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Jean-Michel Le Bot

LiRIS, EA 7481, Université Rennes 2, jean-michel.lebot chez univ-rennes2.fr

Écologie et culpabilité : un recyclage post-chrétien ?

Résumé / Abstract

Plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse que l’écologisme militant pourrait avoir hérité du christianisme et de sa dénonciation de l’orgueil des hommes. De façon parfois caricaturale, il lui a été reproché de trop mettre l’accent, comme le faisait le christianisme, sur la question de la faute et de la culpabilité. Cela peut sembler paradoxal, car l’écologie politique, au moment de son apparition dans les années 1970, apparaît très largement associée aux courants libertaires qui participent de la dénonciation de ce que l’historien Jean Delumeau a appelé la « pastorale de la peur », dans le cadre d’une « offensive culturelle généralisée contre toutes les formes de culpabilité et de culpabilisation » (Guillaume Cuchet). Mais le paradoxe est seulement apparent et résulte, comme le montre cet article, d’une assimilation encore trop fréquente de la morale, et avec elle de la faute et de la culpabilité, à la religion, alors qu’elles n’ont rien de spécifiquement religieux.

Several authors have suggested that militant environmentalism may have inherited Christianity and its denunciation of human pride. In a sometimes caricature way, it has been criticised for placing too much emphasis, as Christianity did, on the question of fault and guilt. This may seem paradoxical, since political ecology, at the time of its appearance in the 1970s, appeared to be very largely associated with left-libertarian currents that participated in the denunciation of what the historian Jean Delumeau has called the “Pastoral of fear”, within the framework of a “generalised cultural offensive against all forms of guilt and culpability” (Guillaume Cuchet). But the paradox is only apparent and results, as this article shows, from a still too frequent assimilation of morality, and with it of fault and guilt, to religion, whereas there is nothing specifically religious about them.



Introduction

En conclusion de son livre sur la façon de faire de l’histoire religieuse dans une société sortie de la religion, Guillaume Cuchet observait, à partir d’une petite enquête dans les rayons psychologie, développement personnel, ésotérisme, religion et philosophie d’une grande Fnac parisienne que la quête de sens n’a pas disparu de nos sociétés et que nous sommes loin, de ce point de vue, de l’« ère du vide » dénoncée par certains  [1]. Le contraire, remarque-t-il encore, eut été étonnant, sauf à imaginer une « aussi radicale qu’improbable mutation anthropologique » (Cuchet, 2013, p. 227). « On se prend même à se demander parfois », poursuivait-il, « si les mutations culturelles de la modernité ne se sont pas faites, somme toute, à crédulité constante » (Cuchet, 2013, p. 227). C’est de façon affirmative en tout cas qu’il voyait se profiler « derrière la demande spirituelle de nos contemporains [...] une nouvelle psyché très largement post-chrétienne, mais en partie seulement post-religieuse, dont on ne sait pas toujours très bien si elle est née, chez nous, de la décomposition du catholicisme autrefois majoritaire, ou si elle a été simplement mise à jour par son reflux » (Cuchet, 2013, p. 228).

Cette dernière interrogation pouvait faire écho aux réflexions de Marcel Gauchet au sujet de l’écologie et cela d’autant plus que, tout en se méfiant des « vues cavalières » de Gauchet sur l’histoire universelle et sans partager le moins du monde la thèse, prudente chez le philosophe, d’une mutation anthropologique, Guillaume Cuchet se disait intéressé par l’idée d’une histoire anthropologique, défendue également par Gauchet, qui se donne pour objectif de retracer « l’évolution des repères de soi, impliquée par la sortie de l’expérience religieuse traditionnelle, et celle de ses contenus vécus » (Cuchet, 2013, p. 63). Dans un article publié initialement dans la revue Le Débat en 1990, Gauchet voyait dans l’écologie une manifestation dans le monde spirituel de la maxime attribuée à Lavoisier selon laquelle « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Le vieux gauchisme se serait transformé en écologisme « sous la pression d’un milieu rendu inhabitable par l’irrésistible victoire des démocraties capitalistes » (Gauchet, 2002, p. 201). Plus important encore, la thématique écologiste recyclait selon Gauchet « un bagage théologique apparemment bien oublié, mais profondément présent toujours dans les tréfonds d’une culture nourrie de tradition chrétienne et n’attendant que le réemploi. Quoi de plus en situation, somme toute, que la classique dénonciation de l’orgueil satanique d’une créature voulant outrepasser ses limites et méconnaissant qu’elle ne s’appartient pas, pas plus que la création ne lui appartient » (Gauchet, 2002, p. 202).

Quelques années plus tard, c’est Michel Lagrée qui apportait quelques éléments pouvant étayer cette thèse d’un « recyclage ». Dans un livre sur les attitudes des catholiques envers les innovations technologiques des différentes révolutions industrielles, il montrait que, dans la période qui va de 1830 à 1960, dans l’espace francophone en tout cas, le catholicisme a été partagé entre un courant technophile et un courant technophobe, sans que ce clivage ne coïncide avec celui du libéralisme et de l’intransigeance. Si Louis Veuillot et ses successeurs sont allés jusqu’au bout de la logique intransigeante en dénonçant l’industrialisation, le courant intransigeant majoritaire acceptait largement les innovations technologiques qui soulageaient la peine des hommes et apportaient de nouveaux outils d’évangélisation. Sa condamnation sans appel du modernisme épargnait largement le progrès technique. Bien que minoritaire, le courant technophobe n’était pas sans influence toutefois et l’historien suggérait qu’il pouvait avoir joué un rôle dans l’apparition, au cours des années 1970, de l’écologisme militant. La carte de la pratique religieuse au milieu du XXe siècle ne correspondait-elle pas, dans ses grandes lignes, à celle du vote écologiste deux ou trois décennies plus tard ? « Les arguments opposés à l’électricité nucléaire », observait en tout cas Michel Lagrée, « étaient déjà largement contenus dans le discours de ceux qui, au XIXe siècle, dénonçaient l’attentat commis par l’industrialisation contre la Création : des paysages défigurés, une prétention dangereuse pour l’homme à jouer les démiurges, la technicisation croissante du contrôle social au prix de la liberté » (Lagrée, 1999, p. 381). Les engagements écologistes pourraient donc dans certains cas avoir pris le relais des engagements religieux, y compris chez des militants ayant abandonné toutes références explicites au catholicisme, mais n’ayant pas totalement rompu avec ses enseignements.

Une dizaine d’années plus tard encore, c’est dans un tout autre genre, celui du roman satirique, que l’écrivain Iegor Gran, fils du dissident russe Andreï Siniavski, soulignait cette dimension religieuse des engagements écologistes (Gran, 2012). Le récit, largement autobiographique, débute un soir de mai 2009, quand le narrateur, qui exerce comme l’auteur le métier d’écrivain, découvre sur le tableau d’information du hall d’entrée de son immeuble une affichette invitant les occupants à ne pas manquer, le 5 juin suivant, la diffusion sur France 2 du film Home de Yann Arthus-Bertrand. L’invitation est accompagnée d’une injonction : « Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la planète. Ensemble, nous pouvons faire la différence ». Une inquiétude s’empare aussitôt du narrateur, né, comme l’auteur, en URSS  [2] : « On veut m’imposer quelque chose. [...] On aimerait bien penser à ma place ». Malgré les mises en garde de son épouse, il s’engage dans une enquête et un travail d’écriture sur le sujet, qui le conduit à se brouiller avec son ami Vincent. Ce dernier a très peu apprécié le premier texte, une tribune réellement publiée par l’auteur dans Libération du 4 juin 2009, dans laquelle le narrateur dénonçait l’opportunisme de Home. Le roman, à partir de là, multiplie les assimilations du discours écologiste au discours religieux. Le narrateur relève tout particulièrement, dans les discours et comportements de son ami Vincent, l’omniprésence de la question de la faute et de la culpabilité. « Vincent se sent fautif. Il observe les agressions innombrables de l’espèce humaine contre la nature et il sait qu’une part de la responsabilité collective est sur ses épaules. Une mauvaise conscience le travaille » (Gran, 2012, p. 43). Le narrateur ne peut s’empêcher de relever une certaine hypocrisie chez son ami. « Sa bigoterie s’arrête là où commence son véritable confort, ses véritables habitudes ». Mais cela n’empêche pas Vincent de multiplier les signes de dévotion : « Il met un point d’honneur à faire son marché bio, le dimanche matin, boulevard Raspail. Il va chez Biocoop. Son café est équitable [...]. Son papier-toilette ressemble à un journal d’Europe de l’Est, il est gris et n’absorbe pas » (Gran, 2012, p. 44-45). Et de même que « les catholiques, quand ils ont péché, peuvent aller chez un curé et s’acheter une bonne conscience [...] la nouvelle religion de Vincent [...] a inventé la “compensation carbone”, mécanisme par lequel on verse son obole à chaque fois que l’on émet du CO2, à charge pour l’ONG ainsi gratifiée de planter un arbre ou de réaliser un autre sacrement veillant à la “neutralité carbone”. Pour ce remake des indulgences, la demande est, paraît-il, insatiable » (Gran, 2012, p. 47).

Si nous avons cité ce roman satirique, c’est parce qu’il met l’accent, en employant bien sûr les procédés du genre, sur une dimension qui était latente dans les références précédentes. Si l’écologisme peut faire partie de cette psyché « post-chrétienne, mais en partie seulement post-religieuse » dont parle Cuchet, s’il peut sembler recycler toute une tradition chrétienne dénonçant l’orgueil prométhéen, n’est-ce pas d’abord en raison de sa dimension axiologique, qui interroge la moralité des modes de vie et de consommation contemporains et peut conduire, comme le montre de façon satirique Iegor Gran, à multiplier les comportements visant à prévenir une culpabilité ou à réparer une faute ? La question peut sembler paradoxale, car, comme nous le montrerons dans la première partie de cet article, l’écologie politique, au moment de son apparition dans les années 1970, apparaît très largement associée aux courants libertaires qui participent de la dénonciation de ce qu’à la même époque l’historien Jean Delumeau a appelé la « pastorale de la peur ». Il faut se souvenir, par exemple, du fait que les premières chroniques écologistes, dans la presse française de la fin des années 1960 et du début des années 1970, sont celles du militant pacifiste et libertaire Pierre Fournier, dans les très peu religieux Hara Kiri puis Charlie Hebdo [3]. Mais le paradoxe est seulement apparent et résulte, comme nous le montrerons dans la seconde partie, d’une assimilation encore trop fréquente de la morale, et avec elle de la faute et de la culpabilité, à la religion. C’est une assimilation que n’a cessé de dénoncer Jean Gagnepain  [4]. Mais il n’était évidemment pas le premier à le faire : cette distinction était au cœur du travail de Jean Delumeau sur la peur et le péché, qui devait beaucoup à un prêtre et psychanalyste belge, Antoine Vergote, professeur à l’Université catholique de Louvain et fondateur, avec Jacques Schotte et Alphonse de Waelhens, de l’École belge de psychanalyse  [5].

1 – Une dénonciation de la « pastorale de la peur »

Je viens de citer, en introduction, les chroniques écologistes de Pierre Fournier dans Hara Kiri et Charlie Hebdo. Mais on pourrait donner de très nombreux exemples qui montrent que la critique écologiste de ce que l’on appelait déjà la « société de consommation » allait souvent de pair avec un rejet non seulement de l’autorité de l’Église mais aussi des notions de péché et de culpabilité qui lui étaient associées. Je me contenterai de donner ici quelques exemples indissociables de la « crise catholique » (Pelletier, 2002) telle qu’elle a été vécue en Bretagne dans les années 1970. Sans réécrire ici toute l’histoire de la Bretagne dans ces années que le journaliste Daniel Yonnet, associé au dessinateur Nono et au photographe Yves Quentel, appelait « nos années de Breizh » (Yonnet, Quentel et Nono, 1998), on peut rappeler, en restant dans les limites d’un article, que les années 1970 y furent celles de luttes écologistes particulièrement intenses, tout particulièrement dans le Finistère. Elles étaient motivées par les « marées noires » à répétition, qui commencèrent avec le naufrage du Torrey Canyon, le 18 mars 1967, à l’extrémité ouest de la Cornouailles anglaise, mais dont la plus importante fut causée par le naufrage de l’Amoco Cadiz sur les rochers de Portsall, le 16 mars 1978. L’autre grande motivation de ces luttes fut le projet d’implantation d’une centrale nucléaire dans l’ouest de la région, annoncé en 1974, quelques mois avant que la liste des sites pressentis ne soit connue. Le site de Plogoff ayant finalement été retenu au cours de l’automne 1978, les luttes écologistes se cristallisèrent alors contre ce projet et leur apogée fut atteinte pendant l’enquête d’utilité publique du 31 janvier au 14 mars 1980. Ces luttes écologistes convergeaient souvent avec les luttes régionalistes, celles du troisième Emsav, tout particulièrement dans sa dimension culturelle  [6] Un film documentaire de Pierrick Guinard, en 1998, montrait déjà bien comment le renouveau musical breton et « celtique »  [7] des années 1970 avait bénéficié des nombreux festoù-noz et autres fêtes antinucléaires avant de connaître une certaine traversée du désert au cours des années 1980, après la victoire de la gauche aux élections présidentielles et législatives de 1981 et la décision de François Mitterrand d’abandonner le projet de centrale nucléaire de Plogoff  [8]. C’est que les occasions de mobilisation se faisaient plus rares.

Publiée sous forme d’album en 1981, mais diffusée chapitre par chapitre par le magazine (A Suivre) à partir de 1978, une bande dessinée de Claude Auclair et Alain Deschamps, Bran Ruz (en breton « Corbeau rouge »), s’inspirait de la légende de la ville d’Is, telle que prétendait la reconstituer dans son intégralité l’écrivain Jean Markale, pour donner une interprétation des luttes en cours (Markale, 1975 ; Auclair et Deschamps, 1981). Selon Jean Markale et les auteurs de cette bande dessinée, le combat des habitants de Plogoff contre le projet de centrale nucléaire rejoignait celui de toutes les cultures minoritaires et du même coup celui des femmes, victimes du pouvoir « androcratique », aussi bien que celui des civilisations qui ont su conserver des rapports harmonieux avec la terre et les êtres qui la peuplent, contrairement à la civilisation contemporaine, dans laquelle la Bretagne était « bradée, matraquée, irradiée, mazoutée ». Dans son dernier chapitre, Bran Ruz s’en prenait tout particulièrement à l’Église en présentant le moine Guénolé, fondateur, selon la tradition, de l’abbaye de Landévennec, sous les traits d’un évangélisateur fanatique, asseyant par l’épouvante la domination des nouveaux maîtres de l’Armorique, après avoir lui-même tué Dahut et fait ouvrir les digues qui protégeaient la ville d’Is de la submersion. Pour cela la bande dessinée plaçait dans la bouche d’un moine du Ve siècle les prêches du missionnaire jésuite du XVIIe siècle, Julien Maunoir, dénoncés par Morvan Lebesque dans une autre référence majeure du régionalisme des années 1970, l’essai Comment peut-on être breton ? Julien Maunoir, écrivait Lebesque, « apporte la croix et, d’emblée, fonctionne par la terreur. D’un bout à l’autre de l’Arcoat, il sème sa parole d’Apocalypse, plante ses tableaux peints, les taolennoù, où l’on voit en couleurs hurlantes les damnés aux prises avec les pinces, les clous, les crocs, les pals. [...] Ce sadisme obtient le résultat escompté, la Bretagne s’agenouille dans l’épouvante – dans l’épouvante devant le Monarque. Car, on l’a compris, la véritable mission du père Maunoir n’est pas le retour à Dieu des Bretons, déjà croyants, mais la gallicanisation de leur foi » (Lebesque, 1970, p. 63-64). Jusqu’alors rien ne condamnait la Bretagne, poursuivait Lebesque, « à cette forme de religion vulgaire et basse. [...] Cette superstition importée fut une horrible nouveauté dans un pays encore tout imprégné de la spiritualité celtique. Elle corroda les deux constantes de l’âme bretonne, l’amour de la nature, la notion que le mal n’est pas crime mais faiblesse. [...] Le christianisme césarien déracina cet humanisme. Il décréta l’ici-bas une vallée de larmes, un cloaque ; il ancra le mépris du monde, de la beauté des formes, la soumission au Chef lointain, au Dieu anthropomorphisé ; il imposa la monstrueuse notion du châtiment, police au ciel et sur la terre » (Lebesque, 1970, p. 65-66). Dès 1970, Lebesque associait très explicitement, comme le montre cet extrait, la dimension « écologiste » de l’« âme bretonne » – son « amour de la nature » – et un rejet de la culpabilité ou tout au moins de la surculpabilisation.

À l’époque où les chapitres de Bran Ruz étaient publiés dans (A Suivre), des thématiques analogues étaient développées sur le mode de la comédie par Strollad ar Vro Bagan, une troupe de jeunes comédiens originaires de communes littorales du Léon, dans le Nord-Finistère. En 1977, la troupe joua pour la première fois une pièce en breton de sa composition, Ma c’helljen-me kanañ laouen (Si je pouvais chanter joyeusement)  [9]. L’histoire était celle d’une petite commune bretonne du bord de mer qui vit du tourisme, alors que les activités traditionnelles, pêche, récolte de goémon, agriculture, ont quasiment disparu. La Bretagne est en train d’être vendue aux enchères. La Loire-Atlantique a déjà été cédée aux Pays-de-Loire, le Trégor aux Américains. Seules de mauvaises terres restent à vendre, mais sur le littoral. Monsieur Capital en achète une partie pour construire des centrales nucléaires. Son camarade, monsieur Daougano, achète une autre partie pour construire des casinos et des marinas. Pierre, un breton émigré, revient au pays, mais après une conversation avec deux de ses amis d’enfance, Marie et Jean, il ne le reconnaît plus et décide de repartir. Une fête est organisée pour célébrer le nouveau pays. Monsieur Capital improvise un discours. Mais un Breton, déniché par un des messieurs au cœur du Parc d’Armorique, refuse de devenir une attraction pour touristes : Me n’on ket un Indian, me. Me zo er gêr amañ hag ar vro mañ ’zo deomp abaoe pell a zo (« Je ne suis pas un Indien, moi. Je suis chez moi ici et ce pays est à nous depuis longtemps »). Le peuple se révolte et les notables s’enfuient. Ne restent plus sur la scène que les gens du pays qui célèbrent leur liberté retrouvée : Ne fell ket deomp soudarded en hor bro, met frankiz d’ar Vretoned... (« Nous ne voulons pas de soldats dans notre pays, mais la liberté pour les Bretons... »).

Ma c’helljen-me kanañ laouen reprenait largement la thématique Bretagne = Colonie, qui était celle de l’Union Démocratique Bretonne (UDB) à la même époque  [10]. La pièce suivante soulignera le rôle de l’Église dans cet assujettissement. En 1977, l’Église catholique du Finistère fêtait le 400e anniversaire de la naissance de Michel Le Nobletz. Né à Plouguerneau le 29 septembre 1577, ce dernier fut l’un des principaux artisans de la Réforme catholique du XVIIe siècle en Basse-Bretagne. Le diocèse de Quimper et Léon ne pouvait manquer de rendre hommage à celui qu’il définissait comme le père des missions bretonnes, à l’origine de la troisième vague d’évangélisation de la région  [11]. Strollad ar Vro Bagan y vit « un prétexte pour jouer une pièce sur la religion et l’Église catholique en Bretagne. [...] Nous avons pensé tout de suite qu’il était nécessaire d’avoir, à côté de la vie officielle de Michel, écrite et dirigée par l’Église, une autre histoire, différente » (Strollad ar Vro Bagan, 1979, p. 5 – ma traduction). Cette nouvelle pièce, Buhez Mikael an Nobletz pe Mikael ar Seiz Pec’hed (La vie de Michel le Nobletz ou Michel aux sept péchés), dont les premières représentations eurent lieu pendant l’été 1978, « racontait le poids exorbitant de la religion et de l’Église catholique, ici surtout dans le Léon dont on était issus »  [12]. La troupe choisit pour cela de distinguer deux Michel Le Nobletz, le contestataire de l’ordre établi d’un côté et le prédécesseur de Julien Maunoir de l’autre. Elle se donnait ainsi la possibilité de louer le premier tout en dénonçant l’autre. En cela elle rejoignait partiellement Morvan Lebesque qui opposait quant à lui le « prêtre raisonnable et bon, Michel Le Nobletz » et le « sadique » Julien Maunoir. La pièce de Strollad ar Vro Bagan se terminait d’ailleurs sur les paroles de Julien Maunoir (an tad Maner) prêchant la soumission :

Maunoir – Biken ken ne savin a-enep ar roue ! (« Je ne me soulèverai plus jamais contre le roi ! »)
Le peuple – Biken ken ! (« Plus jamais ! »)
Maunoir – Biken ken ne savin a-enep d’an noblañsoù ha d’ar veleien ! (« Je ne me soulèverai plus jamais contre les nobles et les prêtres ! »)
Le peuple – Biken ken ! (« Plus jamais ! »)

Et le peuple finissait agenouillé, écrasé sous le poids de la croix (War al leurenn an dud war benn o daoulin, pounner ar groaz o pouezañ warno).

Les thématiques écologistes et anticléricales vont revenir à plusieurs reprises, par la suite, dans plusieurs autres pièces de Strollad ar Vro Bagan. Elles seront associées dans une pièce en français, Ys la Maudite, créée en 1987 sous la forme d’un spectacle son et lumière et qui revint au programme de la troupe en 1993, dans une nouvelle version, avec des moyens techniques plus importants. Dans cette dernière version, la pièce s’inspire de diverses versions de la légende, dont celle de Bran Ruz, mais aussi celle donnée par l’écrivain Michel Le Bris dans son livre Ys dans la rumeur des vagues (Le Bris, 1985)  [13]. Elle reprenait notamment les paroles que Le Bris prêtait à Dahut dans sa controverse avec Guénolé : « Jadis Bretagne était terre d’héroïsme, de noblesse, de courage ! De beauté... Aujourd’hui il n’est plus que fourbes au teint jaune et je n’entends autour de moi que les mots de péché, de soumission, de charité, d’humilité » (Le Bris, 1985, p. 64‑65)  [14]. Face à Guénolé, Dahut défend une sorte d’écologisme panthéiste. Dieu, pour elle, « n’est pas seulement dans les églises. Il est en chacun de nous, en tout ce qui court, vole, rampe. Il est le vent, la pluie, le soleil et la mer. Il est le désir dans mes reins » (Strollad ar Vro Bagan, 1994, p. 70). La pièce fut joué à de nombreuses reprises toujours avec le même succès.

Dans une veine analogue, mais sur un ton plus burlesque, nous pouvons encore mentionner le film réalisé par Jean Kergrist, Le Missionnaire, ou la vengeance de Dahut. Le film fut présenté en avant-première lors de la sixième édition du Festival du cinéma des minorités nationales de Douarnenez, qui se tenait du 29 août au 4 septembre 1983. Le succès, à vrai dire, ne fut pas au rendez-vous, du moins dans l’immédiat, et sa diffusion fut finalement des plus restreintes. Le film raconte l’histoire d’un missionnaire, joué par Jean Kergrist lui-même, envoyé en Bretagne par ses supérieurs avec pour mission de convertir les païens. La référence à la légende de la ville d’Is y est minimale, mais limpide. Dahut est la tentatrice, qui a d’abord visité le missionnaire dans son rêve, avant de le conduire à sa perte, telle la sirène des légendes. Celui qui avait fait vœu de célibat n’a pas résisté à l’appel de la femme, d’où le sous-titre du film. Sur cette base, le film tourne en dérision les croyances, les rituels et les symboles du catholicisme breton populaire, avec ses pardons, ses fontaines et ses saints guérisseurs, en visitant quelques lieux emblématiques comme le Minihy-Tréguier, le Faouët et Tronoën. « C’est ma vie que je joue là », me disait Jean Kergrist en riant, « c’est-à-dire le missionnaire qui est envoyé dans un truc avec une histoire de femme, séduit par Dahut, qui prend sa revanche sur Guénolé »  [15]. Car le comédien, qui fut de toutes les luttes antinucléaires entre 1975 et le début des années 1980 avec son personnage de clown atomique, puis de toutes les luttes pour la qualité de l’eau au sein de l’association Eau et Rivières de Bretagne, avait commencé sa carrière auprès de Robert Planchon puis de Marcel Maréchal alors qu’il était entré depuis plusieurs années dans l’ordre dominicain, au couvent de la Tourette, à l’Arbresle, près de Lyon, après un passage par le grand séminaire de Saint-Brieuc (Kergrist, 2008).

On pourrait ne retenir de ce qui précède que la dénonciation de l’emprise de l’Église sur la Bretagne. Furent tout particulièrement visés, comme nous l’avons vu, les artisans de la Réforme catholique du XVIIe siècle, Julien Maunoir en tout premier lieu, mais parfois aussi son prédécesseur, Michel Le Nobletz. En prêchant la soumission et en installant la crainte du péché et la culpabilité dans l’esprit des Bretons, ils auraient contribué à l’asservissement de la Bretagne par la France. Cette dénonciation de l’emprise de l’Église en Bretagne, en tant que telle, n’était pas nouvelle. Que l’on pense, pour ne donner qu’un seul exemple, au roman d’Yves Le Febvre, La Terre des Prêtres, publié en 1924 (Dufief, 2006). Mais elle s’associe, dans les années 1970, aux luttes régionalistes, celles du troisième Emsav, et prend une expression nettement libertaire. On peut y voir, autrement dit, une manifestation politique régionale de cette « offensive culturelle généralisée contre toutes les formes de culpabilité et de culpabilisation, qui s’est déployée très largement dans les années 1960-1970 » (Cuchet, 2015, p. 426). Cette offensive, qui s’est largement appuyée sur la psychanalyse avant que cette dernière n’en devienne elle-même victime (Cuchet, 2018, p. 240), s’est manifestée dans le domaine religieux par la crise de ce que l’Église appelle le sacrement de la pénitence. La confession, rendue obligatoire en 1215 par le quatrième concile du Latran, « avait profondément façonné les mentalités catholiques dans la longue durée, ainsi que les formes culturelles de la culpabilité individuelle et collective » (Cuchet, 2015, p. 399). Elle entre en crise dans les années 1960 pour disparaître presque totalement. Cuchet identifie plusieurs facteurs ayant conduit à cette disparition : la fin de la pratique obligatoire, le silence sur les « fins dernières », la déconnexion entre la confession et la communion, ainsi que, du côté du clergé, la lassitude engendrée par le devoir de confesseur. Mais c’est plus généralement tout ce que Jean Delumeau a appelé la « pastorale de la peur » qui va se trouver rejeté.

L’historien utilisait cette expression dès 1975 dans sa leçon inaugurale au Collège de France. Mais c’est avec la parution de son second ouvrage, Le péché et la peur, en 1983, que l’expression est retenue par le public cultivé, expliquant son succès historiographique « bien au-delà du champ de l’histoire du christianisme occidental » (Cuchet, 2013, p. 142). Après une première partie sur le développement du macabre et du pessimisme à la Renaissance, puis une seconde partie sur la théologie du péché, la troisième partie, qui remplit toute la seconde moitié du livre, est consacrée à cette pastorale de la peur, en pays catholique comme en pays protestant. Guillaume Cuchet observe toutefois que le concept prend chez Delumeau lui-même deux sens différents : il désigne, au sens étroit, une pastorale historiquement bien située, qui a cours de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle inclus, avec pour centre de gravité les XVIe et XVIIe siècles ; mais il peut désigner, dans un sens plus large, tout discours qui « majore les dimensions du péché par rapport au pardon », soit ce que l’historien appelle aussi « surculpabilisation », dont on peut trouver des manifestations dans une période beaucoup plus longue, allant de saint Augustin jusqu’au milieu du XXe siècle (Cuchet, 2013, p. 144, qui cite Delumeau 1983, p. 10). L’une des thèses de Delumeau, défendue à la fin du Péché et la peur, est que « cette pastorale aurait joué un rôle important dans la déchristianisation de l’Occident » (Cuchet, 2013, p. 149). La pastorale de la peur, autrement dit, aurait commencé par être un facteur de christianisation – mais d’une mauvaise christianisation – avant de devenir un motif de rejet de la religion (Cuchet, 2013, p. 149).

Cette thèse d’une « pastorale de la peur » ou plus largement du rigorisme comme facteur de déchristianisation a rencontré, comme le dit Cuchet, un succès important dans l’opinion, y compris catholique, en un temps où il n’était plus possible de se faire d’illusions sur les bénéfices pastoraux de Vatican II (l’abandon de cette pastorale, encouragée par le concile, n’avait pas empêché la déchristianisation). Elle n’était pas entièrement nouvelle cependant, puisque, comme l’observe Cuchet, on la trouve chez l’abbé Bergier au XVIIIe siècle et que l’effet déchristianisant du « jansénisme » – en réalité le « rigorisme »  [16] – est un lieu commun du XIXe siècle (Cuchet, 2013, p. 152). Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est la façon dont des thématiques écologistes, au cours des années 1970, vont venir se greffer sur la dénonciation de cette pastorale (associée ou non au regret de son effet déchristianisant). C’est ce que nous avons pu observer chez Morvan Lebesque, quoique de façon marginale, dans les pièces de Strollad ar Vro Bagan, dans le film et les spectacles de Jean Kergrist, et, d’une façon qui se voulait plus étayée, dans la bande dessinée Bran Ruz.

2 – Écologie, religion et culpabilité

Les racines libertaires de l’écologie politique, totalement assumées en Bretagne par Jean Kergrist, qui revendiquait l’influence de Pierre Fournier et de Charlie Hebdo, en faisaient un agent de choix de l’entreprise de déculpabilisation qu’a été la déchristianisation, au-delà du simple constat statistique du déclin de la pratique. On les retrouve assez nettement aussi dans de nombreux articles du Canard de Nantes à Brest, un hebdomadaire volontiers satirique, dont la période de parution, de janvier 1978 à avril 1982, recouvre celle de l’intensification des luttes écologistes finistériennes. Mais l’action politique, tout comme la prédication religieuse, produisent souvent des résultats très différents de ceux qui étaient visés dans l’intention initiale  [17]. Dans le cas qui nous occupe, l’écologie n’a jamais perdu tout lien avec la culpabilité, ce qui ne veut pas dire nécessairement qu’elle soit restée religieuse : car la culpabilité, contrairement à ce que pouvait laisser croire l’idéologie libertaire, n’a rien de spécifiquement religieux. C’est ce que nous développerons dans cette seconde partie en nous appuyant notamment sur le travail de Delumeau.

Dans son livre sur l’histoire de la peur en Occident ainsi que dans le suivant sur l’histoire du péché et de la culpabilisation, Delumeau observait que de nouvelles peurs ont succédé aux peurs anciennes. On n’a plus peur de l’enfer, ni du Jugement, ni du nouement de l’aiguillette, mais il y a d’autres peurs, dont celle de la guerre nucléaire, de la pollution, de la menace écologique  [18]. « La couche d’ozone et la nappe phréatique relèvent de la métaphysique contemporaine. Elles ont remplacé le ciel et l’enfer », déclarait de son côté Jean Gagnepain, de façon très delumienne, dans une conférence donnée en février 1993 à l’Université catholique de Louvain (Gagnepain, 1993, p. 88). « Aujourd’hui, nous avons des théologiens modernes qui ne croient plus au Ciel et à l’Enfer, mais à la couche d’ozone ou la nappe phréatique », ajoutait-il un mois plus tard (Gagnepain, 1993, p. 244)  [19]. Nous avons « changé de trouille », disait-il encore dans un séminaire de mars 1994  [20].

On pourra objecter, avec de bonnes raisons, que les nouvelles peurs n’ont pas seulement changé d’objets. Elles portent désormais sur des phénomènes objectivables, alors que nombre de peurs anciennes portaient sur des phénomènes qui relèvent intégralement de la foi ou de la croyance. Peut-être. Mais toutes les peurs anciennes n’entraient pas dans cette catégorie. La peste, la guerre et la famine étaient, elles aussi, objectivables. Et ce que nous voudrions souligner surtout c’est que les processus anthropologiques qui gouvernent la peur sont les mêmes et parmi eux celui qui rend compte de la culpabilité. Nous partirons, pour le montrer, des analyses de Delumeau au sujet justement des épidémies de peste.

2.1 – Face à la peur : causalité, responsabilité, culpabilité

Dans le chapitre sur la peste de La Peur en Occident, l’historien construisait une typologie des comportements collectifs face à l’épidémie. Il observait que les populations frappées par la peste cherchaient – comme on pouvait s’y attendre – à expliquer cette attaque dont elles étaient victimes. « Trouver les causes d’un mal », écrit l’historien, « c’est recréer un cadre sécurisant, reconstituer une cohérence dont sortira logiquement l’indication des remèdes. Or, trois explications étaient formulées autrefois pour rendre compte des pestes : l’une par les savants, l’autre par la foule anonyme, la troisième à la fois par la foule et par l’Église » (Delumeau, 1978, p. 129). Ces trois explications étaient respectivement : une corruption de l’air, l’action de groupes humains « bouteurs de peste » et une punition divine des péchés commis par la population. Nous proposons ici de prolonger l’analyse au-delà du point où l’a laissée Delumeau en montrant que ces explications, qui pouvaient être combinées entre elles, sont toutes rationnelles, mais renvoient à des plans différents. La première fait appel à une cause « naturelle ». Elle n’est pas différente en son principe des explications que donnent les sciences actuelles. C’est une explication « technique » en un sens. De même que l’action du feu explique la cuisson, l’action de l’air, quand il est vicié par l’action des astres ou des exhalaisons malignes, explique la maladie. Cette explication par la mauvaise qualité de l’air – une explication environnementale déjà  [21] – est bien sûr réfutée par la science actuelle qui a identifié l’agent infectieux, cause de la peste, la bactérie Yersinia pestis, et ses vecteurs. Mais le type d’explication ne change pas : il s’agit dans les deux cas d’établir un lien entre un agent et son action. La seconde explication consiste à faire endosser la responsabilité à un autrui quelconque, qui peut devenir un bouc émissaire. Delumeau ajoute que les boucs émissaires sont chargés inconsciemment des péchés de la collectivité. Sans doute, mais ce qui caractérise d’abord cette explication, c’est bien l’imputation à autrui, la recherche, autrement dit, de responsables : étrangers, voyageurs, marginaux, etc. Dans la période étudiée par Delumeau, les Juifs furent particulièrement visés. Mais ils ne furent pas les seuls à se voir attribuer le rôle de « bouteurs de peste ». Quels que soient les responsables que les contemporains croient pouvoir identifier, selon les lieux et les circonstances, nous sommes ici dans une explication de type « sociologique », au sens où elle engage et redéfinit les rapports qui relient les uns aux autres. La troisième explication enfin faisait appel à une culpabilité collective. Tout le monde, dans ce cas, était censé être coupable et pas seulement quelques boucs émissaires (Delumeau, 1978, p. 136). La peste dans ce cas est vue comme une punition des péchés. Il faut l’accepter docilement comme telle, mais aussi s’amender et faire pénitence. Cette troisième explication est de type « axiologique ». Elle met en regard une prétention – au bonheur, à la santé, etc. – et une faute, exprimée dans le vocabulaire religieux du péché. Si la prétention a été déçue, c’est parce qu’il y a eu faute et donc culpabilité. Delumeau, à partir des documents d’époque, peut montrer que ces trois explications ont été utilisées pour rendre compte des épidémies de peste qui frappent l’Europe de façon particulièrement brutale et fréquente pendant près de quatre siècles, de 1348 à 1720. Il observe que les différentes catégories sociales tendent à se distinguer par la préférence qu’elles accordent à l’une ou l’autre de ces explications, bien que toutes les trois, souvent, sont utilisées de façon complémentaire. Or ces trois types d’explication ne sont pas liés à une époque plus qu’à une autre, ni à une catégorie sociale plus qu’à une autre. Ils sont des constantes de la raison humaine. Jean-Claude Quentel a montré, par exemple, comment on les retrouve dans les réactions des parents confrontés à la naissance d’un enfant handicapé. Les explications scientifiques fournies par les médecins ne leur suffisent généralement pas. Il est très fréquent que ces parents recherchent un autre type de cause du côté d’une faute qu’ils auraient pu commettre, ce qui peut se traduire par un intense sentiment de culpabilité. Cette culpabilité n’est pas sans conséquence sur l’exercice de leur responsabilité vis-à-vis de l’enfant ou sur les rapports qu’ils entretiennent avec les professionnels, mais il convient de ne pas la confondre avec eux (Quentel, 1994, 1997). Et l’on retrouve bien entendu ces trois types d’explication dans les controverses environnementales. Soit la production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire. Tudi Kernalegenn observe que le slogan « Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain », lancé à Brest après le naufrage de l’Amoco Cadiz par le Comité Anti-Marée Noire, dont certains des fondateurs sont des membres du Comité local d’information sur le nucléaire (CLIN), est particulièrement emblématique de la façon dont les luttes écologiques bretonnes combinent à partir de ce moment-là lutte contre les marées noires et lutte antinucléaire (Kernalegenn, 2006, p. 109). Le slogan est remarqué par la presse dès la manifestation du 27 mars 1978 qui voit défiler dans les rues de Brest entre 15 000 et 20 000 manifestants (Kernalegenn, 2006, p. 103 et 109). De même que le slogan « Demain nous serons les pingouins du nucléaire », il renvoie au fait que les deux problèmes sont liés à des choix politiques dans le domaine de l’énergie et invite à se passer aussi bien du pétrole que du nucléaire, dans le cadre d’une autre société, plus économe en énergie et utilisant de « petites unités de production, basée sur des énergies renouvelables et maîtrisables »  [22]. Mais Kernalegenn insiste surtout sur le fait que « l’enjeu initial, immédiat, est de renforcer directement la lutte antinucléaire, en favorisant l’inquiétude face à un éventuel accident. [...] La portée du slogan est donc bien d’exprimer une peur, mais est aussi un argument de poids dans la propagande antinucléaire, venant illustrer par l’exemple l’inefficacité des plans de prévention des catastrophes » (Kernalegenn, 2006, p. 110-111). De même, autrement dit, que le plan Polmar, qui était censé protéger contre les marées noires, s’est avéré inefficace, le plan Orsec-Rad prévu en cas d’accident nucléaire est jugé par avance inefficace. Face à une inquiétude vis-à-vis du nucléaire que la marée noire permet d’activer, on voit donc s’engager à la fois une recherche de responsabilités (celle de l’État et d’EDF en tout premier lieu), mais aussi un appel, sinon à la pénitence, du moins au choix d’un mode de vie plus frugal, moins gourmand en énergie, déjà présent dans la conclusion d’un article par ailleurs très technique sur les risques du nucléaire civil publié dans le numéro 75 de Penn ar Bed [23]. Les deux tendances peuvent s’opposer ou se combiner. Ainsi, alors que le tract unitaire de la manifestation du 27 mars 1978 à Brest affirmait que le gouvernement « porte l’entière responsabilité de ce qui arrive » (Kernalegenn, 2006, n. 495, p. 107), celui du Collectif Amoco Cadiz qui appelait à un autre manifestation le 24 mars, reconnaissait que « nous sommes tous plus ou moins responsables » (Kernalegenn, 2006, p. 107). Or la responsabilité, dans le vocabulaire politique courant, se distingue mal de la culpabilité. Telle est peut-être d’ailleurs la spécificité de l’écologie politique vis-à-vis de la gauche traditionnelle, qui lui donne une apparence religieuse : elle n’appelle pas seulement à combattre un adversaire, elle invite aussi à une forme de conversion, qui passe par la reconnaissance de sa propre culpabilité. Soit encore le réchauffement climatique. L’explication scientifique (« technique ») met l’accent sur le rôle des gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone. Mais les militants écologistes ne se contentent pas de cette explication « technique ». Ils recherchent aussi des responsables, parfois ramenés à de grandes entités peu précises (le « capitalisme », le « néo-libéralisme », etc.), mais qu’il est possible aussi d’essayer d’identifier beaucoup plus précisément : c’est très explicitement ce que font, par exemple, Bonneuil et Fressoz quand ils cherchent à préciser qui est l’anthropos de l’anthropocène (Bonneuil et Fressoz, 2016). Et l’on n’échappe pas à la question de la culpabilité et de la faute. Sans que la référence soit nécessairement religieuse – il est rare que l’on parle de punition divine ici –, il ne s’agit pas moins de s’amender en modifiant son propre comportement, en multipliant les précautions (ce qui suppose d’agir avec méthode et vigilance, de vérifier et de prévenir). C’est la présence fréquente dans le militantisme écologiste des thèmes de la faute, de la culpabilité et de leur rachat par une forme de repentir et de conversion qui conduit certains, de façon souvent caricaturale, à parler de l’écologie comme d’une religion de substitution. Ceux qui le font montrent qu’ils ne comprennent pas grand-chose ni à la culpabilité ni à la religion. Car la faute et la culpabilité n’ont rien de spécifiquement religieux, comme l’avait bien vu Delumeau. Ce sera notre dernier point.

2.2 – La faute n’est pas nécessairement religieuse

L’historien, vers le milieu de son livre sur le péché et la culpabilisation en Occident du XIIIe au XVIIIe siècle, interrompt pendant quelques pages l’accumulation d’observations pour constater que ces dernières permettent de parler d’une « névrose chrétienne », une expression qu’il reprend à un médecin, le docteur Pierre Solignac (Solignac, 1976). Cela veut-il dire que le christianisme, avec sa notion de péché, serait nécessairement névrotique ? La réponse de Delumeau est négative et passe par la distinction de deux types de culpabilité : une culpabilité « normale » et une culpabilité « anormale ». Il s’appuie plus particulièrement, pour établir cette distinction, sur deux ouvrages qui étaient parus quelques années avant le sien. Le premier rassemblait les communications à un colloque sur la névrose obsessionnelle qui s’était tenu les 3 et 4 mai 1975 (Pélicier, 1976). Le second, Dette et désir. Deux axes chrétiens et la dérive pathologique, était dû au psychanalyste, philosophe et théologien belge, Antoine Vergote (Vergote, 1978). Delumeau exprime sa « reconnaissance envers ce beau livre pacifiant qui intègre en les dépassant les analyses freudiennes et pose un regard chrétien sur la névrose chrétienne » (Delumeau, 1983, p. 331). Il y voit une preuve supplémentaire de « la convergence entre historiographie et psychiatrie sur laquelle [il avait] déjà insisté dans le premier chapitre de La Peur en Occident » (Delumeau, 1983, p. 331).

Que retient-il de ces deux livres, et plus particulièrement, comme il le précise dans une note, du second ? La première chose, c’est que « la pathologie de la faute n’est pas propre aux croyants et que l’obsession religieuse obéit à des lois psychologiques qui sont universelles » (Delumeau, 1983, p. 331). La seconde, c’est qu’il n’est pas possible de faire disparaître le sentiment de culpabilité. Ce dernier, religion ou pas, est indissociable de la conscience morale, une conscience qui, comme l’avait vu Freud, « se comporte avec d’autant plus de sévérité et de méfiance que l’homme est plus vertueux, si bien qu’à la fin ce sont ceux qui sont allés le plus loin dans la sainteté qui s’accusent de l’état de péché le plus grave » (Freud, 1995, p. 68). Ce lien entre culpabilité et conscience morale conduit Delumeau à rejeter comme trop simpliste le livre d’Angelo Hesnard sur l’univers morbide de la faute (Hesnard, 1949). Hesnard soutenait en effet que tout sentiment de culpabilité est morbide. Si ce n’est pas le cas, comme le soutient avec raison Delumeau, la notion de péché ne peut pas non plus être ramenée à une culpabilité maladive.

Il n’est pas morbide en soi, autrement dit, d’éprouver de la culpabilité, comme il n’est pas morbide en soi, si l’on adopte un vocabulaire religieux, de se reconnaître pécheur. « Je crois que le péché existe [et] je constate sa présence en moi », reconnaissait Delumeau lui-même dans l’introduction de son livre (Delumeau, 1983, p. 10). Le fait que la culpabilité ressentie soit particulièrement forte ou que l’on puisse s’accuser des plus graves péchés ne sont pas non plus suffisants pour que l’on puisse parler de morbidité. Cette différence d’intensité dans le sentiment de culpabilité ou cette échelle de gravité dans la définition des péchés témoignent seulement du fait que l’être humain est capable d’évaluer ses comportements à la mesure de ses exigences éthiques. Il n’en est pas moins vrai que l’existence même de processus psychologiques permettant une mesure éthique dont la transgression constitue la faute peut donner prise à des exacerbations morbides. C’est précisément ce qui se passe dans les névroses  [24]. Si Delumeau parlait avec le docteur Solignac de « névrose chrétienne » c’est parce qu’il constatait que la période étudiée, celle qui va du XIIIe au XVIIIe siècle, avait été caractérisée par une « surculpabilisation », qui majorait, écrivait-il, « les dimensions du péché par rapport au pardon » (Delumeau, 1983, p. 10) et qui présentait surtout toutes les caractéristiques d’une « névrose collective de culpabilité » (Delumeau, 1983, p. 331). Il s’agissait donc de décrire et d’expliquer l’installation, dans les pays d’Europe occidentale, à partir du XIIIe siècle, d’une telle névrose, définie, dans les termes de Vergote, comme « la déviation religieuse et pathologique d’un Christianisme qui focalise son message sur le rappel du péché et qui se rétrécit en dispositif de lutte contre lui » (Vergote, 1978, p. 97, cité par Delumeau, 1983, p. 332). Nous ne pouvons que renvoyer, pour l’étude de cette déviation, à l’imposant dossier historique constitué par Delumeau.

Ce dernier ne se risquait pas à tracer une frontière nette et connue d’avance entre culpabilité normale et culpabilité morbide. Il observait seulement « que le Christianisme porte en lui le risque de faire peser sur ses fidèles une culpabilité méfiante et répressive. [...] En faisant de l’aveu du péché une exigence fondamentale, solidaire du message de libération, [il] expose l’homme à une culpabilité morbide » (Delumeau, 1983, p. 332). Guillaume Cuchet observe qu’il retrouvait ainsi « la distinction traditionnelle, d’origine augustinienne, entre “crainte filiale” et “crainte servile” de Dieu » (Cuchet, 2013, p. 144)  [25]. Sans doute, mais le plus important pour notre propos est de souligner encore une fois avec Delumeau que ces deux culpabilités, normale et morbide, quand bien même on reste prudent sur ce qui les distingue, n’ont rien de spécifiquement religieux. Or ce qu’observait aussi l’historien, c’est que l’on avait tendu, à l’époque où il travaillait sur la peur et le péché, à « réduire l’histoire de la culpabilisation à celle du pouvoir clérical » (Delumeau, 1983, p. 9). Il en résulte que de nombreux contemporains croyaient pouvoir rejeter en bloc pouvoir clérical et culpabilité, comme si le premier était la cause de la seconde. Comme le dit Guillaume Cuchet, la culpabilité tendait à être réduite à ses expressions religieuses et tout particulièrement à la notion de péché et à la confession (Cuchet, 2018, p. 240). En se débarrassant de la religion, on pensait donc se débarrasser aussi de la culpabilité. C’était tout à fait illusoire bien entendu et Delumeau invitait sur ce point à la modestie : « notre époque », écrivait-il, « parle constamment de “déculpabilisation” sans s’apercevoir que jamais dans l’histoire la culpabilisation de l’autre n’a été aussi forte qu’aujourd’hui » (Delumeau, 1983, p. 11). Il en voulait pour preuve la façon dont droite et gauche, en France, s’accusaient « réciproquement des plus lourds péchés politiques » tandis que dans les pays totalitaires la mise en accusation de l’adversaire se traduisait par la torture et la mise à mort de millions d’être humains (Delumeau, 1983, p. 11). Les hommes du XXe siècle, autrement dit, ne parlaient peut-être plus la langue religieuse de leurs prédécesseurs du XIIIe au XVIIIe siècle  [26], ils n’en rivalisaient pas moins avec eux en matière de surculpabilisation.

Depuis l’époque où écrivait Delumeau, l’écologie politique a confirmé que le très net déclin en Europe, sinon des religions dans leur ensemble, du moins du christianisme et du pouvoir clérical ne signifiait pas que l’on en avait terminé avec la culpabilité. C’est précisément ce qui conduisait Gagnepain, dans une conférence que nous avons citée plus haut, à observer que la couche d’ozone ou la nappe phréatique ont remplacé le Ciel et l’Enfer. Un « Petit livre vert pour la Terre » rédigé vers 2005 par la Fondation Nicolas Hulot avec le soutien technique et scientifique de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) donnait toute une série de recommandations qui ressemblaient beaucoup à de nouveaux commandements. Contrairement aux commandements de Dieu et aux commandements de l’Église des manuels de catéchisme d’autrefois, ces commandements écologistes n’étaient pas présentés sous forme versifiée. Mais on pourrait très bien imaginer qu’ils le soient. Les « j’éteins la lumière, je coupe la veille des appareils électriques, je baisse le chauffage en cas d’absence, j’évite le jetable, je préfère la douche au bain, je contrôle le débit des robinets, etc. » deviendraient alors quelque chose comme :

1. La lumière tu éteindras et la veille pareillement.
2. Le chauffage tu baisseras en ton absence conséquemment.
3. La douche au bain tu préféreras et le renouvelable mêmement.
Etc.

sur le modèle de :

1. Les fêtes tu sanctifieras qui te sont de commandement.
2. Les dimanches messe ouïras et les fêtes pareillement.
3. Tous tes péchés confesseras à tout le moins une fois l’an.
Etc.  [27].

L’analogie ne s’arrête pas là car les psychiatres, psychologues et autres psychothérapeutes observent l’apparition chez certaines personnes d’une angoisse à motifs écologiques ou climatiques, parfois appelée « éco-anxiété », « burn-out écologique » ou encore « solastalgie ». Un ingénieur en téléphonie mobile raconte ainsi avoir basculé dans l’angoisse après avoir lu un livre expliquant comment tout peut s’effondrer  [28]. Il ne tient plus que grâce aux médicaments, antidépresseurs ou anxiolytiques, à un bon « psy » et à la présence de sa fille. Des adultes préfèrent renoncer à avoir des enfants  [29]. Il est peu probable que ces angoisses constituent une nouvelle pathologie. Le mot « solastalgie », inventé par un philosophe australien, Glenn Albrecht (Albrecht et al., 2007) peut au mieux désigner un nouvel ensemble de symptômes, certainement pas un nouveau syndrome. On peut faire l’hypothèse, autrement dit, que des personnes prédisposées, qui auraient autrefois développé des névroses à thématique religieuse, développent aujourd’hui des névroses à thématique écologiste. Il est tout à fait envisageable, par exemple, que des recommandations comme celles de la Fondation Nicolas Hulot mentionnées plus haut, associées aux inquiétudes quant aux perspectives climatiques et écologiques, puissent se traduire, chez des personnalités de type obsessionnel, par des scrupules dont le contenu seulement change par rapport à ceux que décrivait Jacques-Joseph Du Guet en 1717 dans son Traité des Scrupules (Pélicier, 1976). Ces hypothèses invitent à une histoire et à une sociologie des symptômes qui seraient tout à fait dans la ligne du travail de Delumeau sur la peur et le péché.

***

Mais ces analogies entre les craintes et les commandements religieux et écologistes ne signifient pas du tout, encore une fois, que l’écologie politique soit une nouvelle religion. Elles signifient encore moins que l’écologie politique et la religion seraient l’une et l’autre nécessairement morbides. Elle signifient seulement que l’être humain, quels que soient les lieux et les époques, est toujours aussi un être moral, qui ne peut pas faire autrement que d’évaluer ses comportements en termes de bien et de mal, en termes de mérite et de faute, en termes de précautions et de prétentions, au risque, dans certains cas, de l’exacerbation et de la névrose. Cela peut l’exposer à bien des misères, mais ce sont, comme disait Pascal, des misères de grand seigneur. Le christianisme, disait Gagnepain, ne fait qu’opérer la conversion de cette capacité éthique, sans laquelle il n’y a pas de liberté (Gagnepain, 1993, p. 262 ; Gagnepain, 2005, p. 235). Il rend hommage à Dieu, autrement dit, de cette liberté : O felix culpa, « heureuse faute »  [30]. Il est certain que les catéchismes n’ont guère incité jusqu’ici à confesser des péchés contre la nature, la terre ou la création. Non abbiamo ancora coscienza di questo peccato (« nous n’avons pas encore conscience de ce péché »), observait le pape François en février 2019  [31]. Mais il n’est pas contraire à la raison d’imaginer que l’on puisse s’en déclarer coupable. C’est précisément le rôle de la théologie morale qui, ajoutait le pape, « doit faire sienne l’urgence de participer de manière décidée à l’effort commun pour prendre soin de notre maison commune par des moyens pratiques de développement intégral ».

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Schulz Paulsson, Bettina, 2019, « Radiocarbon dates and Bayesian modeling support maritime diffusion model for megaliths in Europe », PNAS, vol. 116, n° 9, pp. 3460-3465. https://doi.org/https://doi.org/10.1073/pnas.1813268116.
Solignac, Pierre, 1976, La névrose chrétienne, Paris, Éditions de Trévise.
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Strollad ar Vro Bagan, 1994, Ys la Maudite, Brest, Éditions du Liogan.
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Yonnet, Daniel, Quentel, Yves, et Nono, 1998, Nos années de Breizh. La Bretagne des années 1970, Rennes, Apogée.


Notes

[1Allusion probable au livre de Gilles Lipovetsky sur l’individualisme contemporain (Lipovetsky, 1983).

[2Le père de l’écrivain fut condamné à sept ans de camp en 1966 par un tribunal soviétique. Libéré en 1972, il est poussé à l’exil par le KGB et s’installe en France à partir de 1973. Iegor Gran lui-même est né à Moscou en 1964.

[3Sur Pierre Fournier, voir notamment Gominet et Fournier, 2011.

[4Voir par exemple Gagnepain, 1991, p. 193, 197, 201, 229, 234, 245.

[5Antoine Vergote fut, entre autres, le directeur de thèse de Thomas Ewens (Essay on the Ground of an Interrogation : The Theme of Schizophrenia in Freud, 1969, non publié). Le maître et son ancien étudiant sont restés amis par la suite, le premier ayant été invité à plusieurs reprises par le second pour donner des conférences aux États-Unis, tandis que le second revenait régulièrement en Belgique. C’est par l’intermédiaire de Vergote, qui connaissait bien Gagnepain, que Tom Ewens a rencontré ce dernier dans la seconde moitié des années 1980 (Tom Ewens et Jean-Claude Quentel : communications personnelles).

[6Sur le Mouvement breton ou Emsav, voir par exemple Favereau, 2005 ; Nicolas, 2007.

[7Les guillemets sont justifiés par le caractère largement mythique de l’origine celte de ces musiques. Le panceltisme indissociable de l’Emsav est un cas typique d’invention d’une tradition (Hobsbawm et Ranger, 1983 ; Brunaux, 2014 ; Lecerf, 2017). Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu, de très longue date, des relations entre les actuelles Bretagne, Grande-Bretagne et Irlande (voir par ex. Schulz Paulsson, 2019).

[8Pierrick Guinard, Musik Breizh, un siècle de musique bretonne, film documentaire en cinq parties, 1h30, 1998. Le film montre aussi que la traversée du désert des années 1980 n’était pas du tout synonyme de déclin pour la musique bretonne. Bien au contraire : si la visibilité médiatique était moindre que dans la décennie précédente, un important travail de maturation et d’approfondissement était mené, qui préparait la nouvelle vague « celtique » des années 1990.

[9Voir Strollad ar Vro Bagan, 1977.

[10Sur les revendications de l’UDB à cette époque voir Nicolas, 2007, 261 sqq. et au sujet plus spécifiquement de la pièce l’entretien entre Yannik Bigouin et Goulc’han Kervella dans Bigouin, 2019, p. 34.

[11F. Elard, « Quatrième centenaire de la naissance de Dom Michel Le Nobletz », Quimper et Léon. Bulletin diocésain, nouvelle série, n° 13, 9 juillet 1977, p. 299. L’auteur, F. Elard, est probablement Jean-François Élard, recteur, de 1972 à 1978, de la paroisse de Rumengol.

[12Entretien de l’auteur avec Goulc’han Kervella, 16 décembre 2019.

[13Livre qui fut d’abord le scénario d’un téléfilm de 1983, réalisé pour France 3 par Renaud Saint-Pierre.

[14Le personnage avec lequel polémique Dahut dans le texte de Michel Le Bris est en fait Ronan. Mais Strollad ar Vro Bagan l’identifie avec Guénolé.

[15Entretien de l’auteur avec Jean Kergrist, 27 juin 2019.

[16Cuchet observe que « jansénisme » est très souvent utilisé comme synonyme de « rigorisme ». On continue de dénoncer le « jansénisme » bien après que les derniers prêtres jansénistes aient disparu dans les années 1820-1830 (Cuchet, 2018, p. 218 et 265). « On ne sait pas ce que c’est, mais très chic d’en parler » : telle est la définition que Flaubert déjà donne du jansénisme dans son Dictionnaire des idées reçues.

[17C’est l’un des grands enseignements, faut-il le rappeler, de la sociologie de Max Weber, que ce soit dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme ou dans la conférence de 1919 sur la profession (Beruf) de politique.

[18Voir Delumeau, 1978, p. 146, ainsi que Delumeau, 1983, p. 109-110.

[19Ces deux conférences ont eu lieu respectivement les 16 février et 22 mars 1993. Elles faisaient partie d’un ensemble de seize conférences transcrites dans le volume cité.

[20La vraie trahison des clercs, séminaire non publié, Rennes, 17 mars 1994.

[21La qualité de l’air entre dans ce que le promoteur en France de l’enseignement de l’hygiène, Jean-Noël Hallé (1754-1822), appelait les circumfusa, ces « choses environnantes » qui influent sur la santé à côté des ingesta, des percepta, etc. Voir à ce sujet Fressoz, 2009.

[22Extrait du communiqué d’un collectif d’associations (Evit Buhez ar C’hap, CLIN de Porsmoguer, Comité régional d’information sur le nucléaire (CRIN), Écologie 44, Morlaix Écologie, Guingamp Écologie), publié dans le second numéro de Penn ar Bed entièrement consacré à la marée noire de l’Amoco Cadiz (Penn ar Bed, n° 94, 3e trimestre 1978, p. 404, cité par Kernalegenn, 2006, p. 110).

[23Philippe Lebreton, « L’énergie nucléaire pacifique. Âge d’or ou impasse biologique ? », Penn ar Bed, n° 75, 4e trimestre 1973, p. 206-218.

[24Il n’entre pas dans mon propos ici d’exposer comment les névroses peuvent s’expliquer par l’exacerbation pathologique d’un processus psychologique normal de mesure éthique des comportements. Je précise seulement que je me réfère pour cela au modèle de la théorie de la médiation de Jean Gagnepain, et plus précisément à son volet axiologique, qui a profondément renouvelé ce que la psychanalyse, à laquelle se référait Delumeau, via notamment Antoine Vergote, pouvait formuler sur le sujet. Un exposé clinique détaillé de ce modèle axiologique était donné en 1994 dans le numéro 9 de la revue Tétralogiques, consacré aux questions d’éthique. Voir notamment Guyard et Guyard, 1994, ainsi que le présent numéro de la revue.

[25Sur cette distinction, voir notamment Thomas d’Aquin, Somme Théologique, 2a 2ae, Q. 19.

[26Encore qu’Éric Voegelin et Raymond Aron, à propos des idéologies totalitaires du XXe siècle, aient pu parler, l’un de « religions politiques », l’autre de « religions séculières ». Mais l’examen de ces concepts nous emmènerait trop loin.

[27J.-M. Prigent, Curé-Doyen, Mon Petit Catéchisme illustré, cours préparatoire. 80 Questions et Prières extraites du Catéchisme à l’usage des Diocèses de France, Paris, Tolra, 1942, p. 4 (Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 16 mars 2021, https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/10451).

[28Il s’agissait du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, 2015, 304 p.

[29Je m’appuie dans ce paragraphe sur un dossier publié par le journal La Croix en pages « Sciences et éthique » (La Croix, 2 juillet 2019).

[30L’expression, qui doit sa célébrité à l’Exsultet, chant de la Vigile pascale, est souvent attribuée à saint Augustin. Mais on ne la trouve pas dans les œuvres de ce dernier. Elle pourrait être de saint Ambroise à qui dom Bernard Capelle attribuait l’Exsultet (voir par ex. Jakoniuk, 2012, p. 189).

[31Discours aux professeurs et aux étudiants de l’Accademia Alfonsiana – Institut supérieur de théologie (9 février 2019). En ligne : http://w2.vatican.va/content/francesco/it/speeches/2019/february/documents/papa-francesco_20190209_accademia-alfonsiana.html (consulté le 16 mars 2021).


Pour citer l'article

Jean-Michel Le Bot« Écologie et culpabilité : un recyclage post-chrétien ? », in Tétralogiques, N°26, Pour une axiologie clinique.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article174