Gilles Le Guennec
Laboratoire L’Œuvre et l’image, Arts Plastiques, Rennes 2. Université Européenne de Bretagne.
L’action machinale : le loisir sous l’attention ponctuelle
[D1] [1]
Faire machinalement : l’adverbe qualifie l’action. Il pointe, dans l’activité, ce moment que le constructeur voudrait éviter qui trahit sa capacité de ne pas être à ce qu’il fait avec laquelle il fait cependant. L’inattention est un fait récurrent dans tous les secteurs de production. Elle est soulignée comme un des facteurs d’une crise mettant en cause des structures socioéconomiques [2] mais elle est rarement appréhendée en dehors de l’étude globale des conditions de travail.
Ni attitude de l’être, ni application propre au vouloir, l’anthropologie clinique médiationniste la considère comme une manifestation d’une capacité naturelle d’instrument, spécifique à l’action de mise en rapport du moyen avec la fin. Elle n’est toutefois, dans le cadre du modèle ergologique d’appui, qu’un des trois moments de la dialectique de l’activité où le fondement de la technique est posé comme négligence dans le rapport à la chose à faire, introduction de loisir et rupture de l’inséparabilité naturelle entre le moyen et la fin. Dès lors, le troisième moment de production fait valoir une sorte de conciliation où l’attention reprend le dessus sur la négligence propre à la capacité d’outil. L’action machinale est une expression à prendre comme un fait indiciel de la convergence-divergence de deux capacités. L’attention ponctuelle dit la part prédominante du trajet dans la production.
I — Principes de segmentation réaménagée de la fin
1. Dualité de la conduite[D2]
En recourant à ces termes d’action machinale, il n’entre pas dans mon intention de poser que la machine puisse totalement s’imposer à l’encontre de l’hypothèse d’une production où le trajet l’emporte sur l’outil. Il s’agit de faire valoir une capacité de fabrication en exercice en vous soumettant quelques hypothèses probables dont j’avance la majeure : l’action machinale implique deux moments d’attention, le début et la fin, entre lesquels le loisir de la machine en fonctionnement peut laisser place à une autre attention. La machine en action maintiendrait ainsi une dualité de la conduite qui rendrait le travail tout à la fois morcelé et unifié. Rappelons que la prévalence du trajet dans la production, hypothèse de J. Gagnepain, se réalise contre l’outil, ce qui n’abolit pas celui-ci qui se manifeste par une irréductible inefficacité.
Sont à tester les propositions suivantes :
l’avancée dans le travail procède par sauts du fait de l’analyse quantitative ;
ces sauts correspondent à des moments d’aveuglement relatifs dans le rapport à la chose à faire.
Chacun de ces moments étant traité par la machine, la contrainte du réel à gérer se relâche : c’est l’inattention. Mais le loisir ainsi offert peut s’employer à autre chose que ce qui est à faire. D’où l’équation : l’inattention, une attention à autre chose.
2. Du loisir dans l’action
Georges Friedmann s’interrogeait de savoir « où va le travail humain », craignant avec Durkheim que la division du travail n’empêche le travailleur de savoir ce qu’il fait, lui ôtant par là même toute perspective de participation sociale à l’activité de l’entreprise. Répondre brutalement qu’il ne va nulle part puisqu’il est fondamentalement fabrication, c’est à dire capacité de désinvestissement, ce serait décliner analogiquement une tautologie : quand faire, c’est faire. Il nous faut cependant rendre compte d’une capacité dialectique, d’une action structurée et structurante, qui conduit le constructeur-exploitant à faire quand même quelque chose, c’est-à-dire, malgré les obstacles que la machine néglige jusqu’à l’invisibilité de ceux qui sont en travers de la route. A cet égard, la catégorie de Worringer baptisée « ligne gothique » [3] peut servir. Sa reprise par Gilles Deleuze [4] et son extension du côté des fractales donne à ce fait la valeur d’un principe. Toute action, parce qu’elle est machinale, conduit l’opérateur (constructeur-exploitant) à ambitionner une fin autre que celle qui s’impose à lui spontanément. Du début où il se trouve, avec le matériel disponible, il peut envisager la réalisation de tel produit, ce qu’il ne fait pas en raison de l’obstacle interposé par ce dont il dispose : il révise alors son procédé et le rabat sur un objectif quelque peu déviant. Cette fin possible est de nouveau contrecarrée par le fonctionnement du dispositif lui-même de sorte que l’action s’en trouve à nouveau réorientée vers une autre cible à proximité, etc. De place en place, la ligne s’élargit jusqu’à la surface et l’on a l’image du dessinateur qui s’attarde à des traits secondaires, ornementaux. Son espace se construit comme un lieu d’errance.
Finalement, nous pouvons penser que ces errements, ornements, autour de la ligne gothique procèdent de ce fait principal : le loisir est dans l’action.
Activité de loisir ou non, le loisir est dans toute action. Prenons le cas d’une opération courante comme l’ouverture et la fermeture d’une porte. Comment s’opère cet aveuglement relatif quant à ce qui se fait qui peut ne pas aboutir à l’entrée de l’exploitant-constructeur dans une pièce ? Pour ouvrir telle porte, dans ce cas d’une machine qui intègre au levage-abaissage d’une poignée, la rotation d’un axe et le coulissage du penne, l’unité téléologique ne fait pas tout : j’ai vu tel technicien en herbe abaisser la poignée, la relâcher, puis la tirer. L’accrochage peut être aussi réalisé dans la poignée : l’attention résiduelle tient à un enchaînement non élaboré remplacé par l’action consistant à maintenir la poignée abaissée tout en la tirant vers soi ; une autre machine se trouve alors mise en action, l’accrochage-tirage-rotation. La négligence de la complexité interne des fins qu’est l’unité de la machine impose le contrôle du début et de la fin : à supposer que notre action soit de fermer une porte (pousser la porte et, facultatif, abaisser la poignée et la relâcher), la machine n’assure pas ipso facto, le passage ; elle n’empêche pas qu’un autre qui nous suit vienne s’y coincer.
Entre les deux moments du début et de la fin de la mise en action de la machine où l’attention est doublement requise, la technique « roule » pour le constructeur qui est alors en situation de hors d’œuvre, c’est le loisir. A l’encontre de ce fonctionnement de l’unité machinale, se définit l’attention ponctuelle comme unification. Il y a unification de la chose à faire au sens où la pluralité des machines n’implique plus la pluralité des fins.
L’unification de la chose à faire est une production au sens où elle met en avant une conduite polarisée par le trajet à produire où le conducteur-constructeur factorise les moyens et les fins outillées (dont la machine). Il les factorise au sens où pour que ceux-ci fassent, une construction se met en place qui se fait alors par développement ou réduction des enchaînements dans une interchangeabilité des procédés fonction d’une efficacité probable. En poussant la porte avec le pieds on se prive des possibilités d’arrêter le mouvement de la porte, mais cela libère les deux mains pour le transport, par exemple ; reste le retour de la porte repoussée par suite d’un obstacle imprévu, derrière le battant : le loisir peut rapporter une ecchymose !
3. Action ponctuelle et inattention structurelle
L’action machinale implique à la fois une action synonyme d’instrument et une machine qui la structure en la proposant. L’instrument, mise en rapport du moyen avec la fin, donne lieu à une attention ponctuelle. La dimension machinale, parce qu’elle suppose la prise en charge de la chose à faire par un fonctionnement, va de pair avec une inattention. Celle-ci est donc persistante et structurelle.
L’attention ponctuelle, c’est la ré-analyse du système fabriqué de la fabrication qui sert ou dessert la production, conduisant, à chaque travail, à un autre fabriqué structurant autrement l’industrie par prévalence du trajet sur l’outil. C’est le retour ré-analytique de l’instrument qui s’analyse encore comme négation de la machine.
Celle-ci porte à la fois sur le réaménagement de l’unité machinale en plusieurs unités et de leur complémentarité organisée en syndèse. Ainsi la complémentarité n’est mise en œuvre que par des actions complémentarisées qui la nient, l’unité requiert industriellement de l’unification. Autrement dit, le service n’est pas rendu par la fabrication, de même que la syntaxe n’opère pas la réduction scientifique des sens bien qu’elle bloque sémiologiquement les sens possibles des mots.
Faire un carré c’est industriellement le refaire, le reprendre, pour tout dire, l’améliorer ce qui veut dire parvenir à la fin visée en s’y prenant à plusieurs fois qui correspondent à l’unification et la complémentarisation en cause.
L’inattention persistante et structurelle qu’implique le loisir de l’outil, dans l’action outillée, prodigue d’autres possibilités qui ne vont pas directement dans le sens de l’action en cours mais qui peuvent servir éventuellement et dynamiquement par réinvestissement différé [5].
4. Preuves par épreuves et par œuvre
Exemple d’unification revue et corrigée. Le trajet final suppose un nombre préalable de trajets machinalement imposés ; « L’oiseau » en offre l’exemple [D3].
Le nombre et la longueur des tronçons de fil de métal nécessaires à la construction de l’oiseau par soudure est fonction du nombre d’angles en pointe que présente son dessin... Les deux machines de la taille et de la soudure imposent un regard fait d’une attention outillée aux angles que présente le dessin, négligeant par là même le traitement des lignes courbes laissé au pliage-modelage. Cette inattention structurelle ne porte pas seulement sur le produit, le tout venant du matériel des tronçons dispersés, posés sur le plan de table, introduit artificiellement des rapports nouveaux, qu’une disposition peut parfaire. La configuration de l’oiseau est ainsi revisitée, par composition en « éclaté ».
Exemple de complémentarisation secondaire : la couleur rajoutée. Le dessin par son plan a recours à une complémentarité techniquement organisée qui fait de la feuille de papier, intégrant le découpage-moulage-tamisage, un support offrant un rapport de continuité de surface lisse entre les tracés du traçage par enduis. L’attention de complémentarisation consiste alors à tenir compte du format, de son étendue, de sa forme, de ses limites, de ses proportions, attention au matériel, et à prêter attention à l’orientation et à la fragmentation du dessin lui-même en fonction du produit à réaliser. Klee montre qu’il suffit de considérer que la ligne est division de la surface : le tracé de deux demi-cercles permet d’imposer techniquement ce mode d’emploi : les deux fragments, faisant surface par circonscription d’une zone, complémentarisent à eux seuls la première action de division par le trait droit (sur le dessin). La séparation des formes qui s’en suit peut se dispenser d’une chromatisation supplémentaire. Mais le recoupement des deux informations ne va pas de soi. En somme il dépend d’une complémentarisation dont la nécessité varie en fonction du mode de production : empirique, magique ou plastique. C’est ce mode qui précise la chose faite ou à faire, mode d’emploi par lequel l’exploitant repère la visée formelle du constructeur. Le tableau de Fernand Léger [6] le montre : la couleur n’y est pas le complément représentatif du dessin [D4].
Dans le sens qu’on donne couramment à machinal, il y a l’idée qu’on a ainsi opéré dans l’oubli du moyen, la préoccupation portant sur la chose à faire. Dessiner machinalement c’est peut-être ne pas considérer le blanc de la feuille qu’on utilise mais la seule orientation et fragmentation du trait qui imposent pratiquement un objet de représentation perceptif ou conceptuel. L’opposition faite par Paul Klee entre le caractère actif de la ligne et passif de la surface rejoint cette conduite [D5].
On peut aussi se référer aux dessins de Giacometti pour souligner comment émerge du dessin le tracé virtuel d’une ligne qui doit sa réalité à l’accumulation des ratés tant le dessinateur s’appuie sur un traçage qui manque son trajet à chaque coup de crayon. Il y a de la passivité aussi dans le fait de recourir à un traçage (machine, par intégration à de la chromatisation ) par répétition systématique des zigzags, des hachures et des mouvements d’essuie-glace.
La complémentarisation secondaire peut devenir principale : gagnant en surface jusqu’à emplir tout l’espace, les traits répétés se corrigeant l’un l’autre comme un ratage systématique, ce dessin d’Alberto Giacometti, La mère à sa table de travail (1954) [D6] montre surtout cette inattention persistante et structurelle d’une trop facile linéarisation : l’attention secondaire porte sur une sorte de ratage et d’effaçage insistant jusqu’à friser la précaution ostentatoire.
L’absence de complémentarisation peut faire problème : ce panneau de signalisation routière [D7] se voit dans le cadre de quel programme ? Dans le cadre d’un programme de visibilité ou dans celui de lisibilité ou dans les deux complémentairement ? Nantes est la première sortie dans l’ordre du signal iconique, mais Rennes est en tête dans l’ordre de l’écriture. La signalétique est double : signal de signe par l’écrit de Rennes et Nantes, signal iconique par l’image routière. Cette collaboration par complémentarité des informations peut aboutir à une contradiction lorsque deux modes d’emploi antithétiques apparaissent aux yeux du conducteur qui ne les complémentarise pas.
L’absence de complémentarisation peut faire œuvre : une technique de peinture par tache faite de projection-chromatisation-enduis voisine avec un système de linéarisation-enduisage : des configurations en résultent, comme celle de Hans Hartung [D8], qui séparent le fond pictural du graphisme [7].
La présence discrète des autres industries fait, non l’objet, mais le trajet d’une attention secondaire. D’abord, et de même que dans la montre on retient le cadran en oubliant le bracelet, dans la chose produite, on oublie les moyens de présentation de l’image, de sa pérennisation, de sa mobilité, de son insertion dans le cadre bâti, etc, programmes annexes néanmoins nécessaires : à la déictique s’ajoute la schématique, la cybernétique, la dynamique, etc.
Ensuite, ce qui se fait au recto ne l’est pas toujours pour montrer : L’image ratée comporte des programmes occultes qui n’en sont pas moins formellement organisés.
Toute la peinture abstraite tend à déporter l’attention d’une prégnance de l’objet par lequel la peinture s’oublie vers du trajet qui n’est plus entièrement voué à une représentation. Et ce qui est en cause, ce n’est pas seulement le retour qu’elle organise vers les conditions de possibilité de la transparence de l’objet, ni de sa présentation esthésique.
Pour repérer dans l’ouvrage les unités du fabriqué, encore faut-il savoir ce qui se fait quand quelqu’un fait et qu’il ne sait pas lui-même. Combien d’images et de choses autres se construisent dans l’image elle-même ?
Cette question n’implique pas de sonder les intentions du constructeur ni les interprétations des exploitants ; elle oblige à rechercher les critères formels qui rendent possibles ces sens et ces non-sens de l’œuvre et du non-œuvre.
La conduite qui se profile à travers l’art abstrait n’est pas loin de celle du petit homme : toutes deux offrent, dans une mise en scène des conditions du travail avec un formalisme identique, l’émergence d’une production analytique.
5. Le défaut de complémentarisation ou l’attention en hors d’œuvre [8] d’une jeune technicienne (I., 2 ans)
La consigne semble claire [D9] : il s’agit de remplir une bouteille de sable ; d’ailleurs l’entonnoir est déjà en place, engagé dans le goulot, prêt à recevoir le jet de sable. Or la technicienne, en guise de réponse gratte le fond du bac à l’endroit où le sable n’est pas accumulé et ne peut donc être recueilli dans son gobelet. Puis, elle fait le geste de verser dans l’entonnoir avec celui-ci. Fonctionnement à vide interrogateur qui pourrait être aussi, dans le travail en train de se faire, la part de l’outil. Ce qui permet de le penser, c’est que ces actions sans contenu sont faites uniquement de la mobilisation d’un matériel qui transforme l’action immédiate de remplir le gobelet avec la main en un autre geste plus distant consistant dans le grattage par flexion du bras répétée où l’on retrouve la négligence du mouvement en essuie-glace. Dira-t-on que l’action est ici sans finalité ? Non, mais une finalité orientée vers la prise en main du matériel pour la recherche d’un mode d’emploi. La chose à faire passe au second plan.
Ce cas semble conforter l’hypothèse que le jeune est d’emblée technicien, qu’il l’est avant de rejoindre l’efficacité relative de la performance. La façon de faire prime chez lui au détriment de ce qui est à faire au point qu’il ne puisse se faire qu’une action d’exploration dans le fonctionnement d’un matériel, pour le coup, en confusion avec le produit.
Qu’est-ce qui se fait ?
L’entonnoir est enlevé [D10] ; l’activité est-elle de mettre du sable dans la bouteille ? la chose entonnoir bouche-t-elle la bouteille ? l’entonnoir empêche-t-il de mettre le gobelet jaune en bouchon sur la bouteille ? s’agit-il de boucher la bouteille ou de mettre du sable dans la bouteille en recourant (à nos yeux, magiquement) au seul gobelet ?
Une pluralité et une diversité de jeux sont possibles en dépit du travail apparent proposé de transvasement. Mais, à l’encontre de l’hypothèse habituelle, reliée à la condition d’enfant, qui postule que le jeune technicien passe d’une chose à faire à une autre, I. ne manque pas d’attention soutenue (le jeu dans le bac à sable dure plus de 20 mn) ; elle ne s’attarde pas à finaliser son travail, elle est plutôt concentrée sur la manipulation d’un nécessaire qui n’offre alors que des virtualités.
Le rapport à l’outil dans l’action. Une sorte de conduite à vide accrédite l’idée que la jeune constructrice exerce une capacité technique dans le rapport à une conjoncture grandement occupée par du matériel, laissant peu de place au produit. Le jeune de 2 à 5 ans est, semble-t-il, pris dans le fonctionnement de l’équipement mis à disposition. Le technicien se manifeste en ce qu’il n’écoute pas ce qu’on lui dit : dès lors qu’un matériel est là, il l’interprète tout de suite comme une proposition de travail. La chose à faire n’a semble-t-il pas d’importance. C’est pourquoi, pour se faire entendre, lorsqu’elle dit ce qui est à faire, l’institutrice n’a pas préparé le poste de travail de chacun : celui-ci inciterait à la manipulation en tous sens.
Dans ce bac à sable, notre constructrice s’active à ce qui paraît être une simple exploration des possibilités du matériel et de son fonctionnement. Face à ce que le regardant peut interpréter comme un seul nécessaire de remplissage — puisque sont disponibles : la fluidité du sable, un récipient verseur, un entonnoir, un récipient réceptacle et une stabilisation-introduction de l’entonnoir dans la bouteille — la jeune technicienne présente une conduite divergente qui opère avec des pouvoirs et des nécessités occultes [9].
Le gobelet-sable
Le fait de mettre le gobelet, sans le sable, dans l’entonnoir montre suffisamment [D11] que la constructrice a un rapport distancié avec le sable, puisqu’elle agit non avec celui-ci mais avec le moyen élaboré. L’ellipse de la séquence de remplissage du gobelet en serait la manifestation. Le gobelet deviendrait gobelet-sable, une autre unité de moyen, par télescopage du contenant et du contenu.
L’entonnoir est remis en place et à nouveau, le gobelet-sable apparaît : le gobelet est mis dans l’entonnoir comme si c’était du sable. La technicienne s’empare de l’autre gobelet vide et fait le geste de vider un contenu virtuel [D12]. Il y a bien du sable dans le bac mais celui-ci n’est pas à transvaser, semble-t-il.
Question : est-elle aveugle au sable ? Ce qui correspond à une capacité technique, ou regarde-t-elle la technique elle-même dans son fonctionnement à vide ? L’autre interprétation consiste à dire qu’il se fait une chose mais magiquement, de sorte qu’aucune transformation réelle n’apparaît. Le fait que I. procède, avec le gobelet, au grattage du fond du bac, sans se soucier du fait que le sable puisse remplir le gobelet, incite à le penser.
D’autres faits corroborent la conduite d’emblée technicienne et désinvestie :
un fait d’encombrement : après une nouvelle aide, deux gobelets sont pris ; s’ensuit un encombrement : deux fois la même machine de stockage et de versage, un gobelet dans chaque main, c’est possible, mais lequel sera actif ? un contrôle de dispositif ? I. retourne dans sa main le gobelet et passe un doigt sur son extérieur. Est-ce alors une opération de contrôle du genre : le gobelet est-il bouché ? un grattage… pour remplir ? [D13]
Contrôle du résultat du grattage : elle vérifie si le gobelet s’est chargé de sable. Ce qui laisserait penser qu’elle est attentive au résultat ; mais elle gratte à nouveau le fond du bac à l’endroit où il y a trop peu de sable et sans mettre ensuite le gobelet en rapport avec l’entonnoir.
Un carré mené à la baguette !
Une autre expérience réalisée avec un technicien plus âgé (W., 4 ans) semble aller dans ce sens d’une part importante prise par l’outil dans l’ouvrage. Il est difficile pour W. de tracer un carré, mais il y parvient facilement par disposition de quatre baguettes sur le plan de table [D14].
La réussite est donc favorisée par la technique : alors que par le dessin le constructeur « bouclait », d’un seul coup, doublement son affaire en une forme fermée de courbe, par la disposition des baguettes, il est contraint quatre fois à une disposition, et donc à réussir, la technique employée ne gérant plus les courbes.
Comment un triangle peut-il valoir comme carré ?
En moyenne section de classe maternelle se présente un fait largement répandu : nombreux sont les dessins en triangle qui sont censés répondre à la consigne « dessine-moi un carré ».
Il s’agit sur ce document [D15], de réduire à l’unité du carré à faire la pluralité des machines mises en action. La forme, plutôt triangulaire, composée de trois traits, deux droits et un, courbe, vaut comme carré. Le dit « enfant » est technicien au sens où la linéarisation lui fait accepter comme possible carré ce qui est traité par elle, modulé par une attention variable : ainsi la forme composée de trois traits, deux droits et un courbe peut valoir comme carré, également la trace en va et vient terminée par une seule courbe. Il ne s’agit pas ici d’arbitrarité qui ferait admettre les formes comme carrés, mais de rapport technique à l’inefficacité relative. Rappelons, par transposition, qu’il a fallu disqualifier l’ « arbitrarité » du langage pour désigner distinctement, contre une confusion avec la convention, l’impropriété fondamentale du signe. La légèreté du technicien réside dans le rapport à l’action machinale : l’assurance de produire la même chose bien que la chose soit différente et celle de produire une seule chose bien que les choses soient physiquement distinctes.
L’écriture relâchée. Pour relativiser cette observation des premiers faits et gestes du jeune technicien, l’écriture qu’on rencontre couramment n’est pas loin d’admettre l’efficacité d’un dessin qui prétend imposer la représentation d’un carré par une forme de cercle, tant la distance est grande entre le perceptif et le formel.
6. Une production analytique ?
Que nous ont montré ces documents du point de vue de l’action machinale et de l’attention ponctuelle ? Une dédifférenciation et une indistinction réelle rattrapées par une différenciation et une distinction formelle. Quant à la périergie, pouvoir de redistribution quantitative analogue de la périphrase , censée rejoindre le fait de l’attention ponctuelle, celle-ci suppose unification et complémentarisation en ce qui concerne la mise en action des unités et de leurs enchaînements : l’unification des machines serait, contre leur unité, cette possibilité liée à l’efficacité de recourir à plusieurs machines comme à une seule. Si l’on tient compte du fait que le loisir est dans le travail et qu’il libère l’attention, cette position est à nuancer. Une attention à autre chose que l’action en cours, une inattention structurelle, peut s’exercer en dehors d’une visée d’efficacité par unification et complémentarisation.
II — Conséquence : une reproductibilité
La dualité de la conduite, faite d’attention ponctuelle et d’action machinale [D16], emporte une conséquence paradoxale : du fait même de sa réitération, la machine œuvre contre la reproduction à l’identique d’un même fait. La machine impose une fin quelle que soit la fin qu’on entreprend de gérer de sorte qu’en toute activité, nous reproduisons des segments gestuels techniques.
Confrontés à la nécessité de diffuser à l’identique et de copier, la reproductibilité fait problème : nous sommes au point limite de la contrainte technique : jusqu’où l’attention peut-elle s’exercer pour traquer le fait machinal qui contrevient à la multiplication ? Le constructeur ne peut se libérer d’un type de conduite qui réitère la même forme à travers des produits divers, l’empêchant de parvenir à leur identité alors même que l’activité engage au plus haut point l’attention, lorsqu’elle semble peu outillée, comme dans la copie. Routine et robotisation sont les maîtres mots de l’activité humaine, puissante par l’outillage et faible en même temps de ce fait. Bref, il s’agit de prouver ici que la reproduction est impossible parce que nous ne savons que refaire.
1. La machine contre la reproduction à l’identique
Deux reproductions sont en cause : celle de l’ouvrage et la répétition des mêmes unités gestuelles et techniques que sont les machines. Mais l’ergologie médiationniste montre qu’il y a plus : il y a deux conduites, celle relative à l’action qui suppose une attention et celle relative à la technique qui offre au constructeur des fonctionnements libératoires, du loisir alors même qu’il travaille, pour tout dire, de la négligence [10].
Le fait à souligner, pour situer encore la technique par rapport à l’action, se présente comme une inversion : si le travail est de reproduire une image, la capacité machinale à refaire le même geste tend à se perdre par conformation au modèle : c’est de la copie, chargée de mettre en rapport servilement le moyen avec la fin. Si le travail est de répéter un même motif qui nous dispense d’une référence constante et visuelle à un modèle, le motif se transforme en variations auxquelles d’ordinaire nous restons insensibles (par raison technique, nous reviendrons sur ce point). Bref, la copie chasse le coup de main, mais celui-ci revient au galop. Car le point critique me semble là, dans ce rapport à l’attention et à la négligence. Non pas une négligence éthico-morale, manque d’application, mais une sorte d’indifférence à ce qui est à faire, pour ne retenir qu’un fonctionnement : la formule « ça marche » peut être retenue et revisitée pour souligner le processus en cause.
Dans le rapport à la faïence, j’ai choisi deux carreaux [D18, 19] et dans le rapport à la peinture, j’ai confronté les tableaux de Piffaretti à ceux de Toroni.
Que font la faïencerie, Toroni et Piffaretti ? La faïencerie [11] (et l’émailleur) produit deux carreaux : l’un à motif unique [D20] et l’autre à motifs répétitifs. Mon but est de vous montrer que cette opposition est à nuancer : le berger de Nazaré comporte des routines [D21], conduisant à des formes gestuelles répétitives, qui écartent le constructeur de l’attention à la configuration à copier et inversement la répétition des motifs floraux ne se fait pas à l’identique [D22]. Le peintre émailleur tente toujours de s’échapper de son rôle de copiste qui l’oblige à être attentif à ce qu’il fait : en conséquence il développe des routines, autre terme, que propose Didier Le Gall [12], pour désigner la machine mise en action. L’artiste peintre, quant à lui, a depuis longtemps cultivé le rapport à ces deux processus inhérents à la conduite, bien avant qu’on insiste sur la touche en peinture qui marque l’avènement du modernisme. Ce sont toutes les manifestations de virtuosité qui se revisitent ainsi dans le rapport à cette facilité gestuelle qu’est la machine, dont tout l’histoire de l’art peut fournir des exemples [D23, 24, 25].
Toroni propose [D26] une façon de peindre particulière qui s’apparente à l’empreinte : une double application, et au même endroit, du pinceau n°50 à partir de chacune de ses faces. Sa pratique se rapproche ainsi de ces points qu’on perçoit dans le semis du carreau de faïence. Mais l’émailleur est attentif à la pression, faute de quoi, son point s’écrase ; tandis que Toroni s’assure contre ce fait en faisant travailler le plat du pinceau, l’attention qu’il pourrait avoir, il la délègue à son assistant qui marque d’une croix le lieu où l’application doit se faire, à 30 cm de la précédente.
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Piffaretti [D27] met en application le précepte de Borgès, « lire, c’est relire », transposé à la peinture, cela donne : voir c’est repeindre. Il s’attache en effet à reproduire sur la partie droite ce qu’il voit, mais ce qu’il fait n’est pas la copie exacte de ce qui se voit perceptuellement : c’est plutôt un regard technique qu’il jette sur la toile en s’efforçant de retrouver des gestes, non une configuration exacte [13].
En somme, le constructeur produit chaque fois autre chose même s’il ne le fait pas autrement. Il se produit beaucoup plus que ce qu’on retient de l’ouvrage ; pour le dire, nous disposons du slogan publicitaire : la machine, c’est la possibilité de faire au minimum pour produire un maximum.
2. La machine et le mini-max
La conséquence de ce principe du mini-max est la tendance de l’opérateur à gérer tout le chantier avec l’unité machinale mise à sa disposition, de sorte qu’il est conduit à traiter des problèmes pour lesquels la machine n’a pas été élaborée. En gros, pour aller vite, ce principe d’extension de nos possibilités, c’est notre confiance dans la technique [14].
Comment ce principe se réalise ici et comment il déjoue la perspective de reproduction ? D’abord, Toroni ne fait pas des empreintes comme le fit Louis Cane, par exemple [D28]. Qualifions ce qui se fait et ce par quoi c’est fait : il produit plutôt une surface colorée où les espaces blancs non-peints sont inséparables des formes jaunes ponctuelles. Autrement dit, il élargit la surface dense de la toile où les touches juxtaposées parviennent néanmoins et discrètement à la proposition d’un continuum. Ce faisant, il montre que la machine à peindre n’est pas l’effet coloré qu’elle produit : elle gère plus que ce petit endroit où le jaune s’applique.
Quelle est cette machine ? [D29, 30] Elle intègre un dispositif d’utilisation du plan, une chromatisation de l’enduisage et surtout, de l’application. On ne peut pas impliquer un dispositif d’estampage bien que le geste soit celui d’un contact du pinceau et non celui d’un déplacement pour la simple raison qu’il manque à l’appel l’imprimant, système de creux et de relief qui assure la fixité de la forme. Bien qu’il partage, lorsqu’il est plat, sa planéité avec la forme de l’imprimant, le pinceau n’offre pas cette sécurité. Toroni n’a d’ailleurs pas cette visée de restituer la forme du pinceau : il s’y prend à deux reprises, comme Piffaretti, mélangeant l’apport de la seconde face au frais de la première couche ainsi écrasée plus que masquée. Nous voyons que du mélange, du masquage, de l’écrasement, (de l’alignement aussi par un pinceau disposé verticalement ou horizontalement) se produisent par une machine à peindre réduite à son minimum : application sans linéarisation. La reproduction se fait machinalement, la vigilance relative au lieu d’application étant pris en charge par le dessinateur d’une croix. L’expression ne désigne pas de l’inattention totale mais le loisir que la machine introduit dans le travail lui-même qui libère Toroni d’une partie du labeur pour lui permettre tout à loisir l’analyse de ce qui se fait : un travail de production analytique qui montre la scansion, la quantité discrète présente dans la peinture comme ailleurs.
Piffaretti revoit aussi ce qu’il a fait, non en le niant par un recouvrement, mais en le reprenant à côté. Ce faisant, il réalise lui aussi « l’analyse d’une analyse » [15]. Les gestes techniques que sont le traçage en essuie-glace, l’écriture bâton, les boucles et autres ductus se font à l’insu du constructeur attentif à l’effet. Le second temps correspond à une reprise en main de ce qui s’est passé ainsi discrètement : il le dit lui-même, il ne cherche pas à copier mais à retrouver ces gestes qui lui ont échappé. Ce faisant il nous montre une fausse identité, celle relative aux effets, qui masque tous les faits du travail lui-même, à commencer par cette inconduite, passivité du technicien agi plus qu’il n’agit. Reproduction impossible, donc, puisqu’on ne peut, comme il est dit, « descendre du vélo pour se regarder pédaler ».
L’émailleur du berger de Nazaré commence par dessiner au trait fin son personnage, la reproduction du trait en lui-même est outillée par un pinceau spécial fait d’une pointe prolongée [D31]. Le stockage généralement confondu avec le traçage dans le pinceau ordinaire se trouve ici séparé. La cuisson déjoue, par un retrait, cette continuité à laquelle on a fait initialement attention : des ruptures se produisent. Un émaillage en couleur redouble ce dessin oublieux du traitement de la bouche au profit de la monstration graphique et machinale d’une courbe. On peut voir, notamment dans le traitement de la portion de sol qui forme la base du personnage, que le contour est suivi sans nécessité, comme par écho, c’est que le graphisme en zigzag, machinal, est encore là [D32] où le traçage prédomine et néglige quelque peu la surface : partout des traces sont là qui rappellent le dispositif. Les scansions se marquent par la goutte de la fin et l’écrasement du début du trait. Les touffes d’herbes ne font que tenter de contrecarrer cette impossible efficacité de la machine par une adaptation du réel à la technique : la reproduction peut alors se déployer avec assurance, sauf pour une touffe, qui montre par défaut que la chromatisation n’assure pas de facto la visibilité de ce qui se peint, un mélange malencontreux a lieu.
Quant à la décoration répétitive de l’autre carreau, elle présente plus d’attention qu’il ne semble à première vue [D34]. Commençons par le dégradé de bleu [D35] : on peut l’imputer à l’inefficacité de la machine de chromatisation réinvestie dans l’ouvrage. Voici pourtant, à y regarder de plus près, une énigme : le dégradé a lieu d’une fleur à l’autre et non d’un pétale à l’autre. Le constructeur a donc refusé de subir l’effet machinal de la déperdition de charge ; il a fait attention à produire pour chaque fleur une homogénéité de traitement de la couleur. Pour ce faire, je propose deux hypothèses alternatives :
Le peintre émailleur est passé d’une fleur à l’autre à quatre reprises, partant d’une charge maximale qui garantit l’homogénéité du traitement du premier motif jusqu’au quatrième qui est le dernier en raison du même principe d’homogénéité relatif cette fois à l’ensemble du carreau : au-delà de quatre motifs, le cinquième risquerait d’entrer en net contraste avec le motif débutant la série suivante. Certes, le rythme n’est déjà plus porté par les fleurs mais par les défauts de la couleur, mais élargir la série ce serait travailler à une autre échelle que celui du carreau où les faibles variations ne mettent pas en péril le « all over », la répartition non focalisée du semis.
Autre explication : le peintre s’est confectionné un tampon spécial fait de cinq pinceaux [16] [D36] regroupés en faisceau serré d’un élastique, de sorte qu’il traite chaque fleur d’un seul coup, verticalement. L’autre observation qui vient tempérer ce systématisme est que la régularité des séries de quatre n’est pas évidente partout : autrement dit, là encore, mais d’une autre façon, le constructeur ne subit pas la machine, il saute d’une zone à une autre qui ne lui est pas contiguë. Et pourquoi le ferait-il ? Retour à une nécessité machinale : il y est contraint en raison de la variation des largeurs où il peut répéter le motif, dès lors la série est rompue et le passage à la ligne suivante risquerait d’apporter une zone de sous densité ou de sur densité en contradiction avec le principe égalitaire du semis, voilà l’attention qui a pu mobiliser pleinement l’émailleur. On se rend compte que, dans la conduite, la technique machinale coexiste avec la vigilance de l’action à produire.
On pourrait encore analyser de la même façon la répartition des touches relatives aux feuilles. On retrouve en effet cette attention liée à ce même principe plastique qui contraint à répartir les saturations comme les désaturations. Autre attention, celle relative à la répartition « all over » du motif sur le carreau : l’alignement systématique, machine de guidage, ne fait pas tout ; des surdensités se produisent du fait du rapport au bord et de la longueur variable des espaces obliques mises à disposition. Autrement dit, l’attention est mise en éveil du fait de l’inefficacité de la machine, mais le principe est là, on fait avec l’inefficacité.
III — Conclusion
Trois points me semblent à extraire de l’analyse de cette production :
l’unité machinale remet en cause l’identité de ce qu’elle peut produire en série ;
il existe des productions analytiques de la quantité téléologique ;
la reproduction est impossible, donc le constructeur crée.
1. Reproduction d’une identité conceptuelle, conventionnelle ou industrielle ? [D37]
À cet égard, la bande dessinée peut être donnée en exemple. Pourquoi ? Parce que le principe de l’identité est celui qui fonde la figuration narrative lorsqu’elle se développe par vignettes supposées reprendre le même espace, le même personnage, le même récit. Jusqu’où aller dans la différence de traitement d’une case à l’autre pour que néanmoins on ne soit pas dans une autre narration ? Le fait technique de l’hétérogénéité est une menace pour la production d’un espace temps. Mais, est-il du même ordre que cette exigence d’identité, permanence du sujet, qui perdure à travers les vignettes ? Pour expliquer le problème, il faut revenir sur le principe de l’identité conceptuelle tel que l’a exposé Kosuth à travers ses Trois chaises plus une, alors qu’on ne voit que trois chaises. La chaise supplémentaire est formée du concept de chaise, projection catégorielle de la pensée sur le réel. Transposons à l’espace temps de la BD : ce n’est plus un concept qui est supposé, mais une histoire, celle-ci fait le lien entre les items de même que la catégorie lexicale « chaise ». Qu’apporte la prise en compte de l’unité machinale ? Principalement l’idée que ce n’est pas une convention, un code qui fonde l’identité des images faites, mais l’inefficacité de la technique qui les produit : jusqu’à quel point pouvons nous aller à partir duquel le traitement de l’image est tellement différent qu’on est dans une autre image ? À partir de quand, la différence est-elle considérée comme accident expliquant qu’on jette le carreau à la poubelle ? Indépendamment de la conformité au standard et à la norme (manifesté par exemple lorsque l’on rejette tel motif où le pinceau a ripé), une conformité à la technique semble fonder l’inclusion de tel carreau défectueux dans le lot des présentables.
La question met en cause l’inefficacité. Je disais : on fait avec l’inefficacité ; pour preuve, la différence de traitement des feuilles qui pose de façon évidente le problème de la limite de l’identification. Qu’est-ce qui explique que prise dans l’ensemble telle fleur « massacrée » passe inaperçue ? Le fait qu’elle produise son rôle de motif répétitif. Autrement dit, l’indifférence technique est passée par là qui veut que l’inefficacité de l’outil n’empêche pas de considérer que l’ouvrage est fait. De même que, dans le message, le mot impropre dit néanmoins ce que je veux dire, dans l’ouvrage, le dispositif inefficace fait néanmoins ce que je veux faire. Avant la linguistique structurale, l’analyse grammaticale se référait à un principe d’arbitrarité par lequel le langage pouvait être assimilé à une convention. Après Saussure, on s’est rendu compte que l’arbitrarité qu’il invoquait n’était pas une convention mais une impropriété qui fondait le désinvestissement du signe, hors du message, sa polysémie. De même, nous acceptons de considérer qu’un cercle répété manuellement est le même cercle en dépit du fait que le coup de main en boucle n’est jamais identique, nous sommes aveugles aux différences parce que techniquement le dispositif ne sait pas reproduire à l’identique le même fait. Nous identifions techniquement des faits réellement différents [D38].
2. Toroni et la marche : une production analytique de la quantité téléologique
Au-delà du caractère répétitif qu’il partage avec la production de carreaux de faïence [D39], le travail de Toroni peut être mis en rapport avec la marche pour cette déclaration en forme de boutade : « Je n’ai pas peur de la répétition. Depuis 1943, j’achète des chaussures taille 45, alors... » [D40]. Mais, en y repensant, j’ai trouvé entre la marche et Toroni beaucoup de points de convergences que j’ai aussi retrouvés à travers ce berger d’émail visiblement équipé pour la marche.
Revenons à la marche. Ce n’est pas un jeu de mot de rapprocher la marche à pied de la marche de l’escalier : l’escalier produit une marche à pied particulière, il tend à reproduire le même pas dès lors qu’il est construit avec la répétition régulière de la même hauteur de contre-marche et la même largeur d’appui. J’ai une raison supplémentaire de mettre en rapport la peinture de Toroni avec la marche à pied : les dites « empreintes » de Toroni sont espacées de 30 cm, soit la distance approximative d’écartement des pieds dans la marche. A ces raisons anecdotiques, j’ajoute plus fondamentalement une troisième : l’hypothèse de l’action machinale, de la négativité par désinvestissement de la production de sens qui me semble affichée dans son minimalisme. Si je m’autorise une excursion vers le rapport à l’escalier, c’est pour montrer le rapport de coexistence entre l’action machinale et l’attention ponctuelle.
2.1. L’action machinale
La technique apporte le loisir. Puisqu’elle procure la sécurité de la conduite, le rapport au réel perd alors l’intensité de l’action instinctive et animale où le constructeur asservi au moyen est pleinement préoccupé par l’obtention de la fin. De là cette scansion dans l’activité où n’existent que les commencements et les fins, moments où s’exercent la prise en main d’un fonctionnement (ne pas rater la première marche de l’escalator) et son contrôle final (lever le pied pour éviter d’être coincé et pour rejoindre le sol ferme). Ainsi dans le modèle médiationniste de l’outil, l’homme par son humanité technique peut échapper à l’esclavage. Mais cette capacité de fabrication n’est qu’un moment et il compose de fait avec la nécessaire attention qu’implique une chose à faire. Du coup, le réel refait surface par une dématérialisation du moyen qui progressivement se meut en une matérialisation de la fin, sans que le lien se rompe entre les deux trajets. La seule rupture pouvant être introduite vient de la technique qui arrête cette polarisation, dé-polarisation, repolarisation.
2.2. L’escalier [D41]
La marche se reproduit machinalement par l’escalier. Et de même, le peintre de motifs sur faïence dépose l’émail par autant de coups de pinceaux que la charge le permet. Sauf que le nombre de marches est déterminé dans l’escalier, celui des coups de pinceaux tient à la limite de variance au-delà de laquelle la déperdition n’est plus négligeable. Cette limite est affaire d’attention au produit fini, lorsque s’exerce le contrôle de l’obtention de la fin. Le violoniste sait faire oublier les coups d’archet tandis que la plaque d’harmonie tente de nier la discontinuité des frappes sur les touches séparées. Bref, les quantités utiles et leur segmentation sont agissantes qu’on travaille ou non à les faire oublier.
La marche est naturelle, dit-on. Cette capacité à mettre un pied devant l’autre, à se projeter puis à rattraper le déséquilibre pas un autre mouvement de l’autre pied, nous la partageons avec le singe. La similitude est évidente en terrain plat. L’homme a toutefois inventé l’escalier, ce qui le libère de l’attention à la particularité de l’environnement (en supposant qu’il se promène avec son escalier sous le bras). L’inspection de l’un à l’affût de tout qui puisse servir de moyen, s’oppose à la prospection de l’autre qui sait compter sur un dispositif qui fera l’affaire en quasi-totalité. L’escalier voudrait qu’en marchant à partir du bas on se retrouve en haut sans rien changer à sa façon de marcher.
Mais il existe certains escaliers qui posent problème : ceux à marches inégales [D42], en hauteur comme en largeur. Qu’est-ce que l’ergologie fait voir à travers l’escalier ? Deux machines en relation de complémentarité : une tension musculaire intégrée à des articulations squelettiques pour rejoindre le mouvement de la marche et une édification par assemblage, pour décomposer la machine de l’escalier. La répétition des mouvements d’une séquence suppose que la même machine se répète. La marche d’escalier offre sa base au pied puis à la jambe puis au corps tout entier qui s’inclinant vers l’avant contraint l’autre jambe à se lancer vers l’avant pour attraper la marche suivante et ainsi de suite. Nous n’avons pas attendu Eakins et Marey pour apprendre à marcher mais nous les avons apprécié pour la décomposition qu’il nous donnent à voir. Lorsque se présente un escalier, le marcheur anticipe la marche en levant la jambe : il met en action la complémentarité de hauteur et de largeur déjà élaborée entre une articulation-tension corporelle et une marche et contre-marche où se réalise une édification-assemblage. L’architecte invoque la proportionnalité entre le bâtiment et l’usager pour désigner ce fait.
Dire que la hauteur est trop élevée, c’est observer que plier la jambe ne suffira pas pour atteindre la marche : une contre-marche de 50 cm correspond à la limite moyenne pour qu’une marche reste accessible. La largeur de marche doit assurer, elle, une base pour la totalité de la plante de pied, soit 25 cm en moyenne. L’escalier à claire-voie constitue une autre complémentarité, dont la variante extrême est l’échelle.
Que se passe-t-il avec un escalier à marches et contre-marches irrégulières ? L’exploitant se voit contraint à faire attention : c’est d’ailleurs ce qu’a cherché l’architecte dans un parti pris esthétique pour que l’usager garde continuellement l’œil rivé à l’escalier. La reproduction de la marche ascensionnelle n’est plus assurée. On se rend compte alors, par ce cas tératologique, que l’escalier ordinaire intègre en plus des dispositifs dont il vient d’être question, un dispositif d’égalisation qui évite d’avoir à regarder au sol à chacun de ses pas [17].
2.3. La négativité à l’œuvre dans la reproduction
Dans l’investissement décoratif, il y a le refus de l’histoire, ce qui se traduit par l’abolition de la dimension conceptuelle et narrative. Conceptuelle, parce que la fonction représentative est toujours là, mais elle patine, elle n’est pas embrayée sur le monde à dire ; à l’opposé, la représentation est simplement perceptive, employée pour soustraire l’ouvrage à son espace particulier, pour le verser dans un conservatisme formel qui culmine dans la répétition intégrale, la reproduction. Pourquoi, dans ces conditions, la peinture de Toroni échappe-t-elle à cette analyse ? Nous le savons tous : elle montre trop la rupture avec le monde qui, d’ordinaire, veut que la peinture en bâtiment ne soit pas Art. Mais la réponse peut encore être nuancée et se présenter hors du terrain socioartistique.
Nous serions tentés en effet par cette discrimination entre le décoratif et l’art de jeter l’indifférence du graphiste à la poubelle de l’histoire, de le discréditer au motif qu’il ne participe pas au temps actuel, qu’il n’est pas dans l’actualité de l’art (peinture, sculpture, installation ou même performance).
Revenir sur l’indifférence en cause suppose qu’on quitte temporairement une position moraliste : il suffit de requalifier le fait, d’y voir la manifestation d’une négativité fondamentale, cette schizée qui constitue l’humanité de l’homme sans laquelle il serait envahi par l’immédiateté du monde, son sens imaginaire, les choses à faire, à vivre, à économiser. On la tenait pour une indifférence intolérable, la posture du retrait temporaire s’avère structurante.
Reprenons donc l’activité décoratrice [D43, 44], pour investiguer cette dimension négatrice qui fait qu’elle n’a rien à montrer, si ce n’est qu’elle se montre. La reproductibilité du module pose le principe technique : comment savons nous refaire une chose, comment, à notre insu, refaisons-nous la même chose lorsque la chose à faire est différente ?
Je risque de reprendre une réponse donnée par l’ergotropie, hypothèse de l’anthropologie clinique mise à jour en même temps que l’équipe de chercheurs cliniciens de Rennes dissocia l’atechnique de l’apraxique (thèse sur le vêtement de Jacques Laisis [18]). Cette invention nous vient plus lointainement, de la rencontre de la linguistique avec la neurologie, via Jean Gagnepain et Olivier Sabouraud, elle consiste dans la mise à jour de l’autonomie du fait technique, dans le rapport à la fonction naturelle de notre motricité et plus particulièrement dans le rapport au métier où le destinataire de l’ouvrage et son entrepreneur priment sur les conditions de sa réalisation.
Si nous quittons provisoirement ce débat persistant de savoir qui fait et pour qui ça se fait, pour maintenant poser la question de savoir ce qui se fait quand quelque chose se fait, nous pouvons nous aider de cette analyse de ces deux carreaux de faïence qui font valoir tous deux une conduite machinale séparable du comportement stéréotypé et de l’inconscient psychanalytique.
Mon but est de montrer qu’on ne peut rendre compte de ces deux productions sans mettre en doute une attention ponctuelle pour faire valoir précisément une action machinale qui n’a plus le sens de l’insignifiant mais qui retrouve au contraire toute son importance à la fois négatrice et constitutive.
3. L’impossible reproduction ou la créativité
Pour exemplifier ce fait, j’ai choisi un dessin de Goya (16. Vieille femme en prière. Estampe, 21 x30 cm, p. suivante). Il a participé au projet de Charles III de diffusion de la peinture espagnole, notamment celle de Vélasquez qu’il reproduit à l’aquatinte. Ceci pour dire, plus généralement que chacun y va de sa technique et l’ouvrage reproduit se trouve transformé jusqu’à son contenu par une sorte de transaction involontaire qui intervient de façon inéluctable entre deux actions outillées successives où la seconde tente de se faire écho de la première. La méprise est l’équivalent en matière de collaboration du malentendu linguistique. La technique n’est pas universelle pas plus que le langage. Reproduire, c’est traduire. Nos techniques ne sont pas homogènes, et le lavis interprète, fait plus et moins, en tout cas autrement que ce que le dessin a déjà fait. Des débordements se produisent qui ne sont que les effets d’une machine différente de chromatisation par liquéfaction intégré au lavis s’opposant à la chromatisation solidification du dessin recourant à une pointe solide comme celle du crayon.
La « Vieille femme en prière » de Goya [D45] correspond à une estampe rehaussée au lavis. La couleur déborde largement une ligne qui vaut pour ligne de sol et ombre à la fois. On y voit une ombre projetée doublement traitée par le trait et le lavis. Ce que gère le dessin, la largeur de la ligne, le pinceau ne le gère pas, il est fait pour les inflexions, les rétrécissements et les élargissements jusqu’à produire en un seul coup des surfaces. C’est ainsi que le pinceau outille une « sensibilité », comme on dit, mais nous pourrions dire tout aussi bien qu’il n’empêche pas le poignet de trembler. Lorsque l’ombre est reproduite au pinceau, la peinture ne peut qu’inventer. En l’occurrence, elle invente une sorte de tache, un débordement qui se montre (moyen), en-deçà de la dématérialisation d’effet d’ombre (fin). Du coup, prompte à donner à ce fait un avenir, notre tendance interprétative est relancée : ligne de vie qui s’arrête, la tache est la mort annoncée que le bâton pointe et au-delà gît l’au-delà.
Bibliographie
Clot Yves, 2003, « action et connaissance en clinique de l’activité », @ctivités, revue électronique, volume 1, n°1, p.23-33
Deleuze Gilles et Guattari Félix, 1980, Mille Plateaux, Paris, Minuit. Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit.
Derrida Jacques, 1978, La vérité en peinture, Paris, Flammarion, Champs, 440 pages.
Jongen René, 1994, René Magritte ou la pensée imagée de l’invisible, Bruxelles, Publication des FUSL, 283 pages.
Klee Paul, 1973, La Pensée créatrice, trad. S. Girard, Paris, Dessain & Tolra, 1973.
Laisis Jacques , Le vêtement comme objet des sciences humaines. Réflexion sur le concept de « Médiation » et sur son extension au domaine technique, Rennes 2, Thèse de 3e cycle, 1971.
Le Gall Didier, 1998, Des apraxies aux atechnies, propositions pour une ergologie clinique, Paris, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 233 pages.
Le Guennec Gilles, 1992, Ramage n°10, « Ergologie et créativité », Paris, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, p.57-67
Stiegler Bernard , 2008, Prendre soin de la jeunesse et des générations, Flammarion.
Worringer Wilhelm, 1927, 1967, L’Art gothique, Paris, Gallimard.
Notes
[1] On pourra, en complément, se reporter à un diaprogramme à l’adresse suivante : http://www.sites.univ-rennes2.fr/arts-pratiques-poetiques/oeuvre-image/images/AM_loisir.
[2] Bernard Stiegler, Prendre soin de la jeunesse et des générations, Flammarion, 2008.
[3] Wilhelm Worringer, L’Art gothique (1927), Paris, Gallimard, 1967 ; trad. fr. D. Decourdemanche. Loin de voir l’ornement comme une pulsion, on gagnerait à le mettre en rapport avec une distraction, celle que propose la machine qui libère le constructeur d’une focalisation sur la chose à faire. La ligne ornementée relevée par Worringer montre ce fait d’une invention par surproduction, attention secondaire à ce qui peut aussi se faire en même temps que ça se fait. A relever à ce propos, la série des oiseaux exotiques de Franck Stella qui réactive, sur la scène de l’art contemporain, l’indistinction de l’art et de l’artisanat du point de vue de la stricte activité.
[4] Deleuze et Guattari citent Worringer dans Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 512, 614-619, 622 et dans Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 172.
[5] Ce fait pourrait rendre compte en partie de l’évolution des techniques (en partie seulement, le parergon étant l’autre réalité impliquée : dans toute machine existe des dispositifs annexes, secondaires mais tout autant nécessaires que ce qui paraît principal au regard de la fin de l’action. Le terme est hérité de Jacques Derrida, La vérité en peinture, p. 21-135 ; l’ergologie lui fait subir un glissement de sens : Gilles Le Guennec, « Ergologie et créativité », Ramage n°10, 1992, p.63).
[6] Fernand Léger, 1946-1950, Deux femmes et des fleurs, 130 x 162 cm.
[7] Le dessin rehaussé au lavis de Goya (ci-après, en conclusion) présente cette dissociation de façon plus discrète que Hartung en raison d’une attention principale à l’objet représentatif à produire. Complétée au lavis, l’image montre, s’agissant du traitement de l’ombre projetée, comment deux machines peuvent intervenir sans complémentarisation : la tache issue du lavis a laissé le trait distinct ; le traçage n’est pas entièrement résorbé dans un tracé d’objet, il se montre alors comme ligne de vie au-delà d’une transcription du perceptible.
[8] « Les choses existent […] en dehors des usages quelconques auxquels on les fait servir » René Magritte cité p.3 par René Jongen , 1994, René Magritte ou la pensée imagée de l’invisible, Publication des FUSL, Bruxelles.
[9] La schizotechnie — soit l’incapacité à mettre en rapport une technique avec une chose à faire — est démentie au moment où elle verse effectivement du sable dans la bouteille, ce qui montre qu’elle maintient le rapport à une chose à produire.
[10] Un certain aveuglement par rapport à la chose à faire qui s’apparente à une certaine forme particulière d’indifférence : on ne fait pas feu de tout bois et on ne cuit pas que par le feu (acides, dont le vinaigre, autant que micro-onde). Le son du langage n’est pas le son, ni le sens du langage, le sens. De la même façon, le moyen technique n’est pas le moyen, et la fin technique n’est pas non plus la fin.
[11] Usine Sant’Anna : http://lisboasos.blogspot.com/2009/03/faiancas-e-azulejos-santanna.html.
[12] Didier Le Gall, 1998, Des Apraxies aux atechnies, De Boeck Université.
[13] Le processus de création picturale de Bernard Piffaretti est depuis plus de vingt ans fondé sur la duplication : après avoir divisé la toile en deux et peint d’un côté ou l’autre du large trait vertical, il duplique le motif sur l’autre pan, non pas en le copiant, mais en essayant de retrouver les gestes successifs qui ont guidé le premier acte créatif. Le résultat n’est donc jamais identique de part et d’autre du trait ; l’impression de double est fausse ; le spectateur se trouve toujours face à un seul tableau. Ou comment « 1 + 1 n’égale pas 2, mais 1 + 1 égale 1 », comme l’artiste se plaît à le souligner. Peut-être une autre façon de dire que rien ne peut être refait à l’identique, mais tout au plus, « fait une nouvelle fois ».
[14] ... qui nous verse dans la magie.
[15] Expression empruntée à Jacques Laisis pour désigner le fait qu’une analyse a déjà eu lieu dans le travail et qu’une seconde tente de la montrer. Ce propos est une autre façon de formuler le principe de l’immanence de l’analyse structurale auquel constamment la médiation se réfère explicitement ou implicitement.
[16] Les pinceaux en cause pourraient bien être des cotons-tiges.
[17] L’article de Yves Clot, action et connaissance en clinique de l’activité, @ctivités, volume 1, n°1, paraît aussi accréditer l’existence de deux conduites, l’une attentive et l’autre machinale. L’exemple qu’il donne, p. 25, de l’escalier thérapeutique employé par A. Luria et Vygotski pour réorganiser la marche d’un malade de Parkinson tendrait à prouver que l’escalier oblige à faire attention à chaque marche à enjamber. L’existence d’un escalier à marches inégales montrent a contrario que l’escalier régulier dispense de cette attention renouvelée.
[18] Jacques Laisis, Le vêtement comme objet des sciences humaines. Réflexion sur le concept de « Médiation » et sur son extension au domaine technique, Rennes 2, Thèse de 3e cycle, 1971.
Gilles Le Guennec« L’action machinale : le loisir sous l’attention ponctuelle », in Tétralogiques, N°18, Faire, défaire, refaire le monde. Langage, technique, société (2010).