Muriel Gazzola
Assistante sociale, chargée de mission PDALHPD (plan départemental d’actions pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées). aymurie chez gmail.com
Ceux qui nous lient. Patrimoine et héritage chez les Voyageurs
Résumé / Abstract
À partir de témoignages de manush sur la question de la transmission et d’un travail effectué dans le cadre d’un mémoire de recherche en master ingénierie sociale, cet article interroge la distinction à effectuer ou non entre patrimoine et processus de patrimonialisation.
Mots-clés
famille | manush | patrimoine | transmission |
« Si l’on ne transmet pas, la vie s’arrête. Ce qui m’a été transmis c’est une façon de vivre » tel est le propos de Jimmy [1], manush [2], qui vit en Charente, où sa famille est installée depuis 1870.
Être un Voyageur ! Tous ceux que j’ai rencontrés sont imprégnés, depuis leur plus jeune âge de ce mode de vie spécifique qui constitue leur identité, garant de la continuité de celle-ci par delà les générations. Malgré les obstacles [3] auxquels elle a dû faire face de tout temps, cette société minoritaire a su se maintenir jusqu’à aujourd’hui. Leur mode de vie, caractérisé par la famille (élargie), l’oralité favorisant la transmission directe, est au fondement d’une façon d’être au monde particulière qu’ils revendiquent comme leur patrimoine. « C’est dans notre culture, [...] on vit en famille, en clan très soudé, si on n’a pas ça, on n’a pas lieu d’exister. […] Qu’est-ce qui fait notre force ? C’est d’être ensemble. Qu’est-ce qui nous a permis d’arriver jusqu’à maintenant ? C’est comme ça qu’on a survécu », dit aussi Marcel, un autre manush.
Mais depuis la fin des années 90, les évolutions réglementaires [4] de la société française provoquent, au sein de leur organisation sociale, des changements qui tendent à modifier ce mode de vie et peuvent à terme présenter un risque pour la pérennité de leur culture et du patrimoine qu’elle constitue tout au moins pour certains d’entre eux. C’est le constat que j’ai pu faire lors d’un travail de recherche [5] sur l’habitat des gens du voyage, mais aussi dans le cadre de mon activité professionnelle en tant que chargée de mission PDALHPD (plan départemental d’actions pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées).
1 Mode de vie et organisation sociale : portraits de Voyageurs
Lami, Sinti piémontais, soixante et onze ans, est issu d’une famille de circassiens, et lui-même a exercé cette activité dans sa jeunesse ; elle se déroulait durant les mois d’été. Ils vivaient alors dans des roulottes à cheval, des « verdines » précise-t-il. Le restant de l’année, il travaillait avec son père et ses frères sur les docks en Bretagne. Puis ses frères et sœurs se sont mariés, les conjoints n’étant pas du cirque, la famille s’est dispersée et l’activité s’est arrêtée. Par « marié », par rapport à la loi française, il faut entendre vie commune. Le mariage [6] n’est pas légalisé par un office civil, il est en principe à vie et l’engagement passe par la parole donnée. Il évoque avec nostalgie cette période où ils étaient tous ensemble. Lami est marié à Rosie, ensemble ils ont six enfants et trente-cinq petits-enfants (« n’en jetez plus, la cour est pleine », dit-il avec bonheur). Pour lui, la transmission va de soi : « il y a deux/trois générations sous le même toit, donc c’est sûr que ça va passer ». Il y a vingt trois ans, il a acquis un terrain qui n’est pas constructible et sur lequel il a installé un cabanon... démontable qu’il occupe avec sa femme. La parcelle est délimitée afin que chacun dispose d’un espace privatif. En effet, sur ses six enfants, quatre sont locataires d’une maison en ville mais deux vivent en caravane avec leurs familles respectives sur ce terrain... familial. Lami est rempailleur, affûteur, élagueur, musicien et peut exercer bien d’autres petits métiers transmis par son père et qu’il transmet à son tour à ses enfants et petits-enfants. Mais il se désole, notamment pour ses fils qui trouvent difficilement du travail, alors que comme il dit, « avoir plusieurs cordes à son arc c’est ce qui permet de se débrouiller ». C’est d’ailleurs cette polyvalence et cette capacité d’adaptation qui lui permettent de pouvoir trouver du travail et donc de pouvoir ramener de l’argent, sous-entendu de jouer son rôle de père. Pour lui, il est important de continuer à transmettre son mode de vie et sa culture. Lami ne voyage plus et ne possède plus de caravane mais dit malgré cela qu’il songe parfois à reprendre la route. Le voyage est toujours mis en avant, même si les Voyageurs ne voyagent pas, peu ou plus. Et s’il ne définit pas leur identité, il est cependant marqueur d’une identité culturelle. Le voyage est induit par les événements familiaux et les pratiques religieuses, mais il est avant tout lié à l’activité économique : on se déplaçait au gré des opportunités de travail. Afin de répondre à ce besoin, le territoire parcouru pouvait parfois être vaste [7].
Sophie et Charlie approchent la soixantaine. Sophie est manush et Charlie est gitan [8]. Ils ont toujours voyagé pour travailler, tant qu’ils ont pu : « été comme hiver on était sur la route, là où le vent nous poussait ». Charlie est allé à l’école jusqu’à treize ans puis il a travaillé avec son père. Le couple est propriétaire d’une maison depuis près de vingt ans, ils en étaient auparavant locataires et viennent d’acquérir le terrain qui jouxte le leur afin de faire un agrandissement. Être propriétaire est une sécurité et leur permet de pouvoir être tous ensemble. Autour du bâti qui comprend une pièce de vie et des sanitaires, sont installées les caravanes (la leur et celles de leurs enfants). La maison est un lieu de vie en journée et sert essentiellement pour cuisiner et/ou prendre les repas à l’abri. Il y a treize personnes en tout qui vivent sur le terrain, trois générations qui se côtoient au quotidien. Un des fils est locataire d’un logement afin d’avoir plus de confort, cependant il est quotidiennement au domicile de ses parents. Il a d’ailleurs gardé sa caravane, au cas où. Sophie et Charlie ne peuvent bénéficier d’aides financières pour réhabiliter le bâti, car le terrain est non-constructible. Mais le principal est bien pour eux de pouvoir être tous ensemble comme le dit Sophie (« se couper de la famille, ça non, non, non »), de pouvoir partir et revenir comme ils le souhaitent.
Jimmy et Suzie ont une trentaine d’années, ils sont mariés depuis deux mois. Ils sont tous deux manush. Ils sont fiers d’annoncer qu’ils seront, dans quelques mois, parents à leur tour. Construire une famille, assurer la continuité est essentiel pour eux. Il est à noter que lorsque Jimmy parle de l’avenir, c’est à un fils qu’il fait référence. Ce qu’il sait, il l’a lui-même appris de son père, son grand-père et c’est ainsi depuis toujours. Transmettre de père en fils s’inscrit dans l’ordre des choses. Jimmy a pris le statut d’auto-entrepreneur [9] et exerce avec deux de ses frères dans plusieurs corps de métiers : peinture, élagage, ferraillage, maçonnerie, menuiserie, etc. Suzie s’occupe du foyer, de l’administratif, des relations avec l’extérieur. Au moment de notre rencontre, le couple s’apprête à partir dans la famille de Suzie. Jimmy précise qu’ils seront en alternance sur le terrain de ses parents [10] en Charente et chez les parents de sa femme en Haute-Savoie. Ils ne désirent pas s’installer en maison et veulent continuer à vivre en caravane et au mieux acheter un terrain. Ils souhaitent conserver leur mode de vie et le transmettre à leurs enfants.
Chez les Voyageurs, la famille ne se limite pas au noyau parents-enfants mais rassemble des membres en plus grand nombre constituant un groupe uni par un lien de parenté qui vivent à proximité les uns des autres et/ou se réunissent quotidiennement. La plupart du temps il s’agit des parents, enfants, petits-enfants, frères, sœurs, cousin(e)(s). Cette famille élargie représente le principal lieu valorisé d’éducation et de solidarité. C’est le socle, qui s’apparente à un clan [11] tel que le définit l’ethnologie, c’est grâce à elle que l’on subsiste. La famille est au centre de l’organisation sociale et présente l’avantage d’une solidarité qui fait que les membres ne se retrouvent pas livrés à eux-mêmes, les charges sont partagées. Assumant le vieillissement, le handicap, la famille est une ressource essentielle au maintien du groupe. Comme le souligne Camille Duranteau, « tous constituent une toile de relations qui induit des obligations et la façon d’agir de chacun vis-à-vis de l’autre et du groupe » [12]. Mais cette solidarité oblige au sens où elle rend redevable.
Au sein de la famille, chacun a son rôle. L’entretien de la maison, des enfants, les relations avec les administrations, l’accès aux droits sont du ressort des femmes. Les soins portés aux enfants, aux malades, les services rendus, autant de prises en charge d’autrui, de responsabilités qui représentent ce que Jean Gagnepain nomme déjà le principe de métier. On peut dire que le rôle des femmes est vécu comme un métier, transmis comme un héritage aux filles. Les Voyageuses disent : « chez nous, le rôle du mari, c’est de revenir avec de l’argent, celui de la femme de s’occuper de la maison et des enfants ». Les hommes sont chargés de pourvoir aux besoins de la famille et montrent la voie à suivre. Travailler, ramener l’argent, c’est le rôle des hommes, des pères. L’enjeu est de donner « les moyens de la débrouille » comme ils disent, au jour le jour, en tout lieu, en tout temps pour permettre la permanence du groupe familial. Le travail est rendu possible par le voyage. À ce propos, Jean-Baptiste Humeau désigne le groupe familial comme étant « la base de l’économie […] dans la mesure où elles [les familles] peuvent mobiliser pendant une courte période une capacité importante de travail familial au regard des besoins de subsistance du groupe. Le travail des enfants s’inscrit dans cette logique. […] La polyvalence interne à la famille constitue une autre base des capacités à mettre en œuvre les solutions économiques à la survie » [13]. Toutes les familles rencontrées ont mis en avant cette dimension faisant référence à l’importance de la transmission et de l’apprentissage au contact des adultes par mimétisme et ce dès le plus jeune âge. Pour Lami, cela va de soi : « Ce que mes parents, grand parents m’ont transmis, c’est de pouvoir se débrouiller tout le temps. Moi, vous me lâchez dans la nature, à 6 ou 700 kilomètres, si j’ai rien je vais aller chiner, attention, chiner ce n’est pas mendier, je connais l’art de faire les choses. Tout ce que j’ai appris de mes parents, je le transmets ». Les garçons s’identifient à cette figure paternelle qui les encourage à poursuivre dans cette voie : « On les encourage à faire des choses. » Comme j’ai pu souvent l’entendre dans la bouche des Voyageurs : « les enfants sont rois », ils ont une place centrale. Le mode de vie leur est transmis, au fil de l’eau, toujours de façon bienveillante. Les petites filles aident leur mère et participent aux tâches ménagères, les garçons suivent leur père dans ses activités. Le fils observe son père qui l’encourage à l’aider, à faire comme lui, mais surtout qui l’accompagne dans ses gestes. L’apprentissage se fait en douceur et dans la confiance, Lami en est convaincu : « Si on sait travailler mais que l’on n’a pas ce bout de papier vous n’êtes pas considérés, donc on est obligé de vivre avec son temps, mais moi derrière, je transmets quand même des trucs, je suis toujours là derrière, ne vous inquiétez pas. Moi je dis : prends courage mon p’tit et sois sûr de toi, prends la maîtrise et aie confiance en toi, vas y mon p’tit. Un père, … un père doit s’occuper de ses enfants ».
Transmettre ne consiste pas en un simple passage de témoin à un autre et refuser cet héritage chez les Voyageurs semble impossible sans sentiment de trahison, sans « n’être plus »... un Voyageur. « On fait toujours partie des Voyageurs, sinon on n’existe pas. On a une place au sein d’un groupe duquel on est dépendant. [...] La force du groupe c’est l’obligation à être dans le groupe, le respect du code et des conventions. On ne peut pas ne pas y être. Tu n’existes que si tu es là. Si tu n’es pas dans le groupe, tu n’existes pas », tels sont les propos d’un intervenant d’un centre social spécialisé. Ainsi, chez les Voyageurs, la question du lien, de l’appartenance au groupe est prégnante et celle de la dette symbolique y est inscrite en filigrane. Accepter le legs et le transmettre à son tour pour ne pas rompre le lien semble évident voire inévitable étant donné la nature de celui-ci. C’est peut-être ce qui leur fait dire, « on est Voyageur, c’est comme ça, c’est dans le sang ». La culture se transmet, se construit, modélise notre rapport au monde et fait l’objet d’apprentissage notamment par l’imitation. Cette dimension est forte chez les Voyageurs, nous l’avons vu notamment dans la transmission du métier. Elle permet de se reconnaître, de s’inscrire dans une histoire, une mémoire faisant lien entre les générations. Tous sont fiers d’être Voyageur et l’expriment avec force. Pour Nicolas, dix huit ans, petit-fils de Sophie qui vit sur le terrain familial, il n’y a pas l’ombre d’un doute : « Je suis fier d’être un Voyageur, j’ai été élevé d’une façon et j’aimerais que mes enfants vivent comme moi. Et élever mes enfants, plus tard, comme moi-même j’ai été élevé ».
2 Patrimoine, patrimonialisation, un sens autre
Les Voyageurs ont un rapport à la propriété différent de celui des Sédentaires (les gadjé au singulier gadjo, les non-Voyageurs). Lami déclare : « nous, on n’aime pas trop s’attacher aux choses, on n’est pas très attaché à la terre » et Audrey (Voyageuse, locataire d’une maison) : « à la mort de mon grand-père, il avait une petite maison, on l’a écroulée, chez nous c’est un respect. On peut garder un petit truc, mais pas quelque chose qui a servi. […] On peut pas vivre là où il y a eu un décès [...] Quand il y a un décès chez nous on garde pas, on brûle tout, même ça qui l’a touché on veut pas, il faut se débarrasser de tout. […] On garde rien de la personne décédée. On a tout mis à la presse, la caravane était à crédit mais chez nous ça se fait. On garde rien, les souvenirs restent dans le cœur ». En règle générale, en cas de décès la caravane et les affaires du défunt sont brûlées. Autrefois, la caravane était brûlée de manière systématique. Aujourd’hui, cette pratique tend à disparaître [14], on emmène la caravane chez le ferrailleur ou on la revend… mais uniquement à un gadjo. L’argent qui sera récolté servira principalement pour le caveau. Dans tous les cas, aucun des membres du groupe n’en hérite. « La notion d’héritage est une notion de gadjé. À l’origine, on brûle tout, les possessions de X on les brûle, il n’y a rien à hériter. […] Il n’y a pas de transmission du patrimoine donc pas d’enrichissement » (Intervenant social).
Lorsque l’on pense héritage c’est en premier lieu aux biens matériels auxquels on fait, bien souvent, référence. L’héritage étant défini [15] comme « le patrimoine laissé par une personne à son décès et recueilli par voie de succession », en d’autres termes ce qui est transmis par les générations précédentes et qui subsiste de par la transmission. Ainsi en héritant, on reçoit et on prend possession de ces biens qui seront conservés et transmis à leur tour ou non. Le patrimoine, quant à lui - et d’un point de vue juridique - représente l’ensemble des biens sur lesquels il est possible de faire valoir un titre de propriété ou un droit. Or à travers les témoignages de ces Voyageurs, de générations différentes, on s’aperçoit que pour eux, le patrimoine, principalement constitué d’usages, est d’une nature autre, il ne relève pas du matériel et/ou de l’économique. Le patrimoine prend corps dans le social, dans l’interaction. Ce qui est transmis c’est un ensemble de pratiques qui, pour eux, sont essentielles pour perdurer. Ils héritent d’une organisation sociale dont la famille et son respect en constituent le centre. Comme cela a déjà été montré plus haut, faire partie de la famille c’est faire partie d’un clan dans lequel les liens et obligations sont très forts. La transmission s’instaure principalement dans la sphère familiale. Elle est renforcée par l’oralité qui instaure la relation directe, qui unit, voire scelle le lien entre les légateurs et les héritiers. C’est ce qui ressort des propos de Jimmy lorsqu’il dit : « quand on n’a pas l’écrit et que l’on a que l’oralité, on est obligé de transmettre ce que l’on a. On est obligé d’être en lien et dans l’échange avec l’autre et là forcément il y a une relation, et quand il y a relation il y a transmission. Ce n’est pas de l’automatisme, on ne se dit pas “tient ce matin je vais apprendre à travailler à mon fils et après je vais lui apprendre l’histoire de sa famille”. C’est quand on part travailler que l’on parle, que l’on échange et le lien et la transmission se fait de façon innée, naturelle ». C’est fort de la nature de ce lien lors de la transmission, que le fils devenu père transmettra à son tour à son fils, de la même manière que son père l’aura fait, retrouvant et renouvelant la force du lien. Ainsi, la relation, au cœur de la transmission paternelle favorise au-delà de l’apprentissage d’un savoir-faire, la reproduction d’un mode de vie. Cet échange, c’est du lien qui relie et attache au passé. Ce n’est donc pas tant la nature du patrimoine (matériel ou immatériel) qui importe mais la nature et la valeur du lien entre le légateur et les héritiers qui articulent les générations entre elles et permettent ainsi la continuité. Les fils sont implicitement désignés par leur père comme successeurs. Jimmy en témoigne ainsi : « Ce qui m’a été transmis, je le transmettrai à mon fils. D’une certaine façon, si on le transmet pas, si mon père ne m’avait pas transmis ce qu’il m’a transmis eh bien peut-être que je me serais marié d’une autre façon, mais quelque part il y aurait eu quelque chose de moi qui serait mort. C’est en même temps, la sauvegarde de notre culture et la sauvegarde de notre identité. La transmission c’est simplement un besoin de vivre, on apprend pas à notre fils à travailler pour qu’il travaille mais simplement pour qu’il puisse vivre et souvent on cherche pas le meilleur métier qui sera le sien mais on lui donne celui qu’on a et qu’on est sur qu’on va pouvoir gagner de quoi manger et ce qui nous faut pour vivre ». Les héritiers en devenant légateurs à leur tour, s’inscrivent dans l’histoire familiale, en deviennent les maillons. En d’autres termes, ils se trouvent dans une réciprocité de l’échange, dans un mouvement sans fin de don/contre-don. Donner, recevoir, rendre, relient les uns avec les autres sur au moins trois générations. L’obligation de rendre, le paiement d’une dette symbolique, s’expriment tout aussi bien dans la transmission directe du métier par les pères que dans la prise en charge des plus âgés, des handicapés, qui chez les Voyageurs, n’est pas déléguée à autrui, hors du groupe familial, les femmes en assumant pleinement la charge. Malgré le silence apparent des femmes sur la question de la transmission tout au long de mes rencontres et échanges, il n’en demeure pas moins qu’elles y contribuent, qu’elles en sont un maillon. Comme le souligne Audrey qui est locataire d’un logement : « les femmes, c’est un vrai métier, la maison et les enfants. Pour les hommes, c’est plus difficile, pour leurs places, quoi qu’il trouve pour faire un métier, il (son mari) arrivera jamais à savoir travailler comme les gadjé, nous on vit au jour le jour. Il faut toujours être prêt pour la famille. […] C’est dans l’ordre des choses, c’est normal. Les filles, on a été élevées comme ça. Les filles on aide nos mamans, ma fille elle fait comme moi. »
Aujourd’hui la plupart des Voyageurs rencontrés tentent de suivre les traditions. Et s’ils peuvent dire que cela n’est pas toujours facile, pour eux, le respect des anciens est toutefois une évidence qui s’impose. Il s’agit une valeur très prégnante, fréquemment évoquée, qui trouve sa place partout dans les actes de la vie quotidienne : on ne fume pas devant les anciens [16], on ne se bécote pas en public, on ne coupe pas la parole du père lorsqu’il est en train de parler, on ne parle pas sur la tête des morts, etc. Le respect, celui des anciens, de la famille, du père, est une valeur qu’il est important de transmettre. Les pratiques liées à la mort en sont témoins. Pour exemple, les terrains jouxtant la propriété des parents de Jimmy, laissés en l’état comme à l’abandon, mais des lieux conservés témoins d’une vie passée : « C’est la maison de mes arrières grands-parents, mais du coup quand ils sont morts, les enfants ont laissé le terrain comme ça, plus personne n’y va, plus personne ne s’en sert. C’est une question de respect. » Le respect renvoie ici au caractère sacré, quasi-tabou de la mort, les propos de Jimmy l’illustre bien : « on ne transmet rien de matériel, même si ça dépend des familles [...]. Y’avait une histoire à transmettre, y’avait des biens pour certains mais avant on gardait pas parce qu’il ne fallait pas profaner, c’est quelque chose à respecter. Les gens brûlaient car c’était une tradition ancienne, les gens brûlaient les choses mais pas simplement pour que personne s’en serve, pour pas que ça tombe entre des mains qui pourraient profaner. Du coup ça devenait quelque chose de sacré. C’était sacré, c’était aussi l’identité de la personne, ses affaires, on les brûlait ou après on les détruisait auprès du ferrailleur, mais maintenant c’est difficile de brûler une maison, d’autant que l’on a pu mettre beaucoup d’argent dedans, alors certains les revendent, ou certains les laissent ». En écho aux travaux de Pierre-Yves Balut [17] il est possible de dire que chez les Voyageurs, le lien est préservé à la fois par la conservation des traditions mais aussi par la destruction des biens. Ce qui est transmis fait appel à la mémoire, aux souvenirs, met en jeu le lien familial et participe à la construction de l’identité. Ce sont autant de gestes, de codes conservés du passé qui continuent à vivre dans le présent et qui rattachent à ceux du passé. À travers la volonté de certains Voyageurs à faire en sorte que perdure leur mode d’existence il est possible de percevoir la force du lien.
Chez tous les Voyageurs rencontrés, le discours est le même : « ce qu’on hérite, c’est un mode de vie ». Le patrimoine principalement constitué d’usages est social, sa transmission s’effectue de façon directe, sans intermédiaire, ou avec peu de délégation. Ce qui est conservé ou qui tente d’être conservé afin d’être transmis, ce sont des relations, une organisation sociale. Chez les Voyageurs, ce qui subsiste des générations précédentes, mis à part les caveaux, ne relève pas du domaine des biens matériels. Mais si ces derniers ne sont pas conservés, transmis, cela n’implique pas pour autant une absence d’héritage et/ou une rupture dans la continuité des générations. De même, le refus de l’héritage et la rupture pourraient apparaître comme une évidence pour les Voyageurs qui abandonnent ou sont contraints d’abandonner la caravane afin de pouvoir accéder à de meilleures conditions d’existence, or il n’en est rien. L’acceptation de cet héritage semble être inévitable, comme si la non-transmission du matériel venait en renforcer l’appropriation et l’acceptation. Ce qui subsiste c’est un mode de vie qui permet la persistance de la communauté familiale, dans une chaîne ininterrompue de transmission.
3 Les transformations du processus patrimonial
Aujourd’hui, tout ce que la modernité provoque comme changements (tout ce qui a trait à l’école, au travail, à l’habitat) entraîne la difficulté de maintenir le mode de vie traditionnel, et fait peser des risques importants sur la patrimonialisation et donc sur la subsistance de cette culture. Cette dernière est menacée de disparition, les Voyageurs le perçoivent.
Le voyage participait de l’identité culturelle et de son maintien : « quand on voyageait, y avait la transmission, ça circulait, les enfants faisaient ce que leurs parents faisaient » (Lami) mais aujourd’hui il est rendu difficile voire impossible pour certains. Aussi lorsque j’ai demandé à Lami comment ses enfants transmettaient la culture, c’est de manière attristée qu’il a indiqué des modifications dans les comportements : « mon fils, ses enfants sont déjà plus les mêmes, mais c’est une lame à double tranchant. Mon fils y voyage plus, plus rien. Ses enfants vont à l’école, d’autres vont au collège mais il arrive plus à les tenir, les filles comme les garçons. Ils [les enfants] parlent comme les gadjé. Ça se modifie, ça nous fait drôle, ils ont plus le même comportement. Ils sont plus dans l’ambiance gitane, ça les coupe. Ils [ne] sont plus dans le vent. Les Voyageurs d’ici vingt ans ça sera plus les mêmes. […] Chez les Voyageurs tout est basé sur le respect de la famille, ça si ça s’en va s’est terminé. Le respect c’est ça le plus important. » C’est aussi le discours de Charlie qui se désole de voir que « maintenant les jeunes cherchent le travail comme les gadjé, [alors qu’]avant ils faisaient le travail du père, c’était comme cela chez nous. Le fait que les jeunes vont à l’école avec les gadjé, ça a changé pour nous. […] Le collège, nous on le veut pas pour les enfants, parce qu’à 13 ans c’est là qu’ils apprennent le métier, c’est nous qu’on leur apprend un métier. […] le métier se transmet de père en fils, de génération en génération. Les enfants apprennent des parents, on apprend sur le tas ». Enfin s’il est important pour Jimmy d’être scolarisé, la délégation s’envisage toutefois difficilement après l’école primaire : « Le collège c’est l’âge où l’on part travailler. Douze, quatorze, quinze ans c’est là où on va travailler avec le père et si on va à l’école on apprend quelque chose qui est sûrement intéressant mais on perd quelque chose de notre identité. Les pères perdent une place, c’est aussi pour cela qu’il y a beaucoup de réticence à mettre les enfants au collège, peut-être que l’État français devrait repenser la période d’apprentissage du collège, car les éléments de la culture se fragmentent, s’étiolent ». Si l’école permet l’acquisition de savoirs de base, ce n’est pas elle qui apprend la débrouille, qui leur a permis jusqu’à présent de se maintenir. Les nouvelles réglementations que ce soit en matière de stationnement, de travail, rendent leurs compétences acquises par la transmission familiale insuffisantes. Aujourd’hui se situant dans un entre-deux, ils sont contraints de trouver d’autres manières d’exercer une activité économique mais aussi d’habiter. En effet, pour travailler, de plus en plus fréquemment, ils doivent justifier d’une certification, d’un diplôme. De surcroît s’ils doivent se séparer de la caravane, lors d’une entrée en logement, c’est la perspective du voyage et de tout ce qu’il sous-tend qui est abandonnée. De plus, les enfants ont par l’école accès à d’autres codes sociaux et culturels, à un autre modèle de référence, en l’occurrence celui des gadjé. Ce sont autant de facteurs qui remettent en question la contribution sociale des pères qui ne peut se réaliser, ou alors difficilement, dans le cadre de la production économique à laquelle ils participaient auparavant. Ces derniers se retrouvent, en quelque sorte, empêchés de contribuer, comme dépossédés de leurs responsabilités au sens de la prise en charge d’autrui. Tous les Voyageurs rencontrés évoquent, la plupart du temps avec nostalgie, cette période de l’avant réglementation [18]. Les transformations s’imposent à eux et on assiste à une redistribution des rôles des hommes et des femmes qui vient, à petits pas, modifier leur organisation sociale et familiale. Comme le souligne Antoine, propriétaire d’une maison, « avant quand on était sur les places [les aires d’accueil], on se disait si on entre en maison, on est foutu, je perds mon identité, j’avais peur. La maison, c’est ce qui nous divise. Avant on était ensemble, si on se séparait c’était pour se rejoindre. La sédentarisation, l’entrée en logement, ça été fini, plus de liens, la famille a été disloquée ». Mais perdre ce lien par une perte du mode de vie communautaire quotidien, implique de ne plus être un Voyageur. À terme, chacun chez-soi, contraint de vivre séparément comme délié des autres, transmettra alors une identité fantasmée dénuée de souvenirs vivants et il y aura forcément une perte.
À travers ces aspects, ce sont l’identité sociale et les responsabilités qui sont remises en question. Aussi, si on considère moins de possibilité d’habitat en caravane à plus d’habitat en logement cela donne moins de vie ensemble, en famille élargie. De même moins de possibilité de voyage donne moins d’activité économique et surtout moins de place pour les pères. Dans ce contexte, comment et par quels biais continuer à transmettre pour que la culture, les traditions et l’identité perdurent ?
L’écrit, mais aussi la vidéo, peu à peu, prennent le pas sur l’oralité, sur la relation directe. Aussi pour transmettre, l’interaction en face à face ne sera plus nécessaire. La forme des témoignages qui renseignent sur le passé et les ancêtres fait donc que la nature des liens se transforme. Ainsi le passage de l’oral à l’écrit est un autre élément qui interfère dans la transmission. Et si l’écrit peut être un plus, permettant d’apprendre sur les Tsiganes, de les faire reconnaître, c’est aussi du moins pour eux. En effet, d’une part, l’écrit qui n’est pas leur mode de transmission présente le risque d’effacer la relation de personne à personne, et d’autre part, ce sont d’autres qui parlent, plus ou moins, à leur place. La remarque de Lami : « c’est pas moi qui le fait, c’est les autres qui le font pour moi » [19] envisage l’écrit comme une sorte de dépossession de son histoire. L’introduction d’un intermédiaire peut en modifier le sens. Cela présente donc un risque supplémentaire si c’est par ce biais qu’à terme ils apprendront leur histoire. Ce qui est sûr c’est que l’intensité du lien lors de l’échange aura disparu. « Au départ c’est moi qui parle, mais après ils (les gadjé) remettent tout en ordre. Ils font un diagnostic c’est comme ça qu’on dit ? Mais la manière dont je vis sur le terrain, ça c’est l’apprentissage, ça c’est la transmission » (Lami). Ce qu’il vit et a vécu, ce qu’il a ressenti, ce qu’il aura voulu faire passer, qu’en restera-t-il quand il ne sera plus là ? Qu’est-ce qui perdurera ? Le lien avec les ancêtres sera-t-il altéré ?
Aussi, lorsque les canaux de transmission qui concourent à la construction des souvenirs et, par là même, à celle d’une identité, se modifient, comment préserver ce patrimoine ? Les centres sociaux qui interviennent auprès des Voyageurs tendent à faire reconnaître et valoriser l’histoire et la culture par la production littéraire, visuelle. La patrimonialisation de pratiques se transmettait jusqu’alors sans qu’il y ait besoin d’intervention, aussi cette démarche conforterait-elle l’idée d’une disparition ? Comme si toutes ces traces visibles, écrites ou visuelles, s’avéraient comme une nécessité pour ne pas oublier et sans doute pour s’inscrire dans une histoire. Si le social au fondement du mode vie des Voyageurs, que l’on pourrait considérer en soi comme leur patrimoine, ne peut-être conservé, c’est alors une identité culturelle qui deviendrait un patrimoine à conserver. Et si la mémoire d’une origine lointaine les situe dans le temps et dans l’histoire, elle souligne également la persistance de leur communauté à travers le temps, lorsque Jimmy dit : « je crois que le terme de manush veut dire homme libre et celui de gadjo veut dire esclave, attaché à la terre, comme le terme de paysan que les Voyageurs utilisaient et qui voulait dire le gadjé, attaché à la terre, mais aujourd’hui on devient un peu comme ça, de façon obligée », il me semble davantage témoigner des changements qui s’opèrent, notamment suite à l’arrêt du voyage que de ses racines. C’est semble-t-il avant tout de la place des hommes, des pères dont il est question. En même temps, quoi de plus logique lorsque l’on parle de patrimoine. Patrimoine, du latin patrimonium, signifiant « ce qui vient du père » — et que l’on transmettra à ses enfants —, ce terme prend ici tout son sens.
« Ce n’est pas le voyage qui fait le Voyageur, ce n’est pas la circulation, c’est autre chose. C’est la relation à la famille, au travail et puis la relation au voyage quand même qu’il soit présent ou fantasmé. Ce sont ces trois éléments, […] c’est bien une culture, tu es Voyageur parce que tu en hérites. » (intervenant d’un centre social)
À partir de ce propos et en guise de conclusion, nous pouvons dire que le patrimoine, chez les Voyageurs, a ceci de particulier qu’il n’est pas constitué de biens matériels mais d’usages. La famille élargie, mais aussi un ensemble de valeurs participant au maintien de la cohésion, la transmission directe du métier dans le cadre de l’oralité sont des éléments interdépendants qui ont un rôle indéniable dans le maintien dans le temps de cette société minoritaire. Dans ce contexte, la patrimonialisation s’effectue par la relation directe, de personne à personne. De surcroît et dans la mesure où le patrimoine est constitué d’une certaine structure sociale, sans intermédiaire et avec peu de délégation, le caractère direct de la relation peut être qualifié de patrimoine. Cela pose ainsi la question de la distinction à effectuer ou non entre patrimoine et processus de patrimonialisation.
Références bibliographiques
Balut, Pierre Yves, 1983, « Du patrimoine », Revue d’archéologie moderne et générale (RAMAGE), pp. 220-237.
Bizeuil, Daniel. 1989, Civiliser ou bannir, les nomades dans la société française, Paris, L’Harmattan.
Bizeuil, Daniel., 1993, Nomades en France. Proximités et clivages, Paris, L’Harmattan.
Bonte, Pierre et Izard, Michel, 1991, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF.
Lugrin, Lisa et Xavier Clément (dir.), 2012, Django Bandjo et autres histoires manouches, Angoulême, NA Éditions.
Dartiguenave, Jean-Yves, Dubois, Cécile, Le Coq, Sophie, Savina, Maïté, Quentel, Jean-Claude, 2013, Du patrimoine aux patrimoines : question d’héritages, rapport de recherche, Conseil Régional de Bretagne. Service de valorisation du patrimoine de la région Bretagne. Rennes 2 – CIAPHS.
Duranteau, Camille, 1999, La santé des gens du voyage. Approche sanitaire et sociale, Paris, L’Harmattan.
Humeau, Jean-Baptiste, 1995, Tsiganes en France, de l’assignation au droit d’habiter, Paris, L’Harmattan.
Le Bot, Jean-Michel, 2002, Aux fondements du lien social : introduction à une sociologie de la personne, Paris, L’Harmattan,
Le Bot, Jean-Michel, 2010, Le lien social et la Personne : pour une sociologie clinique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
Liegeois, Jean-Pierre, 1985, Tsiganes et voyageurs, Paris
Liegeois, Jean-Pierre, 2009, Roms et Tsiganes et voyageurs, Paris, Conseil de la coopération culturelle.
Mauss, Marcel, 2013, « Essai sur le don », in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, Quadrige.
Michalon, Clair, 1997, Différences culturelles, mode d’emploi, Paris, Sépia.
Michalon, Clair, 2002, Histoire de différences, différences d’histoire, Paris, L’Harmattan.
Robert, Christophe, 2007, Éternels étrangers de l’intérieur. Les groupes tsiganes en France, Paris, Desclée de Brouwer.
Tönnies, Ferdinand, 2010, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF, Le lien social.
Williams, Patrick, 1995, Nous on n’en parle pas. Les vivants et les morts chez les manouches, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme.
Williams, Patrick, 2011, « Une ethnologie des Tsiganes est-elle possible ? », L’Homme, 197/1, pp. 7-23.
Notes
[1] Il s’agit d’un prénom fictif, comme tous les prénoms qui apparaîtront dans cet article
[2] Voyageurs, gens du voyage, tsigane, manush (manouche en français), gitan, sinti, yéniches, plusieurs dénominations sont usitées selon qui en parle. Gens du voyage est un terme renvoyant à un statut administratif. Il fait référence aux populations dont la résidence permanente est mobile. Derrière cette dénomination, c’est en fait aux tsiganes dont il est fait référence qui en Charente où se situe l’observation donnant lieu à cet article, sont pour l’essentiel des manushs. Le mot manush vient du sanskrit et veut dire l’être humain, l’homme.
[3] En France, dés 1504, Louis XII fait interdire de séjour les nomades, puis en 1662 Colbert définit comme un délit le nomadisme, l’oisiveté et l’errance. En 1682, Louis XIV ordonne l’arrestation de tous ceux qui s’appellent Bohémiens ou Égyptiens. Les hommes sont envoyés aux galères, les femmes et les enfants à l’hospice. Ils seront poursuivis au XVIIIe siècle, en tant que vagabonds où dénommés gens sans aveu. Dans les années 1890, la chasse aux nomades atteint son apogée. Entre 1904 et 2018, bien que français ils seront soumis à un traitement d’exception (loi de 1912 qui instaure le carnet anthropométrique, loi de 1969 abrogée en 2017 pour le carnet de circulation) et seront considérés, pour reprendre les termes de Christophe Robert (2007) comme « les éternels étrangers de l’intérieur ». Par ailleurs, en Charente (terrain d’enquête) l’histoire de certaines familles est marquée par le camp d’internement des Alliers situé sur la commune d’Angoulême. Internées dés octobre 1940, les familles n’en furent libérées qu’en juin 1946.
[4] Je fais référence aux évolutions de la réglementation du travail, de l’obligation scolaire, de l’instauration du RMI, du stationnement – les aires d’accueil ou « places désignées » comme les Voyageurs les nomment - et aussi à l’évolution du marché du travail.
[5] Master 2 Sociologie, Spécialité professionnelle : « intervention sociale », parcours « Métiers d’Ingénierie de l’Action Sociale et Éducative », Rennes 2, 2017.
[6] Chez les manush, la coutume est le rapt. Les deux jeunes fuguent pour découcher en dehors des groupes familiaux. Ils reviennent au bout de quelques jours pour se faire accepter. Le mariage est un contrat social qui symbolise l’union et l’alliance, il donne un statut. Avoir des enfants permet de se situer sur l’échelle sociale, de devenir des adultes à part entière.
[7] Aujourd’hui, le voyage coûte cher et cela sans avoir la certitude de trouver du travail qui permettra de couvrir les besoins (journaliers ou presque) de la famille. Cependant, les déplacements peuvent encore être lointains voire fréquents, si l’état de santé d’un proche le nécessite ou en cas de deuil, la famille ça passe avant tout ! disent les Voyageurs. Paradoxalement, ceux qui voyagent le plus sont ceux qui ont un point d’ancrage fixe (terrain, maison) d’où ils peuvent aller et venir sans contrainte.
[8] Les Kalé ou gitan sont surtout localisés en Espagne, en France (Provence, Languedoc Roussillon), au Portugal et en Italie. Le mot Kalo veut dire noir et rappelle la déesse hindoue Kali. C’est d’ailleurs le nom donné à Sara, sainte vénérée par la communauté gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue. L’usage du mot gitan est quant lui dérivé du mot gispy en référence à l’Égypte, petite Égypte. Ils sont majoritairement sédentaires.
[9] Ce statut permet de pouvoir rester disponible pour la famille en cas de besoin.
[10] Les parents de Jimmy sont propriétaires depuis 1991 d’un terrain sur lequel ils ont construit, au fil du temps, une maison. Au départ il y avait une pièce de vie d’environ 15 m2 dans laquelle ils prenaient leur repas. Ils étaient dix en tout, les parents et huit enfants. Puis, d’autres pièces se sont ajoutées en fonction des besoins : un auvent pour que les enfants jouent à l’abri, une salle de bains, une chambre car l’état de santé du père le nécessitait. C’est ainsi que le bâti s’est transformé au fil des ans en maison jusqu’à devenir dans l’apparence un pavillon parmi d’autres dans un quartier résidentiel. Une famille fondue dans le paysage. À l’exception près que les enfants peuvent y installer leur caravane à l’arrière ce qui permet à la famille d’être réunie, d’être ensemble quoi qu’il arrive.
[11] « Le clan se fonde sur une perpétuité présumée et ses membres lui sont rattachés de façon permanente. L’appartenance à un clan entraîne une exigence interne de solidarité sociale qui se manifeste dans l’entraide, la participation à des cérémonies, le devoir de vengeance » Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Pierre Bonte et Michel Izard, Paris, PUF, 1991, p.152.
[12] In La santé des gens du voyage. Approche sanitaire et sociale, Paris, L’Harmattan, 1999. p.43
[13] In Tsiganes en France, de l’assignation au droit d’habiter, Paris, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 229.
[14] Pour des raisons économiques, mais aussi des changements de mode d’habitat, de l’entrée en logement.
[15] Centre National de Ressources Textuelles Lexicales, CNRTL
[16] Avant que l’on échange, Jimmy m’a indiqué qu’il allait d’abord aller fumer une cigarette… à l’écart. Son père et un autre homme discutaient à l’extérieur dans la cour et sa mère n’était pas loin. Devant mon étonnement, Suzie sa femme a précisé que chez les manush on ne fume pas devant une personne plus âgée, « c’est une question de respect, ses parents savent qu’il fume, ce n’est pas un problème mais il ne fumera pas devant eux, c’est par respect des anciens, ça ne se fait pas ». Lami a fait la même remarque à propos de ses enfants.
[17] « Du patrimoine », Revue d’archéologie moderne et générale (RAMAGE), 1983. pp 220-237.
[18] Réglementation liée au stationnement, à l’emploi ou encore l’instauration du RMI ou l’obligation de scolarisation.
[19] Si l’on fait référence au livre édité en 2012, Django Bandjo et autres histoires de manouches, réalisé dans le cadre d’un atelier organisé par le centre social, et dans lequel un chapitre est consacré à son histoire, son témoignage qui a été enregistré est retranscrit à l’identique. Cela souligne bien, l’importance donnée à la relation et à la nature du lien lors de la transmission.
Muriel Gazzola« Ceux qui nous lient. Patrimoine et héritage chez les Voyageurs », in Tétralogiques, N°24, Processus de patrimonialisation.