Danielle Velly

L’anaphore : relation syntaxique ?

Mots-clés
 |   |   |   |   | 


L’anaphore peut certes apparaître comme l’un de ces creusets terminologiques que les linguistes investissent des concepts les plus divers, un de ces lieux linguistiques susceptible d’illustrer au mieux les divergences théoriques et méthodologiques actuelles. Cependant au cœur de cette pulvérisation conceptuelle, un axe majeur de divorce se dessine avec netteté : l’option syntaxique de l’anaphore [1] ; et c’est précisément cette querelle qui oriente notre réflexion présente.

La notion d’anaphore peut-elle se réduire à une procédure de substitution [2] qui instaure une relation sémantique ? S’il en est ainsi, c’est à notre seule capacité cognitive que nous devons faire appel pour discerner et analyser cette cohésion du sens.

Ou devons-nous reconnaître, derrière le jeu de références internes, qu’instaure dans certaines phrases le fonctionnement des marques d’évidement lexical, une formalisation de l’effacement ? Il s’agit alors de saisir deux relations qui bien que nécessairement superposées [3], ne doivent en aucun cas être confondues car elles relèvent de deux ordres bien distincts : l’anaphore, fait de grammaire ; la référence, fait de contenu ; et il appartient au descripteur de mettre en évidence le principe formel du fonctionnement des marques, lesquelles relèvent d’une contrainte de grammaire et non plus d’un choix rhétorique du locuteur (d’anaphorisation). Enfin, s’il est établi que la grammaire exploite incidentalement [4] tout un ensemble de marques d’évidement, quel est le rapport à concevoir entre cette relation syntaxique et la relation sémantique (coréférence) qui assure la progression du sens au sein du message ?

L’examen de ces questions majeures impose à l’évidence une rigoureuse épreuve de frontière entre forme et contenu, syntaxe et sémantique, mais aussi inévitablement entre cohésion phrastique et cohésion textuelle car l’exploration des faits d’effacement comme la pronominalisation ou l’ellipse révèle l’importance de leur rôle dans l’ordonnancement et la cohérence des séquences au sein du discours [5]. Un tel champ d’investigation s’avère donc bien vaste qui inclut à la fois un problème de structure – lorsque, sous la diversité des schémas phrastiques, la grammaire met en œuvre le même principe d’une relation anaphorique et impose ainsi la contrainte de son ordre qu’elle donne à reconnaître –, et un problème de texture puisque des marques vides servent aussi au locuteur qui produit un discours à en maintenir la cohérence, dans la mesure où elles instaurent des liens transphrastiques, délimitent et désignent elles-mêmes des groupes séquentiels.

A ce vaste domaine où s’exerce aujourd’hui la réflexion linguistique, cet article voudrait apporter sa contribution, si modeste fût-elle, en présentant une analyse résolument axée sur le caractère syntaxique de la relation d’anaphore. Et pour tenter une approche définitoire de ce concept, il nous apparaît intéressant de considérer la parenté structurale de divers schémas syntaxiques, particulièrement des constructions relatives,comparatives et incises, en établissant que le principe de leur construction est abstraitement le même, qui fonde sur un évidement de leur contenu leur nécessaire relation grammaticale (et référentielle) à l’autre partie du syntagme, partie « pleine », « finie », qui échappe à ce vide lexical.

Concernant particulièrement les constructions relatives et comparatives, le rapprochement ne constitue certes pas une nouveauté. Thème traditionnel de la grammaire contrastive, on le retrouve aussi dans la grammaire transformationnelle qui intègre les faits de « corrélation » (relatives, consécutives, comparatives) à un modèle général se réalisant différemment suivant certains paramètres : essentiellement la nature des catégories corrélées et celle du corrélateur subordonnant qui peut être lié (relatives et comparatives) ou non (consécutives). Et l’on connaît encore la formule qu’avance J.-C. Milner dans ses Arguments linguistiques [6] : « Les comparatives sont aux adjectifs ce que les relatives sont aux noms » et son développement où l’auteur s’attarde à démontrer que ces phrases référées à un même modèle syntaxique entrent dans un ensemble homogène et ne fondent leur distinction que sur les règles d’interprétation. Mais d’une part le modèle théorique auquel notre travail fait référence, parce qu’il repose sur le postulat fondamental de la formalisation incorporée, ouvre sur des méthodes de description radicalement différentes de celles des générativistes qui reconnaissent la structure dans la formalisation que le descripteur opère sur l’énoncé. D’autre part, toute analyse, telle celle de Milner, qui prétend fonder sur des procédures sémantiques une élucidation de la structure, confond selon nous deux ordres antagonistes, l’ordre abstrait et négatif de la forme grammaticale avec celui de la positivation du contenu sémantique.

Ce sont là des affirmations qui rendent indispensable le détour, aussi succinct que possible, d’un exposé théorique pour éclairer nos concepts et notre méthode. Il serait d’ailleurs illusoire et vain de prétendre saisir un objet d’étude, quel qu’il soit, indépendamment des principes théoriques qui en permettent l’interprétation. Et si, au seuil de cet exposé, nous nous sommes donné un point d’ancrage apriorique – la liaison qui s’opère dans la chaîne entre d’une part un terme vide soumis à un effacement lexical et d’autre part un terme plein – pour seulement introduire les problèmes très généraux que convoient les notions d’anaphore, d’effacement, de coréférence, dans l’hétérogénéité des phénomènes qu’ils peuvent recouvrir, il reste que l’objet à étudier ne saurait être un donné perçu que l’observation nous livre empiriquement, mais qu’il est à concevoir à partir des principes de la théorie convoquée. Tout travail d’investigation se trouve ainsi subordonné au préalable de la réflexion épistémologique ; le nôtre se réfèrera le plus rigoureusement possible au modèle théorique de J. Gagnepain.

La théorie de la formalisation incorporée implique une redéfinition du fonctionnement structural du signe linguistique. Refusant la relation additionnelle de la forme et du contenu, J. Gagnepain lui substitue le rapport dialectique de deux processus antagonistes, de formalisation et de substantification dont la contradiction s’exerce dans une même simultanéité [7]. Le signe est le lieu de conflit de ces deux processus, l’un d’évidement qui le soumet à la négativité de la structure – dans cette phase d’analyse s’élabore le signifié – l’autre de propriété qui le soumet à la négation de la négativité structurale et assure son réinvestissement dans la conjoncture ; dans cette phase de réaménagement du signifié se déduit et se construit le concept. Tout message se saisit dans l’ambiguïté constitutive qui en fait du signe : grammatical, il est soumis à une formalisation implicite ; rhétorique, il récuse ce vide structural et se positive pour se doter d’un contenu. Une théorie du signe intègre donc nécessairement une théorie de l’instance qui rendra compte de l’organisation des formes, une théorie de la performance qui analysera les procédures mises en œuvre par le locuteur pour récuser le vide structural.

C’est dans ce modèle glossologique [8] général que se définit l’ordre d’une syntaxe qui, manifestant notre capacité générative, établit entre certains « mots » [9] des relations de complémentarité formelle et, de ce fait, assure leur intégration à un type d’unité de rang plus abstrait : le syntagme, unité qui transcende la pluralité des mots. Ce syntagme est ainsi l’aboutissement d’une relation d’intégration formelle, l’ordination qui le fonde sur la récursivité d’un même choix grammatical. La grammaire maintient la possibilité de pluraliser les éléments de segmentation sans pour autant conserver intacte la diversité que permet le lexique. L’intercomplémentarité des mots dans le sous-ensemble textuel résulte d’un processus d’unification partielle qui y inscrit la possibilité pour chaque constituant d’être à la fois autonomisable et dépendant. Le syntagme ne ressortit pas à l’axe où l’on a l’habitude de le situer (quand on le réduit à une combinatoire) : il est indissociablement lié à la projection sur le texte d’un choix pratiqué sur l’axe du lexique. Processus d’identification de la pluralité, l’ordination syntaxique est de source lexicale.

Aussi, pour construire le texte en syntagme, la grammaire doit ­elle réduire les limites segmentales entre les mots, et mettre en œuvre différents moyens pour signifier ce refus d’autonomie en investissant d’une fonction ordinale un ensemble de marques structuralement disponibles : des fragments évidés de tout sens (la conjonction que, le suppléant le, « l’explétif » ne…) des variétés de la non assertion (négation, inversion : « dit-il »), des types de figement par réduction de la flexion verbale (infinitif, subjonctif), des variétés de l’absence, du zéro (ellipse, réitération lexicale). Pour reconnaître dans ces indices des marques de la complémentarité formelle, le descripteur devra se garder de les évaluer par rapport à l’univers du sens (où les réinvestit la phase de réaménagement rhétorique), et veiller à ce que leur valeur sémantique (cf. les adverbes : aussi, plus, moins… ou les pronoms référents par exemple) n’occulte point leur exploitation syntaxique [10]. Cependant cette évacuation du contenu, préalable nécessaire,restera encore bien insuffisante si l’examen s’en tient au repérage [11] de ces marques réductrices de l’autonomie sans reconnaître leur fonction dans le réseau relationnel qui instaure la solidarité des unités au sein du syntagme. L’unité de la relation syntaxique implique l’unité de la marque du syntagme, même si cette marque se manifeste dans une discontinuité liée à la pluralité des termes :

  1. Il a mis au point le système le plus efficace qu’on puisse espérer (Ø).
  2. Il a mis au point un système plus efficace qu’on ne pouvait l’espérer.
  3. Il a mis au point un système aussi efficace qu’on pouvait l’espérer.
  4. Il a mis au point un système si efficace qu’on ne peut espérer le dépasser.
    Il n’a pas mis au point un système si efficace qu’on ne puisse espérer le dépasser.

La marque, abstraite, transcende la matérialité du réseau indiciel, caution de l’organisation formelle ; elle se pose négativement dans son opposition à un autre réseau d’indices corréliés. Ainsi définissons-nous les différents schémas syntaxiques sur la base des relations d’identité et d’opposition qui les organisent en un ensemble structuré.

Il est clair que ce modèle théorique affirme l’irréductibilité de l’ordre syntaxique à l’ordre logico-sémantique. Deux types de relation sont à distinguer, le rapport de complémentarité qui formalise le syntagme, l’organisation propositionnelle qui réaménage sémantiquement la phrase. Le processus d’ordination construit la phrase par signification de l’effacement, c’est-à-dire par évidement du sens ; la prédication, par inversion de ce processus négativant qui lui est logiquement antécédent, établit la relation de l’énoncé à la conjoncture et contribue ainsi à la positivation du sens. Poser cet antagonisme dialectique, c’est invalider toute analyse qui entend discriminer du grammatical sur la base de la coupure prédicative qui organise rhétoriquement la phrase. Nous donnerons ici pour exemple de ce syncrétisme (morpho-syntactico-sémantique) un moment de l’étude récente de Christian Touratier sur la relative, où l’auteur se prononce sur la nature exclusivement conjonctive dequedans des tours du type « Imbécile que tu es » [12] : « puisque l’adjectif à lui seul est le prédicat de cet énoncé, le constituant que tu es sert à expliciter la personne par ce prédicat et est chargé d’enlever à l’expression tu es sa fonction normale de prédicat ». De cette analyse exclusivement propositionnelle est tirée une conclusion grammaticale surprenante : « que dans ces tours [13] n’a rien d’un pronom relatif et l’on est en droit de dire que le pronom relatif français ne peut avoir un adjectif pour antécédent » [14]. Un tel raisonnement surprend d’autant plus que la relative représente en français un mode d’effacement de la prédication verbale : « Les enfants jouent / les enfants qui jouent » ; la relative marque l’épithèse du verbe, la non prédication. Nous saisissons dans cette démonstration une confusion des deux ordres dialectiquement antagonistes, grammaire et rhétorique, confusion qui interdit à l’analyse toute émergence au formel. Il en va de même pour J.-C. Milner quand, pour établir une analogie de forme entre relatives et comparatives, il se fonde exclusivement sur des procédures paraphrastiques, des tests d’exclusion sémantique.

Ainsi n’est-ce pas sur des faits de contenu sémantique, mais sur les marques en présence, la nature de l’effacement et le lieu où il se produit, enfin, le jeu interrelationnel plus ou moins complexe qui s’établit dans le syntagme que devra porter l’observation permettant de dégager les points de similarité et de différence entre les différentes constructions anaphoriques considérées.

1. Le schéma de la relative

Schéma anaphorique nominal qui, sur un fonctionnement enclitique, fonde la relation d’un acerbe à un support nominal : syntagme (N qui V) où le jonctif, également référent, est soumis à une variation flexionnelle.

L’étude des syntagmes relatifs nous conduit avant tout à y reconnaître la relation anaphorique qui fonde leur communauté de fonctionnement. Cette relation s’établit sur le principe d’un évidement du contexte du verbe relatif. Considérons par exemple les réalisations suivantes :

  1. les pommes qu’il dit.
  2. les pommes qu’il mange.
  3. les pommes qu’il dit que l’on mange (indicatif)
  4. les pommes qu’il dit de manger.

Le verbe dire (a) ou manger (b), (c), (d) ne peut plus se combiner à droite avec un nom (il dit / il mange N), un verbe personnel (il dit que V) ou un verbe à l’infinitif (il dit de + inf), le schéma se referme sur la référence interne de son complément établie sur la base du pronom que (N ← que) :

Les pommes qu’il dit Ø

Les syntagmes complexes actualisées en (c) et (d) ne contredisent qu’en apparence cette analyse car l’évidement du contexte porte alors sur le second verbe subordonné(que l’on mange, de manger)  : tout se passe comme si le jonctif qu effaçait l’autonomie du verbe dire tandis que la présence d’une marque d’évidement lexical, le suppléant amalgamé au jonctif dans l’indice que, d’une part instaure le blocage de la complémentation du verbe manger, d’autre part, contradictoirement, conjure ce vide par la référence au nom antécédent. Ce rapport incidental ne peut s’établir que parce que le relatif que ne fait pas obstacle à la relation objectale, pas plus que le relatif qui n’interrompt la relation formelle sujet-verbe ; les variations flexionnelles du relatifqui/que… résultant d’une projection sur le lexique des relations qui fonctionnent sur l’axe textuel [15]. Mais quelle que soit la complexité des enchaînements susceptibles de se réaliser au sein du syntagme, par le jeu de l’anaphore le schéma se referme nécessairement sur lui-même.

les pommes qu’il dit que l’on écrit qu’elle mange Ø.

Et à l’intérieur de cet ensemble nécessairement clos, les enchaînements ne peuvent s’établir que sur la base de verbes qui, fonctionnant comme des relais syntaxiques (certains les appellent de ce fait « verbes parenthétiques »), ne rompent pas la relation de complémentation verbale : la relation objectale s’établit par-dessus le verbedire [16]. La limitation précise de cet inventaire verbal constitue un des paramètres du marquage syntaxique.

Dans le syntagme (N qui V), toujours fondé sur l’anaphore, il nous faut distinguer deux modalités de la relative selon la relation de solidarité syntaxique que le verbe subordonné entretient avec le prédéterminant nominal :

  • une relative « épithétique » caractérisée par le cumul des relations formelles anaphorique et modale,
  • une relative « apposée » qui fait échec à la relation modale.
    Pour établir sur des bases formelles cette distinction que la tradition fonde sur des critères logico-sémantiques, il nous faut revenir à la définition que nous avons donnée du syntagme, celle d’un sous-ensemble textuel qui associe deux (ou plusieurs) unités soumises à la rection d’un même choix lexical et qui se fonde donc sur la récursivité de l’identité. Or le nom, regroupant plusieurs morphèmes liés par la grammaire, s’unit à un verbe relatif de deux manières différentes selon que le choix du prédéterminant nominal est coextensif au syntagme ou non, selon que cette identité régit ou non l’unité verbale. Sous l’unité de la marque préfixale (le) sont en effet impliqués plusieurs choix sémiologiques (quantifiant, morphèmes du nombre et du genre) [17] qui ne sont pas tous nécessairement coextensifs au syntagme. Nous pensons donc pouvoir caractériser la relative épithétique par la fonction syntaxique du prédéterminant, et nous montrerons plus loin que la relation modale qui s’exerce dans ce schéma nous semble cautionner cette analyse
Morphèmes prédéterminantslexème nominal ------- ---verbe relatif
A [lexème N -------------------- qui V]
(anaphore)
- Préfixe quantifiant (un, certain, quelque…)
ou identifiant (le, mon, ce...)
----------------------------------⤴︎
- Morphème du genre ------------------------------------⤴︎
- Morphème du nombre ------------------------------------⤴︎

tandis que nous définirons la relative apposée, par différence, sur la base de la non-solidarité (Préfixe nominal - Verbe relatif) [18] :

B [N (préd. + lexème) -------- qui V]
(anaphore)
- Morphème du genre ----------------------------------⤴︎
- Morphème du nombre ----------------------------------⤴︎

B : [(« les enfants) – (qui avaient compris)] se regardèrent en souriant » vs. A : (« les [enfants) – (qui avaient compris) se regardèrent en souriant », où […] = limite de l’intégration syntaxique ; (…) = limite du mot.

Le choix lexical du préfixe n’étend pas son champ d’action à l’ensemble des unités solidaires dans le syntagme, il reste sans incidence sur le verbe relatif dès lors seulement soumis à l’accord en genre et en nombre.

Dans son fondement, notre analyse rejoint celle de C. Touratier [19] : « Quand la relative est déterminative, l’antécédent et, la relative forment une construction qui se combine à son tour avec le déterminant ; mais quand la relative est explicative, le déterminant et le nom forment une construction et c’est avec cette construction que la relative est en rapport syntaxique. ». L’auteur propose la représentation de cette analyse en constituants immédiats :

La différence qui nous sépare est essentiellement la reconnaissance par l’analyse structurale d’unités, les mots, chacun d’entre eux étant un « programme » segmental quantitativement minimal de fragments mutuellement solidaires. Ainsi puisque l’unité nominale solidarise précisément le déterminant et le lexème, il n’est nullement besoin, dans le cadre théorique auquel nous nous référons, de faire appel à la syntaxe pour justifier la co-présence de ces éléments lexicaux, cette solidarité étant prévue de façon contraignante par le déterminisme textuel. Selon notre analyse, nous aurions donc deux relatives dont le fondement syntaxique est le même – le processus de l’anaphore – mais qui se différencient par le fait que la relation anaphorique, dans le cas de la relative épithétique, établit la liaison entre le verbe subséquent et le lexème de son support nominal : le prédéterminant, –indissociable du lexème en tant que partiel intégré dans le cadre nominal, mais indépendant lexicalement comme morphème – régit alors l’ensemblelexème + verbe relatif (qui-V) ; alors que l’anaphore, dans le cadre de la construction apposée, instaure son lien d’intégration entre le verbe subséquent et l’unité nominale dans son entier (prédét. + lexème) le prédéterminant n’exerce pas sa rection sur le verbe relatif.

En français, il est rare que cette différence entre les deux types d’adjonction relative s’observe dans la matérialité des indices [20]. Une seule variante flexionnelle du relatif est indicatrice de ce point de vue : lequel (en emploi non prépositionnel) voit en effet son fonctionnement confiné dans la construction apposée [21]. Citons encore le cas de l’effacement indiciel qui dans la relative construite sur la base du pronom démonstratif dénote l’organisation épithétique : celui qui V par opposition à l’organisation appositive : celui-ci qui V. Comme toute forme pronominale, celui-ci représente morphologiquement l’ensemble de l’unité nominale, soit ici le préfixe identifiant et la base nominale soumise à un évidement lexical ; l’anaphorique qui instaure son lien incidental entre le verbe et la totalité du mot nominal : celui-ci (affixes prénominaux + lexème vide). L’effacement de l’adverbe de déixis (-ci, -la) marque que l’anaphore limite son extension au seul lexème évidé, l’indice celui correspond alors au préfixe qui régit l’ensemble (lexème Ø +qui V) soit :

SN celui qui V SN celui-ci qui V
(Dét. – [lexème Ø) ← (V)] [Dét. – lexème Ø) ← (V)]
• Choix rectionnels : - identifiant, - genre, - nombre • Choix rectionnels : - genre, - nombre

Où […] = limite de l’intégration ; (…) = limite de mot

L’analyse morphologique que nous faisons du pronom, comme modalité de nom à lexème-zéro, justifie encore que la relative incidente à un pronom personnel (moi, nous, eux…) ou à un nom propre (nom « autodéterminé ») soit nécessairement apposée.

Cependant, le meilleur garant que nous puissions trouver à cette interprétation syntaxique des deux modalités de la relative est certes la relation modale dont on constate le fonctionnement dans le seul schéma épithétique. Diverses corrélations de marques révèlent en effet un rapport de dépendance contextuelle entre différentes modalités de la non-assertion et le subjonctif, marque verbale de l’indétermination ; soit que cette solidarité intervienne entre certains indices déterminant le nom-base et le mode du verbe relatif, soit qu’une interrelation verbale s’établisse dans la phrase entre les morphèmes définitoires d’un premier verbe (V1) dans la dépendance syntaxique duquel s’inscrit le nom-base, et le verbe relatif (qui-V2).

Verbe 1 prédéterminant
tour superlatif : le meilleur, le plus (adj ) le seul, le premier…
Lexème nominal
Qui-verbe 2
subjonctif
négation Indéfini : Ø, un, des…
inversion interrogative
impératif
lexème verbal (il faut...)
  • « Ce fut au contraire un des plus beaux, des plus étranges spectacles que le football puisse nous offrir. »
  • « Il croyait qu’il n’y avait rien qui ne s’arrangeât dans la conversation des gens importants. »
  • « Y a-t-il quelqu’un qui ait présenté un projet cohérent ? »
  • « S’il rencontre alors un sujet qui l’émeuve. »
  • « Cherchez un remède qui puisse satisfaire tous ces besoins. »
  • « Il faut un remède qui puisse satisfaire tous ces besoins. »

Si l’on fait exception des expressions superlatives (lexicalement négativantes), l’on doit souligner que cette relation interne ne s’instaure que dans le cadre de la présence d’un prédéterminant indéfini (un, quelque, des…, le prédéterminant Ø) qui isole le nom de toute référence à un terme émis antérieurement. Forme d’évidement, au même titre que les marques qui fondent le contexte antérieur non-assertif, le préfixe est alors le relais syntaxique permettant l’extension du champ de la négation et instaure de ce fait la relation modale, à laquelle, à l’inverse, le préfixe défini fait échec [22]. On pourrait résumer ainsi les données de cette distribution complémentaire :

Verbe 1 (dont dépend le nom relatif) …PrédéterminantVerbe relatif

Assertion……………………………… défini ou indéfini… indicatif

Non-assertion………………………… défini……………… indicatif

Non-assertion………………………… indéfini…………… subjonctif

On s’explique dès lors que le cumul des relations internes anaphorique et modale qui assure fortement la cohésion syntaxique de la construction épithétique ne se retrouve pas dans l’autre type d’agencement au sein duquel le choix opéré au niveau du préfixe nominal n’a pas d’incidence sur le verbe relatif : le champ d’action de la non-assertion s’arrête alors au niveau du support nominal et n’investit que lui seul. Il faudrait encore souligner qu’inversement, lorsque s’instaure la relation cohésive négation → subjonctif, cette relation traverse la totalité du champ de la subordination, le choix négatif initial porte sur l’ensemble du syntagme qui devient négatif. Ainsi, dans l’exemple : « Je ne connais pas un sujet qui puisse l’émouvoir », le verbe relatif est soumis à la négation : (pas un sujet ne peut l’émouvoir), et seul le discordantiel ne peut alors rompre le lien de dépendance sémantique : « Je ne connais pas un sujet qui ne puisse l’émouvoir ».

Si la syntaxe se saisit dans l’ensemble des restrictions mutuelles qui affectent la pluralité des termes en présence, dans les relations internes qui instaurent une solidarité transcendant la pluralité, nous pouvons, sur la seule base des quelques observations que nous venons de faire, affirmer le caractère plus contraignant de l’organisation syntaxique dans le schéma épithétique.

Ce schéma assure sa cohésion sur la relation incidentale qui unit le relatif anaphorique au lexème nominal support, donc sur une annulation par l’anaphore de la liberté du verbe à s’adjoindre un contexte (l’effacement du préfixe verbal je, tu, il… marquant l’évidement du contexte sujet ; l’effacement du morphème le, la, les… marquant l’évidement du contexte objectal). Poursuivant l’analyse de la récursivité de l’identité au sein du syntagme, nous avons constaté qu’hypothèquent le verbe relatif plusieurs choix lexicaux opérés au niveau du support nominal : choix morphématiques du genre, du nombre, de la personne (quand le relatif est de forme qui), ainsi que du prédéterminant nominal qui assume dans cette construction une fonction ordinale, en permettant, par son évidement (cas de l’indéfini, du prédéterminant Ø…) l’influence d’un contexte d’indétermination sur le verbe relatif alors contaminé par l’évidement, et soumis au figement modal (contraint au subjonctif, forme d’indétermination verbale puisqu’elle efface la variabilité temporelle). Un réseau de contraintes contextuelles restreint la substituabilité lexicale :

  • annulation du choix lexical au sein du contexte verbal (ou sujet ou complément…) par la relation contrainte au lexème nominal antérieur.
  • réduction de la variation morphématique par la rection des choix du genre, du nombre, de la personne et aussi par la relation modale (indétermination → subjonctif).
    Défini différentiellement, l’agencement appositif instaure la solidarité du verbe relatif à son support nominal sur un réseau relationnel moins dense, donc moins contraignant. Le lien anaphorique établit son incidence sur l’ensemble du schème nominal (Prédét. + lexème), et le schéma appositif n’est pas soumis, de ce fait, à la contrainte de la relation modale. Ce serait là l’explication formelle de ce lien plus relâché, moins étroit, qu’ont souvent souligné les grammairiens en comparant la relative dite explicative à la relative déterminative.

Après avoir ainsi référé ces constructions à l’architecture qui les informe implicitement, il faudrait observer leur réinvestissement dans l’univers du sens. C’est alors au lien référentiel qui double l’anaphore que s’intéresserait l’analyse, à cette procédure référentielle qui conjure le vide en puisant dans le contexte antérieur un contenu sémantique. En se positivant pour se doter d’un sens, ces constructions abstraites nient la négativité structurale de l’instance, elles réaménagent dans l’ordre du contenu l’ordre formel sur lequel les fonde l’analyse grammaticale. L’étude sémantique des relatives permet de montrer comment le sens se greffe nécessairement sur la base de la relation syntaxique, c’est-à-dire que la rhétorique investit l’analyse préalable qu’opère la grammaire. En effet, les deux schémas distingués sont en quelque sorte ordinalement hiérarchisés selon le degré d’effacement d’autonomie mis en ordre par la syntaxe qui les fonde (cumul de relations internes ≠ seule relation anaphorique) ; plus cet effacement est grand, plus est forte l’intégration des unités au sein de l’ensemble textuel. De cette différence de degré dans la cohésion syntaxique est déductible une différence de degré dans la cohésion sémantique :

cohésion syntaxique exploitation sémantique
Relative épithétique : + → sens « déterminatif ».
→ « restrictif ».
Relative appositive : - → sens « explicatif ».

2. Les schémas enclitiques fondés sur le rapport de complémentarité qui unit un verbe à son complément (nominal, adjectival ou adverbial) antéposé

2.1. A ce type d’enchaînement se rattachent quelques rares constructions établies sur la base

d’un jonctif simple : la conjonction que ou l’adverbe comme.

(Adj– que-V) insensé que tu es.

(Adj/adv – comme-V) Insensé comme tu es ; loin comme il va.

En ce qui concerne la première construction, largement commentée par les linguistes, nous partageons l’avis de C. Touratier qui le dissocie du schéma de la relative, sans pour autant souscrire, nous l’avons vu, à la logique de sa démonstration. Nous fondons notre argumentation sur l’analyse de l’adjectif que nous interprétons non comme un type morphologique mais comme un nom manifestant par l’évidement de ses affixes sa liaison syntaxique à un contexte qui le détermine. Ainsi sommes-nous conduit à distinguer la relative adnominale (l’insensé que tu es, l’insensé dont tu parles…) de ce syntagme établi sur la prolepse de l’adjectif, complément marqué par son effacement morphématique comme dépendant formellement de l’unité verbale : tu es insenséinsensé que tu es. La rareté d’emploi de cette construction est à mettre en relation avec les nombreuses restrictions idiomatiques [23] qui l’entravent, tant au niveau de la sélection de l’adjectif que du verbe limité au seul verbe être (à l’exclusion de sembler, paraître, etc.), ou encore de son mode d’intégration dans la combinatoire phrastique.

L’on rencontre beaucoup plus fréquemment le tour construit sur l’adverbe comme :

  • (Adjectif – comme – être indicatif) (réduction significative à un verbe de la série être dans le syntagme adjectival attributif)
  • (Adjectif – comme – verbe indicatif)
    Dans ces schémas, l’enclise naît de l’évidement contextuel du verbe. Quelle que soit la marque exploitée :
  • marque de suppléance le  :
    Serviable comme elle l’est, Jeanne viendra sûrement.
  • ou son absence (degré zéro) :
    Serviable comme elle Ø est.

L’anaphore exploite ici le vide lexical pratiqué au niveau du contexte du verbe, privant ce dernier de ses diverses possibilités de complémentation.

Il est + adjectif + nom
+ nom prépositionnel
+ infinitif prépositionnel
+ adverbe
+ participe verbal
Insensé comme Pierre est (devenu) Ø • intelligent…
un savant
sur les dents
à voir
davantage, loin
parti… (exclusion de toute forme verbale qui n’appelle pas un complément attributif)
Loin comme il va Ø • mal
• lentement (exclusion de la complémentation adverbiale)

L’anaphore fonde ainsi sur cette incomplétude le lien qui l’unit à un pré-texte.

2.2. La grammaire peut encore signaler l’enchaînement d’un verbe à son complément préposé par un système de deux marques co-occurrentes.

La marque initiale appartient alors à un inventaire morphologiquement hétérogène [24] : adverbe, préposition, pronom, ou adjectif indéfini (si, aussi, tant, autant, pour, tout, quelque) ;

La seconde est un indice conjonctif invariable : que.

Le système de jonction ainsi organisé sur la solidarité des indices (adverbe/préposition… que) encadre étroitement le support adjectival ou adverbial, avec lequel le verbe, soumis à une procédure d’évidement, entre dans un lien nécessaire de complémentation. Tel est le modèle :

Indice initial +Support+ Conjonction-verbe.

Adv/prép… Adj/adv/N que-verbe

(Aus)si invraisemblable que la chose puisse paraître.

Autant qu’il ait bu.

Pour brillante qu’elle fut.

Tout émouvant qu’il est (soit)…

A quelque formation qu’il appartienne.

La seconde marque du système corrélatif peut encore être l’inversion du sujet qui fonctionne dans ce cas, à l’instar de que, comme une marque cohésive, réductrice de l’autonomie verbale :

(Aus)si/pour/toute émouvante soit-elle.

En quelque état de misère soit-il jeté.

Si nous remarquons de plus que le mode verbal est déterminé par l’interrelation (si, aussi, pour, quelque, ↔︎ subjonctif), et que ce figement modal, par réduction des variables du verbe, contribue encore à en signaler la perte d’autonomie, on saisit le caractère fortement cohésif du schéma étudié qui, signalé par un ensemble de marques corrélatives (si… que… subjonctif), se caractérise par un système de contraintes en chaîne :

a - interdépendance
• terme initial / conjonction (ou inversion) sique
(soit-il)

• terme initial / subjonctif sisubj.
b - relation interne anaphorique : vide du contexte post-verbal / complément dans le contexte antérieur.

c - choix du support adjectivai /verbe de la série être.

A ces restrictions combinatoires que nous venons de signaler brièvement, il convient d’ajouter celles qui sont inhérentes au système distributionnel de la marque initiale [25].

Ceci nous permet, pour conclure, de rapprocher les deux schémas que la grammaire construit sur un même principe d’anaphore, mais en signifiant l’évidement selon des modalités différenciés :

  • Le tour concessif agencé sur le système (quelque conjonction)
  • et le schéma relatif agencé sur le système (quelque… anaphorique fléchi)

3. Les schémas comparatifs

3.1. Les schémas anaphoriques verbaux

Après avoir successivement étudié le fonctionnement de l’anaphore au sein des schémas relatifs, puis des constructions enclitiques – tours sémantiquement concessifs – que nous avons vues établies sur le principe de la prolepse du complément verbal, nous saisirons cette relation dans différents schémas où elle organise la solidarité de deux unités verbales. Ces schémas anaphoriques verbaux sont référés par leur grammaire à deux types architecturaux différents. L’un se caractérise par la projection bilatérale des indices qui se répartissent entre les deux verbes liés au sein de l’ensemble textuel ; l’enchaînement des verbes repose donc sur la co-occurrence de deux marques complémentaires, soit le type (V1 adv/adjque-V2). Le second de ces types fonde la solidarité des unités verbales sur la base d’une jonction unique, soit le type (V1 comme V2).

Or que le modèle assure l’intégration subordinative d’un verbe sur la transitivité adverbiale ou sur la transitivité verbale ; qu’il soit corrélatif :
(V1 aussi… que le V2)
(V1 plus… que ne le V2)

ou conjonctif :
(V1… comme le V2)
(V1… plus que ne le V2)

La solidarité verbale s’instaure toujours sur le même principe fondateur : le verbe second est restreint dans sa combinatoire par sa soumission à un évidement qui referme la phrase sur la référence interne de son complément. La réduction de l’autonomie verbale déjà assurée par la présence de la conjonction (que) et par le blocage modal (indicatif) s’opère encore dans le fonctionnement de l’anaphore. En recourant à différentes procédures d’évidement lexical, la grammaire se donne les moyens d’assujettir le second verbe au contexte verbal antérieur. Ainsi observe-t-on :

  • l’insertion d’un pronom suppléant : le, en.
    La cohésion n’est pas tout à fait aussi éclatante qu’on le dit.
    La cohésion est plus éclatante qu’on ne le dit.
    Tu as moins de travail qu’il n’en a.
    L’opinion française se préoccupe, comme on peut le comprendre, de l’avenir des chrétiens du Liban.
  • La marque Ø, vide lexical qui signale le blocage de la combinaison verbale.
    La cohésion n’est pas aussi éclatante qu’on dit Ø.
    La cohésion est plus éclatante qu’on ne dit Ø.
    Apparemment, tu as perdu le fil de ton discours, comme on dit Ø.
    Comme il se doit, cette collection comprend principalement des films canadiens et québécois. (Ø, vide de la séquence du verbe impersonnel)
  • La marque pro-verbale (le) faire.
    Ils ont préparé leur voyage aussi soigneusement qu’on peut le faire.
    Il travaille moins qu’il ne l’a fait.
    Barizon (…) s’en veut d’avoir oublié de se planquer au milieu de la colonne, comme il fait d’habitude avec un art consommé.
  • La reprise d’un même lexème verbal.
    Si la société change autant dans le prochain demi-siècle qu’elle a changé au cours du précédent.
    La société changera plus dans le prochain demi-siècle qu’elle n’a changé au cours du précédent.
    Ces idées traversent l’esprit comme les piétons traversent un carrefour.
  • La réduction du verbe à son auxiliaire.
    Il voudrait qu’on jouât toujours les pièces, telles qu’elles l’avaient été à leur époque.
    Il voudrait qu’on jouât toujours les pièces autrement qu’elles ne l’avaient été à leur époque.
    … de telle sorte que les hommes soient protégés comme ils l’étaient dans d’autres secteurs.

tout évidement lexical, qu’il affecte son complément ou son propre lexème, contraint le verbe à se mettre en rapport incidental avec l’énoncé verbal qui le précède.

Il y a certes des énoncés où le verbe préserve l’autonomie de sa complémentation. Ces cas sont les plus fréquemment construits sur le modèle conjonctif [26] :

Chacun de ces chapitres fixe le sens dans l’esprit du lecteur, plus qu’il ne fait réellement progresser l’action.
Il détériore, plus qu’il ne restaure.
Les camps russes ne sont pas marxistes comme les camps allemands sont hitlériens.

Mais ce n’est pas là une spécificité qui permettrait de l’opposer au type corrélatif, ainsi qu’en attestent les exemples suivants :
Son intervention pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions.
Il tranche avec autant d’autorité que son vis-à-vis montre de modération.

Considérant ces derniers énoncés, il apparaît clairement que le verbe second résiste à l’adjonction d’un adverbe quantitatif. De plus, l’organisation symétrique des phrases et surtout le blocage instauré par la grammaire sur le complément nominal du deuxième verbe – de solutions, de modération, où le de marque le lien entre le nom et le prédéterminant adverbial effacé (*autant de modération) – témoignent du fait que le verbe est soumis à un évidement adverbial qui le renvoie à l’adverbe présent dans le contexte verbal antécédent. Dans la comparative d’égalité, cet effacement est marqué par du zéro, vide lexical entrant dans le réseau des indices anaphoriques du syntagme,ou se maintenant seul dans le cas du verbe à complément autonome. Dans la comparative d’inégalité distinguée formellement de la précédente par la présence de ne (toujours absent du schéma (V1 aussi/autant que-V2), cet indice, trop souvent méconnu dans son fonctionnement syntaxique, constitue bien l’anaphorique de l’adverbe. S. Allaire a mis en évidence (op. cit.) le système de suppléance qui s’établit entre l’indice ne et les autres indices d’évidement (le ou une de ses variantes syntaxiques, qui ne renvoient jamais à l’adverbe), chaque marque palliant l’absence de l’autre :
Il se croyait un peu plus fort qu’il n’était.
Il se croyait un peu plus fort qu’il l’était.

Ne assume dans la phrase une double fonction grammaticale :

  • Une fonction ordinale : indice d’incomplétude, il contribue par sa présence auprès du verbe subordonné à renforcer la procédure d’effacement qui formalise le sous-ensemble textuel.
  • Une fonction catégorielle : ne, témoin de la présence antérieure dans le texte de l’adverbe d’inégalité [27] constitue la marque du découpage sémiologique d’un ensemble adverbial en deux sous-ensembles lexicaux :
    (V1 plus… que—ne—le- V2 vs. V1 autant… que—Ø—le- V2)

Le réaménagement sémantique, ici l’exploitation référentielle qui vient en performance doubler l’exploitation syntaxique de l’anaphore, s’élabore sur la base de cette organisation sous-jacente. La différence dans le comportement rhétorique des phrases d’égalité et d’inégalité vient ainsi confirmer le statut ordinal de l’anaphorique ne. La performance éclaire dans l’ordre du contenu la trame organisatrice sur laquelle elle construit le sens. La soumission des phrases d’égalité et d’inégalité à l’épreuve de la permutation des verbes est à cet égard révélatrice [28], car, tandis que le rapport de comparaison reste identique dans le schéma d’égalité, il se transforme totalement dans l’autre schéma, à moins qu’on ne substitue à l’adverbe son antonyme :

Les personnages pensent plus qu’ils ne vivent.
Les personnages vivent moins qu’ils ne pensent.
Vs
Les personnages pensent autant qu’ils vivent
Les personnages vivent autant qu’ils pensent.

L’organisation de la phrase permet que s’élabore sur la base du jeu anaphorique qui la sous-tend –ne, négation structurale de l’égalité, suppléant le (ou Ø), lien incidental à l’énoncé principal – un réseau référentiel qui rend possible l’inversion des degrés dans le rapport sémantique.

Ainsi, dans les phrases corrélatives qui opèrent la liaison de deux verbes achevés de façon autonome, la relation d’enclise ne se dément pas puisque persiste l’évidement de l’adverbe quantitatif dans le verbe second, qu’il soit marqué par l’anaphorique ne (comparatives d’inégalité) ou par du zéro, vide lexical (comparatives d’égalité). Il faut d’ailleurs mettre en relation avec cette restriction combinatoire la fonction conclusive qu’elle assigne à l’anaphore, dans la mesure où l’impossibilité de compléter par un adverbe le verbe de l’échantillon interdit à l’évidence toute récursivité du schéma par auto-imbrication [29].

Nous avons pu observer que le schéma conjonctif entretenait avec le schéma corrélatif une étroite communauté de fonctionnement ; cette similarité de fonctionnement s’étend-elle aux cas où la phrase met en relation de complémentarité deux verbes qui préservent leur autonomie de complémentation ? Considérons l’énoncé pré-cité :

Les camps russes ne sont pas marxistes comme les camps allemands sont hitlériens. (J. Semprun) [30]

L’adverbe comme fait peser une détermination adverbiale identique sur les deux énoncés verbaux, excluant par-là l’adjonction libre d’un adverbe quantitatif. Et quand dans la phrase se constate la présence de tels adverbes, la grammaire les inscrit en parallèle dans l’organisation symétriques des deux groupes verbaux :
Comme les statues de la cathédrale de Chartres sont plus chrétiennes que les chrétiens dans la nef, les femmes de nos rêves sont plus féminines que celles de nos maisons. (Le Point, 17.03.75)

Vide du complément verbal (marqué par le pronom ou le zéro), vide du lexème verbal (marqué par le suppléant verbal, la réitération, ou la réduction à l’auxiliaire), vide de l’adverbe quantitatif (marqué par leneou le zéro), organisation symétrique et parallélisme adverbial, ce sont là autant de modalités qui ressortissent à la même relation d’enclise qui inscrit le verbe second dans la dépendance anaphorique du premier.

Sans doute faudrait-il encore intégrer à la marque syntaxique de ces syntagmes les restrictions qui pèsent sur les possibilités de combinaison du verbe complétif avec la négation. On peut en effet observer que le complément verbal anaphorique des adverbes (aus)si et (au)tant n’est jamais affecté du morphème de négation. Et s’il n’y a pas radicalement d’exclusion dans le syntagme construit sur la base de l’adverbe comme, les possibilités de combinaison avec les modalités de la négation y apparaissent fort restreintes.

Considérons les constructions suivantes où le rapport entre les deux verbes achevés, lexématiquement différents, organise sur comme la complémentation adverbiale de l’un par l’autre :
Il agit comme il pense. (a)
Il n’agit pas comme il pense. (b)

En (b) la négation affecte la totalité de l’énoncé, c’est-à-dire le rapport établi par comme entre les deux procès-verbaux [31], il y a projection de l’énonciation négative sur l’énoncé entier. Et cette négation bloque la réversibilité des séquences.

Comme il pense, il n’agit pas. (c)

Du fait de l’antéposition du verbe introduit par comme, la négation devient alors incidente au verbe agir dont elle nie l’assertion.

Le schéma ne peut s’instaurer sur une dissymétrie dans la négation (une assertion verbale niée, l’autre non) :

Il agit comme il ne pense pas. (d)

non plus d’ailleurs que sur la négation de deux verbes [32] :

Il n’agit pas comme il ne pense pas. (e)

car, lorsque la phrase comparative réalise l’intégration syntaxique de deux verbes achevés, l’un et l’autre négativés, elle s’établit sur les groupes cohésifs : pas plus que, non plus que, de même que… ne pas.
On ne raconte pas l’amour, pas plus qu’on ne raconte le bonheur.
Pas plus que le magistrat ne doit rejeter ce délinquant, le psychiatre ne doit le refouler.

Le complément verbal en pas plus que, alors adverbe de phrase, est rattaché à un verbe nécessairement négativé, et les séquences sont réversibles : la négation fait partie intégrante de l’organisation symétrique du schéma.

Cependant, s’il y a évidement lexématique du verbe marqué par comme, la négation, sous certaines conditions [33], devient, possible :
Il agit comme il ne le fait jamais.
Il agit comme il ne le faisait pas, comme il n’agissait pas.
Il agit comme on ne le fait pas.
Il agit comme il ne l’a pas encore fait.
Il agit comme il ne faut pas (le faire).

Une étude approfondie devrait faire la part de ce qui revient à la réduction des possibles que la syntaxe introduit dans la phrase, et de ce qui ressortit aux exclusions sémantiques. Le même intérêt est requis par les syntagmes construits corrélativement sur l’adjectif tel : V1 tel… que-V2.
Les gens se révélaient tels qu’on ne les imaginait pas auparavant.

Il apparaît nettement en tout cas que la possibilité de la négation selon ses diverses modalités énonciative ou appellative, selon son lieu d’incidence et surtout son rapport au verbe, est fonction de l’évidement anaphorique fondateur du schéma.

3.2. Les schémas comparatifs construits sur l’ellipse verbale

Ces constructions elliptiques, c’est-à-dire construites sur l’absence de l’assertion verbale, ressortissent abstraitement au même principe d’intégration que les schémas verbaux précédemment analysés : il s’agit toujours d’assurer la solidarité des unités sur l’exploitation d’un évidement du contenu lexical. De l’évidement lexématique du verbe marqué par une forme suppléante ou une réduction à ses affixes grammaticaux :

Il travaille plus qu’il ne l’a fait.

à son évidement morphématique par sa réduction au participe :

On a autant bu que mangé.

à l’absence de son assertion :

On a bu davantage qu’hier Ø.

quel que soit le degré de cet évidement, la grammaire construit le texte sur du non-dit, sur le même fonctionnement ordinal des marques de l’absence : absence d’appellation (effacement lexématique ou morphématique en contexte verbal), absence d’énonciation (effacement du mot verbal dans ces énoncés elliptiques [34].

A travers leurs diverses modalités de réalisation :

  • devant un nom mis par l’ellipse en rapport syntaxique de sujet ou de complémentation directe ou indirecte avec le verbe antérieur, d’où l’ambiguïté possible de certains énoncés (cf. ex. 2 infra) :
    Le siècle est éclaboussé de sang, comme tous les autres siècles de l’histoire. Peut-être davantage même que les autres siècles de cette longue histoire.
    (Semprun, p. 139)

Il me regarde comme un imbécile. C’est-à-dire comme si j’étais un imbécile.
(Semprun, p. 175)

  • devant un adverbe :
    Il y avait eu du silence comme aujourd’hui (autant qu’aujourd’hui /plus qu’aujourd’hui).
  • devant un adjectif :
    Sa présence est aussi discrète que chaleureuse.

ces schémas neutralisent les distinctions opérées par la grammaire au niveau des constructions verbales entre l’égalité et l’inégalité d’une part (la particule ne ne fonctionne que devant un verbe fini, ce qui est une autre confirmation de son statut d’effaceur d’autonomie), entre jonction conjonctive et jonction corrélative d’autre part.

4. Les constructions incises

De tous ces syntagmes réinvestis très diversement dans l’ordre du contenu : sens restrictif, appositif, concessif, comparatif, opposés également en structure par des traits différentiels, mais surtout apparentés par le principe d’intégration anaphorique qui les fonde, nous rapprocherons les constructions incises, autre modalité de la relation syntaxique d’anaphore.

Encore faut-il parvenir à une définition linguistique de l’incise. Face à ce problème, les différentes attitudes méthodologiques adoptées sont bien évidemment déterminantes. De nombreux générativistes se sont intéressés à ce domaine et sont partis de la présupposition d’une classe de verbes dit « parenthétiques » pour formaliser ces constructions. Il s’agit alors pour Ross [35], par exemple, qui s’est intéressé en anglais aux incises dont la base est au style indirect, de dresser la liste des verbes qui, entrant dans une structure de phrase (No V que P (complétive)), ont la possibilité d’apparaître dans une structure (P, No V ou P, V No) sans que le sens de la phrase en soit affecté. La seconde construction est alors considérée par Ross comme le produit d’une transformation s’appliquant à la structure de phrase contenant P comme complétive. Une solution transformationnelle de ce type proposée pour le français impliquerait donc nécessairement d’établir que (P, No V) est une structure dont la dérivation s’étudie à partir de (No V que P).

Elle disait qu’elle avait peur.
Elle avait peur, disait-elle.

M. Gross comme Cl. Blanche-Benveniste [36]qui adoptent une attitude comparable, rejoignent, quant à eux, la notion de « manner of speaking verbs » que définissait A. Zmicky [37] : les verbes qui décrivent des caractéristiques physiques des actes de parole ont automatiquement en commun certaines propriétés grammaticales dont celles de régir des complétives directes et d’être parenthétiques.

Or cette classe verbale ne laisse pas d’être douteuse, et la notion de verbe parenthétique n’est sans doute pas une notion formelle. Nous rejoignons pleinement sur ce point B. de Cornulier [38] et souscrivons à ses arguments. En effet dans de nombreuses phrases, l’incise n’apparaît pas dérivable d’une principale :

  1. On se moquait d’elle, l’interrompit-elle.
  2. Elle l’interrompit qu’on se moquait d’elle.
    Et quelle analyse précise fait-on, quand on fait dériver la structure à incise d’une structure de type :
  1. Elle l’interrompit = on se moque de moi.
  2. Elle l’interrompit = on se moquait d’elle.
    Existe-t-il vraiment, entre les éléments de l’organisation manifeste en (1) et (2) ci-dessus une relation grammaticale ? Y a-t-il une différence entre ce type d’agencement (1) et (2) ci-dessus, et celui des énoncés suivants :
  1. Elle s’approcha = on se moquait d’elle.
  2. Elle s’approcha = « Pourquoi se moque-t-on de moi ? »
    Il est certain en tout cas que cette relation, si elle existe, ne peut en aucun cas se confondre avec la transitivité objectale. Il est donc faux que l’on puisse toujours supposer au départ une structure à complétive.

Par ailleurs, la base de l’incise n’est pas toujours un complément possible.
Encore une erreur, me semble-t-il. Dérivation de *Il me semble qu’encore une erreur ?

Quant à concevoir un énoncé : Vous, bava-t-il, comme issu d’une transformation supposée, par ellipse, de : Vous, dit-il en bavant, cela pose certaines difficultés, puisque paradoxalement, dans certains énoncés, c’est la forme totale Certainement pas, dit-il en interrompant qui apparaît incomplète (ici interrompant paraît non saturé transitivement) face à la forme elliptique : Certainement pas, interrompit-il.

Il faudrait encore ajouter à la difficulté de construire une liste de verbes parenthétiques, l’extrême diversité et l’extrême complexité des conditionnements qui viennent limiter l’exercice de la transitivité séquentielle du verbe en incise (facteurs de l’aspect, de la négativité, du régisseur verbal du verbe en incise, du sujet auquel ce verbe en incise se trouve associé, de sa base etc.).

Il suffit donc de multiplier les exemples pour se voir contraint à pulvériser cette classe verbale présupposée formelle en autant de cas d’espèce qu’en offre la diversité des phrases concrètes. Ce qui compte en effet, ce n’est pas le choix du verbe, mais le rapport sémantique de l’incise et de la base, et ce rapport dépend de la situation. La plausibilité des incises n’est pas une propriété formelle d’éléments grammaticaux mais une conséquence de la conception que nous avons des moyens de construire le sens.

Si l’inventaire de ces verbes parenthétiques ne peut donc que laisser systématiquement dans l’ombre le fonctionnement syntaxique du schéma, il est nécessaire, pour dégager celui-ci, d’opérer sur la base d’une autre analyse formelle.

Le processus grammatical de l’incise est l’anaphore, cette relation enclitique qui élabore sur un vide structural le rapport à un contexte.

Nous définirons les incises comme des verbes non marqués par un jonctif et construits sans séquence de complémentation.
Deux mots à te dire, dit Daniel.
Dis-moi, lui dis-je.
Tout à l’heure, dit Daniel. (Semprun, Quel beau dimanche, p. 31)

Ces constructions cumulent les indices d’effacement :

  • l’inversion du sujet, clitique ou non,
  • l’enclave : position à l’intérieur ou à la fin de la séquence-base, mais non au début,
    Je, te dis-je, j’habite une chambre choisie pour ses deux fenêtres. (Semprun, ibidem p. 244)
    Mais, disait-elle.
  • l’ellipse de la séquence de complémentation, marque de la relation d’anaphore : la séquence de complémentation est trouvée dans le contexte.
    Et l’on remarque que la diversité de la séquence n’entame aucunement l’unité du processus syntaxique :
  • séquence au style direct :
    « Regardez en haut » nous est-il constamment conseillé. (Claudel) [39]
    « Regardez en haut » nous conseille-t-on.

Le rapport se fait à un texte, à une citation :
« Tu n’es pas habillé ? » était sa première phrase.
« Syntaxe » porte le titre, et non pas « grammaire » [40].

  • Séquence : un autre groupe verbal :
    « Elle avait peur », disait-elle.
  • Séquence : un nom ou un nom adjectival :
    Aucun rapport, m’a-t-il été répondu. (J. Romains, cit. Le Bidois).
    D’autres propositions, plus adéquates croyons-nous, nous seront soumises sous peu.
  • séquence : des initiales : « P.B.I. » portent les invitations à danser (pas de bouches inutiles). A. Corthis, cit. Le Bidois.
    Sur la même relation syntaxique s’élabore un autre schéma qui se distingue du précédent par la disparition d’un des indices d’incomplétude : l’ellipse de la séquence de complémentation, soit que l’on soit en présence d’un verbe intransitif,

Oh ! riait l’invitée, elle ne peut pas trouver un meilleur professeur. (Proust, cit. Le Bidois).
Mais naturellement, se hâta-t-elle, il paierait.
« Ah ! vous voilà vous autres » s’étonna un peu de nous voir M. Puta. (Céline, cit. Le Bidois).
Léon tu te fatigues, essayait de le calmer Madelon.
Non, secoua-t-il la tête.

C’est alors le phénomène de l’enclave qui assure la relation enclitique, et ces schémas conduisent à souligner avec force la spécificité du complément du verbe en incise, puisqu’il s’agit d’une complémentation syntaxique qui peut se rencontrer quand la transitivité objectale est exclue : elle ne saurait donc se confondre avec cette dernière.

Des agencements précédents, nous distinguerons les incidentes ou incises progressives qui se définissent par

  • le blocage ou l’ellipse de la complémentation (indice le dont la présence interdit tout autre complément, ou indice Ø) :
    Il est gentil, vous (le) savez.
  • l’autonomie positionnelle parfaite (le d’orientation anaphorique ou cataphorique) :
    « Les prix, vous savez, sont excessifs. »
    « Vous savez, ses prix sont excessifs. »
  • l’autonomie modale.
    Interrogation :
    « l’avons-nous dit. »
    « le savez-vous. »
    Négation : « vous ne le savez pas. »
    Mode impératif : « sachez-le. »
    (alors que dans le schéma précédent, l’inversion ordinale excluait l’incidence de la négation, et bien évidemment l’inversion interrogative.)

Ce dernier schéma est-il aujourd’hui une forme structurale figée ? les nombreuses restrictions qui pèsent sur lui le laissent penser. Mais seules des recherches systématiques pourraient en faire la preuve. En ce qui concerne le verbe impersonnel, M. Hériau a déjà établi que le seul modèle extensible de l’incise, le seul vivant, est le modèle qui comporte l’inversion du morphème impersonnel.

***

Si rapidement que nous ayons entrevu les traits structuraux définitoires de ces divers schémas, l’analyse a toujours mis en évidence l’identité du principe fondateur qui sous-tend leur organisation : la même exploitation syntaxique du vide, de l’absence, absence d’appellation mais aussi d’énonciation. Dans le cadre abstrait de cette identité relationnelle, nous avons observé comment chaque syntagme se diversifie, non seulement sur les modalités et le lieu d’évidement anaphorique, mais aussi selon le type de jonction conjonctif ou corrélatif, flexionnel ou non, selon les restrictions combinatoires différenciées qu’instaure la syntaxe (interrelation modale ou figement modal) :

Quelque intérêt qui soit porté à ce livre.
Quelque intérêt qu’ait ce livre.
De quelque intérêt que soit ce livre.
(Nous avons trouvé) les conditions les meilleures qui soient.
Nous avons trouvé des conditions meilleures qu’on ne pouvait l’espérer.
(Pour) autant que je puisse travailler.
Je travaille autant que je peux.
Je travaille autant que toi.
C’est plus idiot que tu ne le dis.
« C’est idiot », dis-tu.

C’est par l’organisation implicite du réseau relationnel qui enchaîne les unités en présence que se constitue abstraitement la structure syntaxique [41].

Si la relation d’anaphore nous est apparue comme un fait de grammaire manifestant avec netteté le processus de négativation structurale, elle nous contraint à la dissocier de la relation d’anaphorisation, fait de contenu, qui lui est nécessairement superposée dans la phrase. Pour faire apparaître clairement cette déconstruction, il n’est que de considérer des énoncés devenus ambigus du fait de la sous-différenciation de la marque ; ainsi l’exemple suivant indifférencié en raison d’une homophonie modale :
Les difficultés ne sont pas telles qu’on les expose ici.

a) Soit que la grammaire exploite ordinalement les marques d’évidement : les et Ø. Dans ce cas, les, complément grammatical, n’est plus ouvert au choix lexical et son évidement n’est pas récusable par le locuteur. La marque suppléante, comme celle du vide lexical, annulant la substituabilité lexicale, toutes deux deviennent indices de complémentarité, puisqu’à travers, elles, le second verbe appelle un double complément qui va le prédéterminer, et manifestent une absence qui rend le second verbe nécessairement relatif au premier : l’anaphore s’éprouve dans la résistance absolue à la rupture de la coréférence. Et, rhétoriquement, le sens va s’instaurer contradictoirement sur le tremplin de la forme : par la connexion sémantique les marques vides entrent en relation avec les éléments du contexte antérieur qui leur communiquent leur sens ; le second terme devient ainsi le comparant du comparé, et l’adjectif tel, saisi dans le filtre de cette analyse, est investi d’un sens comparatif.

b) Soit encore que les fonctionne comme une marque suppléante seulement exploitée référentiellement sans que la formalisation de la phrase ne lui confère un statut syntaxique. L’énoncé ressortit à un autre schéma caractérisé par une interrelation modale et l’autonomie de complémentation du verbe second.

Les difficultés ne sont pas telles qu’on doive les exposer ici.

Les est alors substituable : → qu’on doive l’exposer/qu’on doive vous licencier. Certes les peut référer à un nom du contexte verbal antérieur (les difficultésles), mais il peut tout aussi bien être anaphorisé à un élément extérieur à la phrase : Nous avons déjà réfléchi à certaines mesures. Mais les difficultés ne sont pas telles qu’on les expose ici. Dans cette autre trame abstraite, l’analyse investit tel d’un sens intensif au sein d’une phrase consécutive.

Il ne peut certes y avoir anaphore grammaticale (relation d’enclise) sans coréférence ; Il ne peut certes y avoir anaphore grammaticale (relation d’enclise) sans coréférence ; mais cette relation sémantique en déborde largement le cadre. D’une part parce qu’elle étend son champ de fonctionnement au domaine transphrastique, d’autre part parce que les indices sur lesquels elle s’instaure sont infiniment plus nombreux et plus variés que la classe restreinte de référents sur lesquels s’établit la relation formelle [42].

Par l’anaphore, la grammaire crée le texte en fondant son organisation sur le principe du vide lexical, un vide contraint, non récusable par le locuteur.

Par l’anaphorisation, le locuteur ne cesse de conjurer le vide grâce à la connexion sémantique qui assure la progression et la cohésion du sens dans le texte.


Notes

[1Voir O. Ducrot, T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, p. 358 et 59.

[2Voir M. Maillard, « Essai de typologie des substituts diaphoriques », p. 56 et 59, Langue française n° 21. Dans cet article l’auteur propose d’appeler « diaphores » les relations qui s’établissent entre un élément antécédent et un élément ultérieur dans la chaîne. Les diaphores se subdivisent en « anaphores » et « cataphores » selon que le pronom, terme vide, réfère à un segment plein antérieur ou subséquent.

[3Le locuteur peut certes recourir au phénomène de la suppléance par simple choix rhétorique, le rapport référentiel s’instaurant alors en dehors de toute relation grammaticale d’anaphore. Mais l’anaphore constitutive d’une liaison syntaxique dans la phrase s’accompagne nécessairement d’un rapport sémantique de référence.

[4Incidence : rapports structuraux internes au signe. ≠ Référence.

[5« Discours » : texte en situation.

[6Cf. J.-C. Milner, Arguments linguistiques, Paris-Tours Marne 1973, et Quelques opérations de détermination en français, service de reproduction des thèses, Lille 1976.

[7« Tout message est le lieu d’un double processus dont les phases sont entre elles dans une relation d’antécédence logique et non pas temporelle ou sociale », J. Gagnepain, Séminaire [inédit], 1974-75.

[8La réfraction de la rationalité humaine en quatre plans de médiation autonomes que se distribuent les sciences fondamentales (glossologie, ergologie, sociologie, axiologie) n’exclut pas l’interférence de ces plans au sein de tout objet culturel ; d’où le principe de déconstruction de l’objet-langage et la nécessité de distinguer, parmi les médiations qui le concernent, celle qui le spécifie, la glossologie, de celles qui lui sont incidentes comme la sociologie. Analyser le langage, c’est avant tout dissocier le processus de grammaticalisation qui le spécifie, du processus d’idiomatisation qui l’informe sociologiquement, du processus d’axiomatisation qui l’instaure comme réticence.

[9La capacité grammaticale, à la fois taxinomique et générative, différencie (en identités), segmente (en unités) et en raison de la réciprocité des axes catégorise (en paradigmes) ou ordonne (en syntagmes). Au premier degré de formalisation les « mots » représentent les unités de segmentation, unités constrastives du « texte », ce dernier vocable désignant le caractère toujours déconstructible en unités formelles minimales de tout énoncé.

[10S. Allaire, dans Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs, Thèse d’Etat, U.H.B. – Rennes 1977, a mis en évidence le statut de ces marques de la complémentarité et en particulier la fonction ordinale longtemps ignorée des marques adverbiales, de la négation et des pronoms référents.

[11Le repérage des marques ne saurait non plus se confondre avec la simple observation des indices matériels à la surface du message, ou encore avec l’examen de la combinatoire séquentielle. La marque ne se constate pas, et, faute d’en éprouver le mode de fonctionnement, l’on s’expose à des rapprochements bien peu significatifs. Ainsi la similarité de l’organisation séquentielle (adverbe/adjectif que verbe) qui permettait à Dauzat (repris par Touratier) de comparer les tours : « lâche que je suis » et « heureusement que tu es venu », et de les interpréter comme obtenus par « dislocation » à l’intérieur d’une proposition exclamative, s’avère-t-elle fort insuffisante pour permettre de reconnaître le statut formel de l’indicequedans la construction adjectivale.

[12Christian Touratier, La relative. Essai de théorie syntaxique, Paris, Klincksieck, 1980, p. 125-126.

[13L’exemple cité est traité en même temps que les énoncés suivants :

« Il ne la reconnut pas, accoutumé qu’il était à la voir. »
« De blême qu’il était, le visage de Palmyre s’empourpra. »

[14Ce n’est certes pas la conclusion que nous contestons ici, mais le type de démonstration qui y conduit.

[15Qui marque l’évidement du contexte sujet verbal, c’est-à-dire l’impossibilité du verbe qu’il introduit à s’adjoindre librement un sujet (nom – pronom – V inf – V que (subjonctif) ; que marque le blocage de la suite complétive verbale… Le verbe ainsi évidé en tel ou tel lieu est rendu nécessairement relatif au contexte nominal antérieur : sur cette relation abstraite d’enclise se greffera la relation sémantique de référence, productrice de sens.

[16Cf. L’homme avec qui je sais que tu es sorti. Cité par J.-C. Milner (op. cit., p. 315).

[17Plusieurs choix morphématiques « amalgamés » dans un matériau unique.

[18Cf. C. Touratier, ouvrage cité, p. 379 : « Le quantificateur englobe la relative déterminative. Inversement, on peut dire que d’une certaine façon la relative explicative englobe le quantificateur. »

[19Ibidem, p. 371. L’auteur souligne lui-même la conformité de sa description à la remarque de N. Chomsky dans Aspects de la théorie syntaxique (Paris, Seuil, 1971) : « Les relatives non-restrictives sont plutôt des compléments du SN ».

[20L’on pourrait aussi retenir comme indices, l’intonation et son correspondant graphique : la ponctuation.

[21J. Dubois, Grammaire structurale du Français, I, Nom et pronom, Larousse, l967, souligne en cela l’importance de sa composition morphologique.

[22Une exception toutefois qui devrait recevoir sa justification, celle de « l’attirance modale » : V1 (subjonctif)… qui-V2 (subjonctif) : « Vous nous avez dit qu’il est normal que ce soit le président de la République qui soit le dernier orateur. »

[23Restrictions auxquelles peuvent échapper certaines régions comme la Bretagne bretonnante où l’antéposition du complément adjectivai devant un verbe conjonctif est largement répandue, en raison du substrat celtique.

[24Base du syntagme et partiel de sa marque, le terme initial appartient à un inventaire, que nous appellerons syllexique, lequel n’est définissable que si est déjà préalablement définie la relation syntaxique qui organise le texte. Ces marques hétérogènes morphologiquement sont constituées en série par le seul fondement syntaxique.

[25Il serait intéressant d’approfondir le rôle qu’assument au sein de cette construction les adverbes quantificateurs (si,aussi, autant) ainsi que les adverbes différenciateurs (plus, mieux, moins) dans la mesure où ces derniers comme les précédents peuvent sous la détermination de la préposition pour (pour si intéressant qu’il soit, pour autant que je sache, pour plus/moins intéressant qu’il soit…),et avec cette dernière, constituer un groupe initial pour -adverbe solidaire de l’indice conjonctif (que, inversion). On cernerait ainsi de proche en proche la fonction ordinale dont ces adverbes et cette préposition sont investis par la grammaire qui organise sur leur base des constructions diverses parmi lesquelles les schémas comparatifs intégrés dans notre champ d’investigation.

[26L’intégration subordinative apparaît plus favorable à l’autonomie de complémentation du verbe que ne le sont les constructions corrélatives sous-tendues par un réseau relationnel plus complexe et plus dense.

[27Ces adverbes étant définis négativement comme ce que ne sont pas les adverbes d’égalité. C’est la syntaxe qui fonde la distinction des deux syllexiques.

[28S. Allaire, op. cit. p. 215. R. Martin, « La paraphrase par double antonymie en français », in Modèles logiques et niveaux d’analyse linguistique, p. 126, Klincksieck, 1976.

[29Cf. S. Allaire, op. cit., p. 164.

[30Que cette détermination identique soit infléchie sémantiquement selon le contexte discursif dans une orientation qualitative ou quantitative. Cf. B. Pottier, « comme » = nombrant d’équivalence.

[31Distinction entre la négativation du procès d’énonciation (ne pas = je ne pense pas que… il n’est pas vrai que…) et la négation d’un contenu notionnel. Cf. O. Ducrot, Dire et ne pas dire, p. 104, sur la distinction des deux négations « descriptive » et « métalinguistique » (acte de parole de négation).

[32L’antéposition du verbe conjonctif en (d) et (e) :
Comme il ne pense pas, il agit. Comme il ne pense pas, il n’agit pas.
comme en (c) : Comme il pense, il n’agit pas permet d’actualiser un autre schéma, celui de la phrase causale, schéma non anaphorique, qui n’est pas soumis à ces restrictions de combinaison avec la négation.

[33Identité ou non-identité des sujets, relations temporelles et aspectuelles verbales.

[34Cf. R. Le Bidois, « implication du verbe dans les propositions comparatives », Le français moderne, XXIV, 2, avril 56, pp. 81-89. Et G.O. Rees, « Implication du verbe en proposition comparative », ibidem XXII-4, oct. 54, p. 287. L’ellipse est une marque d’évidement renvoyant à la forme syntaxique ; son explication est fondée dans l’ordre structural. Elle n’est pas à considérer comme une simple « implication du verbe » dans ces constructions zeugmatiques qui consistent « à ne pas répéter un terme qui figure déjà, sous une forme identique ou analogue, dans un membre de phrase immédiatement voisin ; le terme implicite à rétablir étant fourni par le contexte ou se déduisant plus ou moins naturellement de ce contexte ». Ce sont considérations qui relèvent de l’explicitation du message, correspondant à la phase de réinvestissement du schéma où le vide structural est par la référence au contexte « plein » antérieur.

[35J.-R. Ross, « slifting », in The formal analysis of natural language, Mouton, 1973. Ross s’intéresse aux verbes d’incises dont la base est au style indirect : On se moquait d’elle, disait-elle., tandis que M. Gross dresse la liste des verbes d’incises à style direct : « On se moque de moi », disait-elle.

[36M. Gross, Méthodes en syntaxe, Hermann, 1975, pp. 105-106 et table 9. Cl. Blanche-Benveniste, Recherches en vue d’une théorie de lagrammaire française, Champion, 1975, pp. 337-339.

[37A. Zmicky, « In a manner of speaking », in Linguistic Inquiry, vol 2,n°2, MIT Press, 1971.

[38B. de Cornulier, Considérations sur les incises en français contemporain, Thèse de 3e cycle, Aix, 1973, et « L’Incise, la classe des verbes parenthétiques et le signe mimique », in Cahiers de linguistique, n°8, Univ. De Québec, 1978.

[39Cit. M. Hériau, Le verbe impersonnel en français moderne, Lille 1980.

[40R. Wagner, L’Ancien français, cit. par Le Bidois, L’inversion du sujet dans la prose contemporaine, D’Artrey, 1952.

[41Cette diversification formelle sur fond d’anaphore explique que le discours utilise souvent de façon complémentaire ces schémas qui exploitent souvent d’ailleurs les mêmes adjectifs ou adverbes. Ainsi Touratier observe que la construction relative « peu orthodoxe » : On lui détacha toutes les personnes dont on disait qu’elles lui feraient plus d’impression laisse souvent place à la construction incise : On lui détacha toutes les personnes qui, on le disait/disait-on, feraient plus d’impression.

[42Le locuteur peut anaphoriser sur la base d’indices comme cela, ainsi…Il ne peut fonder sur eux une relation d’anaphore.


Pour citer l'article

Danielle Velly« L’anaphore : relation syntaxique ? », in Tétralogiques, N°1, Problèmes de glossologie.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article275