicative qui ordonnent la phrase de base : P → sujet + verbe.

Il serait vain à coup sûr de prétendre dominer en bloc cet ensemble de points porteurs d’interrogations massives. Et puisqu’il importe d’opérer entre eux une sériation rigoureuse, notre propos est d’aller en toute priorité, d’une priorité qui nous est imposée par l’immanence de la forme, vers l’analyse du mode d’ordonnancement des termes au sein de la phrase en pour. Perspective syntaxique donc, et qui rejoint dans son orientation de départ celle de la théorie générative : travailler à reconnaître la logique sous-jacente à l’énoncé produit par le sujet parlant. Encore faut-il pour mieux comprendre tout ce qui nous sépare des positions de cette grammaire voir ce que devient dans un tel cadre le sujet de notre infinitif prépositionnel.

2 Le sujet de l’infinitif prépositionnel : traitement transformationnel du problème

Très directement liée aux choix qui fondent le principe de la démarche transformationnelle en syntaxe – l’axiomatisation de la phrase d’une part (P → SN + SV) [16] et d’autre part, la distinction, préalable au traitement de l’énoncé, entre structure de surface, observable, et structure profonde, accessible seulement par la médiation du linguiste au terme d’un processus d’abstraction –, l’interprétation de la construction infinitive se révèle cette fois systématique et rigoureuse.

Il devient possible en effet, puisqu’est projetée dans l’abstraction de la profondeur la relation prédicative, d’attribuer à l’infinitif, par la décomposition en phrases noyaux, le sujet qui lui revient, avant de l’effacer transformationnellement par une opération de réduction qui progressivement mais logiquement assure la reconstitution formelle de l’énoncé de surface. Ainsi partant de l’énoncé : « Le public est assez grand pour comprendre », le grammairien suivra-t-il un parcours méthodologiquement réglé. Soit un premier temps où les règles syntagmatiques engendrent non des phrases mais des structures abstraites, les indicateurs sous-jacents [17], l’opération de déconstruction :

« Le public est (assez) grand »
« Le public comprend »

Puis en un second temps la phase de transformation, elle-même décomposable : une transformation généralisée d’abord « qui enchâsse une phrase dans une autre », puis une transformation opérant sur « les suites qui comprennent deux syntagmes nominaux identiques, l’un dans la phrase matrice, et l’autre dans la phrase constituante », soit, pour reprendre le mode de formalisation de Ruwet :

T infinitif : X – SN – Y – (PREP) QU – SN – TPS – Z – W
1 2 3 4 5 6 7 8
où 2 = 5 et 5 + 6 + 7 = Phrase

Trois étapes donc dans cette dernière opération, d’abord la suppression du SN répété, puis la substitution d’un affixe d’infinitif au morphème dominé par le constituant Temps, l’effacement enfin de qu ou son remplacement par zéro [18].

C’est dire que, prenant appui sur la réorganisation formelle de l’ensemble de mots construit par la syntaxe, le descripteur choisit de relier la phrase dont le complément est à l’infinitif à celle dont le complément a un verbe au subjonctif, et de définir l’une, celle qui est au mode impersonnel, comme provenant de l’ autre par suppression de son sujet. L’opération est alors soumise à une règle de coréférence entre le sujet de la « complétive« et l’un des « actants« de la principale [19] :

« Le public est assez grand pour que le public comprenne »
« Le public est assez grand pour comprendre »

On le voit, le fait que cette suite d’opérations soit formulée à partir d’un énoncé dont le verbe n’est pas réduit (le subjonctif se conjugue, il a son sujet), à partir aussi d’ un énoncé sémantiquement équivalent (on sait l’importance accordée par la grammaire générative à la compréhension des relations de paraphrase) donne du poids à la démonstration en permettant sa généralisation à l’ensemble des phrases du même type celles-ci d’abord :

« Le week-end a apporté des orages trop peu nombreux pour qu’ils comblent le déficit »
« Le week-end a apporté des orages trop peu nombreux pour combler le déficit »

mais aussi [20] :

« Aucune des revendications n’est assez pressante pour que la grève se justifie »
« Aucune des revendications n’est assez pressante pour justifier la grève »
« La réalité est trop sinistre pour qu’on l’oublie »
« La réalité est trop sinistre pour être oubliée »

Il est clair que le linguiste se trouve désormais en mesure de rendre compte « explicitement« de la constitution de toutes les phrases infinitives [21] et notamment de celles que les grammairiens du passé travaillaient à écarter, mais que la distinction entre surface et profondeur permet de décrire avec la même netteté :

« Les ambiguïtés sont assez nombreuses pour affirmer le contraire »
1 « Les ambiguïtés sont nombreuses ; on affirme le contraire »
2 « Les ambiguïtés sont assez nombreuses pour qu’on affirme le contraire »
3 « Les ambiguïtés sont assez nombreuses pour Ø Ø infinitif le contraire »

Il devient possible aussi de traiter sans difficulté de la phrase ambiguë ; il suffit en effet d’affiner l’analyse et par le jeu d’une double opération de réécriture, de fonder, en les projetant « structuralement » l’un et l’autre, le principe de deux sujets profonds pour l’infinitif :

« Le président a une autorité suffisante pour l’imposer à tous »
pour que le ministre impose son autorité à tous »
pour que son autorité impose le ministre à tous »

Plus de contre-exemple donc dans cette démarche analytique trèæ propre à dominer l’ensemble des phrases inscrites dans le groupe des systèmes corrélatifs en pour, quelle qu’en soit la constitution interne, et le degré de complexité syntaxique :

« L’amertume gagne des universitaires trop persuadés de l’excellence de leur réflexion pour imaginer qu’une reforme puisse se concevoir sans leur apport . »

Le seul problème est alors de multiplier les transformations, afin d’obtenir le nombre des phrases constituantes nécessaires au déploiement « explicatif » de l’énoncé de surface – déploiement qui dans l’exemple cité fera progressivement apparaître sous le complément superficiel des universitaires la profondeur d’un sujet « logique » pour l’infinitif imaginer –, et d’ordonner ces transformations au mieux des intérêts de la formalisation descriptive [22].

Mais, et ce mais est pour nous d’une importance capitale, comment ne pas voir dans cette ingénieuse reconstruction des données du langage, et quel que soit le progrès accompli (il n’est plus question là de nier l’évidence des faits en conférant au sujet de la principale une prévalence sur celui de la subordonnée, mais très différemment de retrouver, quel que soit le sujet de « la configuration de surface », la dominance d’un sujet « logique » dans les noeuds de la profondeur), comment ne pas voir que la difficulté soulevée dans l’analyse de la phrase par le statut de l’infinitif se contourne d’autant plus aisément qu’elle est dès le départ résolue ? Postuler en effet en un a priori théorique la relation du sujet et du prédicat comme logiquement première, et se dispenser ainsi. de la fonder, a tout le moins de la définir syntaxiquement, c’est traiter d’emblée, dans la profondeur structurale, le cas de la proposition infinitive comme celui de toute proposition. Que telle école grammaticale assimile alors l’infinitif à un verbe personnel dont en surface il représentera l’effacement partiel, que telle autre choisisse plutôt, pour harmoniser les données de la base, de reconstituer a l’infinitif toutes les séquences nucléaires de la sous-jacence, ou que soit postulée une transformation spécifique, la transformation affixe, qui permette d’opérer dans l’une ou l’autre direction (verbe fléchi ou verbe non fléchi) selon les circonstances, le traitement du problème de l’infinitif ne se pose plus en termes d’intégration, syntaxique ou conceptuelle, immanente au langage, mais en termes, on le voit, de reconstruction par le linguiste et de reconstruction formalisante [23].

C’est donc bien du côté de la conception de la grammaire qu’il faut porter l’interrogation à ce point de la réflexion pas de raisonnement qui ne bute sur la question qui gouverne toutes les autres dans l’analyse de la phrase où situer le problème de l’infinitif et de sa relation au sujet ?

Dans 1’organisation inhérente au message comme le suggère 1a coexistence de phrases aussi semblables par le mode d’enchaînement de leurs verbes (V1 trop…pour V2 inf.) et néanmoins aussi différentes par l’élaboration de leur contenu que celles de la série suivante :

« La question est trop sérieuse pour être négligée »
« La question est trop sérieuse pour la négliger »
« C’est une question trop sérieuse pour être négligé(e) » ?

Ou bien dans l’abstraction formalisante de la démarche linguistique ainsi que le veut la grammaire générative qui conduit le descripteur, d’opération en opération, à construire la grammaire des phrases qu’il étudie lors même que la syntaxe sous-jacente à ces phrases les lui a livrées comme déjà formalisées ? [24]

La construction de l’infinitif, loi du langage ? ou loi de la démarche modélisatrice du langage ? Il importe de trancher la, au point de départ de la théorie ; sauf à préférer le principe d’une esquive, et le déport vers l’ambiguïté d’un mode d’analyse qui, concevant l’engendrement du message verbal par la matrice transformationnelle, et donnant ainsi d’emblée au grammairien le pouvoir de médiation, se condamne – s’autorise – à glisser en permanence du modèle de l’énoncé au modèle de la compétence du locuteur-linguiste, et de la logique des processus grammaticaux qui formalisent la phrase à celle des procédures descriptives qui permettent, les analysant, de les formaliser [25].

Témoin, dans le cas de la phrase en pour, le statut de l’effacement verbal que représente l’infinitif lui-même, effacement qui est décrit et démontré à partir d’opérations effectuées sur le verbe, soit par la substitution de l’affixe d’infinitif au morphème dominé par le constituant Temps – V + tps → V inf. – soit par la réduction des désinences du verbe fléchi et le blocage de sa variabilité, et d’opérations qui, montées et menées par le linguiste, sont néanmoins dans le même temps imputées à la grammaire immanente au message, sans qu’on puisse jamais, d’ailleurs, en cette aventure parfaitement ambiguë du point de vue formel (est-ce le grammairien, ou la grammaire, qui fonde le paradigme verbal ?), savoir si la syntaxe est concernée et comment.

Témoin aussi et surtout l’effacement du sujet de l’infinitif à partir de sa projection en profondeur dans l’indicateur syntagmatique sous-jacent. Le fait que ce soit le descripteur qui alors prenne en charge l’indexation de ce sujet pour mieux procéder ensuite à son effacement illustre bien le phénomène de glissement dont nous parlons :

Énoncé : « Le ministre a une autorité assez forte pour arbitrer le différend »
Opération 1 : « Le ministre a une autorité assez forte pour (le ministre) arbitrer le différend »
Opération 2 : « Le ministre a une autorité assez forte pour Ø arbitrer le différend »

Alors même que, on le voit bien dans le processus d’analyse, c’est une chose de désigner, d’indexer (opération l) le sujet de l’infinitif, et une autre de saisir, parce qu’il est déjà-là, le vide grammatical que cette opération de repérage du sujet a précisément pour fonction de récuser – sinon, soulignons-le avec force, elle n’aurait pas lieu d’être [26], ce sont la deux moments de l’analyse qui sont par la démarche transformationnelle exactement situés sur le même plan, celui de la procédure de traitement du langage : au linguiste d‘effacer le sujet pour retrouver le vide grammatical, à lui donc de le désigner au préalable pour pouvoir procéder ensuite à son effacement. Et c’est bien là qu’au terme du glissement entre grammaire, analyse de l’énoncé, et compétence descriptive, l’impasse se referme car en commençant par combler le vide pour le reconstituer ensuite :

1 « … pour sujet infinitif »
2 « … pour Ø infinitif »

le grammairien s’ôte tout moyen de montrer que de ces deux opérations l’une (et c’est celle qui est renvoyée en 2) est par sa négativité, et sa négativité formelle, implicite, immanente (V1 trop… pour Ø infinitif), le tremplin grammatical de l’autre. Il y a alors dans l’ordre des opérations retenu – indexation, puis effacement du sujet pour l’infinitif – de l’illogisme et plus encore. Car ce n’est pas seulement l’œuvre de la forme, telle qu’elle se manifeste dans et par la syntaxe, qui est totalement oblitérée ; on voit bien aussi que l’analyste, ainsi coupé de l’analyse opérée par la forme, n’a plus d’autre principe directeur que celui que lui imposent, avec l’application du postulat prédicatif (P → SN + SV), les exigences de la compétence descriptive [27] : à lui pour faire le vide d’établir à tout le moins la trace en profondeur du terme qu’il doit effacer pour aboutir transformationnellement à la structure de surface. D’où les avatars d’un sujet qui, repéré comme absent (« … pour arbitrer le différend »), est aussitôt constitué comme présent (« … pour le ministre arbitrer le différend ») puis renvoyé de nouveau à son absence (« ...pour Ø arbitrer le différend ») en un savant système d’opérations sur le langage. Dans ce parcours solidement programmé, de la surface à la profondeur et de la profondeur à la surface, il nous apparaît que l’explicitation, le déploiement des données du message, a dispensé d’une explication, et d’une explication nécessairement liée à l’antécédence logique de la forme en syntaxe [28].

Autre illustration de ce glissement entre langage et linguistique, le traitement de la phrase ambigue où chacun voit bien que le repérage des sujets possibles (soulignons l’adjectif) n’est pas pris en charge par la forme en syntaxe mais assumé entièrement par le descripteur :

« L’État a là un adversaire trop roué pour se mesurer avec lui »
l’état ? L’adversaire ?

Qu’il n’y ait dans l’énoncé aucune indication permettant de désigner pour l’infinitif tel sujet plutôt que tel autre, mais des virtualités offertes à l’explicitation linguistique, voilà qui constitue à nos yeux le point-fondamental. Car, à moins de prendre l’ambiguïté, ou pour mieux dire l’impropriété inhérente à la structure pour un défaut du langage, et d’évacuer le problème de sa constitution en travaillant d’emblée à la réduire, on est tenu de constater que l’activité du sujet parlant ne se déploie dans le cas de l’exemple cité qu’à partir d’une organisation syntaxique où la présence de l’infinitif est source d’ambivalence ; une ambivalence que le subjonctif permet certes de contourner s’il est porteur de son sujet de verbe conjugué :

« L’État a là un adversaire trop roué pour que cet adversaire se mesure avec lui »

Mais si d’aventure ce sujet n’est pas exprimé devant le subjonctif [29], il apparaît que le vide de l’anaphorique recrée pour le second membre de la phrase la même ambivalence :

« L’État a là un adversaire trop roué pour qu’il se mesure avec lui »

Tout est donc bien problème de vide grammatical, et de vide établi par la forme dans le modèle qu’elle impose au langage – par la forme, et non par le sujet parlant, locuteur-récepteur-descripteur de l’énoncé.

Autant dire que même si dans l’esprit du linguiste qui se rallie au transformationalisme la grammaire de la phrase ne se confond pas avec la construction-déconstruction-reconstruction qu’il lui impose, même si le grammairien pense, en créant de la cohérence en profondeur là où il y a superficiellement du disparate et de l’ambigu, retrouver la logique de l’ordre grammatical, rien dans sa démarche analytique et plus précisément dans la reconstitution pour l’infinitif du lien propositionnel (agent-procès) concevable par le sujet parlant, et par la compétence du descripteur, ne contribue à dissiper la confusion qu’au nom de son pouvoir d’abstraction, et sous couvert de grammaire, la théorie établit entre l’implicite et l’explicite, la forme et la formalisation descriptive, le modèle incorporé au langage et celui que conçoit pour lui le théoricien. Écrasement de la perspective dont témoigne à nos yeux le système d’opérations et de manipulations-effacement, adjonction, contrôle (ou commande) auquel se trouve soumis l’infinitif, ou le message ambigu dans lequel il paraît.

Que le linguiste alors série ou recompose les données de la construction infinitive, c’est toujours à l’image de son propre savoir qu’il façonne la phrase, et ce sont toujours les lois de sa propre logique qu’il met en œuvre dans le dispositif d’effacement ou d’adjonction, d’indexation ou de transformation, ce ne sont pas celles du langage, dont la capacité structurale échappe d’emblée à l’investigation, si bien qu’en un jeu de miroir inversé les processus syntaxiques, promus à l’existence par voie d’hypothèse, ne sont pris en considération que pour être d’abord soumis à discipline argumentative [30].

Une autre difficulté encore : on a vu que la formalisation de l’opération de réduction à l’infinitif se fait à partir de structures profondes où, dans son rapport au sujet, le verbe non conjugué est traité de la même façon que le verbe conjugué, l’un et l’autre devenant noyaux prédicatifs de la phrase matrice avant de relever de procédures distinctes dans le passage de la sous-jacence à la surface. Or il apparaît que tout dans ce mouvement vers la profondeur conduit l’analyste à glisser, au gré de ses manipulations, de l’ordre syntaxique (la relation sujet-verbe) à l’ordre paradigmatique (l’opposition du verbe fléchi et du verbe non fléchi), comme on le voit bien avec la procédure d’effacement qui passe, sans solution de continuité, de la réduction du sujet de l’infinitif à celle de ses affixes verbaux (« pour que le temps passe → pour qu’il passe → pour passer »), comme on le voit aussi avec l’argument du sujet « perdu« pour l’infinitif, un sujet dont il reste à tout 1e moins « la trace » dans la « forme logique », alors que le verbe conjugué est tour à tour crédité d’un sujet « logique » de type matriciel et d’un sujet grammatical, gouverneur de l’accord, de type superficiel [31]. Impossible dès lors de cerner le statut formel du pronom préverbal : affixe constitutif du mot verbal ? ou bien terme lié à ce mot verbal dans et par la relation constitutive du syntagme sujet-verbe ? Il marche (vs la marche) ? ou bien il ↔ marche ? À moins de faire de la syntaxe, et par écrasement à l’horizontale des axes d’analyse, le déploiement des possibilités paradigmatiques du verbe [32] (ainsi passe-t’on de la catégorie à la fonction sans fonder l’existence de la catégorie) avec toutes les difficultés qu’engendre ce point de vue dès que le verbe, construit à l’infinitif, s’écarte syntaxiquement du « verbe conjugué » sans quitter pour autant le paradigme verbal, il est clair que l’impasse se referme sur la circularité d’un raisonnement purement tautologique : le verbe est conjugué parce qu’il a un sujet explicite, le verbe a un sujet explicite parce qu’il est conjugué ; et de même, mais en négatif, pour l’infinitif qui n’étant pas conjugué n’a pas de sujet explicite... [33]. En tout état de cause, et sauf à vouloir maintenir, à propos de grammaire, une ambiguïté définitionnelle de confort, ambiguïté de confort car elle dispense le grammairien de traiter de la rationalité de son objet – tout en légitimant à ses yeux la rationalité du traitement qu’il lui impose, à cet objet, en le formalisant –, il serait bon de changer de regard sur la syntaxe et, rompant avec la conception d’un modèle sorti tout armé du cerveau du linguiste, de renvoyer l’analyse à des principes d’immanence. Au langage de révéler au grammairien l’organisation syntaxique qui le spécifie et dont la capacité structurale permet seule de comprendre celle que contradictoirement met en œuvre le locuteur dans la construction prédicative de la phrase. En d’autres termes, et sous la relation sujet, lire comme distincts le lien de complémentarité mutuelle (sujet ↔ verbe) qu’établit implicitement la syntaxe (et dont témoigne le « gouvernement de l’accord » dont parle Chomsky) et le lien qu’explicitement le locuteur reconstruit par enchaînement des concepts au sein de la proposition (agent ↔ procès). Mais alors et surtout, inversant la perspective théorique, passer non plus de la sous-jacence prédicative, la « forme logique », à la surface d’un sujet grammatical, mais bien plutôt d’un principe relationnel qui relève de l’abstraction de la forme en syntaxe, à la performance d’un lien conceptuel dont la raison d’être n’est autre que de contester le vide de l’instance [34].

3 Vers un autre regard sur l’infinitif prépositionnel et sur son sujet

Et peut-être, posant ainsi dès le départ l’existence d’un double univers du langage, l’univers de l’implicite où se forment les complexes de mots que la syntaxe impose au locuteur, et l’univers de l’explicite où se manifeste la compétence du locuteur, une compétence d’autant plus active alors qu’il lui faut, travaillant sur du préconstruit, reconstruire, et reconstruire en en refusant le formalisme, l’ordre des relations syntaxiques établies par la médiation de la grammaire, peut-être alors, séparant enfin le problème de l’infinitif et de sa syntaxe, du problème du verbe et de son sujet, devient-il possible de comprendre à la fois l’indifférence du mode impersonnel à un sujet formel (grammatical) et la constance de sa relation à un sujet propositionnel (sujet conceptuel).

Si en effet l’analyse de la phrase en pour – « Le ministre a suffisamment parlé pour rassurer l’opinion » – est d’abord l’analyse d’une analyse déjà opérée par la forme en syntaxe, il devient possible de dire sans la moindre contradiction dans les termes que le sujet n’appartient pas à la syntaxe de l’infinitif – « Le ministre a suffisamment parlé parlé pour rassurer l’opinion » – lors même qu’il relève de son expansion rhétorique (« pour rassurer l’opinion → pour que le ministre rassure l’opinion »).

Qui plus est, si le linguiste renonce à projeté d’emblée sur l’énoncé à l’infinitif les données de sa compétence prédicative, il peut, allant plus loin dans sa visée explicative, lire dans la réévaluation propositionnelle de l’infinitif l’œuvre d’un locuteur qui, confronté à l’évidement formalisateur de la structure syntaxique, et contraint d’en récuser la négativité pour l’adapter au sens a dire est appelé par là-même à doter performantiellement l’infinitif d’un sujet qu’instanciellement il n’a pas.

Encore faut-il qu’en se dédoublant ainsi pour isoler le principe du syntagme de sa reconstruction par le jeu de la prédication, notre analyse examine plus attentivement le rôle joué par l’infinitif dans la relation, qui, formellement, sous-tend la phrase en pour.

3.1 L’infinitif en pour : statut syntaxique

De cet infinitif, il est convenu de dire qu’il complète le verbe principal et que la préposition pour qui l’introduit comme complément est elle-même liée à l’adverbe antécédent :

« Le gouvernement a trop parlé pour convaincre l’opinion »
« Le gouvernement a suffisamment parlé pour rassurer l’opinion »

Or si, réduisant l’énoncé à ses verbes – « il a trop parlé pour convaincre » –, et dépassant la matérialité des éléments discontinus qui s’offrent alors à l’observation, on porte l’attention sur la relation qui fonde l’un et l’autre des deux mots comme unités partielles d’un tout, on voit bien que le lien d’un verbe a l’autre dans la phrase n’est pas de dépendance mais d’interdépendance [35]. Pas de verbe qui, déterminé par l’adverbe (trop, assez, suffisamment) n’appelle grammaticalement [36]la présence de l’infinitif en pour — « Il a trop parlé → pour infinitif », mais aussi et réciproquement pas d’infinitif en pour qui, saisi dans l’ordre abstrait de la syntaxe, ne présuppose la présence d’un terme complémentaire, qui est ici celle d’un verbe adverbialisé : V adv. ← pour convaincre.

La notion de complément, et c’est le point qu’il importe de souligner, apparaît donc comme coextensive à l’un et l’autre des deux termes qui composent le « système corrélatif » : en perdant son autonomie, chacun des verbes appelle l’autre à l’existence, et c’est sur un principe de réciprocité dans la complémentarité que s’instaure le syntagme [37] :

« Il a trop parlé ↔ pour convaincre ».

Que l’intégration des verbes soit alors solidairement dénotée par l’occurrence de l’adverbe trop et de la préposition pour, préposition qui constitue l’invariant de la marque du syntagme, un simple coup d’œil permet de le noter. Mais tout dans l’univers de l’abstraction imputable à la forme explique que cette solidarité des fragments, des partiels de la marque, ne se saisisse pas seulement dans la présence d’éléments matérialisés, positivés comme le sont trop et pour, ni même dans leur rapport contextuel (trop… pour). Puisqu’elle repose sur un principe d’annulation du mot – il y a par la relation sous-jacente identification de la pluralité des mots [38] –, la composition du syntagme qui, avec trop et pour se donne à voir concrètement, en positif, en plein, en plus en quelque sorte – « Il a parlé + V2 → il a trop parlé pour V2 » –, peut tout aussi bien se dénoter abstraitement (abstrahere), par réduction, en négatif, en creux, en moins, d’où le cas de l’infinitif, ce verbe « non fini » qui manifeste par le figement qu’il représente 1e processus même de réduction, d’effacement grammatical, à des fins d’intégration syntaxique soit à partir des mots verbaux – il a parlé, il convainc – le complexe unitaire : « il a trop parlé pour convaincre ».

Aucune intervention du sujet parlant, ni du descripteur, dans cette réduction c’est la grammaire qui, constituant implicitement les mots en un seul ensemble de termes mutuellement solidaires, efface, anéantit l’autonomie du second verbe (« pour convaincre ») par le blocage de ses possibilités de variation. Ainsi l’infinitif est-il par défaut, par excellence donc dans la signification du zéro [39], modalité syntaxique du verbe.

Ce qui importe d’ailleurs, face à la relation syntaxique telle qu’elle émerge de l’ordre de la forme, ce n’est pas de repérer un à un chacun des types d’effacement mis en œuvre ni l’adverbe, ni la préposition, ni l’infinitif ne valent là par eux-mêmes, mais ensemble et solidairement par le rapport qui les lie dans le schème, et c’est le bloc, le réseau de ces divers effacements [40], qu’ils soient ou non matériellement isolables et représentés par un segment, qui est spécificateur du syntagme :

« Il a trop parlé pour convaincre »

On comprend donc, face à ce rapport d’implication corrélative par où se dit l’instance d’une relation imputable à la forme, que nul ne puisse, sauf artefact ou réduction de principe, limiter l’étude de la construction à celle des systèmes à deux verbes : V1 trop... pour V2. Au regard du mode d’intégration (Mot l trop... pour mot 2 ?) comme au regard de la relation qu’il dénote (mot 1 ↔ mot 2), il est clair que la syntaxe construit le schème sans faire acception du type de mot comxnmé. Ainsi l’infinitif, pour garder ici un point de perspective unitaire, est-il tour à tour lié à un verbe ou à un nom, à un adjectif ou à un adverbe, sans que la relation formelle sous-jacente à l’ensemble des termes intégrés en soit multiple pour autant :

« Il a trop chanté pour danser (maintenant) »
« Il y a là trop de gens pour danser (maintenant) »
« Les gens sont trop fatigués pour danser (maintenant) »
« Les gens vont trop vite pour danser (maintenant) »

S’il y a pluralisation, ce n’est pas du schème en « trop… pour », mais de ses cas [41] et le principe syntaxique est le même qui, mettant en jeu à des fins d’intégration la non-finition du verbe (danser) [42], le lie tour à tour et quel qu’en soit le type (verbe ou nom, adjectif ou adverbe) [43] à son complémentaire :

V (N, adj, adv) trop... pour infinitif [44]

Il n’en est pas moins vrai qu’en s’articulant à d’autres lors de la constitution de la phrase, le complexe de mots ainsi défini peut ici ou là compliquer et parfois considérablement l’analyse du grammairien :

« Les gens vont trop vite pour danser maintenant »
« Trop de gens sont là pour danser maintenant »

Mais c’est alors un tout autre problème puisqu’il y va de l’articulation des ensembles de mots construits par 1a syntaxe [45].

Notons plutôt, pour en revenir au syntagme en trop...pour, qu’en dehors de la saisie de ce complexe de mots, nul grammairien ne saurait déterminer la liste des adverbes concernés (quoi de commun à trop, assez, suffisamment, sinon précisément de se retrouver là en corrélation avec pour ? [46], ni même, et c’est un point qu’il importe de souligner, rapprocher l’infinitif du mode qui partage son sort dans ce cadre. Rien en effet sinon l’antécédence logique du syntagme n’autorise le grammairien à traiter là d’infinitif ou de subjonctif, et moins encore du rapport de ces deux modes. Mais tout dans la définition du cadre syntaxique (mot 1 adv… pour V) conduit, contraint, le grammairien à considérer le principe de l’alternance modale – mot 1 adv ... pour V (inf. /subj.) :

« Les premières déclarations comportent trop de lacunes pour accréditer la version des faits / pour que soit accréditée la version des faits »

Encore faut-il dès lors tirer les conséquences de cette émergence à la forme,car s’il est impossible d’envisager l’alternance de l’infinitif et du subjonctif sans rapporter le verbe ainsi construit à la relation d’intégration qui lui donne statut d’existence, alors il devient impossible aussi de partir, comme on le fait en grammaire générative, de l’un de ces deux modes pour justifier la présence de l’autre après pour.

Fonder sur le rapport du subjonctif et de l’infinitif l’existence d’un lien dont seule la reconnaissance permet de concevoir qu’on mette le subjonctif et l’infinitif en rapport, ce n’est pas seulement fausser le départ en occupant d’emblée la ligne d’arrivée, c’est aussi par la positivation de l’un des termes du rapport – et peu importe alors que ce soit celui-ci plutôt que celui-là, et qu’on passe du plein (le subjonctif) au vide (l’infinitif) ou inversement, de l’infinitif au subjonctif –, c’est aussi évacuer le problème de leur existence relative et la compréhension de leur variation au sein du cadre abstraitement déterminé par la syntaxe [47].

Reconnaître en revanche que le subjonctif et l’infinitif n’ont ici d’autre statut que celui que leur confère leur commune appartenance au schème, et constater que d’un mode à l’autre en un même point de la marque du syntagme [48] la seule différence est dans le type de figement – à un verbe conjuguable mais très restreint dans ses latitudes temporelles : « Il en a trop dit pour que son discours nous convainque » – s’oppose un verbe non conjuguable et plus encore restreint dans ses possibilités de variation : « Il en a trop dit pour nous convaincre » – c’est voir que l’alternance des modes trouve ailleurs sa raison d’être en syntaxe.

Et tout montre alors que c’est précisément par cette distinction (inf. / subj.) que la grammaire se donne syntaxiquement le moyen d’ouvrir et de fermer le verbe en pour à la relation sujet : d’où pour le locuteur la possibilité de produire tour à tour et dans le même cadre l’énoncé : « Il en a trop dit pour que ses propos convainquent », où il y a mise en place d’un sujet syntaxique après pour et l’énoncé « il en a trop dit pour convaincre » d’où cette virtualité formelle est exclue [49].

Subjonctif et infinitif sont donc, dans l’identité de leur relation au verbe adverbialisé (« il en a trop dit pour... ») l’un et l’autre liés par distribution complémentaire. Le schème qui sous-tend l’ensemble des mots admet-là deux variantes combinatoires. Pour l’une de ces variantes, le sujet est de syntaxe, non pour l’autre.

Autant dire que face au problème du « sujet » de l’infinitif, ce n’est pas seulement à une déconstruction du concept de sujet que conduit la reconnaissance de l’implicite grammatical – 1e subjonctif a un « nominatif », l’infinitif n’en a pas, alors que l’un et l’autre, pour devenir prédicats et membres de proposition, appellent à l’existence le principe d’un « substantif » (substantif ↔ prédicat) –, c’est aussi à un renversement radical du raisonnement en vigueur aujourd’hui que mène la soumission : l’analyse à une analyse déjà opérée par la forme.

Loin de voir en effet dans l’identité des sujets verbaux et dans le jeu de la coréférence la raison d’être de l’infinitif en syntaxe comme le veut l’ordre des opérations dans le cycle des règles de la grammaire-noyau [50].

1 « Le ministre a suffisamment parlé pour que le ministre persuade (l’auditoire) »
2 « Le ministre a suffisamment parlé pour persuader (l’auditoire) »

C’est au contraire dans la relation d’intégration syntaxique, et plus abstraitement dans le processus d’effacement qui est, par réciprocité dans la complémentarité, fondateur du schème – mot 1 trop... pour infinitif – et, en particulier, V1 trop... pour inf. – que se situe le tremplin de l’activité que déploie le locuteur dès que, travaillant à le rendre prédicatif, il construit l’infinitif par rapport à un « substantif » :

1 « (Le ministre) a suffisamment parlé pour persuader (l’auditoire) »
2 « Le ministre a suffisamment parlé pour persuader (l’auditoire) »

Si le sort de l’infinitif se joue dans la phase l, phase implicite et proprement grammaticale du dire, c’est dans la phase 2, phase explicite et seconde de ce dire, que se joue le sort de son sujet. Et l’on voit nettement là qu’en se dédoublant la rationalité inhérente au langage construit deux univers qui ne coïncident, pas [51]. Mais il y a plus, à reconnaître du moins la contradiction – en l l’infinitif n’a pas de sujet, il a un sujet en 2 – que révèle le rapprochement de ces deux phases ; ce qui apparaît en effet, c’est que l’infinitif est l’enjeu d’un conflit entre deux modes d’intégration et deux modes d’intégration l’un à l’autre liés par l’antinomie de leur visée. À l’effacement formel dont la syntaxe est porteuse et qui détermine par le jeu de la variation modale l’impropriété de l’infinitif à la relation sujet (pas de « nominatif » pour lui, mais un nominatif pour le subjonctif) répond contradictoirement, et par contestation de la négativité de la forme, la positivation d’un lien rhétorique (agent ↔ procès) qui n’est plus affaire d’expansion [52] :

1 « Le ministre a suffisamment parlé pour persuader l’auditoire »
pour * son discours persuader l’auditoire [53] (3)
pour que son discours persuade l’auditoire)

2 « Le ministre a suffisamment parlé pour persuader l’auditoire »
→ le ministre persuade l’auditoire

On comprend mieux alors qu’appelé par le principe de cette dialectique à nier l’indifférence grammaticale de l’infinitif envers le nominatif, le locuteur soit conduit pour le doter d’un substantif à l’exercice d’une activité d’autant plus riche de stratégies que passant là d’une absence grammaticale à une présence rhétorique, ou, pour mieux dire, d’une négativité à une positivation, il se trouve, dans ses choix, affranchi des sujétions de la forme [54].

Rien d’étonnant, donc, qu’on le voie dans la construction de son message tour à tour proposer pour les deux verbes de la phrase un seul et même sujet-agent [55] alors que ce sujet n’est grammatical que pour le premier d’entre-eux :

« Cette vaste couche intermédiaire entre les gros et les prolétaires présente une physionomie suffisamment particulière pour mériter l’appellation de classe »

Ou proposer dans la même phrase deux sujets-agents distincts, un pour chaque verbe (et c’est alors que 1e second, n’ayant plus rien de formel, vient jouer dans l’énoncé un autre rôle grammatical) :

« L’écrivain envisage de mettre en place des présidents-directeurs assez intelligents pour ne jamais éditer un livre invendable »

Ou bien encore doter l’infinitif d’un « substantif » extérieur à la phrase, voire, nous reviendrons là-dessus plus en détail, extérieur au message et totalement dépendant de la situation d’énonciation :

« Les divergences d’intérêt sont encore trop grandes pour imaginer qu’une telle perspective soit proche »

Mais si de telles latitudes de construction donnent clairement a voir, par leur pluralité, que pour être par rapport au subjonctif grammaticalement privé de « nominatif », l’infinitif n’en est que plus riche de tous les sujets qui peuvent lui advenir dans la conjoncture du message, elles montrent aussi et surtout que désormais dans l’aménagement de la phrase son sort comme prédicat ne dépend plus que des lois d’une organisation dont la cohérence n’est plus dans la structure de l’énoncé, mais dans la situation de son énonciation.

3.2 Le sujet de l’infinitif en pour : statut rhétorique

Tout en reprenant en effet, sur le modèle de la forme en syntaxe, le mode d’intégration par complémentarité réciproque (substantif ↔ prédicat) – dans le réaménagement par où se nie le formalisme de la structure, autre est le découpage, mais identique le principe d’analyse [56]–, l’opération à laquelle on donne communément le nom de préposition, pour lui substituer aujourd’hui et très réductivement celui de phrase (SN ↔ SV), est une opération qui prend en compte, et le cas de l’infinitif n’est qu’un parmi d’autres, l’ensemble des circonstances par où s’élabore l’énoncé.

Ainsi le locuteur qui propose le verbe comme procès en le liant à un sujet-agent le met-il en rapport tout aussi bien avec un terme présent dans le contexte des mots qui l’entourent qu’avec un terme absent de ce cadre, et totalement dépendant de la situation de parole.

D’où pour l’infinitif, la différence observable entre :

« L’Occident a trop de problèmes pour se mêler de ceux des autres »

et « Certains axes ont assez de largeur pour y aménager des pistes cyclables »

Ou encore :

« Le parti a trouvé suffisamment de mécontents pour le suivre »

et « Il y a suffisamment de possibilités pour envisager une autre solution »

Tout est alors, dans la dynamique du sens, affaire de lignes de force et d’orientation de la conception du « sujet » dans le message.

Que l’opération sujet épouse les limites de la phrase, et il suffit que l’infinitif soit syntaxiquement lié à un contexte où paraît un verbe conjugué pour que la présence auprès de ce verbe d’un sujet grammatical, qui est aussi pour lui terme de proposition, constitue, lors de l’intégration de l’infinitif comme procès, un pôle de référence. Pôle privilégié sans aucun doute, mais pour des raisons qui relèvent plus des lois de l’information que d’une quelconque prévalence hiérarchique :

« Les leaders du parti ont suffisamment d’adresse pour ne pas se brouiller avec leurs anciens protecteurs »

« M. Pastore ne se démarque pas suffisamment de la ligne hyper-liberale pour rassurer les syndicats »

Si pour l’un et l’autre des deux verbes il y a là identité de sujet, c’est que le message se construit par annulation d’un choix, celui d’un sujet propre à l’infinitif. La lecture de la phrase comme un ensemble unitaire doit tout alors à la redondance de l’information (plus qu’à la vertu d’une coréférence), et la cohésion de ses verbes tout à une factorisation (un sujet pour deux verbes) et à l’économie d’une répétition. Nul gage en cela, et quoi qu’on en ait pu, traditionnellement, penser, d’une clarté propre au génie de la langue, mais à coup sûr l’exploitation, rhétorique, de la portée d’un choix :

« Le promoteur a engagé des intérêts trop importants pour les sacrifier maintenant »

C’est dire que le locuteur peut aussi, restreignant la portée de ce choix, déterminer l’infinitif comme procès en le mettant en rapport avec le nom le plus proche de lui. Ainsi le verbe impersonnel reçoit-il un sujet qui n’est plus celui du verbe antérieur :

« De la Maison Blanche au Vatican, on tente d’arbitrer des conflits trop présents pour être tolères »
« Il s agit d’enfermer le leader du RPR dans sa situation de minoritaire trop radical pour être à même de rassembler »
« Le Président a trouve suffisamment de syndicalistes pour répondre a ses questions »

Mais si l’infinitif a désormais son sujet, rien pour autant n’a changé dans le principe de la relation propositionnelle : sujet ↔ procès à l’infinitif. On ne s’étonnera donc pas de pouvoir, là encore interpréter la construction en termes de co-référence [57], surtout si le sujet est, en tant que nom, syntaxiquement lié à un adjectif ainsi, et pour reprendre deux des exemples cités – On tente d’arbitrer des conflits trop présents pour être tolérés – Les conflits sont présents – Les conflits ne sont pas tolérés – mais aussi, puisque la copule par être finit toujours par se plier aux exigences de la paraphrase [58]– Il a trouvé suffisamment de syndicalistes pour répondre – Les syndicalistes sont suffisamment nombreux – Les syndicalistes répondent ». Même persévération du sens, on le voit, sous le vide que conjure la répétition, mais un rétrécissement cette fois de l’espace où se donne à lire 1a redondance. Il est clair qu’opérant désormais, non par annulation, mais par positivation d’un choix dans le jeu de la restriction sélective, l’expansion créatrice du rapport de l’infinitif à son sujet le fait par le regroupement des termes en cause, et nécessairement alors, par l’inclusion de leur espace relationnel dans le cadre, plus large, de la phrase – si phrase il y a :

« Le résultat est dû à une reprise assez forte pour permettre la création d’emplois »

Qu’on puisse ici, mais non ailleurs, cerner la construction infinitive dans l’indépendance de ses frontières, montre bien la nécessité où se trouve le linguiste de distinguer l’opération productrice du résultat produit :

« L’affaire est trop grave pour ne pas être traitée dans un esprit d’unité nationale ».
« Le mécontentement gagne les enseignants trop individualistes pour se faire représenter ».

Quel que soit en effet l’espace qui lui est accordé, et mesurable ou non par rapport a celui de la phrase où elle s’actualise, la relation de l’infinitif a son sujet n’en est pas moins la même, saisie dans l’ordre qui la crée. Et peu importe qu’ici elle coïncide avec la phrase et là avec le syntagme, puisqu’au total contingente est la superposition.

Parler alors et comparativement de contrôle ou de dominance du sujet principal, dans l’un des deux cas, et dans l’autre de distanciation minimale, c’est préciser assurément les données du problème rhétorique, mais en liant, au sein de la phrase, la restriction sélective a un principe de concurrence [59]. Or l’essentiel est bien de voir que ce sont là, offertes au choix du locuteur-constructeur de l’énoncé, deux possibilités de connexion sémantique – deux parmi d’autres d’ailleurs car tout peut aussi se jouer en dehors des limites de la phrase – et qu’à moins de prendre la fréquence du cas pour la règle comme le voulait la tradition en exigeant pour le verbe au mode impersonnel le sujet de la principale, il est strictement impossible de confondre la construction avec l’un, quel qu’il soit, de ses modes de réalisation. On peut certes, pour comprendre les faveurs qu’à l’un de ces tours ont accordées les grammairiens du passé, tenter d’en apprécier le rendement [60], et se tourner pour cela vers les conditions dans lesquelles s’actualise, par rapport à l’infinitif, tel sujet plutôt que tel autre.

Mais tout dépend alors de l’organisation contextuelle qui, pour présenter généralement un verbe conjugué, et donc bien souvent un sujet nominal, n’a pas nécessairement dans le message un ou plusieurs complément(s) de même type ; ainsi est-il beaucoup d’énoncés où règne sans conteste, ni contestation interne à la phrase, la loi du sujet de la principale [61] :

« Les pistes sont assez embrouillées pour ne pas imposer l’idée d’une affaire politique internationale ».
« L’événement est assez grave pour remettre en cause la victoire du second Israël ».
”Il y a là des faits suffisamment graves pour interroger l’Occident ».

Tout est fonction aussi du rôle que joue l’infinitif dans l’organisation de la phrase, et des contraintes que fait alors peser sur la combinatoire de l’ensemble des termes l’articulation des complexes de mots livrés par la syntaxe. Que l’infinitif soit directement lié a un verbe fléchi, et l’identification des sujets est de règle, si du moins le locuteur réussit a bloquer la possibilité, toujours vivante, d’une liaison avec l’extérieur du message :

« Le parti s’est suffisamment démarqué de ses anciens alliés pour offrir aujourd’hui un visage rassurant ».
« L’opinion a trop bien perçu les divergences pour ne pas s’en inquiéter »
« Garibaldi avait trop le sens de la nation pour être comparable aux grands chefs de l’Italie des communes ».

Mais que l’infinitif soit lié à un nom, ou â un adjectif lié a un nom, ou â un adverbe lié â un adectif lié a un nom, et ce n’est pas un, mais deux sujets qui sont pour lui concevables dans le cadre de la phrase :

« Le combat pour la défense de l’enseignement privé est une chose trop sérieuse pour être laissé aux seuls extrémistes ».
« Le combat pour la défense de l’enseignement privé est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls extrémistes ».
« Le gouvernement a suscité assez de mécontents pour décider de leur imposer un changement de politique ».
« Le gouvernement a suscité assez de mécontents pour décider de lui imposer un changement de politique » .

Sujets potentiels, et sujets dont il dépend du développement de la phrase qu’ils soient ou non des rivaux pour 1’infinitif. Rivalité ouverte dans :

L’appareil pédagogique n’a pas formé suffisamment de professeurs pour...
→ L’appareil pédagogique n’a pas formé suffisamment de professeurs pour résoudre aujourd’hui les problèmes que lui pose la rentrée.
→ L’appareil pédagogique n’a pas formé suffisamment de professeurs pour lui permettre de résoudre aujourd’hui les problèmes que pose la rentrée.

et par suite, là où s’efface aux yeux du récepteur toute trace de l’opération sélective, concurrence porteuse d’interrogations :

L’appareil pédagogique n’a pas formé suffisamment de professeurs pour assurer aujourd’hui la rentrée.
L’appareil pédagogique ? les professeurs ?

Mais rivalité qui s’éteint par ailleurs :

« Le ministre veut sortir l’appareil pédagogique d’une situation de pénurie trop grave pour être tolérée plus longtemps ».
 ? ? Le ministre veut sortir l’appareil pédagogique d’une situation de pénurie trop grave pour la tolérer plus longtemps.

Tout montre que l’on retrouve ici les problèmes que pose la redondance de l’information ; et, dans les difficultés, ci-dessus décelables, de sa transmission au travers de la zone de conflit, ce qui est en cause, c’est moins peut-être la hiérarchie des constituants de phrase – encore qu’elle entre en ligne de compte -, et moins la distance qui se creuse entre rivaux potentiels – plus l’un s’éloigne, et plus l’autre a de chances de s’imposer – que l’exigence, s’il y a persévération du choix initial, celui du sujet du verbe conjugué, l’exigence d’une conservation de l’information dans le lieu où précisément se joue, ou va se jouer, la possibilité d’une interruption. Menace de rupture conjurée dans les exemples que voici et malgré leur déploiement [62] :

« Les partis politiques ont assisté depuis deux ans à une aggravation du chômage et des conditions de travail assez spectaculaire assurément pour s’en inquiéter ».
« Peut-être Monsieur Savary méditera-t-il sur l’inconvénient d’imaginer des dispositifs trop subtils pour mener à bien des réformes difficiles ».

Ce sont d’ailleurs de tels exemples qui permettent de comprendre que, parmi les grammairiens de la tradition, certains d’entre eux aient pu invoquer « la logique », et non l’usage ou la fréquence du tour, pour privilégier résolument la loi du sujet de la principale dans les « systèmes » où paraît un infinitif propositionnel.

C’est exclusivement en effet grâce à cette « loi », et à la redondance informative qu’elle permet d’assurer sur l’espace des compléments, qu’il leur était possible, partant de l’unité phrase, de saisir tout à la fois et du même mouvement d’analyse, le principe de découpage syntaxique (sujet - verbe - compléments) et le principe de découpage sémantique (sujet - procès - objet - compléments) lisibles dans le message découpé. Envisager là pour l’infinitif d’autres lois que celle du sujet de la principale, c’eût été renoncer à toute superposition de ces univers, accepter de reconnaître que les deux découpages ne coïncident pas, et mettre alors en péril tout l’édifice théorique que fonde la conception de la phrase comme bloc unitaire de constituants hiérarchisés.

On voit mieux ainsi que si la loi du sujet doit sa fortune et à l’idée qu’on a pu se faire de son rendement, qui est certain, et à l’ idée qu’on a pu avoir de son fonctionnement, qui est de bonne économie dans la distribution de l’information au sein de l’entité phrase [63], il n’en serait pas moins grave de la confondre avec l’opération qui lui donne naissance, et qui reste la même sous la pluralité de ses modes de réalisation.

Et c’est pourquoi il importe, quittant le domaine où s’exerce le pouvoir de cette loi face à celui de sa concurrente, de regarder ailleurs que dans la phrase découpée par le locuteur (et promue au rang d’unité par le positivisme des grammairiens).

Tout montre alors qu’il est possible aussi bien, franchissant les frontières de ce cadre, de mettre l’infinitif en relation avec un sujet à lui venu de « l’extérieur », mais présent encore dans l’univers contextuel [64] :

« Nous ne pouvions entendre les questions. Mais les réponses étaient suffisamment claires pour connaître les intentions du navigateur. »
« Les stagiaires en redemandent. Huit mois, c’est trop court pour devenir formateurs ».
« Il y avait alors trop d’absents pour aboutir à une décision. La Société y a renoncé ».

Ainsi se tissent des liens, et des liens d’autant plus nombreux dans la trame discursive qu’il n’est bien souvent auprès de l’infinitif, à considérer du moins la phrase où il paraît, aucun nom susceptible de devenir son sujet :

« Il importe que vous vous expliquiez. Sinon, il sera trop tard pour participer au débat »
« Il est trop tôt pour parler ainsi. Les congressistes sont encore dans le flou ».

Il suffit donc que le message a l’infinitif soit par le locuteur coupé, désancré de l’univers des mots – ce qui n’exclut pas qu’il soit encore contextualisé – pour que l’information nécessaire sur ce point vienne exclusivement des « circonstances énonciatives » [65] :

« Il est suffisamment tard pour clore le débat ».
« Tout va trop vite pour prendre une décision maintenant ».
« Trop tard pour m’aimer ».

Dire là, comme on 1e fait si volontiers, que 1’infinitif a pour sujet le pronom impersonnel on (« Trop tard pour m’aimer → pour qu’on m’aime »), ce n’est pas seulement une généralisation abusive comme le montrent aisément les exemples que voici : « Il est trop tard pour te promener » - « Il est trop tôt pour nous lever » - Où nous laissons au lecteur le soin de décider s’il choisit pour l’infinitif on plutôt que tu dans le premier cas, et nous plutôt que on dans le second ; c’est aussi reconduire en le reformulant le vide qu’il s(agit conceptuellement de combler puisque le on ainsi proposé est lui même ouvert a tous les aléas de la désignation sujet [66] :

« C’est trop près pour ne pas aller le saluer ».
→ pour qu’on n’aille pas le saluer
on = je ? Tu ? il(s) ? les gens ? Pierre ou Paul ?

« Il y avait là trop de gens pour travailler ».
→ pour qu’on travaille
on = les gens ? Je ? Nous ? etc.

Là encore, impossible, on le voit, d’identifier la construction infinitive avec le type de relation sémantique que manifeste très circonstanciellement tel ou tel énoncé. C’est bien plutôt dans l’opération d’investissement, dont on a vu que tour à tour, et dans la diversité d’un programme qui doit sa variété a ce que la grammaire sur ce point reste neutre, c’est dans l’opération elle-même que se saisit l’unité du principe constructeur, non dans l’une, quelle qu’elle soit, et fût-elle largement privilégiée par l’usage, ou la logique, ou les préjugés, du locuteur, de ses modalités discursives :

« L’affaire était trop bien menée pour ne pas imposer l’idée d’une stratégie politique ».
« L’événement est d’une importance trop minime pour remettre en cause la victoire du parti » [67].
« L’affaire présente des aspects trop mystérieux pour ne pas retenir tout particulièrement l’attention de la police ».
« M. Gemayel le sait : les retrouvailles libanaises sont encore trop fragiles pour risquer sitôt de mettre a ma l’un de ses meilleurs atouts » .
« Il est trop tard pour ne pas chercher à dégager des solutions plus réalistes ; les différents partenaires en sont bien persuadés ».
« Le nouveau maire considérait que les travaux étaient trop engagés pour les arrêter ».
« Il est trop tôt pour soutenir qu’il a les dents longues ».

Et si au vu de ce programme il apparaît que l’interprétation de l’infinitif est affaire d’occasion [68], c’est bien que désormais le locuteur qui s’attache a construire, ou plutôt reconstruire, sélectivement le verbe par rapport a un sujet a toute latitude pour tirer de la conjoncture du message les types de sujet qu’elle lui propose.

Montrer alors que l’infinitif est tour à tour lié à un terme qui désigne l’émetteur (je) ou le récepteur (tu) ou l’objet de l’énoncé (il), éventuellement plusieurs de ces paramètres à la fois (nous, vous, eux), montrer aussi que ce lien désignateur du sujet est tour à tour rapport au texte ou rapport au « réel », à ce hors-texte qu’ailleurs on appelle le référent, ce n’est que mettre en évidence la loi qui préside à l’élaboration de tout message.

C’est en effet à l’ensemble de la situation que, pour les rendre adéquats au sens à dire, le locuteur réfère ses propos, et non, comme on a longtemps voulu le croire et le faire croire – et ce malgré bien des contre-exemples, mais en matière de langage comme en toute autre, Proust le savait bien, « la conviction crée l’évidence » [69] – non à un sujet de la « principale » sorti tout armé de quelque cerveau directif. Et pas davantage à un « sujet de phrase » venu tout droit de l’empyrée des universaux, et par là même en son absence toujours identifié avec le pantonyme que le sujet parlant se donne pour désigner l’universel humain : on.

On comprend mieux alors, puisque l’infinitif est la toujours gros de sujets éventuels, que le linguiste en vienne a rencontrer tant d’énoncés où le sens, se multipliant, semble avoir été construit pour exercer sa sagacité de récepteur-descripteur. Nous voulons parler de ces phrases, et il en a déjà été cité plusieurs, où rien ne vient préciser la stratégie retenue par l’émetteur dans l’actualisation de la relation sujet pour l’infinitif :

« Chaque participant a un émetteur de radio assez puissant pour donner sa position au moins une fois par semaine ».

Quel sujet pour l’infinitif de cette phrase ? chaque participant ? l’émetteur de radio ? On ? Par exemple, le journal qui rend compte de la course du rhum ?

« La croissance a provoqué des dégâts suffisamment graves pour susciter aujourd’hui l’inquiétude des Français » .

Qui (qu’est ce qui) suscite aujourd’hui l’inquiétude des Français ? la croissance ? ses dégâts ? ou quelque on bien journalistique ? Brice Lalonde peut-être et ses écologistes ? ou l’Association des amis de la Terre ? Que le grammairien s’attache alors à décrypter le message, dans sa bivalence ou sa polyvalence, et qu’il y soit efficace, ne prouve rien de plus que son aptitude à parler ; lui aussi est locuteur, et rhétoricien [70]. À défaut donc de reconnaître, en l’absence de tout indice sur ce point, la tactique adoptée par l’auteur de l’énoncé, il a toujours la possibilité de choisir la sienne, ou bien, s’il préfère ne pas en décider, de hiérarchiser tout simplement ses lectures dans le cadre de l’expansion qui rhétoriquement s’impose à lui. Ainsi face à des exemples comme :

« L’argument n’est pas assez convaincant pour être pris au sérieux »
« Ce n’est pas suffisant pour être pris au sérieux ».

le sentiment de flottement qu’on éprouve peut-être, au point, si on est puriste, de réagir par un refus, ou par une condamnation réprobatrice, est lié, on le voit, à la concurrence de deux possibilités de lien sémantique, soit :

« Ce n’est pas suffisant pour que ce soit pris au sérieux ».
« Ce n’est pas suffisant pour qu’on (je, tu, il ...) soit pris au sérieux ».

Parler en ce cas d’atteinte à la clarté de la langue, ou d’illogisme, ou de faute – « incorrection » , dira le pédagogue [71] – c’est par un jugement de valeur accorder une priorité de principe à l’un des deux messages sur l’autre. Priorité qui jouera peut-être en faveur de la première lecture, si du moins l’emporte – et tel était le réflexe de la tradition – le souci d’une cohésion interne a la phrase, mais qui peut tout aussi bien jouer en faveur de la seconde s’ il y a prévalence, aux yeux de l’interprète, du sujet Animé sur son concurrent « neutre » ou « impersonnel » ou « non Animé » [72].

Et pourtant quelle que soit 1a hiérarchie établie lors de cette activité de construction du sens, et quelles que soient les priorités qu’ici en tant qu’homme et par ontocentrisme, et là en tant que locuteur et par logocentrisme (voire par impérialisme du sens), on est tenté d’accorder, ce n’est certes pas ce qui fait advenir le sujet de l’infinitif mais le principe d’une mise en relation du procès avec un « substantif » sémantiquement complémentaire (ce ou je ou tu ou l’argument). Relation qui, une fois actualisée dans la phrase, permet de comprendre que paradoxalement soit clair hic et nunc un énoncé parfaitement ambigu, et sauf réécriture propre à l’expliciter, toujours ouvert à une autre lecture. Témoin, s’il en est encore besoin :

« Il est trop tôt pour te décider / pour t’endormir / pour te baigner ».

Peut-être le plus immédiatement reçu, le sujet tu est-il là le seul concevable ?

À tourner autour de ces cas de polysémie, ce qu’on découvre surtout, plus que la diversité des facteurs propres a colmater l’ouverture du sens, c’est la complexité des motivations en cause. Et beaucoup de ces motivations, qui jouent ici leur rôle, dans le langage, n’y trouvent certes pas le principe de leur explication : nul n’hésitera sans doute à lire dans l’évidence de leur contenu – mais que d’« erreurs premières » devenues vérités [73] ! – l’une et l’autre des deux phrases citées ci-dessous, dans un pays du moins où le travail à la chaîne ne saurait guère passer pour la tâche, spécifique, des patrons et où il semble difficile de concevoir que,le respect, pour la remonter le plus souvent, descende un jour la voie hiérarchique, dans l’armée qui plus est :

« Les patrons de la Janais ont engagé des ruraux assez dociles pour suivre les cadences ».
« Les officiers supérieurs ont choisi des adjudants suffisamment disciplinés pour les respecter ».

Qu’il soit « inacceptable » de prendre le pour sujet de l’infinitif le sujet du verbe conjugué ne relève certes ni de 1a grammaire implicite à la phrase, ni de l’organisation conceptuelle dont on voit bien qu’elle est à l’œuvre dans l’intégration de l’infinitif quel que soit le choix opéré : lien avec le terme le plus proche (des ruraux, des adjudants) ou le plus éloigné (les patrons... pour suivre les cadences ; les officiers... pour les respecter). Il apparaît au contraire que, glossologiquement conçu, le message tel que l’instaure ici la performance ne se situe ni dans la positivité de tel ou tel contenu, ni dans les retombées sur l’univers des mots d’une organisation sociale qui a son ordre propre, et qui elle aussi, par ses configurations existentielles, façonne les hypothèses de l’homme sur le monde, il est dans les opérations de langage qui explicitement le créent cas par cas. Loin de nous donc l’idée de dresser ici l’une de ces échelles d’acceptabilité qui informent sans doute sur les degrés de consensus, ou de divergence tolérée, mais qui ne sont d’aucun enseignement pour la compréhension de processus qui, conférant au monde son intelligibilité, permettent précisément qu’on parle de sens.

Soulignons plutôt, concernant l’infinitif, le parallèle qui s’impose entre l’opération qui lui donne un sujet, et celle qui lui attache des valeurs temporelles – valeurs d’emprunt toujours, liées à celle de son environnement, verbal ou non verbal, et toujours explicables par la contestation de ses silences syntaxiques :

« C’est, c’était, ce sera, ce serait trop tard pour partir ».

Évoquons même en terminant la comparaison qu’il serait possible de dresser entre « l’infinitivation » du verbe et « l’adjectivation » du nom. Passer ici et là et conjointement de l’instance à la performance permettrait sans doute de voir avec plus de netteté que, pour la prendre comme tremplin de sa combinatoire, la rhétorique n’en crée pas moins ses propres rapports où la forme n’intervient pas : et le problème du participe, si volontiers distendu entre les deux domaines, celui du verbe et celui du nom, pourrait s’en trouver quelque peu clarifié. Mais concluons plutôt.

Conclusion

L’infinitif a-t-il un sujet ? C’est à cette question que, partant de l’infinitif prépositionnel et captant de lui ce qu’en peut saisir aujourd’hui le linguiste dès lors qu’il se refuse à projeter par mot d’ordre sur le texte les schèmes opérateurs du sens, ces quelques pages ont progressivement tenté de répondre.

Une reconnaissance d’abord : le rapport formel qui définit syntaxiquement 1e verbe à l’infinitif comme solidaire d’un autre mot dans la phrase ne coïncide pas avec le rapport conceptuel que cet infinitif entretient comme procès (ou prédicat) avec un sujet (un substantif). Tout montre au contraire que l’expansion qui, l’intégrant sémantiquement, permet qu’il ait un sujet n’opère ni dans le cadre ni selon les contraintes du syntagme où se joue, corrélativement, le sort de l’infinitif saisi comme unité partielle d’un tout :

« Les travaux sont trop engagés pour être arrêtés ».
→ « Les travaux ne sont (ne seront) pas arrêtés ».

Or c’est dans l’émergence de ce double rapport, et dans le décalage qu’il donne a reconnaître que vient s’éclairer le problème du sujet de l’infinitif : le verbe au mode impersonnel n’a pas de sujet au sens où le verbe conjugué en reçoit un de la syntaxe ; mais il en a un au sens où les concepts complémentaires de sujet et de prédicat s’actualisent avec lui dans la phrase. En ce bilan – l’infinitif n’a pas de sujet, l’infinitif a un sujet – nul illogisme. Nulle originalité non plus : la conclusion est loin d’être neuve, encore qu’elle n’ait guère donné lieu jusqu’ici qu’à un constat, un aveu, d’aporie. Mais une injonction, et une injonction décisive : la nécessité de déconstruire la notion de relation, voire de dédoubler le mot sujet pour éviter tout amalgame entre ce qui ressortit à la syntaxe, dans l’instance, et ce qui, dans la performance, relève de la prédication.

Mais il ne suffit pas de concevoir ainsi le dédoublement du langage en phases, il faut aussi, allant plus loin dans la compréhension du rapport qui les lie, bien voir que s’il n’est pas de relation sujet, formellement, pour l’infinitif, alors qu’il en est une, prédicativement parlant, c’est que dans l’antagonisme de ces deux modes d’organisation la visée structurale de l’un, la syntaxe, est inséparable de la visée conjoncturelle de l’autre, la prédication, car elle la fonde – soulignons ce point, qui est essentiel. Dépassant alors pour le verbe a l’infinitif le simple constat d’un sujet tour a tour absent et présent, le grammairien peut, s’il inscrit la contradiction au cœur même du langage, saisir le cas du sujet de l’infinitif comme l’enjeu d’un conflit – qui le déborde largement – entre l’impropriété de la structure, génératrice d’effacement, par où s’explique syntaxiquement la non finition, toujours corrélative, du verbe, et la négation, l’annulation de cette impropriété, annulation-génératrice d’investissement sémantique, un investissement qui dès lors, créant ses propres relations, travaille à l’avènement d’un sujet pour l’infinitif.

Conflit toujours remis en cause, on l’a vu, et toujours riche en compromis : l’ambiguïté là rôde autour, mais ne s’installe guère.

« C’était comme si je cherchais la nature d’un verbe qui n’aurait pas d’infinitif et qu’on ne rencontrerait que pourvu d’un temps et d’un mode » (La chambre claire, p. 119). Ainsi Roland Barthes retrouve-t-il, penché sur les visages dont il scrute l’image photographique, ses vieux rêves de rhétoricien. Mais d’être victoire sur les silences et les vides de la forme, la pensée inscrite au cœur du message saurait-elle l’ignorer, quand elle lui doit d’exister ?


Notes

[1Dictionnaire Larousse de la langue française, t. 6, article « subordination ».

[2Sur les difficultés qu’a pu soulever l’autonomisation de la syntaxe en grammaire générative et sur les ajustements théoriques qui en ont résulté, voir comparativement Chomsky, Aspects de la théorie syntaxique (1965), Questions de sémantique (1972), Réflexions sur le langage (1975), et Essais sur la forme et le sens (l980). Il apparaît que pour être explicative la théorie doit d’abord penser le rapport qui lie forme et contenu dans le message ainsi sera-t-elle en mesure de conceptualiser le mode d’approche de ces deux univers dont tout montre qu’ils ne coïncident pas.

[3Il importe que la théorie grammaticale permette de traiter de la relation qui sous-tend le lien du verbe et de son sujet. Mais il est certain que si elle privilégie ce rapport en le situant au départ de la syntaxe (P → SN + SV), elle renonce d’emblée a comprendre ce qui grammaticalement fonde la compétence prédicative.

[4Outre les multiples recherches qui se réclament de la pragmatique, signalons la fortune des travaux sur l’énonciation : cf. notamment F. Recanati, La transparence et l’énonciation, Seuil, 1973, C. Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Colin, 1980, et le numéro 30 de la revue Communications.

[5Nous n’envisageons donc, bien que le problème soulevé concerne l’ensemble de ces modalités, ni le cas de l’infinitif complément de nom ni celui du complément de verbe ni même la diversité des « subordonnées infinitives » ou des fonctions de l’infinitif.

[6Tous les exemples cités dans le cadre de cette étude sont empruntés à la presse (1982 et 1983).

[7Soulignons la confusion qui s’instaure ainsi entre l’étude du message et le souci de gouverner le langage pour le rendre conforme a la mission qu’on lui assigne. S’il se peut qu’en recourant à leur pouvoir normatif les descripteurs qui réclament pour l’infinitif le sujet du verbe antérieur œuvrent en faveur de l’avènement du sens, un sens dont ils travaillent à réduire l’ambivalence ou l’obscurité, la démarche qu’ils adoptent n’en est pas moins extérieure au langage, projetée sur lui – et par lui contredite avec obstination.

[8L. Tesnière, Éléments de syntaxe structurale, ch. 223 ; M. Grévisse, Le bon usage, § 763 ; Grammaire du Français classique et moderne, § 351 (c’est nous qui soulignons). Notons en passant que parler d’usage, et d’usage dominant conduit a manier un terme difficilement contrôlable. Entend-on par là le mode d’emploi le plus largement exploité par les locuteurs ou le parler du groupe social le plus influent ? ou le français que s’attache à promouvoir la volonté politique du pouvoir dans le système scolaire ? Peut-être d’ailleurs y a-t-il danger à lire les faits de langue en termes de dominance car on risque ainsi d’occulter la permanence du conflit qui oppose les deux processus antinomiques – divergence / convergence – toujours à l’œuvre dans le parler et seuls explicatifs du statut social du langage.

[9Voir Le Français Moderne, la norme, concept sociolinguistique, janvier 1982, et plus particulièrement F. Helgorsky, « La notion de norme », p. 1 à 13. Voir aussi Le Français dans le Monde, les normes du français, mai-juin 1982.

[10Ce point de vue, dont tout montre qu’il est fondé sur l’analyse des prépositions et conjonctions en mots subordonnants, est lié à une conception très matérielle de la forme. Pour une perspective relationnelle en syntaxe, voir plus loin, notre 3e partie.

[11Voir Langue française n°16 et notamment J.-P. Caput, « Naissance et évolution de la notion de norme en français » et R. Lagane, « Science linguistique et normativité, le cas de Ferdinand Brunot ». Ces deux articles cernent bien les impasses où conduit le globalisme en grammaire.

[12Les exceptions, toutes déviances et infractions confondues, sont alors soit renvoyées dans leur totalité au passé de la langue (Wagner et Pinchon) soit imputées aux écrivains qui « aiment a garder cette liberté des siècles classiques » (grammaire Larousse du français contemporain § 191) soit tout simplement glosées avec un point d’ironie qui les situe sans plus d’explication au lieu même de l’évidence (Tesniere, op cit., ch. 223) Ainsi, pour commenter l’exemple d’ « incorrection » qu’il emprunte à Jules Verne – « La vie de chacun était trop précieuse pour la risquer imprudemment » (Le Capitaine Halteras) – Tesniere s’en tient-il, sans autre forme de procès, a un : « C’était donc la vie qui risquait la vie ! »

[13Ce cas est celui où devant l’infinitif apparaît un seul nom – « l’évènement est trop rare pour... » – ou un seul nom susceptible de devenir son sujet – « l’évènement a trop marqué l’opinion pour... ». Or non seulement ces constructions ne sont pas les seules, mais tout dépend dans l’interprétation de l’infinitif du lieu d’incidence de l’adverbe corrélatif et, plus abstraitement, de l’articulation des syntagmes dans la phrase (« l’événement a trop marque l’opinion pour... » mais « l’événement a marque une opinion trop fragile pour... ». L’essentiel a nos yeux, si on veut comprendre le problème du sujet de l’ infinitif en pour, est bien de n’en réduire l’étude a aucun de ses cas, et moins encore a celui que privilégie l’usage. Sur le rôle de l’adjectif et sur les types de phrase ou il devient déterminant, voir notre travail sur le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs (Lille III, 1982). Précisons ici que le problème du sujet de l’infinitif, pour mettre en cause le statut syntaxique de l’adjectif et de l’adverbe, ne coïncide nullement avec leur présence dans la phrase. Ainsi : « les artistes disposent d’un délai pour leur permettre de tourner ce film / pour tourner ce film ».

[14Les phrases ambivalentes ne font pas toutes nécessairement problème. Tel est notamment le jeu de l’inclusion au sein du champ conceptuel que bien souvent dire quelque chose d’un premier terme, générique, c’est le dire aussi du second, s’il est particularisant. Le choix du sujet de l’infinitif peut alors devenir indifférent. Ainsi : « Le gouvernement a pris des mesures assez énergiques pour redresser la situation » - « Le souvenir a laissé des traces trop profondes pour disparaître à jamais ».

[15Ainsi Grévisse (Le bon usage, § 763) inscrit-il au chapitre des exceptions, une exception a l’exception. Il y a tolérance pour les phrases où « le sujet de l’infinitif serait si on l’exprimait un pronom vague tel que on ». Même constat, en plus embarrassé, dans la Grammaire Larousse du français contemporain : « L’exigence d’un sujet identique pour la principale et le groupe subordonné ne date que du XVIIIe siècle. On usait auparavant d’une bien plus grande liberté (...). Certains écrivains aiment à garder cette liberté des siècles classiques (...). Cette licence en français moderne passe généralement pour une grave incorrection (...). Elle n’est autorisée que quand le sujet du groupe n’est pas déterminé et vaut on » (§ 191). On a vu que Tesnière optait pour une position plus rigide, dans le cas du moins où ce sujet on entre en concurrence avec un sujet déjà exprimé pour le verbe antérieur : « La vie de chacun est trop précieuse pour la risquer imprudemment ». Il est clair que la vraie difficulté pour l’étude du sujet de l’infinitif prépositionnel est de dominer explicativement l’ensemble des possibilités offertes au locuteur.

[16Notons que ce postulat – P → SN+SV – semble aujourd’hui sérieusement ébranlé par l’introduction dans la grammaire d’un nœud E« (expression) destiné à résoudre « le problème des phrases qui ne sont pas sur le modèle SN+SV », et d’un nœud COMP (complémentiseur) destiné à pallier les déficiences de la composants transformationnelle (C. Nique, Grammaire générative, p. 88 et sq.). Il suffit d’ailleurs de se reporter au tableau de la page 116 (même livre), où se multiplient les règles de base, pour voir que la notion de phrase déborde largement désormais la relation SN+SV avec laquelle elle s’identifiait syntaxiquement au départ.

[17Sur la formalisation de ces indicateurs sous-jacents et sur les débats qui ont présidé a leur conception, voir J. Picoche, « Réflexions sur la proposition infinitive », Le Français moderne, octobre 1969.

[18N. Ruwet, Introduction à la grammaire générative, p. 288 à 295. Sur l’évolution de la conception des transformations et des propriétés de la composante de base, voir comparativement Chomsky 1957, 1965, 1970, 1975, 1979 et 1980. On trouvera une étude plus détaillée de l’opération reliant le « complément complétif » au « complément infinitif » dans Gross, Gr. transformationnelle, syntaxe du verbe, et dans Nique, Gr. générative, hypothèses et argumentations. Pour être différentes des phrases que nous observons, où le rôle de pour est déterminant, les complétives décrites par ces grammairiens n’en illustrent pas moins de façon exemplaire, la démarche retenue par le générativisme. Nous y renvoyons le lecteur que frustrerait la présentation volontairement simplifiée que nous donnons ici de nos systèmes corrélatifs.

[19La formulation est de L. Picabia (Langue française, n°46 p. 47). En voici une autre (Nique, op. cit., p. 325) : « Lorsque dans cette structure le sujet de la principale et celui de la subordonnée sont identiques, alors s’applique une règle d’effacement du second SN (qui du même coup efface le nœud temps) ».

[20Avec une opération supplémentaire pour traiter du passage de l’actif au passif, ou des problèmes du verbe pronominal.

[21Explicitement ; mais explicativement ? Si l’enjeu de l’étude est de comprendre pourquoi et comment se crée le message, n’est-il pas discutable que dès le mot grammaire la théorie établisse une confusion de principe entre forme, formalisation et construction du modèle d’analyse ? Pour témoigner de cette « ambiguïté systématique » (le mot est de Chomsky - Halle, Principes de phonologie générative, p. 25), citons dans Langue française (46, L’explication en grammaire) le propos d’A. Zribi, Hertz (p. 6 et 7) sur la grammaire générative : « La notion d’explication est omniprésente et le linguiste est conçu comme anime a chaque instant d’un double souci explicatif : expliquer le fonctionnement d’un idiome donne par un ensemble d’hypothèses (de règles) qui constituent la grammaire de cette langue ; expliquer le fonctionnement des grammaires ainsi élaborées par un ensemble d’hypothèses (de contraintes) générales concernant la grammaire universelle ». On voit bien là comment – et le jeu des parenthèses est éclairant – sont assimilés les termes d’hypothèse d’une part et de règles et contraintes de l’autre ; ainsi nie-t-on l’incorporation de la forme dans le message, cependant que le grammairien est doté d’un pouvoir d’intervention sur le langage qui bloque toute possibilité de distinguer les règles conçues par lui des règles a lui imposées par l’analyse de l’énoncé.

[22Ce problème de l’ordre des transformations, né de l’attention portée à la programmation des procédures de formalisation (Nique, op. cit., ch. 2 ; Kayne, Syntaxe du français : le cycle transformationnel), montre bien, par l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui, que ce ne sont pas les processus d’abstraction inhérents à l’énoncé qui sont au cœur de l’analyse, mais bien plutôt ceux de la démarche descriptive.

[23La transformation Affixe est une opération qui place les affixes (Af = prst, impft, p.p., subj. inf., ne) sur les radicaux des verbes (Af→V). Pour comprendre les variations et ajustements de la perspective transformationnelle dans ce domaine, on confrontera utilement Chomsky (Aspect, p. 42, 102 et 162), Ruwet (int. à la gr. générative, p. 364) et Cross (gr. tr., syntaxe du verbe).

[24Sur ce « déjà prononcé », sur ce « donné par avance à ceux qui parlent » et sur « la position de redoublement des sciences humaines », voir M. Foucault, Les mots et les choses, ch. X, et J. Gagnepain, Du vouloir dire, introduction.

[25Sur les modes de raisonnement de la grammaire générative, on pourra, à l’analyse de Milner qui argumente vigoureusement en leur faveur (Arguments linguistiques, introduction. et notamment p. 26 et 27), opposer les réflexions critiques de Hagège (Gr. générative, ch. 3 et 4), celles de Fuchs-le Goffic (Initiation aux problèmes des linguistiques contemporaines) qui soulignent que « catégories et relations ne sont pas définies par analyse mais posées en attendant d’être justifiées a posteriori si la composante catégorielle remplit adéquatement la fonction qu’on lui assigne dans l’ensemble du modèle » (p. 84), et celles de Fauconnier qui s’interrogeant sur les méthodes vouées à mettre « en rapport les observables – ou les observés – avec des structures abstraites hypothétiques », note le caractère « contestable » de « ce mode généralisé d’explication » : « est-il légitime de construire des représentations abstraites à chaque fois qu’on veut expliquer quelque chose ? N’y a-t-il pas des modes de fonctionnement indépendants d’hypothèses de niveaux ? » (Langue française, n°34, p. 39 et 40). Ajoutons que le plus discutable est peut-être encore non que les principes et les procédures soient, dans la mouvance de leur articulation, en perpétuel réaménagement, mais qu’alors il s’agisse essentiellement pour le grammairien de trouver à la fois la meilleure hypothèse et la meilleure solution (souligné par nous) – cf. Kayne, Langue française, n°46, voire de « rendre la langue plus simple » (Théorie générative étendue, R. Jackendoff). On est loin dans cette visée d’efficacité, de l’ émergence d’une forme incorporée au langage.

[26Tout montre que si la syntaxe dote le verbe d’un sujet grammatical, ainsi « Le ministre a une autorité assez forte pour que son cabinet arbitre le différend », la relation établie par la forme en syntaxe (sujet verbe) dispense le descripteur d une opération à laquelle le conduit au contraire l’emploi de l’infinitif : « Le ministre a une autorité assez forte pour arbitrer le différend ». On voit donc qu’en posant le sujet prédicatif ou « logique » comme un sujet de la profondeur, et le sujet grammatical comme un sujet de la surface. La grammaire générative nie d’emblée l’instance de la forme pour confier à la compétence du locuteur tout pouvoir d’abstraction grammatical(e). Ainsi le « modèle » théorique est-il dans l’étude du langage appelé à se confondre en permanence avec le modèle de l’objet construit.

[27Ainsi Milner : « Le propre des grammaires de Chomsky tient au rôle crucial qu’elles accordent à l’argumentation » (Arguments, p. 19) et plus loin : « La démonstration en linguistique ne sera pas contrainte autrement que par les lois générales de la déduction logique et les par propriétés empiriques de l’objet (...). De ce point de vue il n’y a plus guère de différence entre l’analyse des données de détail et les considérations de méthode » (p. 28). Notons au passage que la notion de « propriété empirique », dont la définition apparaît, tel un repentir, dans une petite note curieusement marginale (p. 28 note 15), établit habilement la confusion de l’empirique avec les artefacts de la grammaire générative. Sur la théorie des traces et les règles de la grammaire noyau, voir Langages 60.

[28Pour une réflexion heuristique sur le concept de médiation, clef de voûte de la théorie du langage, et plus largement des sciences humaines, lire Jean Gagnepain, Du vouloir dire, et notamment p. 244 : « L’abstraction quand il s’agit de l’homme est dans l’objet et non point seulement dans l’esprit de l’observateur ». Sur la notion d’impropriété, qui est étroitement liée à celle de signe et de médiation,voir ibid. p. 25 et sq.

[29La question du verbe conjugué sera envisagée plus loin. Il nous est impossible, dans la perspective qui est la nôtre, de dire qu’« on ne peut trouver de verbe conjugué sans sujet explicite ». (Nique, 1978, p. 33), sauf à confondre le mot verbal avec la syntaxe du verbe.

[30Jeu de miroir inversé que cette profondeur structurale de phrases-« matrices » advenant au langage de la faculté d’abstraction héritée du langage (cf. Chomsky assignant à la grammaire le soin de rendre compte de la capacité qu’a le locuteur intelligent de comprendre la grammaire, in Langue,Théorie générative étendue, p. 23). Pour rétablir l’ordre explicatif, c’est toute la problématique du langage qu’il faut repenser si du moins (cf. M. Pêcheux, SHELS, 2, p. 45) il s’agit bien « d’interroger les ressources de l’intelligence humaine, et non d’en discipliner l’exercice par des dispositifs (de classement, d’indexation etc.) relevant davantage de la gestion administrative et du rêve logiciste de langue idéale que de la recherche scientifique fondamentale » (souligné par l’auteur).

[31N. Chomsky, Aspects, p. 100 et sq. Au sujet grammatical de la configuration de surface s’oppose le sujet logique de « la configuration profonde où sont représentées les fonctions grammaticales significatives ». Et c’est au grammairien qu’il revient, passant du grammatical de la surface au grammatical de la profondeur, d’expliquer l’un (la surface) par l’autre (la profondeur) au nom de la compétence d’un locuteur conceptualisateur de la « forme logique ».

[32Dans la perspective Chomskienne (cf. Kayne, Syntaxe du français, le cycle transformationnel, 2-4) le problème soulevé par les pronoms verbaux est essentiellement un problème d’articulation de la « composante sémantique » sur la « composante syntaxique ». L’objectif est d’insérer les pronoms en profondeur dans le verbe de la base pour pouvoir les associer à des antécédents par les règles d’interprétation sémantique. Ce n’est donc pas la distinction entre syntagme et paradigme qui est au cœur de la réflexion, mais la possibilité à partir de la « structure syntaxique » de mettre en place les lois de la coréférence dont on ne saurait faire abstraction dans un étude « interprétive » de la phrase.

[33Pour une tentative de clarification du problème du sujet (Sujet grammatical ou sujet prédicatif ?) voir Lagane, Langue française, 1, p. 58 ; Dubois et Dubois-Charlier, Syntaxe, p. 23 ; Leduc-Adeline, Langue française, 47, p.12 ; Hagège, La linguistique, 1978, 2, p.3 et sq. et Zem, Le français moderne, oct. l978, 4.

[34J. Gagnepain, Du vouloir dire, p.55 et sq. Que la relation sujet-verbe soit un syntagme imputable a la forme, mais non le syntagme de base constitue à nos yeux un point essentiel. La relation dialectique dont parle Gagnepain ne lie pas langue et langage (cf. Culioli) mais au cœur du langage instance et performance. C’est grâce à ce concept que loin de revenir au syncrétisme traditionnel, qui niait la pertinence d’une séparation entre syntaxe et sémantique, et loin de poser dans son autonomie le principe d’une syntaxe appelée à recevoir, par le jeu d’articulations successives, le « système interprétif » de la phrase, la théorie permet de saisir le sens comme l’enjeu d’un conflit, permanent, entre forme et substance. Est-il besoin de souligner que le concept d’instance (Gagnepain) n’a rien à voir avec celui de compétence (Chomsky) et que, pour apparaître ici et là, le terme de performance prend d’un système de pensée à l’autre une acception très différente ? Rappelons ici que la compétence Chomskienne oblitère l’incorporation de la forme au langage ou du moins, partant de la logique explicite du sujet parlant pour la retrouver, fait l’économie dans ses analyses du détour par l’implicite grammatical. Or c’est ce détour qui nous parait fondamental.

[35La réduction opérée d’un exemple à l’autre – « Le gouvernement a trop parlé pour convaincre l’opinion » → « il a trop parlé pour convaincre » – est celle des relations syntaxiques (relation sujet, relation complément) qui ne concernent pas en propre et dans son existence même l’infinitif. Si on veut en effet saisir le statut syntaxique du mode impersonnel, il importe de centrer l’attention sur le rapport qui le promeut à l’existence et sur ce rapport seul. Dans le cas retenu il s’agit d’un lien de verbe à verbe. Mais la même analyse pourrait se faire à partir d’autres cas, celui du lien de l’infinitif avec un nom (« il y a là trop de gens pour travailler ») ou un adjectif ou un adverbe. Qu’il y ait alors dans l’énoncé articulation de deux (ou plusieurs) syntagmes complexifie l’analyse de la phrase mais ne modifie en rien la relation formelle qui sous-tend la présence de l’infinitif. Nous y reviendrons.

[36Il va de soi que la virtualité grammaticale peut n’être pas exploitée performantiellement par le locuteur.

[37Au mot complément trop étroitement lié à la conception d’un terme principal et d’un terme subordonné, nous préférons celui de complémentaire qui met en évidence le statut relationnel de la syntaxe.

[38Ou si on préfère réduction de la segmentation en mots par simultanéité du choix des composants. Pour une théorie du mot, essentielle a une théorie du langage, voir Gagnepain, Du vouloir dire, p.46 et Bonnet-Barreau, L’esprit des mots, éd. de l’école.

[39Ainsi l’annulation, par la forme en syntaxe, des verbes en présence est-elle tour a tour signifiée par un « chiffre » (trop V1 ↔ pour V2) ou par un vide, un silence, un zéro non chiffré et c’est celui que convoie l’infinitif dans le réseau constitutif de la marque. De ce silence nous disons qu’il n’a rien à voir avec l’absence significative, paradigmatiquement mise en jeu dans la constitution du verbe (fléchi/non fléchi) et tout avec la signification du zéro, syntaxiquement mise en jeu dans l’effacement de verbes qui matériellement présents n’en sont pas moins, formellement, du point de vue de la relation syntaxique, une absence.

[40Insistons ici sur le statut de trop et de pour qui, en tant que partiels de la marque du syntagme, contribuent a signaler l’effacement des mots en présence et leur intégration dans le schème, et ce n’est ni plus ni moins que les silences « exprimés » par l’infinitif. C’est dire que la préposition pour n’a rien a nos yeux d’un complémenteur (ou complémentiseur) – cf. H. Huot, Recherches sur la subordination en français - sauf a partager cette fonction avec les adverbes corrélatifs ou les modes ici impliqués, et avec des termes grammaticaux par ailleurs aussi importants du point de vue syntaxique que la négation, l’inversion pronominale ou les anaphoriques.

[41Même indifférence de la syntaxe, dans la relation sujet, au type de mot complémentaire du verbe – « Pierre, (l’enfant, sa venue, qu’il vienne, venir) me fait plaisir ». On ne soulignera jamais assez l’importance en syntaxe de la perspective relationnelle.

[42L’infinitif est donc mal nommé. Il n’y a pas, syntaxiquement, de verbe à l’infinitif mais un processus d’ « infinitivation« , de non finition du verbe ; ainsi se dit du silence qui n’a rien à voir avec l’absence significative (ce n’est plus de taxinomie grammaticale qu’il s’agit – « danse / il danse / danser » - mais de générativité, d’engendrement d’un complexe de mots : « il a trop chanté pour danser ») et tout avec la signification du zéro puisque le verbe (danser) – avec les silences qu’il convoie – n’a d’existence que par le rôle qui lui est conféré et conféré corrélativement à d’autres termes dans la phrase. Il suffit d’ailleurs que les silences de l’infinitif ne soient pas syntaxiquement exploités par la forme pour que l’incomplétude verbale appelle en performance le complément de la situation. Ainsi s’explique l’énoncé exclamatif – « danser ! »(cf. « il est si grand ! » – « Cette fleur ! ») ou jussif « danser en ligne » – « tenir sa droite ».

[43Il conviendrait d’affiner l’étude pour distinguer là le nom et le verbe d’une part, et l’adjectif et l’adverbe de l’autre.

[44Le terme complémentaire de l’infinitif peut lui aussi se lier non plus à un verbe mais à un nom ou un pronom : « Tout va trop vite pour comprendre, pour la compréhension (du débat) Tout va trop vite pour moi ». Autant de cas qui sont eux aussi diversificateurs du schème.

[45Ainsi l’articulation des schèmes – « il voit l’enfant », « il voit jouer » – fonde-t’elle l’existence de la « proposition infinitive ».

[46La liste qu’on peut établir – et que nous appelons syllexique (et non paradigme) puisqu’il s agit d’un sous ensemble du lexique que le grammairien (et non la grammaire) détermine sur la base d’un schème syntaxique – regroupe, on le sait, des adverbes et des adjectifs ou des verbes. Le problème de syntaxe n’est pas là.

[47Dans l’univers de la négativité grammaticale, et plus particulièrement pour ce qui nous concerne ici dans l’univers de la syntaxe, il n’est rien de positivable. Subjonctif et infinitif sont dans un rapport de négativité mutuelle, par opposition, au sein d’un schème où la non-autonomie de chacun des termes intégrés est relative a celle de l’autre, par réciprocité dans la complémentarité. Il apparaît donc qu’en se fondant sur le subjonctif pour retrouver et le sujet et les morphèmes « perdus » dans l’infinitif la démarche transformationnelle reste très positiviste. Non seulement elle isole la réalité d’un contenu, le subjonctif, pour lui opposer celle d’un manque, l’infinitif, mais encore en déduisant du plein le vide et le non-marqué du marqué, elle fait exister deux formes modales en dehors de la relation qui les fonde dans le cadre du schème, et qui permet, les fondant, de comprendre aussi leur opposition. Sur les conséquences de ce positivisme, voir Langages n°60 et notamment Milner, « Pour un usage du concept de marque en syntaxe comparative . »

[48Dans la dénotation du syntagme nous lisons la marque (en son réseau de partiels) comme le garant d’un lien de complémentarité sous-jacent. Il n’est donc pas question d’opposer du marqué à du non-marqué, mais de repérer par là les frontières des schèmes.

[49Sauf à confondre paradigme et syntagme, il n’y a aucune raison de vouloir pour l’infinitif, au nom de sa « nature verbale », un sujet que syntaxiquement il n’a pas.

[50Sur ces règles, voir Chomsky, Lectures on core grammar, 1979. Ce n’est pas à nos yeux dans « la configuration profonde » d’une relation sujet projetée sur le langage par la médiation du linguiste que se légitime d’opération réductrice en opération réductrice la transformation de l’énoncé verbal en infinitif (pour que SN+SV pour Ø Ø infinitif) – « La profondeur en cause ne saurait être explicative, n’étant point celle du langage mais celle, consécutivement, de notre faculté d’abstraire » (Gagnepain, op. cit., p. 104) – c’est au contraire dans la constitution, par la médiation de la forme, d’une relation syntaxique où le verbe matériellement présent n’est plus formellement qu’une absence que nous lisons le principe d’un effacement, et d’un effacement dont la profondeur, œuvre de la grammaire, est dans l’objet d’étude, et non (Nique, op. cit., p. 18 et 19) dans l’esprit du grammairien.

[51Quels que soient les cas de superposition de ces univers, ici ou la repérables dans les phrases ou le sujet formel du verbe est aussi sujet agent du procès verbalement dénoté.

[52Sur les termes de rhétorique, d’expansion ou de dialectique, voir Gagnepain, op. cit., et notamment p. 44-45, p. 68, p. 101.

[53Que la vieille langue ait pu construire ainsi l’infinitif relève d’un autre mode de fonctionnement, dont l’explication est d’ordre historique.

[54Affranchi dans ses choix, mais non, nous le verrons, dans la logique du principe d’intégration qui présidé a ces choix.

[55Encore faut-il, pour accepter cette interprétation, colmater dans bien des cas l’ouverture du texte à d’autres lectures. Ainsi de « Les démocrates n’ont pas de mots assez forts pour dénoncer la situation » (?) ou de « C’est suffisant pour être pris au sérieux » (?). Nous y reviendrons.

[56Mieux, autre est l’univers découpé (et c’est bien ce qui explique que l’expansion sujet ne joue pas dans les limites du syntagme ou se justifie l’infinitif),mais identique le principe de découpage.

[57On voit ici qu’en donnant le pas dans la problématique aux lois de la profondeur créée par le linguiste sur les réalités abstraites de la phrase, et en jugeant que le sujet du nœud dominant [souligné par nous) contrôle à distance l’effacement du sujet de l’infinitif, une distance d’autant plus aisément gouvernable qu’à l’orée de multiples transformations, la théorie permet aussi par l‘axiomatisation de la phrase (au sens qu’elle donne à ce terme) de multiplier les nœuds dominants la grammaire générative s’est essentiellement attachée à construire une rhétorique, et une rhétorique qu’elle condamnait dès lors, faute d’avoir pris en compte dès le départ le formel implicite au langage, à une formalisation d’autant plus poussée, et d’autant plus libre de son déploiement, que son objectif n’est plus que de placer, de situer ici ou là, ou ici plutôt que là, les contraintes de la forme.

[58Il n’est sur ce point que de se référer à la grammaire de Port-Royal.

[59Voir notamment J. Dubois, Grammaire structurale, Le verbe, ch. II.

[60Au double sens du terme : rendement dans l’ordre de l’usage, et rendement dans l’ordre de l’information.

[61Mais comment ne pas voir que cette contestation peut toujours lui advenir de l’extérieur ? Et que chacun des exemples cités peut toujours s’interpréter autrement ? Ainsi : « Les pistes sont assez embrouillées pour ne pas imposer → pour qu’on n’impose pas l’idée d’une affaire politique internationale » – « L’événement est assez grave pour remettre en cause → pour qu’on remette en cause la victoire d’Israël » – « Il y a là des faits suffisamment graves pour interroger → pour qu’on interroge l’occident ». Sur les problèmes que soulève la notion de sujet à propos du verbe impersonnel (« Il y a des faits... »), voir les travaux de M. Hériau et notamment « Le verbe impersonnel en français moderne », Champion, 1980.

[62Il y aurait là toute une étude à mener sur le rôle de relais joué par les incises ou les adverbes de modalité. Quant à la prévalence accordée si volontiers par le locuteur aux sujets de la série Animé et à tout ce qui s’y relie, elle relève moins des lois de l’information qu’elle n’informe elle-même sur l’ontocentrisme du sujet parlant.

[63Mais aussi, puisqu’il y a dispense d’un choix, d’« économie » tout court.

[64Pour clarifier la terminologie, sur ce point bien flottante puisque d’aucuns opposent là contexte (linguistique) et situation de parole (extra-linguistique), cf. Cl. Germain, « Origine et évolution de la notion de situation », La linguistique, 1972, 2, n°8, p. 117 à 136 - et d’autres co-texte (linguistique]) et contexte (réel extra-linguistique) - cf. C. Orecchioni, L’énonciation, ch. 1 -, nous réserverons le mot de contexte à l’ensemble des phrases qui entourent ou incluent le syntagme à l’infinitif. Le problème du sens n’est d’ ailleurs pas, sauf à positiver le message, dans ce genre de distinction. Qu’elle soit en effet endo ou exocentrique, la référence est toujours, on le voit bien, référence à la Situation du message et la visée, toujours d’adéquation à la conjoncture.

[65S’il faut reprendre ce terme passe-partout lors même qu’il isole arbitrairement, dans la saisie des processus rhétoriques, le texte du hors-texte. À nos yeux, donner à l’infinitif un sujet consiste, nécessairement, à le mettre en rapport soit avec un élément du contexte, phrastique ou non, soit avec un élément du « réel« », en d’autres mots à dire le monde, que ce monde soit déjà verbalisé ou non. Nulle raison donc, dans l’étude de la visée du dire, de privilégier le réel, et la référence au réel, comme le veut la pragmatique, ou tout au contraire les mots et la référence au contexte (immédiat) comme le voulait la tradition en construisant une grammaire de la phrase. Quel que soit son point d’ancrage, c’est toujours, dans l’opération d’investissement, de référence qu’il s’agit.

[66Il suffit dans chacun des exemples retenus de faire varier les circonstances du message pour légitimer tour à tour chacun des sujets proposés. Libre au lecteur — la série est ouverte — d’en découvrir bien d’autres.

[67Sur le phénomène d’inclusion conceptuelle qui permet qu’ici, comme bien souvent ailleurs, ne s’installe nulle ambiguïté, voir plus haut.

[68Ainsi chacune des interprétations établies ci-dessus peut-elle prêter a contestation. Il suffit même que le lecteur recoure à une activité métaphorique dont la grammaire lui offre le principe pour que, de personnification en personnification, sous le on toujours possible, ce soit la totalité des noms de la langue — et la totalité du réel - qui se trouve là potentiellement appelée à devenir sujet de l’infinitif.

[69M. Proust, À la recherche du temps perdu, la Prisonnière, édition La Pléiade p. 190. « L’erreur est plus entêtée que la foi et n’examine pas ses croyances » ajoute un peu plus bas le romancier.

[70(1) Et stratège ! Pour une étude des stratégies réceptives dans la levée d’ambiguïté voir N. Ruwet, Théorie sxntaxique et syntaxe du français, le Seuil, 1972. De telles stratégies qui sont d’autant plus ingénieuses qu’elles sont déployées par un linguiste, doivent bien sûr leur existence, mieux, leur explicitation par réécriture, a ce que le locuteur a, dans l’énoncé ambigu, laissé le champ libre. Mais pourquoi les imputer en propre au récepteur, ces opérations constructrices du sens ? Pour n’être pas actualisables en série dans l’énoncé, elles n’en sont pas moins à l’œuvre dans l’acte de locution. Et s’il arrive qu’ici ou là en l’absence d’indices on ne puisse plus reconnaître celle qui a été exploitée, il ne manque pas d’exemples ailleurs pour l’attester.

[71En témoignent aujourd’hui encore tous les manuels scolaires qui perpétuent l’enseignement de Grevisse, Tesnière ou Wagner et Pinchon, et Sandfeld ou Le Bidois.

[72Est ainsi projetée sur le langage et par l’opération sujet l’idée même que l’homme se fait, en humaniste, du monde.

[73Pour pasticher le propos d’Einstein.


Pour citer l'article

Suzanne Allaire« L’infinitif a-t-il un sujet ? », in Tétralogiques, N°1, Problèmes de glossologie.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article279