Hubert Guyard

La matérialisation de l’analyse. Perte du sème et perte du mot dans l’aphasie de Broca et dans l’aphasie de Wernicke (1987)

Résumé / Abstract

Ce texte est la reproduction d’un chapitre de la Thèse pour le Doctorat d’Etat de Hubert Guyard (Le concept d’explication en aphasiologie, 1987, Université de Rennes 2). Ce chapitre était initialement intitulé La matérialisation de l’analyse et le titre a été complété par les responsables de ce numéro, pour la compréhension du lecteur. L’introduction reprend la partie de l’introduction générale de la thèse consacrée à ce chapitre (p.11 de la version numérisée) et une partie de la conclusion du chapitre précédent (p.71 de la version numérisée). Les passages et notes entre crochets sont des modifications mineures du texte de la part des responsables de publication pour l’adapter à la présente édition.


Introduction

[Ce travail] définit la nature des troubles sémiologiques des malades dans un secteur particulier du français : le genre grammatical. Tous les aphasiques produisent des erreurs du type « le montre » ou « la timbre ». Nous ne chercherons pas à collectionner ces erreurs mais tenterons d’en comprendre le mode de production, différent d’un type d’aphasie à l’autre Les résultats obtenus à propos du genre grammatical seront ensuite étendus à d’autres secteurs du français afin d’aboutir à quelques conclusions de portée plus générale, les concepts de lexique, de texte, de syntaxe, et de morphologie y sont discutés ; ils ne représentent plus seulement des catégories élaborés par un linguiste « constructeur de modèles », mais nous pensons qu’ils représentent effectivement des processus logiques à partir desquels les aphasiques déduisent leurs énoncés. Le concept de bidimensionalité permet de rendre compte des deux axes de l’analyse grammaticale et explique les erreurs respectives des aphasiques de Broca et des aphasiques de Wernicke lors des épreuves visant à tester leur capacité syntaxique ou morphologique. Chaque axe est indépendant et crée de l’élémentaire formel ; or, le plus petit élément différencié ne coïncide pas avec le plus petit élément segmenté. La non-coïncidence des deux axes de l’analyse, c’est-à-dire le fait que l’élémentaire de l’un n’est pas celui de l’autre, permet de dissocier le lieu de manifestation de la morphologie et de la syntaxe du lieu de leur fondement analytique. La syntaxe se manifeste sur l’axe du texte mais trouve son fondement dans le lexique. La morphologie se manifeste sur l’axe du lexique mais trouve son fondement dans le texte. Si bien que l’aphasique de Broca qui perd le texte perd le principe de la morphologie mais non celui de la syntaxe. De même que l’aphasique de Wernicke perd le principe de la syntaxe mais non celui de la morphologie […].

Quelle que soit la gravité du tableau clinique, nous pensons en effet qu’un aphasique de Wernicke n’est plus capable de différencier des valeurs mutuellement opposables [et il] est possible de rapporter les divers tableaux agrammatiques [dans l’aphasie de Broca] à la perte de la segmentation en unités formelles ou contrastables. C’est cette hypothèse que nous avons cherché à valider en comparant huit aphasiques de Wernicke et huit aphasiques de Broca.

À l’hypothèse d’une perte sélective de la différenciation lexicale nous avons fait correspondre des « pièges » portant sur l’homophonie et sur l’allomorphisme. Et à l’hypothèse d’une perte de la segmentation textuelle nous avons fait correspondre des « pièges » portant sur l’imbrication et la discontinuité. Ceci nous a permis d ’aborder la « matérialisation » de l’analyse grammaticale  [1], [2]].

La FORME grammaticale est-elle pure abstraction ? Ou bien instaure-t-elle un rapport particulier entre le « langage articulé » et la signification ? C’est là une question d’envergure derrière laquelle tout un océan philosophique oppose positivistes et formalistes, les uns s’en tenant, par l’examen des contraintes contextuelles, à la seule apparence des « mots », et les autres installant un univers formel en « profondeur » à partir duquel, d’opérations en opérations, ils retrouvent, désambiguisée, une surface dont l’ambiguïté première avait cependant motivé leur démarche.

Or, ici et là, la langue fait des nœuds, en instaurant des lieux de-non-coïncidence entre la profondeur grammaticale et la surface des mots. Elle fournit alors aux grammairiens matière à dénouer : l’homophonie (ou l’homonymie) et l’allomorphisme, l’imbrication (ou amalgame) et la discontinuité. Comment les aphasiques se comportent-ils devant ces difficultés ?

I - Le double statut formel de l’analyse élémentaire

Il n’y a d’analyse qui ne crée de la discontinuité, du discret. Or, celui-ci est double. Selon qu’il s’agit d’aphasie de Broca ou d’aphasie de Wernicke, le discret devient pathologiquement unidimentionnel. Cette perte partielle de l’élémentaire conduit le linguiste à élaborer un modèle « à deux axes » sans imaginer de hiérarchie logique entre l’un et l’autre.

L’aphasique de Wernicke, par la perte de l’analyse grammaticale correspondant à la capacité taxinomique, ne peut plus déduire des énoncés que sur la base de l’unité formelle. À l’inverse, l’aphasie de Broca, parce qu’elle s’explique par la perte de la capacité générative de l’analyse, révèle le fonctionnement abusif d’une taxinomie restée intacte. Seul le recours à la clinique permet au linguiste de concevoir ce que peut être une taxinomie sans générativité (aphasie de Broca) et ce que peut être une générativité sans taxinomie (aphasie de Wernicke).

1. Une valeur oppositive dénotée : le sème

La sous-jacence grammaticale permet, par création d’une VALEUR formelle, d’élaborer de la frontière entre des éléments qui s’opposent, l’un étant excusif de l’autre. La possibilité de choisir le masculin ou le féminin tient à ce qu’une formalisation grammaticale les a préalablement constitués comme deux valeurs différenciées, mutuellement exclusives. À l’inverse, la non différenciation de ces deux valeurs aura pour conséquence la quasi-indifférence des aphasiques de Wernicke à actualiser l’un plutôt que l’autre.

Il n’est pas indifférent de choisir « le poêle » plutôt que « la poêle », malgré l’homophonie de la séquence « poêle ». Ces deux valeurs s’opposent au même titre que « le timbre » et « la montre ».

Il est par contre indifférent de choisir « le /pwal/ » ou « le/ pwεl/ », parce que l’une et l’autre séquences supportent la même valeur oppositive. Passer de l’une à l’autre ne modifie pas la valeur différentielle qu’elles peuvent avoir. Ce sont deux allomorphes de la même valeur lexicale.

L’aphasique de Wernicke, par hypothèse, a perdu l’analyse en valeurs oppositives. Par conséquent, il doit se faire pièger par les protocoles construits sur la base de l’homophonie ou de l’allomorphisme.

a) Les pièges de l’homophonie

« Par l’intermédiaire de l’article, le genre peut aussi servir éventuellement de système de suppléance pour différencier dans la langue parlée les syntagmes nominaux qui pourraient être équivoques : l’affaire/le fer ; l’aplomb/le plomb. Certes, cette fonction apparaît secondaire ; on ne peut cependant nier son existence quand on sait combien les phénomènes d’agglutination ont été importants à un moment de l’histoire de la langue (type : l’hierre/le lierre ; l’agriotte/la griotte). » (J. Dubois, 1965, p.59).

Cet équivoque constitue le principe d’un piège soumis à l’interprétation des aphasiques de Wernicke et dont nous donnons quelques exemples [3]. Il s’agit d’une épreuve de dictée (O. : Observateur. M. : Malade) :

O (dictée) : M :
L’APLOMB la plont - LE PLOMB le plont
L’ACCROC la craut - LE CROC le craut
L’ADIEU la dieu - LE DIEU le dieu
L’APPOINT la point - LE POINT le point
L’AFFRONT la front - LE FRONT le front
L’APLOMB la plon - LE PLOMB le plon
L’ACCROC la crot - LE CROC le crot
L’APPUI la puis - LE PUITS le pui
L’ASSAUT la seau - LE SEAU le seau
L’ACCORD la co - LE CORPS le cort

L’aphasique de Wernicke ne peut déduire de sa grammaticalité l’opposition de « l’appui » et de « le puits ». Il ne comprend pas le piège. Il s’étonne seulement de ce qu’on lui dicte des mots « qui sont pareils ».

Le même protocole permet d’obtenir des réponses aphasiques qui témoignent à la fois d’un abus de l’homophonie et d’une recherche aveugle de séquences graphiques différentes. Les aphasiques testés rentrent dans une fausse systématique, construite sur la seule base de rapports morphologiques, mais ignorante des valeurs lexicales qui, chez un locuteur non aphasique, opposent les unes aux autres les diverses graphies.

O (dictée) : M :
L’AFFRONT la frond - LE FRONT le front
L’ACCORD la core - LE CORPS le cort
L’ALLEE la lée - LE LAIT le lait
L’ATTRAIT l’attré - LE TRAIT le très
L’APLOMB la plond - LE PLOMB le plont
L’AFFAIRE la faire - LE FER le fer
L’APPOINT la point - LE POINT le poing

L’aléatoire ne renvoie qu’aux valeurs lexicales de l’observateur. Par contre les graphies exploitées par les malades nous paraissent répondre encore à certaines exigences. Les graphies « frond » et « front » par exemple font écho à « blond » et « pont » ; « la lée », rappelle « la fée », etc. L’allographie des homophones n’est plus déterminée par une différenciation lexicale, elle est encore contrainte par les rapports morphologiques.

D’autres épreuves permettent de montrer l’absence de contrôle lexical de l’homophonie chez les aphasiques de Wernicke.

O. : LE ? ou LA ? Réponses du malade :
RAQUETTE la RAQUETTE
MOQUETTE la MOQUETTE
VEDETTE la VEDETTE
SQUELETTE la SQUELETTE
SONNETTE la SONNETTE
CHAUSSETTE la CHAUSSETTE

« Squelette » est déterminé de la même façon que les autres mots en « -ette ». L’homophonie des finales a conduit l’aphasique à une fausse déduction. Par contre, si on place le mot « squelette » dans une phrase, les mêmes malades le déterminent spontanément au masculin.

Autres épreuves :

O. : LE ? ou LA ? Réponses du malade :
VEUF le VEUF
VEUVE la VEUVE
NAIF le NAIF
NAIVE la NAIVE
NERF le NERF… « On peut dire une fille nerve ? »
CUVE la CUVE
BOEUF le BOEUF
BETTERAVE la BETTERAVE
SOIF le SOIF… « Il a soif ou elle a soive »
CAVE la CAVE
CANIF le CANIF
GLAIVE la GLAIVE… « C’est un mot que j’ai su. Le glaif, la glaive… Je ne vois plus ! »

La variation morphologique « f/ve » intoxique le malade et le conduit à des raisonnements pathologiques : « on peut dire une fille nerve ? ».

D’autres épreuves montrent la tendance des aphasiques de Wernicke à multiplier, sans contrôle lexical, ce qui pour eux constitue des allomorphes alors que pour nous ces séquences s’excluent.

On propose aux aphasiques une série d’items sans article : ils doivent décider entre « le » ou « la ». Dans un second temps, on leur demande si certains items ne peuvent pas admettre l’un et l’autre déterminants, au même titre que « le/la moule ». La seconde étape, dans la mesure où elle induit le malade à explorer la totalité des possibilités morphologiques, est plus révélatrice du phénomène que nous cherchons à mettre en évidence. Il faut donc considérer le contraste des performances entre la première étape et la seconde.

Première étape :

O. : LE ? ou LA ? / Réponses écrites du malade :
CHEVRE / la CHEVRE - CADRE / la CADRE
POIVRE / le POIVRE - CENDRE / la CENDRE
SABRE / le SABRE - CIDRE / le CIDRE
CHAMBRE / la CHAMBRE - POUDRE / la POUDRE
ZEBRE / le ZEBRE - CHIFFRE / le CHIFFRE
TIMBRE / le TIMBRE - VITRE / la VITRE
SACRE / le SACRE - MONTRE / le MONTRE
SUCRE / le SUCRE - LUSTRE / le LUSTRE

Les réponses obtenues lors de cette première étape sont correctes.

Deuxième étape  : on demande au même malade d’envisager l’hypothèse d’une double détermination, le féminin et le masculin.

O.M.Commentaires du malade
la CHÈVRE  le chèvre « C’est le fromage ! »
le POIVRE non
le SABRE non !
la CHAMBRE le chambre « Ils vendent ça pour faire des cordes, avec du chanvre !... le chambre, ça se dit, je pense ! ».
le TIMBRE la timbre « la timbre, pour la tamponner. On la timbre ! ».
le SACRE la sacre « la sacre, c’est celle qui rouspète »
le SUCRE non !
la CADRE le cadre « le cadre, c’est le tableau et la cadre, c’est la photo aussi ! Pareil ! ».
la CENDRE non !
le CIDRE la cidre « la cidre, quand c’est aigre ! ».
la POUDRE non !
le CHIFFRE la chiffre « la chiffre, pour essuyer ! »
la VITRE le vitre « le vitre, ah !... Il est saoul, quoi ! »
LA MONTRE non !
LA LUSTRE non !

Les commentaires du malade sont révélateurs de son trouble ; cet aphasique tient pour négligeable des variations de séquences qui, chez le normal, marquent de la valeur lexicale. C’est le cas entre « chambre » et « chanvre », entre « cidre » et « acide », entre « chiffre » et « chiffe », enfin entre « vitre » et « ivre ». Ces variations de séquences sont devenues négligeables : elles constituent des allomorphes. Le malade ne contrôle plus lexicalement l’homophonie et l’allomorphisme des séquences sonores.

D’autres aphasiques de Wernicke ne s’égarent pas de cette manière, en produisant des séquences allomorphiques ; ils créent des valeurs néologiques sur le modèle « le/la moule » :

O. M. Commentaires du malade
LE TIMBRE la timbre « Ca se dit une timbre, n’est-ce pas ? »
LA SACRE la sacre « Un sacre, une sacre, on peut dire les deux, je crois ! ».
LA VITRE le vitre « La vitre, c’est bien et le vitre ? Celui qui met les vitres ? »
LA MONTRE le montre « La montre, oui ! et le montre ? ... Oui ! le montre, avec le doigt ! »

Ce qui est caractéristique, c’est le raisonnement des malades. Avant de répondre, ils explorent toutes les variations possibles, passant du masculin au féminin mais aussi de l’article défini à l’article indéfini, s’arrêtant sur une solution puis se mettant à nouveau à énumérer les diverses solutions déjà envisagées. Plus cette variation se prolonge et plus l’indécision augmente.

L’épreuve qui suit permet de montrer qu’une dissociation s’opère entre une absence de dénotation lexicale et le maintien d’une dénotation morphologique. Cette épreuve écrite est constituée de deux étapes successives : la première est une étape de correction et la seconde est une étape de détermination.

O. : Items M. : Corrections M. : Déterminations (et commentaires)
LABEUR labeur un labeur
LA VUE lavue une lavue
LABORATOIRE laboratoire un laboratoire (oral : « une boratoire »)
LACET lacet un lacet
LACUNE lacune une lacune
LAMITIE la mitié une moitié
LAMELLE lamelle une lamelle (oral : « une melle, je connais »)
LARUE larue une rue
LAPIN lapin un lapin
LAFLEUR lafleur une lafleur
LAQUAIS laquais un laquais
LAVOINE lavoine une lavoine
LAVABO lavabo un lavabo
LATITUDE latitude une latitude
LA CLEF la clef une clef
LAVOIR lavoir un lavoir
LASOIREE la soirée une soirée

Cet aphasique de Wernicke n’oppose plus les séquences « lavue » et « vue » ; il est indifférent à ce genre de frontières linguistiques. Ceci est manifeste pour l’item « laboratoire » où, simultanément, le malade prononce « une boratoire » et écrit « un laboratoire » sans que l’un des essais exclue l’autre. De la même façon, la détermination « une rue » n’engage pas le malade à corriger la séquence « larue » qu’il a encore sous les yeux. Mais, dans le même temps où il n’y a plus de marquage de valeurs lexicales, il y a permanence de la marque morphologique et « labeur » continue à impliquer « un ! », de même que « la vue » à impliquer « une ». On peut alors proposer le schéma suivant :

L’aphasique conserve le rapport (a), mais perd le rapport (b). Il conserve la contrainte qui, en même temps, dans la même séquence, cumule et le nom et un genre. « vue » implique du genre. Il y a saisie simultanée de deux valeurs qui s’ajoutent : « -vue » et un genre, masculin ou féminin, « une vue ». À l’inverse, l’aphasique de Wernicke ne différencie plus « vue » et « lavue » : ces deux séquences ne s’excluent pas.

b) Les pièges de l’allomorphisme

L’aphasique de Wernicke ne contrôle plus l’allomorphisme des suffixes. Les mots masculins en « -eur » font au féminin « -eure » (supérieure), « -euse » (voleuse), « -trice » (institutrice). Les aphasiques de Wernicke explorent ces diverses solutions sans que l’une exclue l’autre.

Protocole proposé :
UN EDUCATEUR / UNE ____UN GUETTEUR / UNE____
UN CREATEUR / UNE ____UN PROFITEUR / UNE ____
UN AVIATEUR / UNE ____UN PRETEUR / UNE ____
UN FLATTEUR / UNE ____UN SERVITEUR / UNE ____
UN ANIMATEUR / UNE ____UN PORTEUR / UNE ____
UN PLANTEUR / UNE ____UN ACHETEUR / UNE ____
UN ACTEUR / UNE ____

Premier malade :
UN EDUCATEUR /UNE éducateuse
UN CREATEUR/UNE créateuse
UN AVIATEUR/UNE aviateuse
UN FLATTEUR/UNE flatteuse
UN ANIMATEUR/UNE animatrice
UN PLANTEUR/UNE planteuse
UN ACTEUR/UNE acteuse
UN GUETTEUR/UNE guetteuse
UN PROFITEUR/UNE profiteuse
UN PRETEUR/UNE prêteuse
UN SERVITEUR/UNE serviteuse
UN PORTEUR/UNE porteuse
UN ACHETEUR/UNE acheteuse
Second malade :
UN EDUCATEUR/UNE éducatrice
UN CREATEUR/UNE créateusecréatrice
UN AVIATEUR/UNE aviatrice
UN FLATTEUR/UNE flattrice
UN ANIMATEUR/UNE animatrice
UN PLANTEUR/UNE planteuse
UN ACTEUR/UNE acteuse
UN GUETTEUR/UNE guetteuse
UN PROFITEUR/UNE profiteuse
UN PRETEUR/UNE prêtreuse
UN SERVITEUR/UNE serviteuse
UN PORTEUR/UNE porteure
UN ACHETEUR/UNE achatrice

L’allomorphisme est également important dans le féminin des adjectifs. Nous avons alors construit des séries selon deux types de contraintes : a) une contrainte « morphologique » où la forme du féminin se trouve déjà indiquée dans la graphie du masculin (petit/petite), et b) une contrainte non morphologique où la graphie du masculin ne permet plus de déduire la forme féminine, (peti. / peti. e) :

Série (a)
LE BLOND / LA blonde
LE GRAND / LA grande
LE PETIT / LA petite
LE BLANC / LA blanche
LE GRIS / LA grise
LE GRAS / LA grasse
LE LENT / LA lente
LE SOURD / LA sourde
LE GENTIL / LA gentille
Série (b)
LE BLONd / LA blonde
LE GRANd / LA grande
LE PETIt / LA petite
LE BLANd / LA blande
LE GRIs / LA grise
LE GRAt / LA gratte (« elle a trop mangé ! »)
LE LENt / LA lente
LE SOURt / LA sourtte
LE GENTIt / LA gentite

La variation morphologique n’est pas en cause. C’est la différenciation entre « grasse » et « gratte », entre « sourde » et « sourtte », entre « gentille » et « entite » qui est devenue aléatoire.

Certains noms changent lorsqu’ils passent du masculin au féminin ; c’est le cas de « docteur / doctoresse », etc. :

O : UN PRINCE / UNE PRINCESSEM. :
UN DOCTEUR / UNE…
UN VENGEUR / UNE…
UN PECHEUR / UNE…
docteutesse
vengess
pêchesse

Les malades ne contrôlent plus la variation des séquences graphiques qu’entraine le passage du masculin au féminin. Le « radical » se modifie, bien que sa valeur lexicale reste constante. Mais l’aphasique de Wernicke ne sait plus où commence cette variation et où elle se termine.

Il peut dès lors se laisser piéger par de fausses variations allomorphiques : c’est le cas de l’exemple suivant.

Protocole proposé : il s’agit d’un exercice « à trous » :

LESAVON /LA SAVONNETTE
FOURGON / 
BIDON / 
RAYON / 
DINDON / 
CORDON / 
CHATON / 
MAISON / 
LORGNON / 

Réponses du malade :

LESAVON /LA SAVONNETTE
le FOURGON /  la fourgonnette
le BIDON /  non ! « La bidonnette ? non ! Ca n’existe pas ! »
le RAYON /  la rayonnette
le DINDON /  la dinette. « La dinette, ça va ! »
le CORDON /  la cornette. « La cornette, c’est les soeurs ! »
le CHATON /  la chaînette. « La chaînette, peut-être ! »
la MAISON /  la maisonnette
le LORGNON /  la lorgnette

Le malade, induit par le protocole, forme des dérivés sur la base d’une identité sonore : « dindon/dinette ». Il témoigne ainsi de l’exploitation abusive de ce qui lui reste : la variation morphologique et de ce qu’il perd, c’est-à-dire la possibilité de différencier les radicaux « dind/din ». Pour le malade, il s’agit de deux allomorphes ; pour nous ce sont deux marques correspondant à deux valeurs lexicales qui s’excluent l’une l’autre.

L’aphasique de Wernicke, faute d’une différenciation lexicale en valeurs oppositives, mutuellement incompatibles, ne contrôle plus les limites de l’homophonie et de l’allomorphisme. J. Gagnepain appelle SÈME la valeur produite par ce processus de différenciation.

L’aphasique n’analyse plus en SÈMES. Les variations de séquences sonores deviennent aléatoires, de sorte qu’il ne maîtrise plus ce qui est homophonique mais lexicalement différenciable, ce qui est allo-morphique mais lexicalement identifiable.

2. Une valeur contrastive dénotée : le mot

 [4]]

L’aphasique de Broca, par hypothèse, a perdu la capacité générative de l’analyse grammaticale. Le processus de segmentation en unités formelles n’existe plus. À l’inverse, la capacité taxinomique est préservée et le rend capable d’opposer des valeurs lexicales entre elles.

Si l’aphasique de Broca n’est pas sensible aux pièges de l’homophonie ou de l’allomorphisme, (aucune de ses performances ne peut être assimilée là celles présentées plus haut), il est par contre sensible aux pièges construits autour de a) l’imbrication et b) la discontinuité.

Une même séquence sonore (ou graphique) peut contenir deux valeurs grammaticales, l’une nécessairement jointe à l’autre. On ne peut, par exemple, choisir « table » sans, simultanément, choisir du genre. Dans « au » (je vais au cinéma), on choisit tout à la fois ce qui, ailleurs correspond à des choix séparés (je vais à l’aventure). Deux valeurs, sommables, se trouvent imbriquées dans la même séquence.

L’aphasique de Broca, parce qu’il a perdu la capacité de segmenter ses messages en unités formelles, devient incapable de repérer plusieurs valeurs là où il n’y a qu’une seule séquence phonologique.

a) Les pièges de l’imbrication

On demande aux aphasiques de Broca de déterminer une liste de mots « simples » avec les articles « le » ou « la ». Deux ensembles de protocoles sont à comparer, ceux qui offrent aux malades une possibilité de déduction grammaticale par opposition (coq/poule) et ceux où cette possibilité se trouve absente.

On note, dans les séries où une opposition est possible, une détermination aisée, correcte. À l’inverse, dans les autres séries, le malade est incertain et les réponses sont aléatoires. Un exemple :

LE ? ou LA ? 1re passation :
CHAPEAU
CASQUETTE
BERET
FOULARD
CASQUE
COIFFURE
TOQUE
BONNET
KEPI
le CHAPEAU
le CASQUETTE
la BERET
la FOULARD
le CASQUE
la COIFFURE
la TOQUE
la BONNET
le KEPI
2e passation par le même malade : 3e passation :
le CHAPEAU
la CASQUETTE
le BERET
la FOULARD
la CASQUE
la COIFFURE
la TOQUE
la BONNET
le KEPI
le CHAPEAU
le CASQUETTE
la BERET
le FOULARD
la CASQUE
la COIFFURE
le TOQUE
le BONNET
le KEPI

À part « le chapeau », « la coiffure » et « le képi », les autres items ont été déterminés tantôt au masculin et tantôt au féminin. Le malade a répondu à ces trois mêmes séries lors de la même séance de rééducation. On peut conclure au caractère aléatoire de ses réponses, cela d’autant plus qu’il montre, par ses interventions, un manque d’assurance à peu près constant.

À l’inverse, les réponses qui suivent sont rapides et sûres : le ou la ?

LAPIN : le LAPIN - COCHON : le COCHON
CHAT : le CHAT - TAUREAU : le TAUREAU
POULE : la POULE - POULICHE : la POULICHE
CERF : le CERF

Mais on retombe dans l’aléatoire lorsque les noms d’animaux ne renvoient à aucun terme opposable : le ou la ?

SOURIS : la SOURIS - CIGALE : la CIGALE
PANTHERE : le PANTHERE - LIBELLULE : le LIBELLULE
FOURMI : le FOURMI - CHENILLE : la CHENILLE

Le malade ne répond pas selon l’ordre des mots dans la liste : il répond d’abord aux items qui lui paraissent plus familiers, s’interroge longuement avant de répondre aux autres. Il demeure dans l’incertitude quel que soit le résultat produit, manifestant par là une rupture importante avec la série précédente.

Que la suppléance soit d’ordre sémantique (indication du « sexe ») ou d’ordre taxinomique (substitution lexicale), elle révèle l’existence d’un « manque », d’une perte d’analyse. Le malade ne sait plus associer un genre, quel qu’il soit, aux noms inclus dans les protocoles.

Certaines réponses montrent même que le malade juxtapose deux classes de substitution lexicales, mais sans que l’une soit en rapport de complémentarité avec l’autre.

Le CHEVRE - La POIVRE - Le SABRE
La ZEBRE - Le TIMBRE

Le malade alterne « le » et « la » d’une façon systématique mais sans tenir compte des rapports existants entre le genre et le nom.

La SACRE - Le SUCRE - La CADRE
Le CENDRE - La CIDRE - Le POUDRE
La CHIFFRE

Le/La constitue une opposition lexicale traitée séparément de l’opposition lexicale des noms entre eux.

La VITRE - La MONTRE - Le LUSTRE

L’imbrication ne joue pas seulement sur l’association dans la même séquence / chèvre / dune valeur « chèvre » et d’une valeur « genre ». Elle joue par exemple dans l’association, sur la même séquence /ce/ de la valeur « masculin », de la valeur « démonstratif » et de la valeur « singulier ». L’aphasique de Broca ne peut que saisir une seule valeur à la fois ; c’est ce que confirment les performances de cet agrammatique.

Il s’agit d’une épreuve de répétition :

O. :M :
SA MAISON / CE GARAGE sa maison / son garage
CE CHATEAU / LA VOITURE ce château / et la... c’est la, mais après ?
LE FROMAGE / CETTE CREME ce fromage / cette crème, mais c’est pas ça !
LA CLE / CE BOUTON la clef / ce... ensemble je peux pas !
LA CLEF / CE BOUTON la clef / le bouton ... avant, c’est pas ça !
LE JUPON / SA VESTE le jupon / sa ... Attends ! Je sais ! veste
O. : « Encore une fois ! » le jupon : la veste
CETTE SOIREE / SON LIVRE … son livre / sa quoi ? Je sais plus !
O. : CETTE SOIREE / SON LIVRE soirée... et avant ?-cette soirée : ce livre
SON SAC / LA MONTRE son sac, sa montre... Pas encore ça !
SA GOMME / LE CRAYON sa gomme : son crayon... pas son... Je sais plus !
O. : CETTE BAGUE / LE BIJOU cette… bague / bijou... le bijou ?

Le malade ne « comprend » pas la totalité de la consigne. Les déterminants sont opposés deux à deux sur la seule base d’une opposition « masculin/féminin ». Ainsi :

sa / ce devient sa / son
sa / le > sa / son
la / ce > la / ce ... mais le malade perd le nom.
la / ce > la / le
ce / la > ce / la... mais le malade perd le nom.
le / cette > ce / cette
le / sa > le / sa… mais le malade perd le nom
le / sa > le / la
cette / son > son / sa
cette / son > cette / ce
son / la > son / sa

« Cette/le » devient bien « cette/le » mais la réponse n’est pas sûre : « bijou... le bijou ? ». Le malade « sait » qu’il n’a pas tenu compte de toutes les valeurs mais cela ne l’empêche pas d’en négliger à chaque fois. Il ne peut pas faire la somme de toutes les valeurs : il est obligé d’y réfléchir.

Nous pouvons en conclure qu’aucune forme ne lui impose plus ces contraintes. Il est obligé d’additionner, de solliciter les répétitions de l’observateur, pour effectuer une totalisation de valeurs qu’aucune forme ne regroupe plus en lui.

Des résultats analogues sont obtenus lors d’un autre exercice. Il s’agit d’un exercice de lecture. On demande au malade de lire assez rapidement deux mots présentés successivement :

O :M :
CHARMEUR/CHARMEUSE
MARQUANT/MARQUANTE
CHARMEUSE/CHARMANTE

VOLEUR/VOLANT

SIFFLEUR/SIFFLANTE

BRÛLEUSE/BRÛLANT

CRIANTE/CRIEUSE
MARQUEUR/MARQUANTE
charmeur/charmeuse
marquant/marquante
charmeur/charmeuse... non ! ... charmeuse et charmante, c’est plus dur !

voleur/voleuse, pas ça !… volante, non ! volante et… volant.

Siffleur… pas siffleuse ! ... siffl’... sifflante.

brûleuse/brûlante

criante/crieuse

Margu… marqueur/marqu… marquante

Le malade ne semble pouvoir lire qu’une valeur à la fois. Il lit soit le genre, soit leur / ant » mais paraît incapable de lire à la fois le genre et la modification du suffixe. Il est obligé de répondre en plusieurs fois et de faire, au fur et à mesure, la totalité des opérations qu’il ne peut effectuer spontanément.

b) Les pièges de la discontinuité

Le problème de la discontinuité est plus difficile à exposer. Il est utile de reprendre l’ensemble des pièges déjà explorés pour y inscrire celui-ci :

Valeurs opposables

Homophonie : une même séquence pour deux valeurs substituables

Allomorphisme : des séquences différentes pour une même valeur opposable
Valeurs contrastables

Imbrication : une seule séquence pour deux valeurs combinables

Discontinuité : des séquences multiples pour une seule valeur contrastable

La segmentation en unités formelles permet au locuteur normal de négliger ce que l’aphasique de Broca est contraint de regrouper : la somme des constituants de ce que généralement on nomme syntagme nominal ou syntagme verbal. Seul l’aphasique de Broca est contraint de regrouper explicitement ce qu’aucune forme grammaticale ne solidarise plus.

En épreuve de dictée par exemple, lorsqu’on dicte à un agrammatique un groupe nominal « pour la lingerie », il écrit élément par élément, sollicitant à chaque fois la répétition de la consigne :

O (dictée) :M :
POUR LA LINGERIE
POUR LA LINGERIE
POUR LA LINGERIE
POUR LA LINGERIE
pour.... pour....(le malade écrit pour) et après ?.... Répète !
lingerie.... lingerie,,...lin’ge’rie... (le malade écrit linge) et après ?... Je sais plus ! Ca bloque, là ! ... lingère ? C’est pas ça !
la, ça je saisi (le malade écrit pour la linge) et après ?...
pour la lingerie...lingerie ... linge’rie, linge’rie, alors là !... (Le malade écrit ère).
C’est ça ?

Le malade entend la consigne fragment par fragment sans pouvoir traiter l’ensemble en une totalité. Dans l’exemple qui précède, il s’agit d’un agrammatique relativement récupéré. D’autres malades produisent des énoncés plus déficitaires, réduits à un seul élément. On obtient alors des performances caractéristiques :

Protocole proposé  : il s’agit d’un exercice à trous.

O : Réponses du malade :
LE BEURRE / DU BEURRE
LA CREME / DE LA CREME
–– POTAGE / –– POTAGE
–– SEL / –– SEL
–– SOUPE / –– SOUPE
–– POIVRE / –– POIVRE
–– CAFE / –– CAFE
–– CONFITURE / –– CONFITURE
LE BEURRE / DU BEURRE
LA CREME / DE LA CREME
le POTAGE / du POTAGE
la SEL / de la SEL
le SOUPE / du SOUPE
la POIVRE / de la POIVRE
le CAFE / du CAFE
la CONFITURE / de la CONFITURE

Le malade répond « mécaniquement ». Plus rien ne solidarise le nom aux déterminants. Le même constat peut être fait en présentant l’exercice sous une autre forme :

LA ? ou DE LA ?(a)(b)
CREME
SOURIS
CONFITURE
CASSEROLE
MARMELADE
POELE
SOUPE
FOURCHETTE
la CREME
la SOURIS
la CONFITURE
la CASSEROLE
la MARMELADE
la POELE
la SOUPE
la FOURCHETTE
de la CREME
de la SOURIS
de la CONFITURE
de la CASSEROLE
de la MARMELADE
de la POELE
de la SOUPE
de la FOURCHETTE

Le malade répond d’abord sans « de » puis, après la sollicitation de l’observateur, il met des « de » mais, ne sachant où en mettre, il les généralise à la totalité de la série (b).

Ces performances conduisent à penser que le Broca ne dispose plus d’une contrainte grammaticale qui insère plusieurs séquences (pour-la-linge-rie) dans une même unité formelle. Même lorsque l’énoncé de ces malades est correct, qu’il contient les « petits mots » grammaticaux, il demeure cependant agrammatique ; en effet, le malade est obligé de combiner explicitement, par un effort de réflexion intense, ce que sa grammaire n’associe plus en lui. Cependant, ces malades conservent la capacité d’opposer des éléments lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur leur capacité taxinomique. On peut ainsi comparer les trois séries suivantes, la troisième étant une reprise de la première : le ou la  ?

la VENDEUSE
le CONTROLEUSE
le VOLEUSE
le PERCEUSE
la MENTEUSE
la LAVEUSE
la SERVEUSE
le SAUVEUSE
le DEMENAGEUSE
la MENEUSE
le VENDEUR
la VENDEUSE
le CONTROLEUR
la CONTROLEUSE
le MENTEUR
la MENTEUSE
la VENDEUSE
la CONTROLEUSE
la VOLEUSE
la PERCEUSE
la MENTEUSE
la LAVEUSE
la SERVEUSE
la SAUVEUSE
la DEMENAGEUSE
la MENEUSE

Dans la première série la détermination est aléatoire. Dans la seconde, elle est systématique et correspond à l’opposition d’un « eur » à un « euse ». La troisième série applique la déduction de la seconde aux items de la première.

Dans la première série, le suffixe n’est pas dissocié de la séquence « vendeuse » et ne peut dès lors être opposable à rien d’autre. Dans la second série, c’est l’observateur qui « découpe » la séquence « ven-deuse » en proposant une opposition « Vendeur/vendeuse » que le malade peut saisir puisqu’il dispose de la différenciation lexicale. C’est à ce moment là seulement que la séquence « voleuse » devient un complexe réunissant plusieurs valeurs. Il peut alors « voir » le féminin des items de la troisième série.

Le malade est contraint de faire la somme de ce qu’il peut opposer. Par là, il témoigne de l’existence d’une forme grammaticale d’un autre type que la seule substitution de valeurs lexicales. Le suffixe « eur » n’est pas seulement masculin et opposable à « euse », féminin ; il est aussi fragment d’une unité sémiologique qui le dépasse et qui le lie au nom, au delà du nom aux déterminants et aux prépositions.

L’unité formelle, le MOT, est dénotée par la solidarité de ses fragments. Dans l’aphasie de Broca, cette solidarité n’existe plus et le malade fait de chaque fragment un élément isolé sans rapports nécessaires entre lui et les autres.

La perte du mot chez l’aphasique de Broca se repère de deux façons :

a) Parce qu’il ne peut traiter qu’une valeur à la fois lorsque plusieurs valeurs se trouvent imbriquées dans la même séquence, et

b) Parce qu’il ne peut solidariser plusieurs séquences en une unité formelle qui ferait abstraction de leur discontinuité matérielle.

3. Au-delà du genre grammatical

Partant de l’étude du genre grammatical, nous avons défini l’identité formelle ainsi que l’unité formelle du SIGNIFIÉ par leur non-coïncidence avec l’identé ou l’unité matérielles, présentes dans le manifeste d’une séquence de langage. Ainsi, le « signifié », qu’il soit ici SÈME ou MOT, ne commence que dans l’ABSENCE qu’indique une « marque » effectivement produite par un locuteur.

De ce point de vue, le SÈME « chauffeur » n’est pas l’item « chauffeur » ! En effet, le sème, comme valeur formelle, négativement définie, ne signifie que de la différence. Et comme tel, le sème « chauffeur » ne s’énonce pas. Ou, si on veut en donner une image écrite, on peut représenter le sème « chauffeur » sous la forme « non-pneu », « non-camion », « non-change », etc., c’est-à-dire sous une forme négative ou oppositive. Autrement dit, le choix explicite d’un locuteur ne peut s’exercer que dans l’après coup d’une différenciation lexicale.

Il en est du mot comme du sème ! Sa valeur est également abstraite ou négative, contrastive plus précisément. Du point de vue du « mot », le mot « chauffeur » n’est pas non plus l’item manifeste « chauffeur ». En effet, le mot n’étant rien d’autre qu’une valeur purement formelle ne fait que signifier du discret. Et le mot ne s’énonce pas davantage que le sème ! Que le locuteur, explicitement, énonce « chauffeur » et il signifie ce qui n’est pas concrètement là, à savoir un ensemble de contraintes, une matrice unitaire dans laquelle « chauffeur » n’est qu’un partiel d’une totalité qui l’englobe. Qui dit « chauffeur » dit, c’est la formalisation grammaticale qui l’impose, type de mot nominal, c’est-à-dire un ensemble « bloqué » d’une préposition, d’un déterminant, d’un lexème, d’un genre et d’un nombre, le tout accompagné ou non d’affixes (avec-le-chauff-eur).

Allons encore plus loin. Non seulement, l’item « chauffeur » renvoie à une valeur abstraite (préposition + déterminant + genre + nombre + lexème) mais aussi, et c’est la même analyse contrastive, il renvoie à ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire à un fragment d’un autre type de mot, le type verbal (parce qu’il chauffe). Le mot « chauffeur », négativement défini, pourrait donc s’écrire : non-(parce qu’il chauffe). Le nom se définit comme un « non-verbe » et inversement le verbe conne un « non-nom ».

Nous sommes donc parvenu bien au-delà du seul genre grammatical ! Le SÈME et le MOT constituent ainsi deux éléments abstraits qui analysent notre représentation. Si donc un premier mouvement nous a conduit d’un secteur de la langue (le genre grammatical) vers une sous-jacence grammaticale, il nous faut maintenant renverser cette perspective et montrer l’intérêt des notions de « sème » et de « mot » quel que soit le domaine étudié. Qu’en est-il du sème et du mot au-delà du genre grammatical ?

a) Les « petits » mots grammaticaux

Nous avons systématiquement présenté à tous nos malades des séquences constituées de quatre items. L’un de ces items doit induire un verbe tandis que les trois autres correspondent à des noms. Dans la mesure où aucun morphème grammatical ne figure dans les énoncés tests, on éprouve ainsi les capacités des aphasiques à les restituer.

On demande aux malades de corriger les séquences suivantes :

SCIE COUPE MENUISIER PLANCHE.
BATEAU MONTE MARIN VOILE
PNEU CAMION CHANGE CHAUFFEUR
TRICOT FAIT COUTURIERE LAINE

i - Les réponses des aphasiques de Broca sont diverses et ne sont pas toutes superposables les unes aux autres. Chaque malade produit des performances particulières. Et pourtant, toutes ces performances admettent la même explication : la perte du MOT. C’est ce que nous allons maintenant montrer en commentant les réponses obtenues.

Un premier malade...
N°1041
menuisier coupe planche scie.
marin monte bateau voile
chauffeur pneu camion change
couturière tricot fait laine.

Ce malade regroupe les items selon un autre ordre que celui proposé par l’observateur. Cet ordre place en tête de séquence « l’agent » de l’action (menuisier, marin, chauffeur, couturière), ce qui nous paraît répondre à un critère sémantique.

Mais le plus important, par rapport à la notion de MOT, est de constater l’absence de morphèmes nominaux ou verbaux. En d’autres termes, « menuisier » ou « chauffeur » ne renvoient à rien d’autre d’absent. Les séquences se réduisent aux items manifestes. Le malade n’éprouve pas l’absence de morphèmes comme un manque ; c’est qu’il ne dispose plus du cadre formel rendant nécessaire et significative cette absence-là !

Ce n’est pas tant l’omission des morphèmes qui se trouve être ici le fait clinique majeur mais plutôt la « qualité » de cette omission. Un locuteur normal pourrait choisir de ne pas énoncer de morphèmes (dans la composition d’un télégramme, par ex.), cela n’empêcherait pas ces morphèmes d’être formellement présents sinon concrètement actualisés. Ici, tel n’est pas le cas ; ce malade n’a pas « choisi » d’omettre les morphèmes, il ne les ressent plus comme nécessaires. Ils ont disparu du « programme » formel sous-jacent.

Un second agrammatique :

N°870
menuisier coupe scie planche
marin voile monte bateau
change le chauffeur le pneu de camion
la couturière laine tricot fait

Cette fois, on note quelques déterminants lors des troisième et quatrième séquences (« le chauffeur, le pneu », etc.). Aussi n’est-ce pas l’absence ou la présence manifeste de déterminants qui nous paraît ici essentielle, mais bien plutôt le principe de leur nécessité. Le malade peut employer des déterminants ou ne pas les utiliser ; de toutes les façons, ils deviennent facultatifs, non nécessaires. Et c’est là un critère permettant d’imputer ces performances à une perte de l’unité formelle, le MOT. Un troisième agrammatique :

N°405
menuisier planche scie coupe
le marin le bateau le monte le voile
le chauffeur le change le camion le pneu
le couturière le fait le laine le tricot

Après avoir observé une absence systématique de déterminant, puis une présence facultative, nous observons maintenant une fausse détermination, dans la mesure où celle-ci ne procède que d’une combinatoire « mécanique » d’un lexème et d’un « le ». Mais ce « le » se combine tantôt avec des lexèmes nominaux (le marin… le voile) et tantôt avec des lexèmes verbaux (le monte), témoignant ainsi d’un « vide » analytique aussi important que les absences (non corrigées) des déterminants de la première ligne (menuisier planche scie coupe). Le déterminant « le » se réduit à la séquence manifeste « le » et n’implique plus aucune analyse formelle sous-jacente.

Cette « positivation » des déterminants est caractéristique de ce type de malades. Les aphasiques de Broca ajoutent parfois des déterminants, mais ces ajouts sont purement mécaniques, soit parce qu’ils sont abusivement répétés, soit au contraire parce qu’ils sont introduits d’une façon totalement aléatoire, comme dans les exemples suivants :

N°864
scie coupe planche menuisier
ce bateau monte la voile la marin
le pneu du change camion du chauffeur
le tricot la fait mon couturière laine

N°1069
le menuisier coupe la planche scier
le marin monte en voile en bateau
le chauffeur change en camion au pneu
la couturière au fait le laine en tricot

Plus inattendues peut-être sont ces performances des malades les plus récupérés. Ils alignent de nombreux énoncés corrects puis actualisent une erreur patente, isolée certes, mais néanmoins parfaitement démonstrative des difficultés grammaticales des aphasiques de Broca, et de cette « positivation » des déterminants dont nous venons de parler :

N°855
le menuisier coupe la planche de la scie
le marin monte la voile de le bateau
le chauffeur change le pneu du le camion
la couturière fait un tricot du la laine

L’erreur cette fois est plus circonscrite et se limite à l’imbrication des marques « de, le », et « la ». Le malade ne peut réaliser l’imbrication « de+le : du » et systématise « de la, de le, du le, du la ».

Il faut enfin mentionner les réponses correctes quant aux résultats mais déduites à la suite d’un raisonnement difficile, effectué pas à pas et dont la progression montre assez qu’il n’est plus sous-tendu d’une formalisation implicite, laquelle délivrerait les aphasiques d’une telle réflexion laborieuse.

ii - Les aphasiques de Wernicke ont un comportement très différent face à cette épreuve. La plupart parviennent à effectuer les corrections demandées. D’autres manifestent cependant quelques difficultés. Quelles sont-elles ?

La nécessité de déterminants ne fait pas problème, mais bien davantage leur définition. Un déterminant en vaut bien un autre et ne s’impose pas tant qu’il n’a pas été actualisé ; le malade essaie « un menuisier », puis « le menuisier  », rejette « la menuisier » avant d’écrire «  le ». C’est donc la définition qualitative des morphèmes qui constitue le point d’incertitude de ces malades ainsi que l’ordre des MOTS dans la séquence :

N°764
le menuisier coupe une scie avec la planche
le marin de son bateau peut monter la voile
le chauffeur sait changer contre son camion
fait la couturière le trico de laine

Si on ne considère que les trois premières séquences, on n’observe aucune erreur. Mais pour chaque item le malade s’est posé un grand nombre d’hypothèses, toutes déductibles à partir des types de MOT que sont le nom ou le verbe.

Commentaires du malade : « le menuisier coupe ... il coupe ... il coupe quoi ? le menuisier coupe la scie sur, non ! le menuisier coupe la scie avec une planche, avec la planche, sur la planche, c’est pas ça ! Le menuisier coupe la scie avec la planche... C’est ça ? »

On voit bien que ce malade a corrigé les séquences inductrices en fonction des contraintes du MOT. Chacun de ces mots est « complet » parce qu’il dispose de déterminants adéquats. En revanche, le choix de ces morphèmes (« avec, sur ») fait difficulté ainsi que l’ordre des mots (« fait la couturière le tricot de laine »).

Chez d’autres malades, il faut mentionner les erreurs non rectifiées. Celles-ci témoignent aussi d’une analyse en « mot » parce qu’elles respectent le contraste du nom et du verbe d’une part et parce qu’elles sont produites en parfaite « simultanéité » avec les lexèmes correspondants. Mais, en revanche, elles nous paraissent révélatrices d’une absence d’analyse en SÈME dans la mesure où les malades n’ont plus d’autocritique adaptée quant à la « qualité » des morphèmes qu’ils produisent :

N°898
la scie coupe le menuisier la planche
le bateau monte le marin de la voile
le chauffeur change le pneu du camion
le tricot fait du couturière de le laine
N°898 (bis)
la menuisier scie la coupe la planche
le marin porte la voile du batea
le pneu du camion change de la chauffeur
la couturière fait la laine du tricot

Si les aphasiques de Wernicke ont des difficultés pour exclure un déterminant au profit d’un autre, de la même façon ils éprouvent des difficultés pour exclure tel enchaînement à la place de tel autre. Leurs auto-corrections sont significatives à cet égard :

N°881
le menuisier scie
le menuisier coupe la scie avec
le menuisier coupe la planche avec la scie

le marin monte la voile
le marin monte le bateau avec la voile le marin... (renonce !)

le chauffeur change le camion
le chauffeur change le pneu avec le… sur le camion
le chauffeur change le pneu du camion... du camion, c’est ça !

b) morphème de nom et morphème de verbe

Le MOT, comme unité formelle, implique une abstraction qui établit chaque constituant morphématique ou lexématique comme partiel d’une totalité sémiologique. Cette totalité résulte d’un CONTRASTE entre deux types de mot, chacun étant constitué d’un ensemble de morphèmes particuliers. C’est pourquoi nous avons prolongé notre étude par un autre type de « piège » ; un piège portant sur le contraste entre morphèmes nominaux et morphèmes verbaux. On demande aux aphasiques de corriger les séquences suivantes :

IL SCIE LA COUPE IL MENUISIER LA PLANCHE
IL BATEAU LA MONTE IL MARIN LA VOILE
IL PNEU LA CAMION IL CHANGE LA CHAUFFEUR
IL TRICOT LA FAIT IL COUTURIERE LA LAINE

i - Les aphasiques de Broca tombent dans le piège ainsi constitué. Ils distribuent les items proposés de façon différente mais sans tenir compte du contraste entre le nom et le verbe. Plusieurs exemples peuvent en être donné :

N° 703
il menuisier il scie coupe de la planche
le marin le bateau la monte il voile
le chauffeur il change il camion le pneu
la couturière il fait il tricot la laine

N° 864
il scie la planche la coupe de menuisier
il bateau la voile il marin la monte
il la camion il change la chauffeur du pneu
il tricot la fait la laine il couturière

N° 870
il menuisier le coupe la planche
la monte il marin la voile
il camion pneu il change la chauffeur
il tricot de laine la couturière

N° 855
il menuisier la coupe il scie la planche
il bateau la monte il marin la voile
le camion pneu la change chauffeur
le tricot la fait il couturière la laine

N° 659
il scie coupe le menuisier de la planche
il bateau la monte le marin de la voile
le chauffeur change du pneu de le camion
la couturière fait de le tricot de la laine

N° 1041
il menuisier coupe il la planche
il marin il bateau la voile
il chauffeur il pneu camion il change
il couturière tricot il la laine

N° 1069
il menuisier la coupe la planche
il scie la marin la bateau il monte la voile
la camion la chauffeur il change il pneu
la couturière fait la laine il tricot

Plutôt que de prendre le risque d’erreurs, un autre malade choisit d’annuler les items pour lesquels un doute l’empêche de répondre :

N° 405
un menuisier la planche une scie
un bateau un marin la voile
un chauffeur un camion un pneu
un couturière la laine un tricot

L’ensemble de ces performances confirme donc l’hypothèse d’une perte du MOT. Les aphasiques de Broca ne peuvent contester les pièges du test à partir d’un contraste entre mot nominal et mot verbal, précisément parce qu’un tel contraste n’existe plus. Dès lors qu’une analyse segmentale ne vient plus informer les énoncés explicites des aphasiques on assiste à une adhérence pathologique aux données des épreuves qu’on leur soumet. Et un malade n’ayant effectué qu’assez peu d’erreurs lors du test précédent (avec une absence de morphèmes) se trouve intoxiqué par la présence manifeste de faux morphèmes lors de cet exercice. C’est le cas du malade suivant :

N°855
Série sans morphèmes :
le menuisier coupe la scie de la planche
le bateau monte le marin de la voile
le camion le pneu, du chauffeur du la change
le tricot fait une couturière de la laine

Série avec LA et IL :
il menuisier la coupe il scie la planche
il bateau la monte il marin la voile
il camion
le camion il pneu la change il chauffeur il tricot
le tricot la fait
il fait il couturière
la couturière il laine

Le malade procède pas à pas et cherche à placer les deux « il » sur chaque séquence. Il ne peut se détacher des contraintes ponctuelles du test et témoigne en cela d’une pathologie spécifique des aphasiques de Broca. En effet, les aphasiques de Wernicke ne tombent pas dans ce piège.

ii - Les aphasiques de Wernicke ne se laissent pas intoxiquer par la présence de morphèmes erronés. Ils rectifient immédiatement la place des morphèmes nominaux et verbaux. Malgré cela, ils reproduisent les mêmes types d’erreurs que lors de l’exercice précédent. En fait, ce test n’est pas différent du premier pour eux :

N° 67
le menuisier coupe la planche avec la scie
le marin monte la voile sur le bateau
le chauffeur le pneu sur le camion
la couturière fait le tricot

N° 677
le menuisier scie de la planche
le marin monte la voile sur le bateau
le chauffeur change le pneu sur le camion
la couturière fait un tricot dans la laine

N° 898
il scie il coupe la planche du menuisier
le bateau du marin monte la voile
le pneu du camion porte le chauffeur
la couturière fait de tricot la laine

On note en effet des mots « complets » mais dont les constituants sont « mal » choisis :

– la couturière fait un tricot « dans » la laine
– la couturière fait « de tricot » « la » laine

De plus, l’ordre des mots apparaît aléatoire, comme en témoignent les séquences suivantes :

– le chauffeur le pneu sur le camion
– le bateau du marin monte la voile
– le pneu du camion porte le chauffeur

D’autres séquences sont anormales, apparemment asémantiques. Mais même ces séquences témoignent d’une totale maîtrise du MOT :

N° 1000
il scie ; la coupe et la planche et il en fait quelque chose
le bateau est marin car il est de la voile et comptant de l’être
il prend le chauffeur et il prend le pneu
la couturière est en laine et fait l’ensemble en tricot

Ainsi les aphasiques de Wernicke, s’ils produisent des performances pathologiques, n’ont cependant pas les mêmes difficultés que les aphasiques de Broca. De cette différence, le clinicien espère inférer une dichotomie entre deux processus grammaticaux différents. Si l’aphasie de Broca n’a plus de MOT, il semble bien que l’aphasie de Wernicke ne dispose plus que de cette seule analyse.

Nous avons complété cette étude par une troisième série de séquences.

c) Compatibilité entre déterminants

Dans le modèle du nom, les « prépositions » sont compatibles avec les articles. Mais les déterminants possessifs (mon, ton, son., etc. ) ne sont pas compatibles avec les déterminants démonstratifs (ce, cette, ces), de telle sorte qu’on ne peut avoir « avec ce son stylo ». Nous avons ainsi constitué d’autres pièges linguistiques à partir de cette incompatibilité entre déterminants d’un même type de mot, nominal ou verbal. Nous avons demandé aux malades de corriger les séquences suivantes :

LE MON MENUISIER IL UN COUPE UNE MA PLANCHE AVEC MON SCIE
LE MON MARIN IL JE MONTE LA SA VOILE DU SON BATEAU
LE SON PNEU DU CAMION IL LE CHANGE LE MON CHAUFFEUR
LA MIENNE COUTURIERE ELLE JE FAIT UN MON TRICOT EN LA LAINE

i - Les aphasiques de Broca se sont tous laissés intoxiquer par ce type de piège. Chacun des malades testés a parfois maintenu ensemble des déterminants normalement incompatibles entre eux. Cette incom-patibilité ne résulte que des contraintes du MOT. Ayant perdu le mot, il n’est donc pas étonnant de constater de telle performances. Nous présentons la série des performances obtenues :

N°405
il mon menuisier avec scie il un coupe ma planche
le marin il monte la sa voile du son bateau
le chauffeur du camion le change le pneu
la couturière elle je fait un mon tricot en la laine

N°659
le mon menuisier il coupe une ma planche avec la scie
le marin il monte la voile du bateau
le chauffeur change le pneu du camion
la couturière elle fait un tricot en la laine

N°703
le menuisier mon le scie il un coupe une ma planche
le marin du son bateau je monte la sa voile
le chauffeur le pneu du son camion il change
la couturière le tricot fait en la laine

N°864
il un coupe une me planche avec mon scie de menuisier
le mon marin il sa voile du son bateau
le son pneu il le change le mon chauffeur son camion
elle je fait mon tricot ou la mienne ou la couturière ou laine

N°870
le menuisier il en coupe une planche avec mon scie
il je monte la sa voile du son bateau
il la change le son pneu de son camion
je fait un mon tricot une la laine

N°1041
le mon menuisier il une coupe ma planche avec mon scie
le mon marin il je monte son bateau
le son pneu du son camion il la change la ma chauffeur
la couturière la mienne elle je fait un ma tricot en la laine

N°1069
le menuisier il un coupe mon avec mon scie une ma planche
le marin, mon il monte sa voile je du son bateau
le camion il le change le mon chauffeur du son pneu
elle la mienne couturière, je fait en la laine un mon tricot

Si les aphasiques de Broca ont perdu les contraintes formelles du MOT, il semble bien que les aphasiques de Wernicke ne soient plus sensibles qu’à ces seules contraintes.

ii - Les aphasiques de Wernicke ont tendance à davantage interpréter les séquences soumises à leurs corrections. On observe davantage d’innovations, mais celles-ci répondent aux mêmes difficultés que celles déjà décrites précédemment :

– d’une part une difficulté dans le choix de telle forme nominale ou de telle forme verbale par rapport à d’autres formes qualitativement plus correctes ;
– d’autre part une difficulté dans l’ordre des mots ainsi définis.

N°677
avec le menuisier scia de la planche ensuite avec les morceaux
la planche, coupa des allumes-feux.
avec la mer et le vent, le marin monte la voile sur le bateau
le chauffeur démonte le pneu vieux, ensuite monte un pneu neuf
sur la roue laquelle placer sur la voiture
la couturière fait un tricot avec de la laine bleu

N°764
avec sa scie le menuisier a coupé une planche le bon bateau
monte le marin de sa voile
le chauffeur changera le pneu de son camion
la couture fait la laine fait un tricot la mienne

N°859
ma menuisière coupe une planche avec une scie
le marin monte la voile de son bateau
le chauffeur change le pneu du camion
mon couturier fait un tricot en laine

Ces trois exemples montrent trois degrés différents dans l’intoxication induite par les phrases soumises aux malades. En fait, et quel que soit le degré des incorrections produites par les malades, il est important ici de noter qu’aucun « mot » n’est, pris isolément, vraiment défectueux. Chaque mot est convenablement utilisé, mais il ne l’est qu’en fonction de lui-même. Si on considère par contre l’environnement de ces mots, on ne peut constater que la mauvaise définition des déterminants actualisés :

N°1000
il monte sur le marin il se détruit en montant sur son bateau
il change le pneu le camion ils sont il le change de changement
la mienne est couturière et je fais bien un tricot en laine

Toutes les contraintes « visibles » ou manifestes sur l’axe des enchaînements ne sont pas des contraintes de MOT. Il existe un seuil ! En d’autres termes, l’aphasique de Broca apparaît incohérent dès la constitution du MOT, alors que l’aphasique de Wernicke ne manifeste son incohérence qu’au-delà des frontières de mot.

Cette dichotomie peut facilement être mise en lumière en dissociant ce qui dans l’actualisation d’une préposition tient à des contraintes internes aux mots dans lesquels elles s’inscrivent et ce qui tient à des contraintes externes aux mots.

d) Les prépositions

L’emploi des prépositions a ceci de particulier qu’il nous paraît doublement formalisé, et par des contraintes internes au MOT nominal et par des contraintes externes aux mots dans lesquels elles s’inscrivent. Par exemple, la préposition « à » fait partie du nom (« à la maison », « à la guerre », etc.), mais cette même préposition se trouve également « gouvernée » par le choix de certains verbes ou de certains adjectifs, tels que « collaborer- (à) », « habile-(à) ».

On soumet aux aphasiques des exercices « à trous » dans lesquels ils doivent introduire une préposition. De cette façon, on espère montrer une dissociation entre les deux ordres de contraintes formelles mentionnées ci-dessus.

i - Les aphasiques de Broca montrent que la préposition ne participe plus des contraintes formelles du MOT. Quelques exemples. Les réponses des malades sont en minuscules et l’intitulé du test en majuscules.

IL EST SÛR … LA COUTURIERE ; IL …EST SÛR 
IL EST HABILE … LA COURSE ; IL … EST HABILE
IL EST HEUREUX … SA REUSSITE ; IL … EST HEUREUX
IL EST FIER … SA FORCE ; IL… EST FIER
IL EST APTE … LA MARCHE ; IL … EST APTE
IL EST SENSIBLE … LA DOULEUR ; IL … EST SENSIBLE
IL EST SUJET … LA MIGRAINE ; IL … EST SUJET
IL EST HONTEUX … LA GUERRE ; IL … EST HONTEUR
IL EST ENCLIN… LA TAQUINERIE ; IL … EST ENCLIN

Le premier aphasique de Broca testé se montre incapable de « boucher les trous » ; il ne voit rien ! Il n’a aucune idée sur les items nécessaires à cette épreuve. On lui fournit alors, dans le désordre, quatre possibilités : « de », « y », « à » et « en ». On lui demande de placer ces items à bon escient. Voici ses réponses :

IL EST SÛR de LA COUTURIERE ; IL en EST SÛR
IL EST HABILE y LA COURSE ; IL à EST HABILE
IL EST HEUREUX à SA REUSSITE ; IL en EST HEUREUX
IL EST FIER de SA FORCE ; IL en EST FIER
IL EST APTE y LA MARCHE ; IL à EST APTE
IL EST SENSIBLE de LA DOULEUR ; IL en EST SENSIBLE
IL EST SUJET de LA MIGRAINE ; IL à EST SUJET
IL EST HONTEUX en LA GUERRE ; IL y EST HONTEUX
IL EST ENCLIN de LA TAQUINERIE ; IL en EST ENCLIN
IL EST CERTAIN à SON COURAGE ; IL y EST CERTAIN

Les résultats confirment les mimiques du malade. Celui-ci ne contrôle pas l’épreuve et il a effectivement répondu au hasard. D’autres réponses montrent cette absence de contraintes formelles, d’où résulte l’impossibilité d’attribuer « à/de » au modèle du nom et « y/en » au modèle du verbe :

IL EST SÛR à LA COUTURIERE ; IL y EST SÛR
IL EST HABILE ... LA COURSE ; IL ... EST HABILE
IL EST HEUREUX à SA REUSSITE ; IL en EST HEUREUX
IL EST FIER de SA FORCE ; IL en EST HEUREUX
IL EST APTE de LA MARCHE ; IL y EST APTE
IL EST SENSIBLE en LA DOULEUR ; IL en EST SENSIBLE
IL EST SUJET à LA MIGRAINE ; IL à EST SUJET
IL EST HONTEUX à LA GUERRE ; IL en EST HONTEUX
IL EST ENCLIN à LA TAQUINERIE ; IL en EST ENCLIN
IL EST CERTAIN à SON COURAGE ; IL (de) y EST CERTAIN

Chez ce second malade, il y a moins d’erreurs. On note toutefois au moins deux erreurs montrant l’incohérence au niveau de la compatibilité des morphèmes nominaux et verbaux :

– « il est à sujet »
– « il de est certain » (corrigé ensuite en « il y est certain »)

Ceci montre qu’il est nécessaire de proposer aux malades une liste d’items suffisante pour espérer caractériser leurs réponses. Ce n’est pas le nombre de réponses incorrectes qui importe donc mais la « qualité » de ces erreurs.

Cette incohérence se retrouve dans d’autres exercices du même type. Quelques exemples empruntés aux deux mêmes malades que précédemment :

LE MENUISIER BENEFICIE suis SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER COLLABORE colle SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER DOUTE est SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER OPTE son SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER REMEDIE la SCIAGE DE LA PLANCHE

LE CHAUFFEUR BENEFICIE la roue CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR COLLABORE suis CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR DOUTE est CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR OPTE doute CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR REMEDIE la CHANGEMENT DE PNEU

LE MARIN BENEFICIE monte MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN COLLABORE est MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN DOUTE suis MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN OPTE dans MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN REMEDIE la MONTAGE DE LA VOILE

LA COUTURIERE BENEFICIE doit CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE COLLABORE serait CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE DOUTE soit CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE OPTE dans CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE REMEDIE de la CONFECTION DU TRICOT

Ce premier malade n’a pas de programme lui imposant une pré-position. Il remplit le trou avec des fragments qui n’ont aucune cohérence entre eux. On y trouve des verbes (« suis, colle, est, doute, monte, doit, soit »), un nom (« la roue »), des déterminants (« de la, la »). Mais ces « verbes », ce « nom », ces « déterminants » ne sont tels que pour l’observateur qui projette sa propre analyse sur les phénomènes observés. Pour le malade, il ne s’agit que d’items dont les uns ne renvoient pas plus au modèle du verbe que les autres au modèle du nom.

Les réponses du second malade paraissent plus contrôlées ; elles témoignent, cependant, d’une même absence d’analyse en MOT :

LE MENUISIER BENEFICIE la SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER COLLABORE du SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER DOUTE du SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER OPTE pour SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER REMEDIE pour SCIAGE DE LA PLANCHE

LE CHAUFFEUR BENEFICIE pour CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR COLLABORE du CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR DOUTE à CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR OPTE pour CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR REMEDIE du CHANGEMENT DE PNEU

LE MARIN BENEFICIE du MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN COLLABORE sous MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN DOUTE sous MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN OPTE sous MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN REMEDIE sous MONTAGE DE LA VOILE

LA COUTUIERE BENEFICIE la CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE COLLABORE avec CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE DOUTE sous CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE OPTE sous CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE REMEDIE la CONFECTION DU TRICOT

Cette fois, le malade est capable de remplir les « trous » de l’exercice sans le préalable d’un inventaire fourni par l’observateur. De lui-même il actualise un certain nombre d’items. De plus, ces items sont compatibles avec le programne du NOM puisqu’il n’y a pas de morphèmes verbaux à venir parasiter l’épreuve.

Mais on observe cependant une adhérence au « trou », dans la mesure où le malade y fait correspondre « un » seul item, que celui-ci soit un déterminant « la, du » ou une préposition (« pour, sous, avec »). Cette rigidité, « un » trou / « un » item, nous paraît l’indice d’une perte de l’analyse en MOT. Car cette analyse nous permet de ne plus adhérer au nombre d’items manifestes ; elle constitue une forme sous-jacente dans laquelle les déterminants et les prépositions sont mutuellement compatibles et non, comme ici, exclusifs les uns des autres.

ii - Les aphasiques de Wernicke font également des erreurs dans ce type d’épreuves. Mais ces erreurs ne sont absolument pas les mêmes. La solidarité d’une préposition, d’un déterminant, d’un lexème ne constitue pas une difficulté mais plutôt le choix de telle préposition, de tel déterminant ou de tel lexème. Voici les réponses d’un premier aphasique de Wernicke :

IL EST SÛR de LA COUTURIERE ; IL dit qu’il EST SÛR
IL EST HABILE à LA COURSE ; IL dit souvent qu’il EST HABILE
IL EST HEUREUX de SA REUSSITE ; IL assure qu’il EST HEUREUX
IL EST FIER de SA FORCE ; IL répète qu’il EST FIER
IL EST APTE de LA MARCHE ; IL affirme qu’il EST APTE
IL EST SENSIBLE de LA DOULEUR ; IL est malade, il EST SENSIBLE
IL EST SUJET de LA MIGRAINE ; IL affirme qu’il EST SUJET 
IL EST HONTEUX de LA GUERRE ; IL est certain qu’il EST HONTEUX
IL EST ENCLIN de LA TAQUINERIE ; IL dit qu’il EST ENCLIN !
IL EST CERTAIN de SON COURAGE ; IL est fier de son courage il en EST CERTAIN

Ce malade ne reste pas sans rien répondre, comme la plupart des aphasiques de Broca. Et s’il faut lui fournir un inventaire (« à, y, en, de ») pour circonscrire ses réponses c’est pour d’autres raisons que celles des aphasiques de Broca.

Ce malade « fait » du texte. Après « il », le malade emploie une forme verbale (« il dit qu’il », « il assure qu’il », « il répète qu’il », « il affirme qu’il », « il est certain qu’il », etc.). De la même façon, devant les déterminants nominaux, il utilise des prépositions :

– de la couturière – de sa réussite
– à la course – de sa force, etc.

Du point de vue de l’analyse contrastive, cet aphasique de Wernicke respecte donc bien la cohérence du modèle du verbe et la cohérence du modèle du nom. Et pourtant, on note des erreurs « qualitatives » portant sur le choix d’une préposition :

– il est apte/de la marche
– il est sensible/de la douleur il est sujet/de la migraine
– il est enclin/de la taquinerie.

Là où il aurait fallu employer la préposition « à », le malade utilise la préposition « de ». Autrement dit, l’aphasique de Wernicke peut déduire de la formalisation du MOT la nécessité d’une préposition, mais cette formalisation ne dit rien quant à la nature de la préposition à employer. Une chose est donc de faire participer une préposition à un élément formel unitaire, à un MOT, et autre chose est de faire entrer une préposition dans un programme différentiel dans lequel les prépositions pourront s’opposer les unes aux autres.

Nous avons demandé à ce même malade de refaire l’exercice mais en utilisant exclusivement les items « en, y, à, de ». Les résultats montrent bien qu’il conserve aux prépositions la valeur de partiel de mot, mais qu’il est devenu aveugle quant à l’opposition lexicale des prépositions entre elles :

IL EST SÛR de LA COUTURIERE ; IL en EST SÛR !
IL EST HABILE à LA COURSE ; IL en EST HABILE !
IL EST HEUREUX de SA RÉUSSITE ; IL en EST HEUREUX !

IL EST FIER de SA FORCE ; IL en EST FIER !
IL EST APTE de LA MARCHE ; IL y EST APTE !
IL EST SENSIBLE de LA DOULEUR ; IL y EST SENSIBLE !
IL EST SUJET de LA MIGRAINE ; IL y EST SUJET !
IL EST HONTEUX de LA GUERRE ; IL en EST HONTEUX !

IL EST ENCLIN de LA TAQUINERIE ; IL en EST ENCLIN !
IL EST CERTAIN de SON COURAGE ; IL en EST CERTAIN !

Cette fois, on obtient des réponses qui sont compatibles du point de vue du MOT. Les morphèmes « de/à » sont utilisés avec les noms et les morphèmes « en/y » avec le verbe.

de la couturière il en est
à la course il y est

Par contre l’opposition de certains sèmes lexicaux n’a plus d’influence sur l’opposition des morphèmes nominaux ou verbaux.

Un 1er mot un 2e mot
il est apte… de...
à…
y
Il est… 
en
habile
Un seul mot
Un 1er mot un 2e mot
il est sensible… de...
à…
y
Il est…
 en
enclin
Un seul mot

Choisir « apte », « sensible », « enclin », c’est normalement exclure « de » et choisir « à ». Or on observe que le choix des lexèmes (sensible, apte, enclin) n’a plus d’effet sur le choix de la préposition. C’est en cela que nous disons que l’aphasique de Wernicke n’analyse plus qu’en MOT, et qu’au-delà il devient soumis à l’aléatoire. Le choix d’un premier mot ne conditionne plus le choix d’un second mot. Chaque mot est autonome, mais abusivement.

Là est le bénéfice de la clinique que de donner au linguiste l’occasion d’observer des contraintes unitaires « isolées », sans contraintes qualitatives portant sur des relations entre plusieurs mots

Le même constat s’impose d’un malade à l’autre. Tous les huit aphasiques de Wernicke ont produit ce type d’erreurs. Nous en donnerons un second exemple :

IL EST SÛR de LA COUTURIERE ; IL en EST SÛR !
IL EST HABILE à LA COURSE ; IL en EST HABILE !
IL EST HEUREUX de SA RÉUSSITE ; IL en EST HEUREUX !
IL EST FIER de SA FORCE ; IL en EST FIER !
IL EST APTE de LA MARCHE ; IL y EST APTE !
IL EST SENSIBLE de LA DOULEUR ; IL en EST SENSIBLE !
IL EST SUJET à LA MIGRAINE ; IL en EST SUJET !
IL EST HONTEUX de LA GUERRE ; IL en EST HONTEUX
IL EST ENCLIN à LA TAQUINERIE ; IL en EST ENCLIN

Non seulement ces réponses se répètent d’un malade à l’autre mais également d’un exercice à l’autre. Voici quelques réponses significatives :

LE MENUISIER BENEFICIE du SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER PROFITE du SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER COLLABORE du SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER DOUTE de la SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER OPTE pour la SCIAGE DE LA PLANCHE
LE MENUISIER REMEDIE pour LA SCIAGE DE LA PLANCHE

LE CHAUFFEUR BENEFICIE du CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR PROFITE dans le CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR COLLABORE sur le CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR DOUTE sur le CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR OPTE le CHANGEMENT DE PNEU
LE CHAUFFEUR REMEDIE pour le CHANGEMENT DE PNEU

LE MARIN BENEFICIE du MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN PROFITE du MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN COLLABORE pour le MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN DOUTE pour le MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN OPTE pour le MONTAGE DE LA VOILE
LE MARIN REMEDIE pour le MONTAGE DE LA VOILE

LA COUTURIERE BENEFICIE du CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE PROFITE du CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE COLLABORE sur le CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE DOUTE sur le CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE OPTE dans le CONFECTION DU TRICOT
LA COUTURIERE REMEDIE dans le CONFECTION DU TRICOT

Les réponses de cet aphasique de Wernicke montrent bien qu’il ne se prononce qu’en fonction du seul MOT. La préposition (et le déterminant) n’est cohérente que dans le cadre du type nominal où elle s’inscrit. Mais le choix de cette préposition ne paraît plus répondre à des déterminismes situés au-delà du nom, c’est-à-dire ici dans le choix du verbe précédent.

La préposition est toujours cohérente avec le nom :

du sciage
de la sciage
pour la sciage
sur la sciage

du montage
pour le montage
dans le montage
du changement
dans le changement
sur le changement
le changement
pour le changement
du confection
sur le confection
dans le confection

Mais la préposition n’est plus cohérente avec le verbe précédent :

le menuisier profite du sciage
le chauffeur profite dans le changement
le menuisier collabore du sciage
le chauffeur collabore sur le changement
le chauffeur doute sur le changement
le marin doute pour le montage
le chauffeur opte Ø le changement
le marin opte pour le montage
la couturière opte dans le confection

Au total, l’aphasique de Broca n’a plus de contraintes formelles au niveau du MOT, tandis que l’aphasique de Wernicke ne dispose plus que de ces seules contraintes.

D’un autre point de vue, l’aphasique de Wernicke ne contrôle plus le choix des constituants de chaque mot dans la mesure où ceux-ci ne s’opposent plus. Par là même, les aphasiques de Wernicke montrent qu’ils n’ont plus d’analyse différentielle en SÈME.

Chaque type de malades aphasiques n’est plus soumis qu’à une seule capacité d’analyse formelle. Et l’unidimensionnalité de cette analyse va définir...

– l’incohérence du Wernicke
– et la « pauvreté » cependant précise du Broca.

Ce sont donc ces deux tableaux que nous allons maintenant étudier chacun pour eux-mêmes, en nous situant à nouveau dans le cadre de la langue défini par le genre grammatical.

II - Le double aspect formel de l’incohérence du Wernicke

L’aphasique de Wernicke n’analyse plus en SÈME alors qu’il continue à analyser en MOT. Il reste donc capable de faire varier les fragments internes au MOT, mais ne peut plus différencier ce qu’il continue à faire varier. Ceci rend compte des erreurs morphologiques du Wernicke. Il reste capable d’enchaîner des MOTS, mais le choix d’un mot ne conditionne plus le choix d’un autre mot ; ceci rend compte de l’absence de syntaxe de l’aphasique de Wernicke. Ainsi, l’absence de différenciation lexicale peut s’observer à l’intérieur du MOT et au-delà du MOT, constituant les deux aspects formels de l’incohérence du Wernicke, bien que le processus responsable soit identique.

1. Variation morphologique sans différenciation des paradigmes

L’aphasique garde de la morphologie l’aptitude à opérer des variations sur la base d’une identité partielle. Mais il fait varier des éléments qui, n’étant plus différenciés, deviennent abusivement équivalents. Ainsi, on peut comparer la détermination des formes ayant un suffixe, lorsque le protocole dispense le malade d’une variation morphologique et lorsqu’à l’inverse il engage le malade à établir des rapports morphologiques. Deux séries de résultats sont à comparer :

a) Protocole proposé : Le ou La  ?

Il se repose sous ……. branchage
Il ramasse ……. cordage du bateau
Il range ……. coquillage sur le bureau
Il calcule ……. cubage du bois
……. gommage de ce dessin est délicat
Il a fait ……. bandage avec des restes de drap
Il n’aime pas faire ……. plumage des volailles

Réponses du malade : Tous les items en « -age » sont déterminés selon la norme. On propose alors au même malade, et à la suite de ce premier exercice, un autre protocole (b) :

b) Il s’agit d’un exercice à trous

O : LE ? ou LA ?
Réponses du malade :
le PINÇAGE la PINCE
la BRANCHAGE la BRANCHE
la CORDAGE la CORDE
la COQUILLAGE la COQUILLE
la CUBAGE le CUBE
la GOMMAGE la GOMME
le COUPLAGE le COUPLE
la BANDAGE la BANDE
la TELESCOPAGE la TELESCOPE
la PLUMAGE la PLUME

Cette fois, la détermination des formes en « age » devient aléatoire : le malade devenant sensible au rapport du mot « simple » et du mot « complexe ». On note, en effet, que les mots simples continuent à être correctement déterminés (sauf « la télescope ») alors que de nombreux mots complexes sont incorrects :

la branchage ; la cordage ; la coquillage ; la cubage ; la gommage ;
la bandage ; la télescopage ; la plumage.

D’autres résultats confirment ceux-ci :

la REGLE ; la PINCE ; la BRANCHE ; la CLAQUE ; le REGLE-MENT ; la PINCEMENT ; le BRANCHEMENT ; le CLAQUEMENT ; la REGLAGE ; le PINCAGE ; le BRANCHAGE ; la CLAQUAGE

L’aphasique de Wernicke, bien qu’il garde l’analyse en MOTS, en arrive à ne plus respecter les rapports paradigmatiques du nom et du verbe lorsqu’il est conduit à établir des rapports morphologiques. Dans les séries suivantes, on constate une « féminisation » abusive de désinences verbales :

O : IL VIENT/ ELLE… ? Réponses du malade :
IL VIENT / ELLE…
IL PART / ELLE…
IL TIENT / ELLE…
IL MENT / ELLE…
IL DORT / ELLE…
IL CUIT / ELLE…
IL SEDUIT / ELLE…
IL SERT / ELLE…
IL PLAIT / ELLE…
IL SORT / ELLE…
IL VIENT / ELLE vienne
IL PART / ELLE parte
IL TIENT / ELLE tienne
IL MENT / ELLE mente
IL SORT / ELLE sorte
IL CUIT / ELLE cuite
IL SEDUIT/ ELLE séduite
IL SERT / ELLE serte
IL PLAIT / ELLE plaite
IL DORT / ELLE dorte

La « féminisation » est d’autant plus facile que l’item précédé de « elle » se termine par une consonne admettant un « e » :

O : IL ECRIT / ELLE… Réponses du malade  :
IL ECRIT / ELLE…
IL BONDIT / ELLE…
IL RAMOLLIT / ELLE…
IL VOMIT / ELLE…
IL INTERDIT / ELLE…
IL TRAHIT / ELLE…
IL FREMIT / ELLE…
IL ECRIT / ELLE écrite
IL BONDIT / ELLE bondite
IL RAMOLLIT / ELLE ramollite
IL VOMIT / ELLE vomite
IL INTERDIT / ELLE interdite
IL TRAHIT / ELLE trahite
IL FREMIT / ELLE frémite

L’absence de différenciation paradigmatique peut se voir également dans une « masculinisation » de formes verbales. L’induction va alors dans le sens inverse, c’est-à-dire de « elle » vers « il » :

O : ELLE SOUPIRE / IL… Réponses du malade :
ELLE SOUPIRE / IL…
ELLE COUVRE / IL…
ELLE PARLE / IL…
ELLE FORCE / IL…
ELLE SAUTE / IL…
ELLE ECLATE / IL…
ELLE REGLEMENTE / IL…
ELLE CHANTE / IL…
ELLE PRETE / IL…
ELLE REJETE / IL…
ELLE ABRITE / IL…
ELLE RECITE / IL…
ELLE MONTE / IL…
ELLE COUTE / IL…
ELLE FAUTE / IL…
ELLE SOUPIREE / IL soupire
ELLE COUVREE / IL couvre
ELLE PARLE / IL parle
ELLE FORCE / IL force
ELLE SAUTE / IL saute
ELLE ECLATE / IL éclat
ELLE REGLEMENTE / IL reglement
ELLE CHANTE / IL chant
ELLE PRETE / IL prêt
ELLE REJETE / IL rejet
ELLE ABRITE / IL abrit
ELLE RECITE / IL récite
ELLE MONTE / IL monte
ELLE COUTE / IL coût
ELLE FAUTE / IL faute

Commentaires oraux :

« Elle récite, il récite... il récit ou elle récite... il récite, aussi ! C’est un récit ou une récite ».
« Elle chante, il chant, il chante... ou il chant ? on dit un chant, c’est il chant ! ».
« Elle force, il…force ... elle forte, il fort. Je ne pense pas ! elle force, il force aussi ! ... Il est fort ! ».

On peut dire que le Wernicke est soumis à tous les aléas de la variation morphologique et que rien ne vient lui interdire telle variation plutôt que telle autre. De ce point de vue, les frontières paradigmatiques du nom et du verbe n’existent plus alors même qu’il y a maintien d’une solidarité segmentale entre fragments de MOT. La morphologie du Wernicke est une variation abusive sans différenciation des paradigmes, c’est-à-dire des ensembles morphologiques qui chez le normal s’excluent les uns les autres.

Les aphasiques de Wernicke sont ainsi capables de constituer une « fausse » morphologie en établissant des rapports proportionnels abusifs. Ces derniers ne sont compréhensibles qu’en raison du manque d’analyse différentielle propre à ce type de malades aphasiques :

IL GRIFFE
ELLE TAILLE
IL RIGOLE
ELLE RECULE
IL BOUSCULE
ELLE EMBRASSE
IL ETOUFFE
ELLE GLISSE
un GRIFFADE
une TAILLADE
un RIGOLADE
une RECULADE
un BOUSCULADE
une EMBRASSADE
un ETOUFFADE
une GLISSADE

Il faut enfin souligner que cette fausse systématicité participe du libre choix du locuteur et qu’elle ne s’impose plus aux malades. C’est que la grammaire se tait et qu’elle n’impose plus aucune contrainte formelle.

O : TRACTER ; …. TRACTEUR ? Réponses du malade :
TRACTER
VOLER
FUMER
CLAMER 
CHOMER
CHAUFFER
EPAISSIR
SERVIR 
BLANCHIR
GROSSIR
ROTIR
ROUGIR
un TRACTEUR
un VOLEUR
un FUMEUR
une CLAMEUR
un CHOMEUR
un CHAUFFEUR
une EPAISSEUR
un SERVEUR
une BLANCHEUR
une GROSSEUR
une ROTISSEUR
une ROUGEUR

Sur la base du rapport « er/eur » le malade déduit aussi bien « un » tracteur qu’ « une » clameur. De même, sur la base « ir/eur » on observe aussi bien « une » rougeur qu’ « une rôtisseur » ou qu’ « un » serveur. Il n’y a donc pas de correspondance systématisée entre les verbes en « -er » et le masculin (un) d’une part et les verbes en « ‑ir » et le féminin (une) d’autre part. Bref, l’erreur est systématisable mais n’est pas toujours systématisée. Et on obtient parfois, chez certains malades, deux ou trois exemples d’une fausse systématisation là où, chez d’autres malades, on en observe sept ou huit. Les réponses ne sont pas quantitativement prévisibles mais la « qualité » des réponses reste cependant la même et suffit à déterminer le manque d’analyse du malade. Le même malade fournit les performances suivantes :

IL A SEDUIT / ELLE A séduite
IL EST SEDUIT / ELLE EST séduite
IL A INTERDIT / ELLE A interdite
IL EST INTERDIT / ELLE EST interdite
IL A CUIT / ELLE A cuite
IL EST CUIT / ELLE EST cuite
IL A CUIT UN ŒUF / ELLE A cuite UN OEUF
IL A CONDUIT UNE VOITURE / ELLE A conduite une voiture
IL A CONSTRUIT UNE MAISON / ELLE A construite une maison

2 . Enchaînement de mots sans contraintes syntaxiques

L’aphasique de Wernicke continue à analyser en MOTS ; il peut construire des énoncés composés d’une série de mots qui s’enchaînent les uns aux autres. Cependant, la perte de l’analyse en SÈMES le rend incapable de limiter la variation morphologique des mots enchaîné : ceci rend compte de l’absence de syntaxe dans les énoncés de ces malades.

a) La détermination des mots composés

LE ? ou LA ? Réponses du malade :
CUILLÈRE la CUILLÈRE
CAFÉ le CAFÉ
CUILLERE À CAFÉ la CUILLÈRE À CAFÉ

PRESSE la PRESSE
PURÉE le PURÉE
PRESSE-PURÉE la PRESSE-PURÉE

PORTE la PORTE
AVION l’AVION
PORTE AVION la PORTE AVION

BRISE la BRISE
GLACE la GLACE
BRISE-GLACE la BRISE-GLACE

VIS la VIS
TOURNE-VIS la TOURNE-VIS

CRAYON le CRAYON
TAILLE-CRAYON le TAILLE-CRAYON

MINE la MINE
PORTE-MINE la PORTE-MINE

LIGNE la LIGNE
TIRE-LIGNE la TIRE-LIGNE

CLEF la CLEF
PORTE-CLEF la PORTE-CLEF

CHOU le CHOU
FLEUR la FLEUR
CHOU-FLEUR le CHOU-FLEUR

Le malade détermine le premier mot du syntagme, mais il ne détermine plus l’ensemble des deux mots. « Porte », lorsqu’il est « nom » est féminin, mais lorsqu’il fait partie du mot composé « porte-mine » ou « porte-clef », il est membre d’un syntagme qui n’admet que le masculin. Or, l’aphasique ne « raisonne » que dans le cadre du MOT et non dans le cadre du syntagme. L’aphasique de Wernicke n’est contraint que par le MOT et ne l’est plus par le syntagme. Ceci se voit dans son commentaire : « Tourne-vis ? le tourne ? la tourne ? une tourne, plutôt ! Une tourne-vis ! »

b) L’anaphore

On soumet aux aphasiques de Wernicke le protocole suivant. Il s’agit d’un exercice à trous : il faut compléter par « le » ou « la » :

... jardin, je ... bêche... planche, je ... scie
... fromage, je ... râpe... pointe, je ... cloue
... tricot, je ... monte... punaise, je ... range
... placard, je ... ferme

Premier malade :
le jardin, je la bêche
la planche, je la scie
le fromage, je la râpe
la pointe, je le cloue
le tricot, je la monte
la punaise, je la range
le placard, je la ferme
Second malade  :
le jardin, je la bêche
la planche, je la scie
le fromage, je la râpe
la pointe, je le cloue
le tricot, je le monte
la punaise, je la range
le placard, je la ferme
le couteau, je le plie
la farine, je le passe
la soupe, je le poivre
la lettre, je le timbre
le colis, je la porte

Les aphasiques de Wernicke ne déterminent que les MOTS mais ne tiennent pas compte des relations syntaxiques qui régissent les deux mots de la séquence. L’anaphore n’est pas traitée. « Bêche » dans le cadre du mot est féminin et demande l’article « la », mais dans le cadre syntaxique de l’anaphore, il y a reprise dans le cadre du second mot et sous la forme du pronom « le » ou « la » du genre du mot initial «  le jardin, je le bêche ». Le malade est devenu « aveugle » vis à vis de ce genre de contraintes formelles.

La syntaxe n’est pas du même ordre que le mot ; ce n’est pas le même processus grammatical qui formalise les contraintes syntaxiques et la succession des mots où ces contraintes se manifestent. Il faut dissocier le lieu d’observation des contraintes syntaxiques, à savoir la succession des mots dans le texte et le processus syntaxique lui-même. L’aphasie de Wernicke montre qu’on peut continuer à enchaîner, linéairement, des mots sans être capable d’établir entre eux de contraintes syntaxiques.

Dans le cas de l’anaphore, la syntaxe suppose une abstraction qui résiste à la linéarité des mots qui s’enchaînent, abstraction qui regroupe deux mots (ou plus !) dans le cadre d’une même contrainte. « Le jardin » hypothèque les variations possibles du second mot « je le bêche » : le même sème, le masculin, régit l’ensemble des deux mots. La capacité de maintenir la même identité sémiologique (masculin/féminin) sur deux ou plusieurs mots crée des contraintes syntaxiques. Il y a blocage mutuel des mots constituant le syntagme, le masculin de l’un « commande » le masculin de l’autre et inversement. Ce n’est plus le cas des aphasiques de Wernicke. Pour ces malades, il n’y a que des contraintes contextuelles, dues à l’enchaînement « sériel » de mots dans un texte mais il n’y a plus de syntaxe proprement dite.

O ; LE, LA, SON, SA ? ELLE LE PREND, SON SAC
M :
IL le TOUCHE, la PAYE
ELLE le CRAINT, son EXAMEN
IL le VOIT, la FILLE
ELLE la MANGE, la SOUPE
IL le RANGE, la CLEF
ELLE la DECHIRE, la FEUILLE
IL le SUCRE, la CREPE
ELLE le TIMBRE, la LETTRE
IL la SCIE, le BOIS
ELLE le CLOUE, la POINTE
IL la RAPE, le FROMAGE
ELLE la BOUCHE, le FLACON
IL la PORTE, le COLIS

Ces exemples sont peut-être légèrement limites, dans la mesure où on peut ici davantage évoquer un manque de rapport sémantique qu’un manque de rapport grammatical, d’ordre strictement syntaxique… Il n’empêche qu’on observe bien une non limitation de la variation interne à chaque mot. Ce phénomène est véritablement spécifique des aphasiques de Wernicke. Quelle que soit la position du nom ou du verbe, on observe la même absence de restriction combinatoire.

– le fromage, je la râpe
– je la râpe, le fromage

Les exemples en sont nombreux et peuvent se multiplier à plaisir :

O : ELLE LE PREND, SON SAC
M :
IL le TOUCHE, sa PAYEELLE le CRAINT, son EXAMEN
IL le VOIT, la FILLEELLE le MANGE, sa SOUPE
IL le RANGE, sa CLEF ELLE le DECHIRE, sa FEUILLE
IL le SUCRE, sa CREPEELLE le TIMBRE, le LETTRE
IL la SCIE, son BOIS ELLE le CLOUE, sa POINTE
IL le RAPE, son FROMAGE IL la PORTE, son COLIS
ELLE la BOUCHE, son FLACON

c) L’Impersonnel

Les « pièges » concernent le blocage du verbe sur « il » et donc sur la contrainte syntaxique qui rend impossible l’emploi de « elle » : il arrive un accident » et non « elle arrive un accident » :

O : ELLE ? ou IL ?Réponses du malade :
LE GARCON CRIE ET ... ARRIVE EN LARMES LE GARCON CRIE ET  il ARRIVE EN LARMES
LA FILLE CRIE ET ... ARRIVE EN LARMES LA FILLE CRIE ET elle ARRIVE EN LARMES
LE GARCON CRIE ET … ARRIVE UN ACCIDENT LE GARCON CRIE ET il ARRIVE UN ACCIDENT
LA FILLE CRIE ET … ARRIVE UN ACCIDENT LA FILLE CRIE ET elle ARRIVE UN ACCIDENT
Autre protocole :
LE GARCON DE COURSE, … LUI ARRIVE DE PRENDRE LE TRAIN LE GARCON DE COURSE, il LUI ARRIVE DE PRENDRE LE TRAIN
LA FILLE DE LA MAISON, … LUI ARRIVE D’ETENDRE LE LINGE LA FILLE DE LA MAISON, elle LUI ARRIVE D’ETENDRE LE LINGE
Autre protocole :
LE GARCON DORT, … FAUT QUE LE GARCON DORME LE GARCON DORT, il FAUT QUE LE GARCON DORME
LA FILLE DORT, … FAUT QUE LA FILLE DORME LA FILLE DORT, elle FAUT QUE LA FILLE DORME
Autre protocole :
C’EST UN GARCON SUSCEPTIBLE ET …VAUT MIEUX LUI EN PARLER C’EST UN GARCON SUSCEPTIBLE ET il VAUT MIEUX LUI EN PARLER
C’EST UNE FILLE SUSCEPTIBLE ET .... VAUT MIEUX LUI EN PARLER C’EST UNE FILLE SUSCEPTIBLE ET elle VAUT MIEUX LUI EN PARLER

Les exemples sont nombreux. Les aphasiques de Wernicke déduisent leurs performances du seul cadre génératif, de l’analyse en mot. Il n’y a plus de contraintes syntaxique interdisant au mots d’un syntagme telle ou telle variation (il/elle arrive ; il/elle faut ; il/elle vaut, etc.) [5].

3. Au-delà du genre grammatical

Nous focalisant sur l’étude du genre grammatical, nous sommes cependant parvenu à rendre compte de l’incohérence des aphasiques de Wernicke en l’expliquant par :

– un enchaînement de mots sans contraintes syntaxiques.
– une variation morphologique sans paradigmes.

Ces caractéristiques s’appliquent à la totalité des secteurs de la langue, aussi bien au genre grammatical qu’à d’autres domaines du « français ». C’est ce que nous nous proposons maintenant de montrer.

a) Les aphasiques de Wernicke sont capables de variation partielle dans le cadre formel d’un mot. Mais ce qui varie n’est plus analysé lexicalement.

On obtient dès lors une pseudo-morphologie dans la mesure où celle-ci ne repose plus sur des identités formelles mais sur une identité « positive », « manifeste ». Nous illustrerons ce phénomène par un exemple tiré de la thèse d’A. Duval-Gombert (1976, p.77) :

O. : Qu’est-ce qu’une capitale ?
M. : C’est le nombre, la meilleure ville de France... la meilleure ; il y a autre chose à dire... À Paris... c’est le centre de la France ... La meilleure ville...
O. : Qu’est-ce qu’un capital ?
M. : Il doit y avoir... C’est un peu le même genre que la capitale !
O. : Et un capitaliste ?
M. : Un capitaliste ? C’est un monsieur qui travaille dans une capitale... et qui va à son travail...

De la ressemblance « matérielle » ou phonique entre « la capitale », « le capital », « le capitaliste », cet aphasique de Wernicke déduit abusivement une identité conceptuelle. Il ne dispose plus du recul qu’instaure chez le normal une analyse lexicale véritable.

S’instaure ainsi, et c’est là la trace d’une performance pathologique, une fausse morphologie, assimilable selon A. Duval-Gombert à une « morpho-phonologie », c’est-à-dire une morphologie construite sur des rapports phoniques et vides de toutes valeurs sémiologiques.

Sur la base de cette première observation nous avons sollicité les malades de notre population (8 aphasiques de Wernicke) et obtenu des performances similaires. Quelques exemples :

O. : Qu’est-ce que c’est qu’un lévrier ?
M. : C’est des animaux qui volent, je crois ! ... qui tombent très vite ! Attention que je ne dise pas de bêtises !... Je lève... les lèvres... un lèvrier ! ... Quelque chose qui mord très fort !... un lévrier... lever... Ah !... Je me lèvre... Je me lèvrie... un lévrier... un lèvrier.. Un lèvrier, ça me dit quelque chose ! ... un lèvrier... lève… lèvre... qui se Iève la nuit !... Quelque chose qui coupe... qui casse... qui digère... qui coupe... qui coupe ... Quelque chose qui court très vite ... Une très petite ... non ! C’est... qui a un grand bec ... qui cherche la nuit sous... un lévrier !... Je suis fatigué ! ... J’arrête ! Je ne peux plus !

Sur la base de la « même » « base » manifeste, ce malade produit une morphologie remarquable :

– un lèvrier – je me lèvre
– je lève – je me lèvrie
– les lèvres – qui se lève… (la nuit)
– lever

Mais cette morphologie, si elle exploite le cadre de variation qu’instaure l’unité formelle du MOT, ne tient plus compte de frontières qui normalement séparent des valeurs lexicales différentes, opposables les unes aux autres.

Ajoutons que cette absence de différenciation lexicale a ici des conséquences sémantiques dans la mesure où les hypothèses conceptuelles se trouvent multipliées, le domaine de « lève » se confondant avec celui de « lèvrier », lequel renvoie au monde plus général des animaux. Et la définition évoque aussi bien quelque chose qui vole que quelque chose qui mord, ou qu’un animal qui est rapide, etc.

Le trouble n’est pourtant pas ici sémantique. Il est d’abord morphologique et c’est le contrecoup de cette absence d’analyse lexicale qui se répercute ensuite sur la conceptualisation. Pour renforcer cet argument nous avons demandé aux malades de définir des mots, tantôt situés dans un pseudo rapport morphologique (ex : « une sangle/un sanglier ») et tantôt situés hors d’un tel rapport (ex : « une pipe / un sanglier ») :

O. : Qu’est-ce qu’une pipe ?
M. : Une pipe… avec du bois ... du bois spécial pour mettre en pipe… utiliser avec du papier… en papier avec des… je ne me souviens plus !… pour fumer…
O. : Qu’est-ce qu’un sanglier ?
M. : Un sanglier ? C’est un… un appareil… C’est une… C’est un appareil qu’on trouve dans les campagnes… les campagnes du… en Algérie… Dans le Sud… Noir !… C’est pas exactement l’Algérie ! Les noms de pays dans lesquels se trouvent les noirs qui... Dans ces endroits… Ce sont des noirs, si l’on veut !… Dans tous ces pays, si l’on veut.

Ici, et malgré les difficultés d’énonciation du malade, on se rend compte qu’il évoque l’animal et que le sanglier lui rappelle ses séjours en Afrique noire. On repose le même item lors d’une séance suivante :

O. : Qu’est qu’une sangle ?
M. : Pour une sangle serrée ! Quand on va sur les voitures.
O. : Qu’est-ce qu’un sanglier ?
M. : En général, le sanglier est utilisé avec... une ceinture que l’on prendrait pour l’utilisation de cette ceinture... pour mettre sur l’appareil !

Cette fois, et parce que le malade est abusivement influencé par l’identité partielle entre « sangle » et « sanglier », le malade modifie son interprétation. Il adhère au « piège » constitutif de l’épreuve et, par cette adhérence, révèle la nature de son trouble.

O. : Qu’est-ce qu’un livre ?
M. : un livre en général, je ne vois pas d’autres choses que les livres... Mais les livres sont très nombreux... On peut en utiliser des livres pour lesquels les gens utilisent dans les écoles les choses différentes les difficultés plutôt et aussi les journaux sur lesquels indique des choses différentes...
O. : Qu’est-ce qu’un livreur ?
M. : Un livreur ? On pourrait considérer un ouvrier... Une personne qui serait destinée à fabriquer des livres....
O. : Qu’est-ce qu’une lèvre ?
M. : Une lèvre... Euh ! ... livrer... qui sera, se rapporte à un livreur... On peut aussi livrer exactement sur une lettre de la pensée de... pour certaines personnes à qui on leur donne tout ce qu’il y a à penser justement
O. : Qu’est-ce qu’un lévrier ?
M. : Un lévrier... On peut... Il peut aux gens des quantités de choses... Ce qui est écrit sur... l’imprime... D’autre part, ouvrier sur quelque chose que l’on peut penser pour y écrire... utiliser sur certains... Un appareil qu’on utilise un enfant... un ouvrier !

Le « monde possible » ne préexiste pas au langage dont il dépend. D’une fausse identité morphologique, les aphasiques de Wernicke déduisent abusivement une identité d’ordre conceptuel. Le sens est le produit de la grammaire. Une grammaticalité pathologique produit une conceptualisation également pathologique... Dans l’exemple précédent, le malade est faussement induit par les rapports « phoniques » existant entre « un livre ; un livreur ; une lèvre ; un lévrier ».

Une fois compris le principe du « piège », on peut obtenir des réponses analogues quel que soit l’identité manifeste ponctuellement utilisée par l’observateur :

O. : Qu’est-ce qu’un peigne ?
M. : On peut se coiffer ! Mais maintenant je... Il est perdu !
O. : Qu’est-ce qu’un peignoir ?
M. : C’est avec le peigne ? C’est le petit machin où qu’on met le peigne, C’est ça ?
O. : Qu’est-ce qu’une table ?
M. : C’est facile, ça ! C’est le truc où qu’on est assis et qu’on mange le midi ! Le soir aussi, regardez bien !
O. : Qu’est ce qu’un tablier ?
M. : Un tablier ? Je connais ça, c’est sûr ! Un tablier, c’est pas pour aller avec la table ? Une petite table ?
O. : Qu’est qu’un bouton ?
M. : C’est fermer ! On ferme le bouton, quoi ! C’est ça que vous voulez dire ?
O. : Qu’est-ce qu’une boutique ?
M. : Une boutique ? La boutique du bouton, aussi ! Si on veut ! C’est là où qu’on met le bouton, le trou, quoi !

On obtient ainsi une des caractéristiques les plus importantes de l’aphasie de Wernicke. Et ce défaut d’analyse s’observe aussi bien dans un domaine de la langue que dans un autre.

L’opposition du masculin et du féminin n’étant qu’un cas particulier d’une figure beaucoup plus générale :

O. : Qu’est-ce qu’un marin ?
M. : C’est un marin ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il est sur la mer, si on veut aller par là ! Il est marin, quoi !
O. : Qu’est ce que la marine ?
M. : C’est un marine qu’on dit ! Une femme sans doute, mais qu’est dans la marine !
O. : Qu’est-ce qu’un chevalier ?
M. : C’est vieux, ça ! C’est un... un grand monsieur, si qu’on voudrait dire ça comme ça. Mais y’a longtemps !
O. : Qu’est-ce qu’une chevalière ?
M. : La dame !
O. : Qu’est-ce qu’un sentier ?
M. : Un sentier ?... un sentier où qu’on... Ah ! C’est la... On se promène sur le sentier, je crois ! Dans la forêt !
O. : Qu’est-ce qu’une sentinelle ?
M. : Je connais ça, pourtant ! C’est pas le sentier... Ça va avec le sentier aussi ? Ca fait pas comme si c’était une histoire de sentier ! Je crois pas !

La pseudo-morphologie des aphasiques de Wernicke s’observe non seulement dans des épreuves de définition, mais aussi dans des épreuves classiques où les malades doivent remplir « un trou » construit par l’observateur. La nature du piège linguistique est du même ordre ; seule change ici la modalité performantielle sollicitée par le linguiste.

L’intitulé de l’exercice est en majuscules et les réponses des malades sont en minuscules :

IL MARCHE LA MARCHE
IL MENT le mensonge
IL RIT le ricanement
IL IGNORE l’ignorance
IL PART la partition
IL VOIT la voyance
IL DORT
IL SUIT la suite
IL ECRIT l’écriture
IL SOURIT le ricanement
IL FAUT
IL PEUT
IL DOIT
ILVEILLE la veillée
IL PESE
IL VEUT la voyance
IL SAUTE la sauterie
IL FERME la fermeture

Dans les réponses de ce malade, on peut souligner quelques points intéressants :

– Il ne peut actualiser que les items déductibles d’une variation morphologique. Les couples « il dort/le sommeil », « il faut / la nécessité », « il peut / la visibilité » ne sont pas possibles. Ceci fait écho à des observations similaires obtenues avec les contraires. Cohen & Hécaen (1965) mentionne l’aptitude de ces malades à dériver les contraires (possible/impossible) et leur inaptitude à définir des contraires non déductibles d’un rapport de dérivation (fort/faible).

– Il actualise de fausses dérivations, soulignant ainsi une adhérence pathologique à l’identité manifeste constitutive d’un « piège » (il part/la partition)

– L’impossibilité de réfuter une réponse par une autre. Sur « il voit », le malade produit « la voyance ». Sur « il veut », il propose le même item « voyance » sans qu’une réponse soit le démenti de l’autre. Il n’y a plus d’opposition lexicale sous-jacente et le malade accepte d’inscrire « voyance » dans deux paradigmes qui normalement devraient s’exclure l’un l’autre.

C’est en cela qu’on peut définir la morphologie des aphasiques de Wernicke ; il s’agit d’une morphologie sans paradigmes.

Le concept de « morphologie » a donc deux réalités cliniques différentes. La morphologie est à la fois cadre de variation ou possibilité de variation à partir d’une identité partielle, et opposition de paradigmes. La variation s’appuie sur le mot tandis que l’opposition des paradigmes s’appuie sur une différenciation de sèmes.

IL MARCHE LA MARCHE
IL MENT la menterie
IL RIT la risette
IL IGNORE ?
IL PART ?
IL VOIT la voisine, (c’est pas la voisine ?)
IL DORT le dortoir
IL SUIT l’essuyage
IL ECRIT l’écriture
IL SOURIT la sourire
IL FAUT la faute
IL PEUT ?
IL DOIT ?
IL VEILLE la veilleuse
IL PESE la peseuse
IL VEUT ?
IL SAUTE la sauteuse
IL FERME la fermière

Le malade ne raisonne que sur la seule nécessité d’une ressemblance phonique entre l’item inducteur et sa réponse (il faut/la faute) et la valeur lexicale de ces variations ne constitue plus un point d’inquiétude ou d’interrogation.

ON FAIT UNE MARCHE QUAND ON MARCHE
ON FAIT son lit QUAND ON LIT
ON FAIT du propre QUAND ON SALE
ON FAIT un prix QUAND ON PRIE

Ce dernier exemple est particulièrement démonstratif de ce qui piège les aphasiques de Wernicke : l’identité « matérielle », l’identité positivée au point d’enfermer le malade dans une réflexion qui ne tient compte que de ce qui se trouve actualisé dans l’épreuve :

– son lit / on lit
– un prix / on prie

Cette adhérence au caractère concret ou performantiel des énoncés inducteurs explique les créations de pseudo items lexicaux. Nous avons systématisé quelques épreuves autour de l’opposition du singulier et du pluriel :

LES CISEAUX LE CISEAU
LES NOIX a noi
LES EGAUX ?
LES VOIX a voi
LES PERDRIX la perdri (avec un « e » ?)
LES VIEUX le vieu / le viel
LES JUS le ju
LES MAGE Sle mage
LES PUITS le puit
LES DOS le do
LES OURS le our (c’est quoi, un our ?)
LES TAPIS le tapi
LES OBUS le obu / l’obu
LES BLES le blé
LES REPAS le repa

Nous rejoignons ici les observations effectuées par A. Duval-Gombert sur les erreurs d’écriture des aphasiques de Wernicke dans la mesure où l’adhérence à l’identité phonique constitue l’explication générale d’une importante masse de données cliniques. Nous citons quelques-uns de ses exemples [6]. Il s’agit d’une épreuve de dictée. Les consignes orales sont en majuscules et les réponses écrites des malades sont en minuscules :

LA SPIRALE la spirale
L’ASPIRATEUR la spirateur
L’ASPIRINE la spirine
L’ASPIRATEUR l’aspirateur
L’ASPIRINE l’aspirine
LA SPIRALE L’aspirale
LA NEGATION la négassion
L’ANNEE l’année
LA NECESSITE Lanécessité
LA NEGOCIATION l’anégociation
LA NEGLIGENCE l’anégligence
LA NOTE la note
L’ANNEAU la neau

L’aphasie de Wernicke peut donc se définir par une variation morphologique sans opposition de paradigmes. Le malade déduit du MOT la possibilité d’une variation partielle ; un partiel de mot peut rester constant pendant que les autres varient.

Mais, chez le normal, on observe non seulement une possibilité de variation partielle mais également un contrôle lexical des variations possibles. L’analyse lexicale restreint les variations possibles en opposant des paradigmes entre eux (le paradigme des lexèmes admettant le masculin et le paradigme admettant le féminin par exemple).

Or, l’aphasique de Wernicke ne respecte plus l’opposition des paradigmes. Il n’y a plus de restriction « qualitative » à la variation des partiels de mot.

b) Les aphasiques de Wernicke sont capables d’enchaîner des mots, mais cet enchaînement se trouve « libre » de toute contrainte syntaxique.

C’est ce que nous avons observé pour le genre grammatical. Mais il s’agit là d’un trait définitoire de ce type d’aphasie et un tel constat est généralisable à tous les secteurs de la langue.

Pour montrer le caractère général d’un manque d’analyse syntaxique chez les aphasiques de Wernicke, nous avons repris nos exercices de construction de phrases. Nous avons ainsi testé l’ordre des mots dans la phrase. La syntaxe attribue la fonction « sujet » au mot qui se trouve avant le verbe et la fonction « complément » au mot qui se trouve situé derrière le verbe. Nous avons donc constitué des « pièges » particuliers dans lesquels chaque mot de la séquence est bien composé mais placé dans -un « ordre » syntaxiquement inadéquat.

Le premier piège : On demande aux aphasiques de Wernicke de corriger les phrases suivantes :

IL SCIE IL COUPE UN MENUISIER UNE PLANCHE
UN BATEAU IL MONTE UN MARIN LA VOILE
UN PNEU UN CAMION IL CHANGE UN CHAUFFEUR
UN TRICOT IL FAIT UNE COUTURIERE LA LAINE

Les performances obtenues sont différentes d’un malade à l’autre. Cependant, on peut dégager certains points.

Certains malades corrigent les séquences proposées en établissant l’ordre correct, mais le choix de certains morphèmes reste incertain.

N°673
le menuisier coupe la planche avec la scie
le marin monte la voile avec le bateau
le chauffeur change le pneu dans le camion
la couturière fait le tricot avec la laine.

– D’autres malades produisent les erreurs attendues dans la mesure où ils ne rétablissent pas l’ordre correspondant aux contraintes syntaxiques « sujet » & « complément ».

N°898
il scie coupe du menuisier de la planche
un bateau monte du marin la voile
un pneu du camion porte un chauffeur
un tricot fait la laine du couturière
(le malade relit la première phrase : « la scie coupe du menuisier de la planche, c’est bien ! »

N°859
une planche a un menuisier il coupe et il scie
la voile a un bateau
le bateau voile à la dérive
un chauffeur change un pneu
une couturière fait une laine d’un tricot

– Enfin, un de ces huit malades produit des séquences largement incohérentes. Cependant, cette incohérence nous paraît respecter une certaine linéarité dans la suite des mots actualisée :

N°1000
il scie une planche. il coupe, une planche. le menuisier
il monte la voile en marin et fait le bateau en pneu
dans son camion dont il change en chauffeur
un tricot s’accorde à l’aine quand il le fait à la couturière

Cette « linéarité », si elle paraît à la limite de l’inacceptabilité lors de la première séquence, nous paraît en revanche complètement respectée lors de la dernière proposition. Et malgré cette linéarité respectée, la séquence demeure très largement incorrecte.

La syntaxe n’est donc pas la successivité des mots. La syntaxe constitue une sorte de négation de l’enchaînement purement linéaire des mots. On a affaire là à un autre type de « positivisme » pathologique ; le positivisme qui consiste à prendre pour « syntaxique » la compatibilité linéaire des mots d’une séquence.

Pour préciser cette contradiction de la syntaxe et de l’enchaînement linéaire des mots, nous avons constitué de nouveaux pièges, en proposant à nos malades des « phrases » respectant l’ordre canonique « sujet-verbe-complément ». Mais nous avons interchangé les lexèmes normalement « sujets » avec les autres mots des séquences.

Le second piège : On demande aux aphasiques de Wernicke de corriger les séquences suivantes :

LA SCIE COUPE LE MENUISIER DE LA PLANCHE
LE BATEAU MONTE LE MARIN DE LA VOILE
LE PNEU DU CAMION CHANGE LE CHAUFFEUR
LE TRICOT FAIT LA COUTURIERE DE LA LAINE

Deux malades acceptent les séquences ainsi présentées et pensent qu’il n’y a pas lieu de les corriger. Les autres malades semblent considérablement embarrassés par ces « pièges ». On observe une abondance d’inversions avec parfois des auto-corrections successives.

N°673
—  la scie coupe la planche
le menuisier scie la planche avec la scie
la scie...
—  le bateau
le marin monte la voile
le bateau
le marin monte la voile dans le bateau
—  le chauffeur change le pneu du camion
—  la couturière fait le tricot avec la laine.

Le malade est obligé d’expérimenter un ordre des mots qui ne s’impose plus.

N°859
—  la scie coupe la planche
le menuisier coupe la planche
—  le bateau monte la voile
le bateau monte la voile du marin
—  le chauffeur change le pneu du camion
—  la laine
la couturière fait un tricot de laine

Ce malade expérimente lui aussi divers enchaînements possibles. S’il se corrige efficacement dans la plupart des cas, on trouve cependant quelques erreurs significatives :

le bateau monte la voile du marin.

Cette erreur va dans le sens du « piège » ou de la G.E.I. proposée par l’observateur. Le malade n’a plus de contraintes syntaxiques dont il tirerait un principe d’organisation des mots dans la séquence.

Ce dernier point devient spectaculaire chez certains malades.

N°677
la scie coupe de la planche du menuisier
le marin monte la voile sur le bateau
le chauffeur change le pneu sur du camion
la couturière fait le tricot avec de la laine

… et surtout :

N°901
la scie coupe le bois de la planche
le bateau monte le mât de la voile
le pneu du camion change le chauffeur
le tricot fait la couturière de la laine

Autrement dit, plus la séquence obéit aux règles de l’enchaînement des mots et plus apparaît le manque d’analyse syntaxique des malades. L’incertitude sur l’ordre des mots nous parait bien relever d’une absence de contraintes syntaxiques et non d’un quelconque « asémantisme ». Car, seules les phrases « pièges » décrites ci-dessus font problème ; les aphasiques de Wernicke corrigent tous les phrases suivantes :

le menuisier coupe une planche avec du poivre
le marin monte la voile sur le sous-marin
le chauffeur change le pneu du bouchon
la couturière cuit le tricot de laine

L’aspect « sémantique » des performances des aphasiques de Wernicke n’est pas que la conséquence d’un trouble plus profond, d’ordre syntaxique. Faute de syntaxe contraignant l’ordre des mots, les malades ne sont plus soumis qu’à l’enchaînement plus ou moins canonique des mots d’une séquence.

L’enchaînement linéaire n’est d’ailleurs pas une absence de contraintes, car il impose des suites « probables » où un nom précède un verbe, lequel se trouve suivi à son tour d’autres noms. Pour vérifier cette possibilité d’aménager linéairement un ordre non usuel nous avons constitué une autre série.

Le troisième piège : on demande aux aphasiques de Wernicke de corriger les séquences suivantes :

LA SCIE LE MENUISIER DE LA PLANCHE COUPE
LE BATEAU LE MARIN DE LA VOILE MONTE
LE PNEU DU CAMION LE CHAUFFEUR CHANGE
LE TRICOT FAIT DE LA LAINE LA COUTURIERE

Trois malades (sur huit) se laissent intoxiquer par la place du verbe. Les autres rectifient les séquences proposées.

D’abord les trois malades qui adhèrent au « piège » :

N°1000
la scie de la planche
le bateau le marin de la voile monte
le pneu du camion le chauffeur change
le tricot fait de la couturière avec de la laine
de la couture

N°881
la scie du menuisier de la planche coupe
le bateau du marin de la voile monte
le pneu du camion est chaffé le chauffeur
la couturière fait la laine avec du tricot

N°898
la scie le menuisier de la planche
le bateau le marin de le voile monte
le pneu du camion le chauffeur change
le tricot fait de la laine la couturière.

Ensuite un malade avant agi sur la place du verbe mais répétant les erreurs précédentes sur la confusion « sujet/complément » :

N°901
la scie du menuisier coupe de la planche
le bateau du marin de la voile monte. (Non ! Ça va pas !)
le pneu du camion change de chauffeur
le tricot fait de la laine un tricot

Si ce malade conteste la seconde séquence (sans réussir à la corriger), il ne conteste aucunement les deux dernières séquences :

le pneu du camion change de chauffeur
le tricot fait de la laine.

C’est que, dans ces deux dernières séquences, l’ordre usuel des mots est respecté ; le malade n’a plus alors aucune possibilité de contester ses performances.

L’absence d’analyse syntaxique « libère » abusivement l’enchaîne-ment des mots. C’est encore ce que l’on peut montrer en proposant aux malades de « paraphraser » la séquence canonique (sujet-verbe-complément) par une autre séquence dont l’observateur impose le début. L’intitulé de l’exercice est en majuscules et les réponses d’un des malades les plus caractéristiques sont en minuscules :

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC UNE SCIE
LA PLANCHE est trop longue, le menuisier, scie et coupe laquelle.
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
LA VOILE est montée sur le bateau, le marin.
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PNEU DU CAMION
LE PNEU du camion est crever, le chauffeur change celui-ci.
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
LE TRICOT en laine rouge, la couturière travaille bien.

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC UNE SCIE
AVEC une scie de la planche, ensuite, le menuisier coupe des morceaux de la celle-ci.
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
SUR LE bateau, le marin monte la voile
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PNEU DU CAMION
DANS LE camion, le chauffeur change le pneu.
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
AVEC de la laine souple, la couturière fait un tricot chaud.

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC UNE SCIE
C’EST le menuisier scie et coupe de la planche
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
C’EST le marin monte la voile sur le bateau
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PENU DU CAMION
C’EST le chauffeur change les pneus sur le camion.
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
C’EST la couturière font des tricots chauds avec de la laine.

Cet aphasique de Wernicke (N°677) montre qu’il est parfaitement capable de compléter l’initiale que l’observateur lui propose. Mais cette complémentarité ne tire sa cohérence que du seul cadre du mot :

Avec – une scie
Sur – le bateau
Dans – le camion
Avec – de la laine.

Par contre, il est devenu « aveugle » dès lors que la complémentarité participe de contraintes syntaxiques entre deux mots :

est monté – (par) le marin
le menuisier – (la) scie et (la) coupe – laquelle (planche)
le menuisier – (en) coupe – des morceaux – de la celle-ci (planche)

Et surtout

C’est – le menuisier – (qui) scie
C’est – le marin – (qui) monte
C’est – le chauffeur – (qui) change
C’est – la couturière – (qui) font (fait)

La « syntaxe » telle que nous l’impose la clinique constitue une profondeur formelle par rapport à la sériation manifeste des mots dans une séquence quelconque. La syntaxe impose la non confusion entre plusieurs schèmes : « Le bateau monte » constitue un syntagme dans la mesure où il y a d’une part une absence significative d’une préposition (« *avec le bateau »), d’autre part une absence non moins significative du morphème verbal (« le bateau il monte »), dans la mesure aussi où la disposition est contrainte (« il monte le bateau »). Il y a syntagme encore dans la mesure où il y a accord en nombre (« *le bateau montent / *les bateaux monte »). D’autre part, pour un locuteur normal, il y a encore un autre syntagme dans la séquence « monte le marin ». En effet, le schème complément d’objet direct interdit la présence d’une préposition (« il monte avec le marin » est un autre schème) ; il interdit aussi par exemple une autre disposition des mots (« le marin il monte »). Une « phrase » contient donc un ou plusieurs schèmes syntaxiques qui s’ajoutent ou s’imbriquent les uns aux autres. On comprend alors, la disposition des mots n’étant plus syntaxiquement libre, que le sens d’une séquence comme « le bateau monte le marin » ne soit pas, chez un locuteur normal, le même que celui de la séquence « le marin monte le bateau ». À l’inverse, on conçoit qu’un aphasique de Wernicke n’ayant plus de schèmes à opposer devienne, mais au seul regard d’un observateur, « asémantique ». L’aphasique de Wernicke ne dispose plus de la forme sous-jacente dont il pourrait, tirer, du point de vue sémantique, -une non confusion entre des sens distincts.

C’est la syntaxe qui détermine l’exploitation sémantique de telle ou telle composition « phrastique » ; le sens n’existe que dans l’après-coup de la forme grammaticale. S’il n’y a plus de schèmes syntaxiques opposables les uns aux autres, le malade ne peut exclure un enchaînement au profit d’un autre. Il suffit que ces enchaînements soient possibles ou conformes à l’usage. Il suffit d’autre part qu’ils actualisent des items compatibles du point de vue du sens, et les aphasiques de Wernicke les acceptent.

La syntaxe nous permet donc de contester une « surface » au profit d’une autre « surface » dès lors que celles-ci relèvent d’une syntaxe sous-jacente. À l’inverse, les aphasiques de Wernicke adhèrent à la surface des items enchaînés. Cette adhérence, nous avons voulu une nouvelle fois la tester en proposant aux aphasiques de Wernicke deux enchaînements linéaires différents mais dont la contestation syntaxique (si elle était possible) nécessiterait des compositions hétérogènes entre elles.

Les malades étant trop habitués à nos quatre thèmes (le menuisier, le marin, le chauffeur, la couturière) usuels, nous avons dû choisir d’autres situations sémantiques. Il s’agit encore une fois de phrases à corriger. L’exercice contient dix phrases. Les cinq premières correspondent à un premier enchaînement « classique » :

LE CRAYON ECRIT SUR L’ELEVE DU CAHIER
LE MARTEAU FRAPPE LE FORGERON DE L’ENCLUME
LA CHARRUE TIRE LE CULTIVATEUR DU TRACTEUR
LE BALAI RANGE LA MENAGERE DU PLACARD
LE TABLEAU PEINT L’ARTISTE DU PINCEAU

Les cinq phrases suivantes correspondent à une composition peu habituelle dans la mesure où l’apparence d’un sujet n’y est pas véritablement « visible ».

AVEC L’ENCRE SECHE LA TACHE AVEC UN BUVARD
AVEC UN DEVOIR ECRIT LE CRAYON SUR LE PAPIER
AVEC UN MANTEAU ENFILE UNE FOURRURE AVEC UNE MANCHE
AVEC LE LINGE REPASSE LE FER AVEC LA VAPEUR
AVEC LE STYLO BOUCHE LE CAPUCHON AVEC UNE PLUIE.

Nous attendons donc deux types de réponses. La première correspond à celles déjà décrites, c’est-à-dire à un ordre aléatoire, non systématisé, des mots dans la séquence. La seconde correspond à l’effet recherché, c’est-à-dire à une fausse systématicité, les malades organisant la seconde série de phrases sur le modèle linéaire des cinq premières.

– Les enchaînements aléatoires. Quelques exemples :

N°764
l’élève écrit sur le crayon du cahier
le forgeron frappe le marteau de l’enclume
le cultivateur tire la charrue du tracteur
la ménagère range les balai du placard
l’artiste du pinceau peint des tableau
avec un buvard avec la tâche l’encre sèche
avec un devoir avec le papier écrit le crayon
avec une fourrure avec un manteau avec une manche
avec la vapeur repasse le linge avec la vapeur avec le linge
le stylo avec une plume bouchée.

N°677
l’élève écrit sur un crayon sur le cahier
le forgeron frappe le marteau sur l’enclume
le cultivateur tire le tracteur sur la charrue
la ménagère range les balais du placard
l’artiste peint et du pinceau sur le tableau
avec un buvard sèche la tâche de l’encre
avec le papier écrit un devoir avec le crayon
avec un manteau en fourrure enfile une de manche
avec le linge repasse avec le fer en vapeur
avec le stylo bouche la plume avec son capuchon.

– Les enchaînement faussement systématisés. Quelques exemples :

N°677 (bis)
l’élève écrit sur le cahier avec un crayon
le forgeron frappe sur l’enclume avec le marteau
le cultivateur tire la charrue avec le tracteur
la ménagère range le balais du placard… dans le placard
l’artiste peint le tableau sur le pinceau
la tâche séchée avec un buvard sèche la tâche d’encre
un devoir écrit sur le papier avec un crayon
la dame enfile une manche de la manteau fourrure
la dame repasse le linge avec le fer à vapeur
le stylo bouche la plume avec le capuchon.

N°859
l’élève écrit le crayon du cahier
le forgeron frappe le marteau de l’enclume
le cultivateur tire la charrue du tracteur
la ménagère range le balai du placard
l’artiste peint le pinceau du tableau
l’encre sèche la tâche du buvard
le devoir écrit le papier du devoir
un manteau enfile la manche...
le linge repasse le fer avec la vapeur
le stylo bouche le capuchon avec une plume.

N°898
l’élève écrit le crayon du cahier
le forgeron frappe la phrape de l’enclume
le cultivateur porte le tracteur du charrue
le balais range le balais du placard
l’artiste peint le tableau du pinceau
l’encre sèche la tâche du buvard
le crayon écrit le crayon du devoir
un manteau enfile une manche de fourrure
le fer repasse le linge avec la vapeur
le stylo porte la plume du capuchon.

N°1039
l’élève écrit du crayon sur le cahier
le forgeron frappe le marteau de l’enclume
le cultivateur tire la charrue du tracteur
la ménagère range le balais du placard
l’artiste peint du pinceau le tableau
la tâche sèche l’encre avec un buvard
le crayon écrit un devoir avec le papier
une fourrure enfile un manteau avec une manche
le fer repasse le linge avec la vapeur
le stylo bouche le capuchon avec une plume.

Tous les aphasiques de Wernicke testés ont, plus ou moins, adhéré à l’enchaînement manifeste proposé par l’observateur, de même qu’ils ont adhéré aux items présentés. Ils n’ont pas pu déduire d’une syntaxe détruite la nécessité d’organiser « l’ordre des mots » selon une autre logique que celle inscrite matériellement dans l’intitulé des tests.

La syntaxe apparaît donc comme un pôle de contradiction de l’enchaînement sériel des mots. Et la clinique rejoint les hypothèses formulées par J. Gagnepain (1982, p.55) :

« Ainsi l’ordre des mots est-il encore la plus exacte définition de la syntaxe, à condition toutefois de cesser de le confondre avec la disposition linéaire et d’entendre au contraire sous ce nom les divers processus grammaticaux d’intégration qui, en y déterminant par redistribution des sous-ensembles, introduisent du même coup un rang, formellement et non point seulement logiquement, dans le texte ».

III – Le double aspect de l’agrammatisme de l’aphasique de Broca 

L’aphasique de Broca continue à analyser son langage en SÈMES, c’est-à-dire à différencier des valeurs sémiologiques qualitativement opposables. Mais il perd l’analyse segmentale ; il ne peut plus découper son langage en unités formelles asservies à la multiplicité « matérielle » de ses constituants.

La différenciation en SÈMES n’a donc plus de frontières quantitatives ; elle n’a plus d’en deçà ni d’au-delà d’« un » mot. En d’autres termes, le sème ne se compte plus, formellement du moins. Plus rien ne vient grammaticalement informer l’aphasique qu’il oppose un sème dans le cadre contraint d’un mot ou dans le cadre non moins contraint d’un syntagme. La disparition du mot fait disparaître la non coïncidence de la morphologie et de la syntaxe.

Pour l’aphasique de Broca, il n’y a que de la différence et la grammaire se tait sur le cadre unitaire de sa mise en oeuvre. Autrement dit, le malade ne se fie qu’à la seule analyse différentielle, et là où il peut déduire de son analyse lexicale qu’il s’agit d’une « autre » valeur (différente de la première), il en déduira abusivement qu’il s’agit d’une « autre » valeur (ajoutée à la première). L’aphasique de Broca fait « col-ler » l’opposition encore accessible avec le seul « support phonique » strictement nécessaire à cette opposition lexicale. Pour l’aphasique de Broca – mais c’est là l’indice d’une pathologie –, l’élément opposable constitue aussi l’élément segmental.

Seul l’aphasique de Broca réalise véritablement « le monème » de A. Martinet (1960). Au-delà des monèmes, il n’existe qu’une combinatoire explicitement systématisable (mais non toujours systématisée) instaurant entre « nos » mots et « nos » syntagmes une simple échelle de complexité.

1. Substitution de sèmes sans contraintes morphologiques

En traitant du « mot » nous avons déjà largement empiété sur le chapitre de la morphologie. Nous avons vu que l’aphasique de Broca ne pouvait imbriquer une valeur de genre à un lexème. Et « forêt » n’implique ni « le » ni « la » mais simplement « forêt ». De la même façon, « voleuse » n’implique que « voleuse » tant que l’observateur n’a pas fait le « compte » des valeurs à opposer, C’est-à-dire tant qu’il n’a pas inscrit « voleuse » aussi bien dans le rapport « voleuse/travailleuse » que dans le rapport « voleur / voleuse ». Les rapports morphologiques ne sont ici que le résultat d’une somme explicite d’oppositions lexicales. Il n’y a pas permanence d’un cadre permettant une variation interne.

C’est à nouveau ce que l’on peut observer dans les exemples qui suivent. Il s’agit d’un exercice de détermination. Les malades doivent faire précéder les items des déterminants « le » ou « la ». Les réponses des malades sont en minuscules et les items proposés par l’observateur sont en majuscules :

1ère Épreuve 2ème Épreuve 3ème Épreuve
(reprise de la 1
ère)
le SAVANTE
le DIAMANT
le DÉBUTANT
 ? ATTAQUANTE
le DÉLINQUANT
le TRAFIQUANT
la PRATIQUANTE
le DESCENDANTE
la PRÉTENDANT
la PERDANTE
le FAINÉANTE
le GÉANT
le TRIOMPHANTE
la CROYANT
la SURVEILLANTE
le POSTULANT
le SAVANT
la SAVANTE
le DÉBUTANT
la DÉBUTANTE
le DÉLINQUANT
la DÉLINQUANTE
la GÉANTE
le GÉANT
la SURVEILLANTE
le SURVEILLANT
la SAVANTE
 ? DIAMANT
le DÉBUTANT
la ATTAQUANTE
le DÉLINQUANT
le TRAFIQUANT
la PRATIQUANTE
la DESCENDANTE
le PRÉTENDANT
la PERDANTE
la FAINÉANTE
le GÉANT
la TRIOMPHANTE
le CROYANT
la SURVEILLANTE
le POSTULANT

Le même malade effectue les trois étapes de cette épreuve l’une à la suite de l’autre. On observe sa capacité de systématiser l’opposition « le/la » dès qu’il s’est trouvé confronté à la même opposition lexicale en un autre endroit de la séquence « -ant/-ante ». Ceci montre bien que l’aphasique de Broca n’est plus sensible qu’à la seule opposition « masculin/féminin » et non au nombre de fois où cette opposition doit se manifester. La substitution n’est plus morphologiquement déterminée dans la mesure où il n’y a plus aucune « simultanéité » entre un ensemble de contraintes. Que ce malade soit obligé de systématiser ponctuellement les rapports « le/la » d’une part et « -ant/-ante » d’autre part, montre assez que sa grammaire est devenue « muette » sur ce point. Il se construit sur le tas, une combinatoire explicite là où une absence d’analyse morphologique ne l’informe plus.

Dans la première épreuve, la séquence manifeste « fainéante » ne renvoie pas à deux valeurs imbriquées, à savoir « fainéant/ ant-e » (lexème + genre). Là s’éprouve la perte du mot, c’est-à-dire du cadre de variation interne d’où procède la possibilité d’une morphologie. À l’inverse, le malade peut décomposer cette séquence manifeste lorsqu’il peut prendre appui sur la seule dimension grammaticale qui dirige ses performances, c’est-à-dire sur la différenciation lexicale ; il peut alors faire la somme des éléments opposables.

le / la + savant/ +
débutant/
délinquant/
-ant/-ante

Non seulement il peut faire la somme de ce qui s’oppose, mais il peut établir une corrélation entre la valeur masculin de « le » et cette même valeur dans « -ant », de même qu’il construit le rapport entre le morphème « la » et le suffixe « -ante ». L’aphasique de Broca réalise donc bien une combinatoire explicite de « monèmes », mais cette combinatoire ne se fait pas d’emblée ; elle se systématise en fonction de la seule analyse différentielle en valeurs mutuellement opposables.

La mise ensemble de deux valeurs « masculin » ou de deux valeurs « féminin » peut se systématiser, ou ne pas se systématiser ; cela ne dépend plus que de l’action explicite du locuteur aphasique. Ceci est bien la preuve de la disparition des contraintes morphologiques, lesquelles, si elles existaient encore, ne permettraient pas de se poser une telle alternative.

D’autres épreuves, construites sur le même principe, produisent les mêmes effets :

1ère Épreuve
le VENDEUR
la SAUVEUSE
le VAINQUEUR
le EGORGEUSE
le TAPAGEUSE
le CAUSEUR
la CONFISEUR
la LAVEUR
la RECEVEUSE
la EPOUSEUR
le DEMENAGEUSE
2ème Épreuve
le VOLEUR
la VOLEUSE
le TRICHEUR
la TRICHEUSE
le SAUVEUR
la SPUVEUSE
le SERVEUR
la SERVEUSE
3ème Épreuve
le VENDEUR
la SAUVEUSE
le VAINQUEUR
la EGORGEUSE
la TAPAGEUSE
le CAUSEUR
le CONFISEUR
le LAVEUR
la RECEVEUR
le EPOUSEUR
la DEMENAGEUSE

C’est, nous semble-t-il, l’insistance de l’observateur, perceptible lors de la seconde épreuve, qui engage le malade à tenir compte systématiquement de l’opposition « eur/euse » et à la mettre en relation avec l’opposition « le/la ». De lui-même, le malade ne fait pas le rapport.

Ou, s’il établit ce rapport, il ne le fait que ponctuellement, pour certains items et pas pour d’autres, comme s’il s’agissait là d’une option facultative.

Que ces malades n’aient plus de contraintes morphologiques, c’est encore ce que l’on peut éprouver lors d’autres épreuves « pièges ». Il s’agit d’un exercice de dictée (les performances écrites sont soulignées) :

O. : cette fleur
M. : fleur ? fleurs Et avant ?
O. : cette fleur
M. : cette cette
O. : une fleur
M. : mais fleur c’est ça ?
O. : une fleur
M. : se fleur comme ça ?
O. : non ! « une » fleuri
M. : même fleur
O. : ni dix, ni deux mais « une » fleur !
M. : ah ! une fleur
O. : c’est une fleur
M. : cette une fleur

Cette malade ne « comprend » qu’un seul « monème » à chaque fois. Pour « cette fleur », elle n’entend que « fleur ». Puis, lors de la seconde écoute, elle peut traiter isolément « cette ». Elle obtient donc en deux fois ce qu’un locuteur normal appréhende simultanément. Pour cette aphasique « cette fleur » correspond à la somme « fleur + cette ».

Puis, le morphème « une » n’est plus saisi que dans son opposition à « cette ». La malade tente d’établir une opposition lexicale où, négativement, « cette » puisse se définir conne « non-une » et « une » comme « non-cette ». Mais, si cette agrammatique dispose bien de la valeur différentielle « non-cette », elle ne peut « convertir » cette valeur lexicale dans un cadre morphologique cohérent, d’où les essais : « se fleur », « mais fleur », « même fleur ». En revanche, lorsqu’on permet à la malade de déduire « une » à partir d’une opposition lexicale moins soumise aux contraintes morphologiques (« dix/deux/une »), celle-ci écrit correctement la séquence dictée : une fleur.

Enfin, l’absence de contraintes morphologiques se manifeste de façon spectaculaire lors de la dernière consigne puisque cette malade « met ensemble » des morphèmes qu’une analyse en MOT devrait rendre incompatibles entre eux : « cette une fleur »

L’homophonie entre « c’est une » et « cette une » ne constitue un piège pour les aphasiques de Broca que dans la mesure où chaque item ainsi faussement déduit se trouve :

– d’une part compatible avec une analyse lexicale. Il n’y a pas de création de pseudo-valeurs lexicales comme chez les aphasiques de Wernicke.
– d’autre part incompatible avec le cadre de variation morphologique que constituent les mots, que ces derniers soient du type nominal ou du type verbal.

C’est ce que nous avons vérifié avec les exercices suivants. Il s’agit toujours de dictées (les performances écrites sont soulignées) :

O. : LE BUT
O. : L’ABUS
O. : LE COR
O. : L’ACCORD
O. : LE DIEU
O. : L’ADIEU
O. : LE FER
O. : L’AFFAIRE
O. : LE FRONT
O. : L’AFFRONT
M. : but
M. : la, la... après ? Je vois pas !
M. : corps
M. : la la, mais après ?
M. : Dieu
M. : la la, ça va ! Après, c’est fini !
M. : fer
M. : la pareil ! la, mais après ?
M. : front
M. : la c’est dur ! Je vois rien !

La malade se trouve piégée d’une autre façon que les aphasiques de Wernicke. Ceux-ci ont effectivement tendance à créer des pseudo valeurs lexicales (ex : la front/le front, le cort/la cort). À l’inverse, cette agrammatique déduit de la consigne ce qui lexicalement se trouve encore contraint, c’est-à-dire l’opposition « le/la » d’une part et l’opposition « but-corps-dieu-front/rien » d’autre part. Par contre, elle se laisse enfermer dans une positivation pathologique dans la mesure où l’opposition « le/la » l’empêche d’élaborer d’autres hypothèses lexicales. Autrement dit, saisir « la » dans « l’affront » l’empêche de construire l’hypothèse « affront ». Il y a effectivement une « somme » de monèmes mais cette somme devient ici un véritable piège.

À l’inverse, la différenciation lexicale étant toujours intacte, les aphasiques de Broca demeurent parfaitement capables de résister à des pièges qui ne sont opérant que pour les seuls aphasiques de Wernicke.

Quelques exemples :

1er Piège : alternance des formes en « -it » et en « -ite ».
la REUSSITE la VISITE la LIMITE
le DEFICIT le FAILLITE le FUITE
le TRUITE la SATELLITE le MERITE
la ACCESSIT le DYNAMITE

2e Piège : alternance des formes en « -in » et en « -ain ».
le PIN le PIN
la MAIN la MAIN
le SAPIN le SAPIN
la FUSAIN la FUSAIN
le MATIN le MATIN
le TRAIN le TRAIN
la FIN le FIN
le COPAIN le COPAIN
le VIN le VIN
la GRAIN la GRAIN
la BASSIN le BASSIN

Les aphasiques de Broca peuvent systématiser leurs performances lorsque les valeurs à corréler sont des valeurs lexicales. Par exemple, ils peuvent systématiser l’opposition « le/la » en fonction d’une opposition « -ant/ante » ou « -eur/euse ». Mais ils paraissent capables de déduire de leur analyse lexicale la non-valeur des rapports entre « le/la » et ce qui n’a aucun rendement sémiologique précis, par exemple l’opposition « -it/ite » (le mérite/le satellite) ou mieux encore l’opposition « -in/ain ». C’est aussi le cas des autres rapports testés, à savoir les rapports « c/que », « -an/ant »

Le LAC le LAC
La FLAQUE la FLAQUE
Le HAMAC le HAMAC
La BARAQUE le BARAQUE
Le COQ le COQ
Le COQUE la COQUE
Le CHEQUE la CHEQUE
la ÉVÊQUE (le) l’ ÉVÊQUE
la BRIQUE la BRIQUE
le FLIC le FLIC
le PIC Le PIC
la CIRQUE le CIRQUE
la CASQUE le CASQUE
le DISQUE le DISQUE
la PERRUQUE la PERRUQUE

la MAMAN la MAMAN
le SAVANT le SAVANT
le PAYSAN le PAYSAN
la LIEUTENANT (le) le LIEUTENANT
la HABITANT (l’) l’HABITANT
le DIVAN la DIVAN
le DIAMANT le DIAMANT
le VOLCAN le VOLCAN
la DEBUTANT le DEBUTANT
le PELICAN le PELICAN

Les aphasiques de Broca que nous avons observé ne déduisent pas d’une simple alternance phonétique la nécessité d’opposer deux valeurs lexicale « le/la ». Lorsqu’ils systématisent leur opposition en fonction de cette alternance c’est alors à défaut d’autres critères ; et même ainsi, ils ne sont pas dupes de leurs stratégies comme en témoignent soit leurs commentaires, soit leurs mimiques.

Bref, les malades restent lexicalement contraints, et par là démontrent que la morphologie trouve son fondement dans une autre dimension de l’analyse sémiologique, à savoir dans le MOT.

On donne au malade des petites étiquettes en carton où sont écrits des « fragments » de mot. Puis on demande de composer par assemblage des cartons les items qu’on lui dicte :

serv ante euse ette i une un
O. : UNE SERVANTE
M. : serv
serv ante
une serv ante
O. : UNE SERVEUSE
M. : euse
une serv euse
O. : UNE SERVIETTE
M. : ette
une serv ette

Le malade ne substitue des valeurs différentielles que dans le cadre d’une « classe » de substitution particulière, définie sur la base d’une séquence matérielle ou manifeste « serv/ante/euse/ette » et non sur la base d’un « modèle » formel permettant de faire abstraction du nombre d’éléments matériels mutuellement solidaires.

On engage le malade à se servir de l’étiquette « i » qu’il a oubliée :

O. : UNE SERVIETTE
M : une serv ette
serv i ette
O. : UNE SERVEUSE
M : serv i euse
O. : UNE SERVANTE
M : serv i ante

Le malade reproduit la même absence d’analyse morphologique ; il continue à substituer les items entre eux, mais il ne tient pas compte des contraintes qui déterminent la compatibilité des segments en une forme unitaire. Le malade en est réduit à s’interroger sur ce que sa grammaire tait en lui : c’est-à-dire sur l’ensemble des items qui varient simultanément dans le cadre d’une morphologie. Le malade fait, explicitement, l’addition des éléments substituables. Dès lors que des segments ne s’opposent plus, il ne sait plus en analyser les rapports textuels.

On prévient le malade que le segment « i » n’est pas à employer à chaque fois :

O. : UNE SERVEUSE
M. : une serv i euse
une serv euse
une serv euse

Le malade procède par comparaison là où une formalisation sous-jacente ne le détermine plus. On peut penser qu’il procède encore en fonction d’une opposition entre « i » et l’absence de « i », (d’où le maintien d’un blanc) avant de répondre définitivement.

L’exercice est le même que le précédent à cette différence près qu’on demande au malade d’apparier lui-même les segments sur étiquettes. Il ne s’agit pas d’exercice de dictée, donc :

tart ine e el ette.

Le malade repère oralement les trois items possibles : « tarte,… y a tartine aussi et puis… c’est plus difficile ! ... tartelette, c’est ça ? ».

On lui demande alors d’assembler les étiquettes pour former les mots qu’elle vient de trouver : « Pour écrire, c’est plus dur ! » :

tart e « C’est tarte, ça va ! »
tart el « Tartine mais c’est pas ça »
tart ette « Tartelette, c’est pas ça, non plus ! »

Le malade ne cherche l’opposition lexicale que dans le cadre d’une substitution d’une séquence par une autre. Une fois le résultat obtenu, elle « sait » que ce n’est pas le mot recherché mais elle continue à rester dans l’incertitude quant au nombre d’éléments à assembler.

On lui dicte : « une tart’ te’ lette » :

tart
tart ette « Y manque quelque chose ! »
tart ine ette « C’est pas ça ! »
tart el ette « C’est pas ça ! ... Si ! C’est ça ? »

Le malade ne « lit » pas les éléments qui ne tiennent leur nécessité que du seul cadre morphologique. Ainsi, tart est bien lu « tarte », mais el est illisible ; ette est lu « et », (et le malade ajoute qu’ il ne lit pas « tout »), ine n’est pas lu non plus. En fait, le malade ne peut lire que les éléments qui, en eux-mêmes, ont un sens indépendant d’une solidarité avec d’autres segments d’un ensemble.

Le malade assemble des segments qu’il ne contrôle qu’après coup, lorsque l’assemblage correspond à un élément doué d’une valeur lexicale.

On mélange les étiquettes et on lui dicte encore une fois « tartelette » :

tart el ette « Ça, on le met avant ou après ? »
tart ette el
tart el ette « Ça doit être ça ! »

L’ordre des segments n’est plus lui-même contraint ; le malade est obligé d’y réfléchir.

L’absence d’analyse générative, parce qu’elle ne solidarise plus les composants d’un MOT, empêche le malade de faire varier, dans le cadre d’une morphologie, des sèmes qu’il continue cependant à différencier, et à substituer en s’appuyant sur l’unité matérielle des segments minimaux porteurs de sens.

2. Accord syntaxique sans segmentation en mots

L’aphasique de Broca oppose le masculin au féminin. Mais cette opposition, chez le normal, peut se marquer différemment selon les « endroits » du texte. Dans la séquence « le boucher, il est consciencieux, lui ! », on distingue « le/la » puis « bouch-er/ère », plus loin « il/elle », et puis « x/se » , et enfin « lui/elle ».

C’est le même sème, mais les contraintes segmentales sont différentes : déterminant /lexème /suffixe dans le cadre du nom, pronoms personnels dans le cadre du verbe.

L’aphasique de Broca continue à dénoter l’opposition du masculin et du féminin en maîtrisant la variation d’une marque « masculin » et d’une marque « féminin », mais il ne maîtrise plus la distinction entre les diverses séquences « masculin » et les séquences « féminin ». Cette dernière distinction concerne, en effet, la dénotation non du sème mais du mot, c’est-à-dire de la formalisation qui, solidarisant des partiels, opère le contraste entre un « nom » et un « verbe ».

Masculin : LE BOUCHER EST CONSCIENCIEUX, LUI !
Féminin : la bouchère est consciencieuse, la / une !

Le malade hésite entre « la » et « une ». Il ne confond pas les marques de genre opposé, mais seulement les marques du même genre. C’est la distribution en « mots » qui devient aléatoire. De même que dans l’exemple suivant... :

Masculin : LA FILLE EST GENTILLE, ELLE
(On donne les étiquettes écrites suivantes : garçon, gentil, est, ce, une, le, lui, un, il, la.)

Féminin :
garçon
gentil
garçon gentil
il garçon est un
il garçon est gentil un

À « la », cette agrammatique oppose « il ». Puis à « gentille », elle oppose « gentil ». Enfin, à « elle » il oppose le masculin « un ». On obtient donc une opposition réussie entre des valeurs « féminin » et des valeurs « masculin » ; mais cette réussite ne concerne que la valeur différentielle entre les deux valeurs de genre. Car, du point de vue du texte, on ne constate aucune cohérence.

Il y a donc un « accord » en genre, accord syntaxique, mais cet accord n’est plus contraint par une segmentation en mots.

Masculin : LE CHIEN MANGE UN OS
(On donne les étiquettes écrites suivantes : la, euse, de la, e, une, un, elle, le, ne, lui, cette, ce)

Féminin :
la chien
euse
la chien os
mange  euse
la chien mange os
la chien cette mange une os
elle chien (non !)
la chien euse
la chien cette
la chien elle
la chien cette mange de la os
 une
la chien cette mange une os.

Cette malade produit de façon spectaculaire-des erreurs que la plupart des aphasiques testés n’effectuent qu’occasionnellement. Elle « met du féminin » et exclut donc toutes les marques du masculin ; en cela, elle témoigne d’une analyse différentielle préservée. Par contre, n’importe quelle marque du féminin équivaut à n’importe quelle autre marque du féminin. Si l’on excepte la non confusion « la chien/elle chien », on ne peut que faire le constat d’une grande indécision quant aux marques à utiliser.

– la chien euse
– la chien cette
– la chien elle

De même observe-t-on une généralisation abusive des marques du féminin puisque l’item « os » se voit attribué les marques

– de la os
– une os.

La malade répartit sur la séquence une même valeur différentielle de genre, mais elle ne sait plus jusqu’où elle doit effectuer l’accord et à partir de quand elle doit s’arrêter. Soit la phrase suivante « ce gentil gamin donne un os au chien ». Un locuteur « normal » a le choix entre :

– cette gentille gamine donne un os au chien
– ce gentil gamin donne un os à la chienne
– cette gentille gamine donne un os à la chienne.

Il s’agit là d’un choix sémantique. Par contre l’analyse en mots et en syntagmes rend impossibles les séquences suivantes :

– cette gentil gamin donne un os au chien
– cette gentille gamin donne un os au chien
– cette gentil gamine donne un os au chien
– cette gentil gamine donne une os au chien
– cette gentille gamine donne une os au la chienne

Ce sont pourtant des séquences qu’il n’est pas rare d’observer chez les aphasiques de Broca. Il y a bien accord en genre, mais il n’y a plus de frontières quantitatives qui viennent avertir les malades des lieux où on doit mettre le même genre et des lieux où on peut mettre le même genre.

S’il y a « accord » d’une même valeur de genre, il faut préciser que celui-ci représente une simple virtualité que les aphasiques peuvent exploiter parfois, qu’ils peuvent négliger d’autres fois. Ici aussi, l’accord ne participe plus d’une contrainte implicite qui s’impose mais d’un choix explicite laissé à la libre disposition du locuteur.

Masculin : CE GENTIL GAMIN DONNE UN OS AU CHIEN
Féminin : cette gentille
gentille gamin donne un os au chien

Masculin : CE GENTIL GAMIN DONNE UN OS AU CHIEN
Féminin : la gentille gamine donne une os au chien
au chienne

Masculin : CE GENTIL GAMIN DONNE UN OS AU CHIEN
Féminin : ce gentil fille donne un os au chien

Masculin : CE GENTIL GAMIN DONNE UN OS AU CHIEN
Féminin : ce gentille gamin donne un au chien
une os au chien
un os au chien

L’opposition du masculin et du féminin est toujours bien analysée, mais la grammaire des malades ne compte plus le nombre de fois où cette valeur doit apparaître dans la séquence. Et il appartient aux aphasiques de rechercher un critère leur permettant de diriger la répartition des marques d’un même sème le long d’une séquence donnée. Souvent, ils se limitent à une seule occurrence faute de savoir en quels endroits de l’énoncé il convient de procéder à des redondances de la même valeur.

Que les malades n’en mettent pas assez (ex : « ce gentille gamin ») ou bien qu’ils en mettent trop (ex : « la gentille gamine donne une os »), c’est toujours à une incertitude sur le décompte de l’occurrence d’un même sème que renvoient les stratégies des aphasiques de Broca. C’est bien ce que l’on observe dans les exercices suivants :

UN GARCON CURIEUX - UN HOMME INGENIEUX
UNE fille curieux - UNE femme ingénieux
Mais…
UN GARCON CURIEUX - UN HOMME INGENIEUX
UNE FILLE curieuxe - UNE FEMME ingénieuxe

Le malade a compris qu’il devait mettre « du féminin », mais selon la façon dont l’observateur pose le problème. Il met au féminin soit le lexème (fille/garçon ; femme/homme) seul, soit le suffixe seul (-eux/euxe). Il n’y a, dans ces exemples, ni morphologie, comme le soulignent les juxtapositions : « curieux/curieuxe ; ingénieux/ingé-nieuxe », ni syntagmes, comme le soulignent les essais suivants : « une fille curieux ; une femme ingénieux ».

LE CAFE FOR t - LA TISANE forte
LA vielle TOUR - LE VIEUX CHATEAU
LE MANTEAU BLAN c - LA VESTE blanche

mais...
LE GAMIN JOYEU x - LA GAMINE joyeuxe
LE CIEL BLEU - LA PAGE bleu e bleu (hésite sur la nécessité du« e » et fini par l’enlever)
LE FUMEUR REPENTI - LA fumeure repenti
LE SORCIER DANGEREUX - LA sorcière dangereuxe
LE GARCON BAGARREUR- LA fille bagarreure
LE CAMPEUR EGARE - LA campeure égarée
LE CERF CHASSE - LA biche chassé la biche chassée (hésite puis met un « e » à chassé ; réfléchit, puis met un « e » à « repenti », plus haut, qui n’en avait pas !)
LE GRAND COIFFEUR - LA grande coiffeure
LE VOLEUR ECHAPPE - LA voleure echappée

Le malade systématise progressivement ses réponses. Ceci indique qu’elles ne sont pas « pré-programmées » par une analyse implicite. Que ce pré-programme soit inférieur aux frontières de « nos » mots (voleur + e ; joyeux + e) ou que ce programme soit supérieur aux mots (la fumeure + repenti), il montre bien la nécessité du MOT. C’est l’analyse en MOTS qui, formellement, contraint la « divisibilité » du SÈME.

3. Au-delà du genre grammatical

Après avoir circonscrit notre étude au seul genre grammatical, il nous parait maintenant nécessaire d’élargir notre champ d’étude. En effet, l’explication glossologique, ou purement grammaticale, des performances des aphasiques de Broca, ne peut se démontrer qu’à partir du moment où elles peuvent s’étendre à tous les secteurs du « français ».

Si l’aphasique de Broca se définit par le double aspect :

– d’une syntaxe sans syntagmes
– d’une différenciation lexicale sans morphologie,

alors, il doit être possible de rendre compte d’un grand nombre de leurs performances en s’appuyant sur ces seules hypothèses. Qu’en est-il exactement ?

a) Une substitution de sèmes sans contraintes morphologiques

Les aphasiques de Broca « positivent » les substitutions de sèmes en ceci qu’ils n’opèrent que par juxtaposition d’oppositions isolées. La morphologie devient une addition de valeurs lexicales ; la morphologie représente une complexification du lexique dans la mesure où ces malades passent sans solution de continuité de « une » à « deux » oppositions, puis de « deux » à « trois », etc. Le nombre d’oppositions à cumuler devient un facteur important pour ces malades ; plus ce nombre augmente et plus le risque d’erreurs prend de l’ampleur. Cette sensibilité au nombre d’oppositions à effectuer les unes « avec » les autres devient, chez ces malades, une dimension spécifique de leur trouble. Elle révèle, a contrario, que la morphologie, chez un locuteur sain, ne saurait se réduire à une simple adjonction de valeurs oppositives. La morphologie repose, en effet, chez le normal, sur une valeur contrastive, le mot. Ce « mot » a pour bénéfice analytique de permettre au locuteur non aphasique ce que les malades ne peuvent plus faire : négliger le nombre de variations susceptibles d’être substituées dans le cadre de la flexion du nom, ou dans le cadre de la déclinaison du verbe› ou encore dans les dérivations du nom au verbe, du verbe au nom.

C’est ainsi que le problème des formes marquées et des formes non marquées peut prendre une « coloration » particulière, permettant au linguiste de mieux approcher cette question difficile. On distingue traditionnellement en effet, les formes dites « simples » (« change ») et les formes jugées complexes (« le change-ment »), en attribuant à la seconde un « plus » linguistique, la marque « -ment » ou « -ement ». Or le mot étant une valeur formelle, cette unité abstraite ne peut se subdiviser en sous-unités formelles. Autrement dit, on ne peut faire moins qu’un mot : « change », du point de vue du mot, est aussi complexe ou aussi simple que « le-change-ement » parce qu’il implique l’absence significative d’un déterminant et d’un affixe. À l’inverse, que cette abstraction du mot vienne à manquer, et l’absence du déterminant ou de l’affixe perd sa signification. Les aphasiques de Broca n’ont plus accès qu’à la seule séquence manifeste et « change » ne renvoie qu’à « change ». Il appartient aux malades de construire par addition « le + change + ement », ce qu’une grammaire a cessé de leur donné déjà « tout assemblé ».

L’exercice se présente sous la forme d’une dictée de formes « fléchies » :

O. : LE CHANGEMENT
M. : change
le change

O. : LE JARDINAGE
M. : jardin
le jardin

O. : LA MENUISERIE
M. : menuis...
le menuis ....
« C’est là que ça bloque ! C’est quoi après ? »

O. : LE SACREMENT
M. : sacre
le sacre

O. : LA SUPERIORITE
M. : … (« C’est plus dur, ça ! »)
superi ... « Et maintenant ? »
le « Je sais pas ; je vois rien ! »

O. : LA PROMENADE
M. : promèn « C’est un « e » ? »
Promène « Peut-être ! »

O. : LA DIVISION
M. : divis « C’est là que... Dit encore ! » divise
« C’est pas ça ! »

Ces performances sont représentatives d’un grand nombre de données cliniques du même ordre, obtenues chez la plupart des aphasiques de Broca testés (deux sur les huit malades observés n’ont pu dépasser le troisième item de la série !).

La malade agrammatique dont les performances orales sont suffisantes pour lui permettre des commentaires ne semble traiter qu’un « monème » à la fois. Elle écrit d’abord le lexème (ex : change), puis le déterminant (ex : le change). Mais ceci n’est peut-être pas le plus significatif. Lorsqu’un item non marqué (ex : change, jardin, sacre) correspond à une valeur lexicale, la malade ne voit pas de manques. Elle pense avoir effectué la consigne demandée. Lorsque le segment non marqué ne coïncide pas avec une valeur lexicale (ex : menuis-, supéri-, divis-), alors cette malade agrammatique, selon ses propres com-mentaires, se bloque ! Non seulement elle demande à l’observateur de répéter la consigne, mais encore elle paraît incapable de constituer une hypothèse sur l’affixe répété par le clinicien. « Je ne vois rien », dit-elle. Ce n’est pas une abondance d’hypothèses qualitativement mal contrôlées, comme chez les aphasiques de Wernicke, mais bien plutôt une absence d’hypothèses. Il y a une réduction pathologique de la morphologie au seul « radical » ; ce radical, qu’il soit chez le locuteur un lexème nominal ou un lexème verbal, se trouve positivé par l’aphasique. Et c’est autour de lui, que cette malade construit ses performances.

De « change », elle passe en second lieu au déterminant « le ». De « menuis », elle s’interroge sur « un quelque chose après », elle place le déterminant, pour de nouveau réfléchir sur le vide laissé par un radical non terminé.

Que les aphasiques « positivent » ou réifient le radical (ou les mots dits « pleins ») montre assez que la morphologie instaure une formalisation qui nous permet de prendre une « distance » ou une « profondeur » formelle par rapport à la prégnance de ce radical. La morphologie ne cumule pas des morphèmes à un « noyau » que représenterait le radical (ou le lexème) ; la morphologie fond ses partiels dans une même matrice abstraite dans laquelle le radical n’a pas plus d’importance que ses morphèmes.

L’exercice est le même que précédemment. Il est présenté à la même malade mais à une étape ultérieure de sa prise en charge. La malade a donc à sa disposition un inventaire des désinences « possibles en français » :

O. : LE CHANGEMENT
M. : le chang « Jusque là c’est facile, mais c’est maintenant que c’est dur ! »
le chang eur « Non ! Quand c’est écrit, je vois que non ! »
le chang ment « Voilà !... Hein ? »

Ces dernières performances proposent un autre aspect de la même absence de morphologie. Cette fois, la malade a la possibilité d’une part de construire un vide sur la base de « -chang » et d’autre part d’élaborer des combinatoires : « - chang + eur », « chang + ment ».

Mais cette combinatoire a ceci de particulier qu’elle introduit une hiérarchie des difficultés ; certains affixes sont mieux maîtrisés que d’autres. Enfin, cette combinatoire n’est critiquable que dans l’après-coup des performances (« Quand c’est écrit, je vois que non ! »). La combinatoire procède par essais et erreurs et ne bénéficie plus d’aucune « assurance »… c’est-à-dire d’aucune formalisation sous-jacente. Enfin, cette combinatoire engendre ses propres « monstres », dans la mesure où les fausses coupes échappent, du moins en partie, à la maîtrise des malades (chang ment).

Toute modification morphologique se décompte pour l’aphasique de Broca, puisqu’il ne dispose plus de la négligence des partiels qu’instaure une unité formelle. Les agrammatiques sont contraints d’ajouter des oppositions à des oppositions là où notre grammaticalité nous délivre du souci d’un tel décompte. Dès lors, tout exercice où, simultanément, on sollicite les malades pour qu’ils fassent le tri des valeurs qui se maintiennent et des valeurs qui varient devient un exercice « piège ». Quelques exemples :

O. (dictée) :
IL RÈGLE
RÉGLER
UNE RÈGLE
UNE RÉGLETTE
VOUS RÉGLEZ
RÈGLEMENT
RÉGLAGE
NOUS AVONS RÉGLÉ
NOUS AVONS RÉGLEMENTÉ
NOUS RÉGLEMENTONS
M. :
il règle
règlet
un rè gle
un règlette
vous règler
règlement
règlage
nous règlement
nous avons reglement
nous regletons

L’aphasique déduit de son analyse lexicale, c’est-à-dire de son analyse différentielle en valeurs opposables, la nécessité de substituer une valeur à une autre valeur au fur et à mesure de l’enchaînement des consignes. Sa difficulté réside dans le décompte des valeurs à opposer. Tantôt, il n’opère qu’une seule opposition en un seul « endroit » (nous règlement / nous avons règlement), alors qu’à d’autres occasions il opère une opposition sur deux « endroits » (nous avons reglement / nous regletons). De plus, comme l’avait déjà remarqué M.-Cl. Le Bot (1980), le malade a tendance à ne prendre en compte qu’une seule valeur différentielle à la fois, et à négliger les autres. Nous avons observé ce phénomène plusieurs fois, et à propos d’épreuves identiques :

O. :
IL RÈGLE
RÉGLER
UNE REGLE
UNE RÉGLETTE
VOUS RÉGLEZ
RÈGLEMENT
RÉGLAGE
NOUS AVONS RÉGLÉ
NOUS AVONS RÉGLEMENTÉ
NOUS RÉGLEMENTONS
M. :
il règle
règler
ne règler
ne règlette
nous règlez
nous règlement
nous règlage
en vous règlons
en vous en règlementez
M. : en vous règlemont

Si les premières réponses nous paraissent quasi « transparentes », parce qu’elles réalisent cette positivation du fragment phonétique servant de « base » à une opération de substitution, en revanche les dernières réponses apparaissent plus surprenantes.

Il + règle
–– + règler
une + règler
une + règIette
––––––––––––––––––
vous + règlez
vous + règlement
vous + règlage
en + vous + règlons

On saisit bien cette adjonction de fragments manifestes, enfermant le malade dans une combinatoire stérile de « petits mots » qui n’ont plus de valeurs morphématiques. Mais si le malade tire de son analyse différentielle la nécessité de marquer de la différence, cette différence ne se compte plus formellement et le nombre de fragments manifestes devient aléatoire, uniquement soumis à l’appréciation hésitante des malades, d’où alors ces deux dernières réponses où on voit la répétition de « en », ou l’annulation d’un de ces deux « en », doubler inutilement les oppositions « règlons / règlementez / règlemont ».

en + vous + règlons
en + vous + en + règlementez
en + vous + règlemont

Une opposition se fait, mais sa conversion sur l’axe des enchaînements se fait sans principe grammatical. La « place » de la substitution (ou « les » places) n’est plus imposée par une formalisation sous-jacente.

Ce type d’épreuves révèle également d’autres phénomènes liés à une disparition de la morphologie chez les aphasiques de Broca :

O. :
IL RÈGLE
RÉGLER
UNE RÉGLETTE
VOUS RÉGLEZ
RÈGLEMENT
RÉGLAGE
NOUS AVONS RÉGLÉ
NOUS AVONS RÉGLEMENTÉ
NOUS RÉGLEMENTONS
M. :
la règle
le règle
la règle
vous règle
règlement
règlat
nous réglés
nous avons règlement
nous avons règlemont

Cet aphasique, lui aussi, marque de la différence. Lui aussi a tendance à ne marquer qu’une valeur à la fois. Mais, en plus, il semble ne pas marquer toujours la valeur différentielle proposée par l’observateur. Par exemple, les trois premières consignes : il règle/régler/une règlette… se trouvent marquées entre les déterminants « le » et « la » : la règle/le règle/la règle.

Ce point apparaît surprenant et pourrait même apparaître contradictoire avec l’hypothèse d’une opposition différentielle préservée. À moins d’admettre que le malade ne saisit que de la « qualité » négativement définie ; à ce moment-là, il suffirait qu’il y ait différence et la définition de cette différence n’aurait plus besoin de correspondre à celle dictée par l’observateur. Ce qui nous engage à retenir cette hypothèse, c’est la série des performances elle-même ; on y observe tout au long une prégnance du segment matériel servant de support aux oppositions lexicales.

la - règle
le - règle
la - règle
 vous - règle
–––––––––––––––––––––
 nous - avons - règlement
 nous - avons - règlemont

Il se peut que l’opposition dictée soit méconnue du malade parce qu’elle le contraint à s’abstraire de ce support matériel ; dès lors, c’est à travers sa propre grille interprétative que le malade comprend la consigne de l’observateur. Et le caractère rigide de cette grille expliquerait que la valeur différentielle proposée soit « convertie » en une autre valeur compatible avec les listes de substitution encore accessibles au malade.

Encore une fois, mais ici d’une autre façon, la morphologie apparaît comme la négation formelle des classes d’oppositions lexicales. L’aphasique de Broca « adhère » pathologiquement à ces classes de substitution construites sur la présence manifeste d’un même support phonétique, et par cette adhérence se voit contraint de ne traiter que cette part des consignes de l’observateur susceptible de trouver sa place dans « un-bout-à-bout » de listes de substitutions

D’autres exemples illustrent ce problème :

O. :
IL FROTTE
FROTTER
UN FROTTEMENT
UN FROTTIS
VOUS FROTTEZ
LE FROTTAGE
NOUS AVONS FROTTE
NOUS FROTTONS
NOUS FROTTERONS
IL FROTTE
M. :
elle frotte
frotte
elle bien frotte
elle frottis
vous frottis frottiz frottez
vous frottage
vous avons la frottage
la frotte
nous frottage
il frotte

On comprend bien un assez grand nombre de performances produites par cet aphasique. Elles s’expliquent par la réduction pathologique d’une valeur différentielle à un seul support manifeste :

Elle frotte
frotte : suppression de « elle »

vous frottez
vous frottage : substitution de « ez » et de « age »

vous frottage
vous avons la frottage : adjonction de « avons » et de « la »

Mais on est surpris de constater la performance suivante :

Il frotte elle frotte
frotter frotte
un frottement elle bien frotte

En effet, les fragments « elle » et « frotte » ne font pas de difficultés puisqu’ils figurent dans les réponses précédentes, mais l’apparition du fragment « bien » se comprend assez mal.

Que la valeur en « -ement » soit ici marquée par l’adjonction de « bien », c’est-à-dire par une autre valeur différentielle pose une difficulté dans l’interprétation du phénomène. À nouveau, on est contraint de rendre compte de cette erreur par le fait qu’une valeur différentielle, pour être intégralement respectée, a besoin d’avoir un correspondant dans les listes de substitution encore disponibles chez le malade testé.

Il nous semble que l’aphasique de Broca, parce qu’il est aphasique, réduit le lexique aux seules oppositions de ce que nous appelons des lexèmes. Pour l’aphasique de Broca, et seulement pour lui, l’opposition différentielle entre « er » et « ement » n’est pas sur le même plan que l’opposition entre « frotte » et « brosse » par exemple.

Il est en effet « classique » de réserver le nom de « lexique » au seul inventaire des items qui se trouvent dans un dictionnaire et les oppositions entre morphèmes ont du mal à passer pour des valeurs également lexicales. Cependant, si on considère l’analyse différentielle, c’est-à-dire l’analyse qui nous permet d’opposer des valeurs différentes, on ne peut dissocier ce qui s’oppose lexématiquement et ce qui s’oppose morphématiquement, précisément parce que le rapport des lexèmes aux morphèmes n’est pas un rapport différentiel mais un rapport qui tient à la formalisation en « mots », en unités solidarisant lexèmes et morphèmes dans un contraste entre type nominal et type verbal.

À l’inverse, si le contraste entre le nom et le verbe disparaît, si disparaît également le rapport morphologique des lexèmes et des morphèmes, alors on comprend que cette disparition ait un « effet » sur l’opposition des sèmes› sur l’opposition des valeurs différentielles. L’opposition des lexèmes n’est plus sur le même plan que l’opposition des morphèmes, ou plutôt le « plan » sur lequel s’opposeraient ces valeurs différentielles échappe au contrôle des malades.

Il nous semble que s’établit ainsi un « seuil », sans doute différent pour chaque malade, pouvant évoluer en fonction de la récupération du trouble, un « seuil » entre les valeurs qui, virtuellement opposables, n’ont plus de correspondance morphologique possible et d’autres valeurs différentielles susceptibles d’être marquées parce qu’elles ont une « correspondance » dans le pseudo système morphologique de l’agrammatique. Peu importe la nature du seuil en question ; son exis-tence suffit à qualifier l’agrammatisme par une disparition de la morpho-logie.

O. : IL FROTTE
O. : FROTTER
O. : UN FROTTEMENT
O. : UN FROTTIS
O. : VOUS FROTTEZ
O. : LE FROTTAGE
O. : NOUS AVONS FROTTE
O. : NOUS FROTTONS
O. : NOUS FROTTERONS
O. : IL FROTTE
M : il frotte
M : nous frottez
M : il frottage
M : un frotti
M : vous frottez
M : le frottage
M : nous avons frotte
M : nous frotterons
M : il frotterons
M : il frotter

Des oppositions se marquent, mais elles se marquent en ne tenant aucun compte de l’opposition entre certains morphèmes ; par exemple la transformation morphologique « frotter/un frottement » est marquée par « nous frottez/il frottage », séquences dans lesquelles ni « il », ni « ‑age » ne se justifient.

S’agit-il alors de confusions ? Non ! Nous ne le pensons pas, car lorsqu’on propose aux malades des listes comportant et des morphèmes et des lexèmes, on voit clairement se dessiner un « seuil » d’exigence, en deçà duquel les oppositions entre valeurs correspondant à nos lexèmes sont respectées et au-delà duquel les oppositions entre valeurs correspondant à nos morphèmes sont « neutralisées ».

Au fond, la question qui se pose est celle-ci ? Une fois détruit le mot, et par contrecoup détruite la morphologie, peut-on encore « qualifier » les morphèmes ? Parler par exemple de déterminant, de préposition, voire de genre grammatical ? Autre façon de poser la même question. Le mot « dit » que plusieurs valeurs appartiennent à une même matrice formelle. Dit-il aussi que ces valeurs sont des valeurs de déterminants, de genre, nombre, etc. ? Nous pensons que les réponses des malades nous permettent de répondre par l’affirmative, encore qu’il s’agit là d’un problème non encore maîtrisé.

O. : IL FROTTE
O. : UN BROSSAGE
O. : LE JARDINAGE
O. : NOUS JARDINERONS
O. : NOUS AVONS BROSSE
O. : NOUS FROTTONS
O. : IL FROTTE
M : elle frotte
M : elle en brosse
M : il en jardin
M : nous en jardinons
M : en nous en brosser
M : en nous frotter
M : il frotter
frotte

L’opposition entre « frotte », « brosse », « jardin » est intégralement respectée, mais, à côté, on observe des apparitions non justifiées de fragments qui, dans le système de l’observateur correspondent à des morphèmes (le « en », par exemple), mais qui chez l’agrammatique ne correspondent plus à rien du tout, si n’est à la conscience assez vague qu’on doit utiliser ce genre de « petits mots ».

Si le seuil que nous tentons de préciser coïncide très souvent avec notre propre séparation des lexèmes et des morphèmes, il n’est pas toujours si clairement établi, et parfois il semble séparer certains morphèmes d’autres morphèmes.

O. : IL FROTTE
O. : FROTTER
O. : UN FROTTEMENT
O. : UN FROTTIS
O. : VOUS FROTTEZ
O. : LE FROTTAGE
O. : NOUS AVONS FROTTE
O. : NOUS FROTTONS
O. : NOUS FROTTERONS
O. : IL FROTTE
M : il frotte
M : frotter
M : un frottement
M : un frotti
M : vous frottez
M : le frottage
M : nous frottons
M : ???
M : nous en frottons
M : il frotte

Pour cette malade, plus récupérée, tout se passe bien jusqu’au moment où l’épreuve sollicite la déclinaison des verbes et en particulier la prise en compte de l’auxiliaire (« nous avons frotté »). C’est à partir de ce moment-là que les erreurs ou les incertitudes s’observent. L’auxiliarité constitue ici le « seuil » au-delà duquel cette agrammatique manifeste l’absence de morphologie. À l’auxiliaire, il faut également ajouter la marque du futur (nous frott-er-ons). Il n’y a donc pas un seuil mais plusieurs ; il y a là l’indice d’une perte d’analyse dans la mesure où l’agrammatique se trouve confronté de façon prégnante à la diversité des situations. En d’autres termes, et parce qu’il a perdu le principe de la morphologie, l’agrammatique se trouve confronté à des problèmes morphologiques qu’il doit résoudre les uns après les autres en s’appuyant sur les conseils du thérapeute.

Ces problèmes peuvent être situés à un certain « niveau » de la langue comme dans l’exemple précédent, ou bien alors se situer à un niveau beaucoup plus rudimentaire, comme en témoignent ces réponses à des épreuves portant sur l’opposition du singulier et du pluriel.

On demande au malade agrammatique de faire précéder les items d’une liste des déterminants « le/la/les » : le, la ou les  ?

les MATELAS la PRISON la TIMBRE
les PLANTES les PROPOS les CADENAS
les DELICES les GIFLES le PENSEE
la CHATAIGNE la CRUAUTE la VENDEUR

L’opposition du singulier et du pluriel est respectée parce que le malade peut s’appuyer sur la présence ou l’absence d’un segment manifeste, le « es ». Par contre, le genre, qui ne bénéficie pas d’un tel support, est totalement aléatoire. C’est donc autour d’une liste que nous avons élaboré les épreuves suivantes soumises au même malade :

Pluriel
LES TIMBRES :
LES PORTES :
LES CADENAS :
LES FLEUVES :
LES TAXES :
LES CHAUVES :
LES MATELAS :
LES BROSSES :
LES BLAGUES :
LES NOMBRES :
LES DEVIS :
LES TEMPS :
mais...
LES MOIS :
LES DOS :
LES BAS :
LES VIS :
Singulier ?
LE TIMBRE
le PORTE
le cadène
le fleuve
le taxe
le chauve
le matele
le brosse
le blague
le nombre
le devi
le temp(e) (rajoute un « e » dans un second temps).

le mois
le dos
le bas
le vis

Dans la première série, le malade enlève mécaniquement un « s » pour effectuer l’opposition du pluriel et du singulier. Ce n’est plus le cas lors de la seconde série. Nous retrouvons là notre notion de « seuil » exposée plus haut. Tant que la suppression du « s » n’a pas d’effet sur la marque lexicale, c’est-à-dire tant que son omission n’installe pas une confusion possible entre deux valeurs lexicales différentes, le malade effectue « à la lettre » le piège proposé par l’épreuve. Mais dès que cette omission met en cause le statut lexical de l’item déterminé (la seconde série), alors l’agrammatique « résiste » au piège ainsi tendu.

Cependant, si ce « piège » est évitable en ce qui concerne les items correspondants à nos lexèmes, il ne l’est plus dès qu’il s’agit d’items correspondant à nos morphèmes. Et un « seuil » se révèle à nouveau.

LE : LES - MA : mas
MON : mons - DU : dus
CE : ces - CETTE : cetts
UN : uns

Ce malade juxtapose ainsi deux oppositions, l’opposition des déterminants et une opposition des valeurs de nombre. Notons que le « s » n’est pas le seul fragment positivé par cette absence de formalisation morphologique mais également le « e », puisqu’on assiste à la substitution d’un « e » par un « s » dans « cetts ». Il s’agit d’une erreur qu’on retrouve dans la série suivante effectuée par le même malade :

DES GENERAUX
DES LIBERAUX
DES CRUCIFIX
DES AMOUREUX
DES JOURNAUX
DES COSTAUX
DES JUMEAUX
DES PERDRIX
UN généraue
UN libéraue
UN crucifi
UN amoureu
UN journaue
UN costaue
UN jumeaue
UNE perdrie

À l’opposition des valeurs de nombre, le malade fait tantôt correspondre une « absence/présence » d’un « s », mais aussi tantôt une substitution « x/e » ou « s/e », c’est-à-dire des marques incompatibles entre elles si ce malade disposait encore de contraintes morphologiques.

Ainsi, et malgré la diversité des manifestations pathologiques, il nous paraît possible de ramener les performances des aphasiques de Broca à une substitution de sèmes sans contraintes morphologiques, le mot n’étant plus là pour assurer un cadre de variation interne. Le « cadre » ayant cessé d’être formel, les malades en trouvent un substitut dans le manifeste d’un fragment phonétique.

b) Redondance d’un même sème sans contraintes textuelles

Le sème, bien que toujours analysé par l’aphasique de Broca, ne dispose plus du cadre formel que constitue le mot et qui, chez le normal, constitue le lieu d’une variation interne, c’est-à-dire le lieu d’une morphologie.

De la même façon, mais au-delà de nos mots, l’aphasique de Broca, bien que toujours capable d’une différenciation en sèmes, ne peut plus « profiter » d’une analyse implicite pour lui signifier les frontières d’un syntagme.

Il y a bien redondance d’un même sème mais redondance « libre » de toutes contraintes textuelles ; l’aphasique peut rendre un sème redondant, il peut aussi ne pas effectuer cette redondance, car il ne s’agit plus là que d’une simple option du locuteur. La redondance est encore possible mais elle ne participe plus que des seules exigences explicites des aphasiques ; elle a cessé, formellement, de se compter.

Quelques exemples vont nous permettre d’étudier ce que classiquement on nomme l’accord du sujet et du verbe, tant au niveau de la personne que du nombre. À cet accord syntaxique traditionnel, nous ajouterons une opération sur le « temps » du verbe, en fonction des nécessités sémantiques induites par les adverbes « aujourd’hui », « hier », et « demain » (les formes écrites fournies sont en majuscules ; les réponses qui remplissent les espaces laissés sont en minuscules) :

AUJOURD’HUI, LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE
DEMAIN, LE MENUISIER couperait LA PLANCHE
HIER, LE MENUISIER couperez LA PLANCHE

AUJOURD’HUI, LE MARIN MONTE LA VOILE
DEMAIN, LE MARIN monterait LA VOILE
HIER, LE MARIN monterez LA VOILE

AUJOURD’HUI, LE CHAUFFEUR CHANGE LE PREU
DEMAIN, LE CHAUFFEUR changerait LE PNEU
HIER, LE CHAUFFEUR changerez LE PNEU

AUJOURD’HUI, LA COUTURIERE faire UN TRICOT
DEMAIN, LA COUTURIERE fairerait UN TRICOT
HIER, LA COUTURIERE fairerez UN TRICOT.

Le malade constitue une liste de substitution correspondant au « trou » inscrit dans le protocole. Cette substitution, il montre qu’il la contrôle d’une certaine façon puisqu’il la systématise d’une série à l’autre ; on obtient quatre fois l’opposition entre « coupe/couperait/ cou-perez », c’est-à-dire l’opposition des fragments « -e » (fair-e), « -erait » et « -erez ». Mais ces substitutions – là réside le point intéressant – ne tiennent aucun compte de ce qui précède le verbe. La nécessité d’effectuer un accord entre le « sujet » et le « verbe » n’existe plus. Il n’y a plus que des listes de substitution, et on n’observe plus de contraintes textuelles ni au-delà de nos mots, ni en deçà, car il n’y a plus de « mots » chez les aphasiques de Broca. Il suffit donc de modifier légèrement l’épreuve pour passer d’une absence de syntaxe à une absence de morphologie. La frontière, n’existe que pour l’observateur, mais elle n’existe plus pour le malade.

Nous proposons au même malade les séries suivantes :

AUJOURD’HUI, LE MENUISIER VA COUPER UNE PLANCHE
HIER, LE MENUISIER va couperait UNE PLANCHE
DEMAIN, LE MENUISIER va couperez UNE PLANCHE

AUJOURD’HUI, LE MARIN DOIT MONTER LA VOILE
HIER, LE MARIN doit monterait LA VOILE
DEMAIN, LE MARIN doit monterez LA VOILE

AUJOURD’HUI, LE CHAUFFEUR PEUT CHANGER LE PNEU
HIER, LE CHAUFFEUR peut changerait LE PNEU
DEMAIN, LE MARIN peut changerez LE PNEU

AUJOURD’HUI, LA COUTURIERE FAIT FAIRE UN TRICOT
HIER, LA COUTURIERE fait fairerait UN TRICOT
DEMAIN, LA COUTURIERE fait fairerez UN TRICOT

Ici, le syntagme « verbe + infinitif » (va coup-er), n’est pas respecté car la substitution ne s’opère que sur le second item sans que le premier intervienne d’aucune manière dans la réflexion du malade.

Dans les exemples suivants, le résultat reste le même alors qu’on est passé à ce qui, dans le système de l’observateur, correspond à un seul mot « auxilié ».

AUJOURD’HUI, LE MENUISIER A COUPE LA PLANCHE
HIER, LE MENUISIER a couperait LA PLANCHE
DEMAIN, LE MENUISIER a couperez LA PLANCHE

AUJOURD’HUI, LE MARIN A MONTE LA VOILE
HIER, LE MARIN a monterait LA VOILE
DEMAIN, LE MARIN a monterez LA VOILE

AUJOURD’HUI, LE CHAUFFEUR A CHANGE LE PNEU
HIER, LE CHAUFFEUR a changerait LE PNEU
DEMAIN, LE CHAUFFEUR a changerez LE PNEU

AUJOURD’HUI, LA COUTURIERE A FAIT UN TRICOT
HIER, LA COUTURIERE a faiterait UN TRICOT
DEMAIN, LA COUTURIERE a faiterez UN TRICOT.

Et le malade s’étonne qu’on lui ait proposé plusieurs fois de suite le même exercice !

De la même façon l’accord en « nombre » se trouve éparpillé sur le long de l’énoncé, sans que les malades sachent jusqu’où il est « obligatoire » de mettre le même singulier ou le même pluriel et à partir de quand l’identité de nombre est « facultative ».

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC LA SCIE
LES MENUISIERS coupent la planche avec la scie
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
LES MARINS montera la voile du bateau
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PNEU DU CAMION
LES chauffeur changera les pneux du camion
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
LES coutuirères faitera des tricots de laine

Le malade a bien saisi qu’il fallait « mettre du pluriel », mais il ne sait plus où il est nécessaire d’effectuer cette redondance du même sème. Tantôt « les » entraîne un pluriel (« les couturières ») et tantôt il ne semble pas avoir les mêmes effets (« les chauffeur »). Tantôt, le verbe porte la marque du pluriel (ex : « coupent ») et tantôt une autre marque sans rapport avec le pluriel (ex : « montera, chang-era, fait-era »). Le caractère facultatif s’étend à la totalité de la séquence là où chez un locuteur aphasique il ne s’appliquerait qu’aux seuls compléments d’objets directs. « Les » couturières n’implique pas obligatoirement « des » tricots.

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC LA SCIE
LES menuisiers coupe les planches avec les scies
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
LES marins monte les voiles des bateaux
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PNEU DU CAMION
LES chauffeurs change les pneux des camions
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
LES coutuirères font un tricot de laine

Cette fois, systématiquement, le malade omet le pluriel des verbes. On lui propose alors des séries plus courtes construites sur le rapport « il/ils » :

IL COUPE IL MONTE IL CHANGE
ILS coupent ILS montent ILS changent

On constate alors que dans ce cadre plus contraignant, il est parfaitement capable de transformer les verbes au pluriel. L’omission du pluriel dans les phrases précédentes constituait donc bien un choix explicite et non une impossibilité. L’accord en nombre est toujours possible, mais il est devenu pathologiquement facultatif.

LE MENUISIER COUPE LA PLANCHE AVEC LA SCIE
LES menuisiers coupes la planches avec la scies
LE MARIN MONTE LA VOILE DU BATEAU
LES marins montes la voile du bateaus
LE CHAUFFEUR CHANGE LE PNEU DU CAMION
LES chauffeurs changes le pneus du camions
LA COUTURIERE FAIT UN TRICOT DE LAINE
LES couturières faits un tricots de laines

Ce malade a une autre façon de rendre le pluriel redondant. Il ajoute systématiquement le même fragment manifeste, un « s » à tous les items dits « pleins » (couturières, faits, tricots, laines) et omet toujours systématiquement de transformer les petits mots. Il y a donc bien, d’une certaine façon, une systématisation de la redondance du pluriel, mais une systématisation pathologique dans la mesure où elle ne participe d’aucune contrainte textuelle.

Certaines erreurs sont plus « subtiles » mais sont également révélatrices des difficultés des agrammatiques. Dans cette même épreuve des accords en nombre, une de nos malades avait bien saisi la nécessité de mettre les verbes au pluriel, mais ce pluriel, accessible pour les formes verbales « simples », ne l’était plus pour les formes verbales « complexes ».

LE MENUISIER AURA COUPE LA PLANCHE AVEC LA SCIE
LES menuisiers auront coupé la planche avec la scie
LE MARIN MONTA LA VOILE DU BATEAU
LES marins montait la voile du bateau
O. : « Et le pluriel ? Tu as oublié ? »
M. : C’est fait ! J’ai mis un « t » (elle montre le « t » de « montait »).

Il est vrai que le « t » peut parfois voisiner avec la marque du pluriel dans les formes verbales à la troisième personne (nous conduiron-s/ils conduiron-t). L’observateur avait ici pris pour un problème de syntaxe ce qui pouvait mieux se comprendre comme une erreur de morphologie.

Enfin, les phénomènes de « syntaxe », c’est-à-dire les redondances du même sème sont d’autant plus absents de la réflexion des malades agrammatiques qu’ils nécessiteraient une opération sur des fragments déjà séparés. Quelques exemples pour préciser notre idée.

Il s’agit d’exercices où les malades doivent composer des phrases à partir d’items placés dans une marge. Ce que l’observateur donne déjà combiné (dans la marge) tend à le rester dans la composition des malades alors que les rapports syntaxiques normaux exigeraient des opérations d’effacement ou de déplacement :

L’HABILE
LE MENUISIER

LE VIEUX
LE MARIN

LE CHAUFFEUR
LE BON

LA COUTURIERE
LA GRANDE
C’EST le menuisier l’habile
l’habile le menuisier
CE SONT l’habile les menuisiers
C’EST le marin le vieux
CE SONT les marins les vielles

C’EST le bon le chauffeur
CE SONT le bon des chauffeurs

C’EST la grande la couturière
CE SONT la grande les couturières

Le malade ne défait pas la combinatoire que l’observateur lui propose, et les accords en nombre s’effectuent combinatoire par combinatoire. Le malade peut en mettre une au singulier et l’autre au pluriel, ou encore les deux au pluriel ; il s’agit là d’une alternative qui ne le choque plus !

EST / L’HABILE / LE MENUISIER
SONT / L’HABILE / LE MENUISIER
SONT / LES HABILES / LE MENUISIER
l’habile est le menuisier
l’habile sont le menuisier
les habiles sont le menuisier

C’est en cela que nous disons qu’il n’y a plus de syntagmes, même si la même valeur différentielle peut encore être une valeur éventuellement redondante.

IV – Sèmes, mots, paradigmes, syntagmes. Lexique, texte, morphologie, syntaxe

Sous forme de résumé :

SÈMES : IDENTITES FORMELLES D’UN LEXIQUE

Les sèmes sont des valeurs élémentaires différentielles. Elles participent d’une abstraction formelle qui s’éprouve par la non coïncidence qu’elles instaurent entre elles-mêmes et des identités manifestes (l’homophonie) et des diversités concrètes (allomorphisme).

Les sèmes sont dénotés par une variation concomitante des séquences manifestes, que celle-ci prenne l’aspect d’une substitution, d’une élision, d’une adjonction ou d’une inversion.

MOTS : UNITES FORMELLES D’UN TEXTE

Les mots sont des valeurs élémentaires segmentales. Ils participent d’une abstraction formelle qui s’éprouve par le contraste entre deux types de mot, le type nominal et le type verbal, chacun étant dénoté par un « dispositif » particulier de segments manifestes.

LA MORPHOLOGIE PARTICIPE CHEZ LE NORMAL DE LA DOUBLE ABSTRACTION DES MOTS ET DES SÈMES.

En l’absence d’un principe unitaire abstrait, l’aphasique de Broca ne peut substituer des sèmes entre eux qu’en fonction de segments manifestes. Chez le Broca, tout s’oppose à tout, les morphèmes aux lexèmes, les noms aux verbes, car il n’y a plus ni morphèmes ni lexèmes, ni nom ni verbe mais seulement des « séquences phonétiques manifestes » porteuses d’une seule valeur différentielle. L’aphasie de Broca permet de concevoir la morphologie comme une restriction classificatoire d’ordre textuel dans la substitution lexicale des sèmes.

Chez l’aphasique de Wernicke, le trouble correspond à une perte du principe de différenciation lexicale. Chez le Wernicke, plus rien ne s’oppose à rien et tout fragment matériel ou manifeste peut constituer l’invariant d’une flexion ou d’une dérivation abusives. Tout se nominalise ou se verbalise ; tout se fléchit ou se dérive. L’aphasie de Wernicke permet de concevoir la morphologie comme une restriction d’ordre lexical dans la variation interne des mots.

LA SYNTAXE PARTICIPE CHEZ LE NORMAL DE LA DOUBLE ABSTRACTION DES SÈMES ET DES MOTS.

L’aphasique de Broca voit son texte se réduire à une simple combinatoire de fragments phonétiques porteurs d’une seule valeur différentielle. En ce sens, on peut définir l’aphasie de Broca par une disparition des syntagmes. Pourtant, il demeure capable de systématiser cette combinatoire en élidant ou en répétant la même valeur différentielle.

L’aphasique de Wernicke se trouve abusé par la linéarité des mots qu’il enchaîne. Il ne peut contester un enchaînement au profit d’un autre en s’appuyant sur une opposition de différents schèmes syntaxiques (ex : le schème « sujet du verbe »/le schème « complément du verbe »). En cela, il révèle également, mais d’une autre manière, une perte de la syntaxe.

Chez le normal, le contrôle total de la syntaxe suppose à la fois ce qu’a perdu l’aphasique de Wernicke et aussi ce qu’a perdu l’aphasique de Broca, c’est-à-dire une différenciation lexicale des schèmes syntaxiques chez l’un, et une organisation possible du texte en syntagmes chez l’autre.

AU TOTAL, la morphologie et la syntaxe n’ajoutent donc rien au lexique ou au texte ; elles ne résultent chez le normal que de la non coïncidence de la taxinomie et de la générativité.

Le paradigme, tout comme le schème syntaxique, constituent une restriction combinatoire d’ordre lexical dans la variation des partiels de mots. Cette restriction combinatoire n’existe plus dans l’aphasie de Wernicke qui développe alors de l’incohérence.

Le syntagme tout comme l’organisation qui lie morphèmes et lexèmes constituent une restriction classificatoire d’ordre textuel dans les substitutions des sèmes. Cette restriction classificatoire n’existe plus dans l’aphasie de Broca, lequel ne pouvant plus signifier qu’une valeur à la fois, augmente la « pauvreté » de ses performances.

V - Les valeurs dénotées du genre grammatical

Sous forme de résumé :

SÈMES : OPPOSITION DU MASCULIN ET DU FÉMININ

Wernicke :
L’aphasique de Wernicke perd la différenciation lexicale en valeurs oppositives. Il se laisse piéger par les GEI construites autour de l’homophonie :

le front / la frond ; le timbre / la timbre ; le soif / la fleuve
la chambre / le chambre
le chanvre

L’aphasique de Wernicke perd la différenciation lexicale en valeurs oppositives. Il se laisse piéger par les GEI construites autour de l’allomorphisme :

le gentit / la gentite
le conducteur / la conducteuse / la conducteure / la conductrice

Broca :

L’aphasique de Broca ne se laisse pas prendre aux pièges de l’homophonie. Il ne crée pas de néologismes ou de pseudo items lexicaux :

le front / la.... - timbre - fleuve / soif
front / affront - le timbre - le fleuve / la soif

L’aphasique de Broca ne se laisse pas prendre par les pièges de l’allomorphisme :

chambre
la chambre
le gentil / la gentile
le gentil / la gentille
le conducteur / la conducteure / la conducteurice / la conducteuse

Dans les cas de mots complexes, tels « conductrice ». « impératrice », etc., il produit parfois les mêmes déviations que l’aphasique de Wernicke, mais le raisonnement est différent. L’aphasique de Wernicke énumère chaque essai et choisit celui qui lui semble le plus acceptable : « la conducteuse ? ou la conducteure ? ... On peut dire aussi conductrice ! ». L’aphasique de Broca procède autrement : il produit d’abord le radical « conduct » puis il tente de combiner les suffixes : « conduct’..Ieuse...concluct’ teus’e, non… conduct’..ice, ah !... conduct’..trice ! conduct’ trice ». Dans le cas des aphasiques de Broca, c’est l’agglutination de deux « monèmes » qui pose problème, conduct+eur, ou conduct+euse.

FRAGMENTS DE MOT

Broca  :
L’aphasique de Broca perd la segmentation textuelle en unités contrastables. Il se laisse piéger par les pièges de l’imbrication :

Forêt / le forêt /
la forêt
le / la voleur / voleuse
un / une volant / volante/
son / sa
ce / cette

Dans la même séquence phonologique, /forε/, on a deux valeurs cumulées, la valeur du lexème et celle du genre. L’aphasique de Broca, lorsque le trouble est important, ne peut traiter que le seul lexème, et la notion de genre devient alors aléatoire. De même, dans la séquence /sa/, on trouve à la fois une valeur « possessif », une valeur « nombre » et une valeur « genre ». L’aphasique de Broca ne traite qu’une seule de ces valeurs à la fois et néglige les autres. Le même constat est possible pour les suffixes.

À une seule séquence phonologique porteuse d’une valeur, ou de plusieurs valeurs en cas d’imbrication, l’aphasique de Broca fait correspondre une adhérence pathologique entre l’unité de la séquence phonologique et l’unité formelle analysable.

L’aphasique de Broca perd la segmentation textuelle en unités contrastables. Il se laisse piéger par les pièges de la discontinuité :

pour / la / ling / erie
conduct l euse
vol / euse

Chaque séquence phonologique porteuse d’une valeur lexicale constitue un effort isolé. Le malade est contraint d’additionner des valeurs que rien ne solidarise plus en lui. C’est la substitution qui fait le découpage des formes complexes : « voleuse » ne constitue un complexe de valeurs multiples que si le Broca peut l’opposer à « voleur ». L’aphasique de Broca réalise un groupement de valeurs lexicales. Il combine des « monèmes » précisément parce qu’il a perdu la forme du MOT.

Wernicke  :
le forêt
le forêt ou la forêt ?
le forêt et la forêt, les deux !

L’aphasique de Wernicke, même dans les cas de jargon, fait toujours le choix groupé d’un lexème et d’un déterminant. Mais alors que subsiste le choix groupé, le malade est incertain sur le choix du masculin ou du féminin. L’aphasique de Wernicke ne se laisse pas prendre par les pièges de l’imbrication.

pour la lingerie l avec… dans... la ... lingère

L’aphasique de Wernicke, lorsqu’il doit répéter ou écrire ou corriger tout un mot, manifeste des erreurs sur le choix de tel ou tel item, mais il reste capable de produire un ensemble nominal ou un ensemble verbal. Il ne se laisse pas prendre par les pièges de la discontinuité.

Le genre constitue une valeur textuelle, un partiel de MOT. Il se trouve traité en même temps que d’autres valeurs dans le cadre d’une unité formelle, autonome, qui fait abstraction du nombre de séquences phonologiques qui le composent.

MORPHOLOGIE : VARIATION MORPHOLOGIQUE SANS DIF-FÉRENCIATION LEXICALE

Wernicke :
L’aphasique de Wernicke reste capable de faire varier les fragments de mot :
le poutre ou la poutre ? un poutre, une poutre ? une poutre, c’est la ! C’est quelque chose ! Il faut que je dise un ou une pour répondre la...
une voyelle / un voyou
une peinture l une peincette
il part / la partition
le dindon / la dindonne
le dindon / la dinette

Ce qui subsiste de fonctionnement morphologique c’est un principe de variation partielle. Mais les valeurs qui varient ne sont plus analysées du point de vue lexical.

Broca :
Poutre
la poutre
une voyelle / ... non !
il part / non !
le dindon / la dinde

L’aphasique de Broca ne se laisse pas piéger par les fausses variations. Il ne produit aucun néologisme. Mais il a du mal à déduire les formes qui demandent une variation morphologique. Cette difficulté augmente lorsque les mots sont peu familiers.

MORPHOLOGIE : VARIATION MORPHOLOGIQUE SANS DIF-FÉRENCIATION DES PARADIGMES

Wernicke :
il ment / elle mente
la colombe : la colombage
la froide / le froideur
il fuit / elle fuite

L’aphasique de Wernicke se laisse piéger par les fausses proportions constitutives Ies pièges qu’on lui propose. Il n’oppose plus les différents paradigmes entre eux. Tout varie avec tout. Le verbe se masculinise ou se féminise.

Broca  :
il ment / elle ment
froide : froideur
il fuit / /elle fuit

L’aphasique de Broca se laisse piéger par les fausses combinaisons, celles qui ne tiennent pas compte de la solidarité des fragments de mot (le mon menuisier ; il un mange) mais il n’est pas sensible aux pièges du Wernicke. Il ne se laisse pas entraîner par de fausses variations.

SYNTAXE : ENCHAÎNEMENT DE MOTS SANS CONTRAINTE SYNTAXIQUE

Wernicke  :
le jardin, il la beche
la porte / le manteau / la porte-manteau
elle arrive qu’elle crie

L’aphasique de Wernicke n’assure une cohérence qu’à l’intérieur d’un mot. Il enchaîne des mots, mais ces mots varient selon le contexte et non plus selon des contraintes syntaxiques. Ces contraintes supposent qu’on maintienne, le même sème sur plusieurs mots et c’est ce que ne peut plus faire, précisément, l’aphasique de Wernicke.

Les aphasiques de Broca testés ne sont pas accessibles à ce type de test, ou, lorsqu’ils le sont, ils ne font aucune erreur.

SYNTAXE : REDONDANCE DU GENRE SANS SEGMENTATION TEXTUELLE

Broca :
La bouchère est consciencieuse la / une / elle

L’aphasique de Broca reste capable de marquer sur plusieurs endroits de l’énoncé le même sème, masculin ou féminin. Mais les marques verbales ou nominales sont indifféremment produites parce que ce type de malades n’analyse plus en mots, en unités contrastables.

Les aphasiques de Wernicke ne produisent jamais de telles erreurs.

MORPHOLOGIE : SUBSTITUTION DE SÈMES SANS CONTRAINTES MORPHOLOGIQUES

Broca  :
la serv-i-ante / la serv-i-euse / la serv-i-ette
la couv-r-euse / le couv-r-eur / la couv-ert-ure / le re-couv-r-e-ment
la don-at-ion / le don-at-eur / don-able

L’aphasique de Broca reste capable de substitution lexicale. Il oppose sans difficulté aucune les sèmes lorsque ceux-ci correspondent à des séquences phonologiques simples. Mais dans le cas de formes fléchies ou dérivées, les difficultés sont plus nombreuses. Le malade est très exigeant, mais il ne sait avec combien de séquences il doit réaliser l’item recherché. C’est le nombre d’items qui doivent varier simultanément qui devient aléatoire ; le malade ne fait varier qu’une séquence phonologique à la fois, sans tenir compte des contraintes morpho-logiques.

Wernicke  :
le recouvrement
le couvrement
la recouverture
la couverture
la couvure

L’aphasique de Wernicke n’est pas gêné par le nombre d’éléments à faire varier simultanément ; mais il ne maîtrise pas la valeur lexicale de ce qu’il fait varier et produit alors des néologismes.

***

Cette étude est encore insuffisante parce qu’elle ne porte que sur seize malades et qu’elle est loin d’avoir exploité toutes les possibilités « grammaticales » du genre. Toutefois, elle permet de montrer que les valeurs perdues par chaque type d’aphasie sont différentes et que l’étude clinique des troubles du langage fournit un terrain d’expérimentation privilégié.

De plus, nous n’avons pas abordé les conséquences « sémantiques » des troubles grammaticaux envisagés.

Passer du simple constat de la déviance des énoncés aphasiques à la mise à l’épreuve des processus logiques dont les malades les déduisent permet au linguiste clinicien d’expérimenter la formalisation implicite qui sous-tend nos stratégies de locuteurs.

Un manque d’analyse logique conduit en effet l’aphasique à adhérer aux circonstances des tests (les Grammaires Elémentaires Induites) dont les pièges spécifient non des raisonnements en eux-mêmes déficients mais plutôt une problématique pathologiquement remaniée, le processus disparu se trouvant structuralement compensé par les processus demeurés intacts.

Cet « ailleurs » logique n’en est pas moins repérable et expérimentable. La forme s’inscrit dans des rapports de marques qui dénotent de la VALEUR, au sens saussurien du terme. Et c’est bien à la réalité de cette « autre scène », grammaticale celle-là, que renvoie la réflexion pertinente de cet aphasique : « Excusez-moi, mais les mots arrivent à se tromper ! ».

Bibliographie

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Notes

[1Pour une étude glossologique des concepts d’homophonie, d’allomorphisme, d’imbrication et de discontinuité, voir URIEN J.-Y. (1984), « Marque et immanence dans la théorie du signe », Tétralogiques, 1, p.7-32.

[2[[À la fin de ce même article, le lecteur trouvera un résumé des concepts et des propositions cliniques].

[3Voir aussi : Duval-Gombert, A. (1985), « Quelles alexies-agraphies ? », Tétralogiques, 2, p. 115-152. Pour les concepts d’homophonie et d’allomorphisme, voir Urien, J.-Y. (1984), op.cit.

[4[[Dans des formulations ultérieures, au concept de MOT sera préféré celui de SEGMENT].

[5 Cf. Velly D. (1984), « L’anaphore : relation syntaxique ? », Tétralogiques, 1, p.129 ; Hériau M. (1984), « Verbe impersonnel et transitivités », Tétralogiques, 1, p.95.

[6Duval-Gombert, A. (1976), op.cit., p.84 et suivantes.


Pour citer l'article

Hubert Guyard« La matérialisation de l’analyse. Perte du sème et perte du mot dans l’aphasie de Broca et dans l’aphasie de Wernicke (1987) », in Tétralogiques, N°19, La conception du langage et des aphasies. La contribution de Hubert Guyard.

URL : https://www.tetralogiques.fr/spip.php?article146