Gilles Le Guennec
Maître de conférences (retraité) en arts plastiques.
gilles.leguennec chez gmail.com
La couleur produite et productible
Résumé / Abstract
Face à une perception faussement évidente des couleurs, quelles perspectives sont offertes par la théorie de la médiation ? Celle-ci nous engage à sortir du réalisme de la couleur consistant à la positiver en rayonnement transformé par les prismes physiques des choses et biologiques des êtres. Pour autant il ne s’agit pas de se départir de l’objet « couleur » pour lier le propos au sujet, à ses capacités de sensations singulières recoupées par le langage et reprendre le combat de Newton contre Goethe fortement ancré dans la doxa. Transparaissent à travers les diverses études les indices d’une autre réalité de la couleur qui congédie les savoirs dominants en proposant ce que la diversité des savoirs faire met en avant : Peut-on affirmer qu’il n’y a de couleur que produite ? Car dans le rapport d’incertitudes chromatiques, chacun y va de sa technique. En résumé, à travers des modalités de production variées selon l’attention, plastique, pratique ou magique et par fabrication, se manifeste une diversité d’analyses qui ne portent pas spécifiquement sur « la couleur », universelle et intemporelle.
Mots-clés
couleur | ergologie | outil | technique | théorie de la médiation |
Les enjeux
La théorie de la médiation nous engage à sortir du réalisme de la couleur consistant à la positiver en rayonnement transformé par les prismes physiques des choses et biologiques des êtres. Ce réalisme n’est d’ailleurs pas corroboré par les sciences physiques et chimiques et biologiques dont les objets scientifiques voudraient fuir tout autant « la couleur » que le mot pose comme une réalité universelle et intemporelle. Leurs laboratoires, ces ateliers d’optique, et de mélanges moléculaires et de tests physiologiques ne sont pas confinés dans des centres de recherche fondamentale. S’ils sont à situer pleinement dans la réalité spécifique de l’activité toujours technique, ils ne sont pas davantage limités aux annexes des teintureries, des photographes, du cinéma, des éclairagistes et a fortiori aux ateliers des peintres ; les usines ne sont même pas en cause, car ce dont il est question se fait partout dans des chantiers divers qu’il faut analyser en tant que trajets outillés de nos activités quotidiennes, à dissocier des objets de représentation auxquels le phénomène « couleur » est associé et réduit.
Pour autant il ne s’agit pas de se départir de l’objet « couleur » pour insister sur sa subjectivation, et lier le propos aux capacités de sensations singulières du sujet recoupées par le langage et reprendre ainsi le combat de Newton contre Goethe fortement ancré dans la doxa. Où en sommes-nous dans l’appréhension des couleurs ? Partie 1 et 2.
La réalité d’analyse dont il est question est de l’ordre de l’activité et il s’agit maintenant d’aborder cette couleur qui se fait faire en tant que fabrication et production, structurée et restructurée, processus que l’anthropologie clinique médiationniste pose par le concept d’ergologie. Par la technique, la couleur n’existe aux yeux du constructeur qu’à être faisable, productible. Dans le moment de production où il s’agit de produire telle couleur, elle est à la fois limitée et étendue, selon les modalités d’attention : pratique, magique et plastique. Quelles perspectives sont ainsi offertes par l’anthropologie clinique médiationniste ? Parties 3 et 4.
1 Entre l’objet et le sujet : florilège historique de la couleur
Commençons par une sorte de florilège, qui, certes, fait l’économie d’un exposé historique montrant les incertitudes de nos rapports aux couleurs, mais permet d’éviter les redites de ce que d’autres ont fait remarquablement, comme Michel Pastoureau (2000 ; 2013) et Claude Romano (2010). Les citations qui suivent, fragmentaires, visent surtout à relever le fait technique sous-jacent. C’est à titre introductif que la lecture ergologique fait émerger, par de courts commentaires, quelques points critiques.
Maurice Déribéré (La couleur, 1970)
p. 38 : « Insistons sur la valeur expérimentale des travaux remarquables de Newton qui a véritablement découvert “que c’est à l’épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs” et qui a ainsi signalé que l’or en couche très mince, réfléchit des rayons jaunes mais transmet des rayons verts. »
Remarque inattendue éloignée de la doxa de l’unité intégrale du cercle chromatique,elle est glissée comme une anecdote dans une série de chapitres destinés à clarifier les rapports à la couleur parmi lesquels il n’est guère question des couleurs que les industries peuvent produire. Elle manifeste la part occultée des techniques masquée par la scientificité standard de l’optique physique et de la chimie.
Michel Pastoureau (Bleu, histoire d’une couleur, 2000)
p. 103 : « Dès 1666, Isaac Newton, à partir des célèbres expériences du prisme, décompose la lumière blanche en rayons colorés et découvre le spectre, un nouvel ordre des couleurs au sein duquel le noir et le blanc n’ont plus leur place. »
Les historiques de la couleur, celles du bleu, du vert et du noir, montrent principalement l’instabilité dans le temps et l’espace de la vision des couleurs jusqu’à pointer non seulement le changement d’ordre des couleurs entre elles mais l’inexistence de certaines à certaines époques. Inexistence sociétale, industrielle ou perceptive, la question mérite d’être posée.
Claude Romano (De la Couleur, 2010)
p. 157 : « Toute expérience est qualitativement unique, mais elle n’est pas constituée de qualia. »
Ainsi de la couleur. La perception des couleurs est un phénomène fondamentalement holistique, comme la psychologie de la forme y a insisté, après Chevreul et les peintres. En un sens nous ne percevons jamais une couleur toute seule, nous percevons un jeu de couleurs entrant en résonance et contrastant les unes les autres sur un fond de coexistence spatiale ; la perception de chaque couleur dépend de celle des autres.
p. 82 : « Pourquoi les phénomènes devraient-ils être des interfaces entre l’objet et nous ? »
L’embarras de Claude Romano face aux approches visant à dépasser le subjectivisme telles que la position phénoménologique [1], et écologique [2] se résout finalement par le recours à « la vie ». Et de pointer la pertinence de la conception du monde de la vie par Husserl, sorte de socle de la connaissance scientifique. Une phénoménologie des couleurs elles-mêmes est avancée via la « grammaire » impuissante de Wittgenstein. Le problème est que cette « logique » recherchée des couleurs ne sort pas franchement des rapports à l’objet. Et c’est à sens unique que l’analyse des œuvres d’art est conviée au débat : les théories des couleurs n’ont de la couleur industriellement réalisable apparemment rien à apprendre.
La « grammaire » des couleurs [3] pointe cependant un ordre interne propre à l’organisation des couleurs entre elles. Ce principe d’immanence avait déjà dicté à Newton une expérience de décomposition et de recomposition de la lumière blanche par un disque chromatique, qu’on peut reconsidérer en tant qu’activité doublement formée par la rotation et le mélange soustractif. .
Emanuele Coccia (La Vie sensible, 2010)
p. 53 : « Il n’y pas de phénoménologie ; seule existe une phénoménotechnique. Le phénomène est une modalité d’être particulière qui existe entre le sujet et l’objet dans le médium. »
Bien que fortement lié à la condition de l’être et à une conception de l’objet non débarrassée de la chose, l’ouvrage fait valoir l’autonomie du fait technique. En cela, par cette proximité avec l’ergologie, il est à signaler.
Jean-Claude Lebensztejn (Zigzag, 2014)
p. 119 : « Le peintre n’emploie que les teintes spectrales. Il utilise ces teintes à leur maximum de saturation, pour autant que le lui permettent les pigments et le médium qu’il a choisi : l’acrylique. »
Et Jean-Claude Lebensztejn de faire valoir la saturation maximale de la couleur en pot. Autrement dit, c’est l’hétérogénéité des techniques au sein d’une même pratique qui est implicitement affirmée : la technique du stockage révèle des possibilités que les techniques d’application de la couleur en couches ne permettent pas. La couleur en pâte, telle qu’elle est étalée n’est jamais aussi saturée, aussi intense aux yeux de chacun, que celle qui se déverse en grand volume et celle conditionnée en pot chez le fabricant de couleur.
Jean-Claude Sirost (La Couleur imprimable, 2007)
p. 10 : « Les activités industrielles et commerciales (textile, papier, matière plastique, peinture, emballage, imprimé, produit transformé, vernis, métal...) doivent appréhender la couleur de la manière la plus objective possible pour reproduire dans un intervalle acceptable le rendu de la couleur. »
Se montre ainsi la modestie de l’imprimeur qui a pleinement conscience de l’inefficacité relative de ses techniques qui doivent faire converger des industries diverses avec une confiance des clients toute aussi relative.
p. 172-173 : « La reproductibilité sera fonction du repérage de la machine à imprimer. »
Attentif aux différences de perception des couleurs, il tente une modélisation qui devrait ainsi servir de base aux techniques de reproductions par l’imprimerie fortes d’une colorimétrie de plus en plus affinée, pour un produit jamais « fini ». Il passe ainsi d’une description « absolue » à la relativité des techniques, montrée principalement par le passage du mode RVB des écrans, considéré comme paramétrable à souhait, à celui CMJN de l’impression papier qui déjoue souvent les ambitions de saturation.
CIBA, Société anonyme (Les colorants Chlorantine lumière et leurs emplois, non daté)
p. 1 : « La découverte des colorants substantifs pour coton au cours des années 80 du 19e siècle permit une nette simplification des méthodes de teinture. Ces nouveaux produits pouvaient être appliqués sans mordançage. Ils unissaient plus facilement que les colorants basiques, mais leur solidité à la lumière et leurs solidités aux épreuves humides étaient limitées. Les recherches entreprises pour remédier à ces insuffisances aboutirent notamment à la mise au point des colorants rosanthrène, diazo, et des naphtols. Mentionnons également, pour mémoire, l’introduction des colorants au soufre solides au lavage. »
On mesure la relation étroite qui relie la diversité des teintes à la pluralité des techniques sans lesquelles les couleurs des tissus n’existent pas. La réalité chimique devient primordiale et prend le pas sur l’appréhension des couleurs, objets représentatifs. Nous sommes ainsi placés dans le rapport aux trajets outillés en terme de moyens et de fins élaborées.
Agence culturelle d’Alsace, E-book de la lumière :
« La photométrie a pour objet de mesurer la lumière, c’est-à-dire les rayonnements capables d’impressionner l’œil humain ainsi que les différents phénomènes que vont subir ces rayons (transmission, réflexion, diffusion, réfraction, absorption). »
Vidéo, cinéma, images laser, spectacles lumières, autant de chantiers de couleurs diversement produites dont leur état dit « de lumière » masque la diversité technique des matériaux et des dispositifs. On remarquera la confusion inéluctable entre les phénomènes et les dispositifs. Les couleurs des écrans, celles inondant l’espace [4], les laser games, les spectacles de lumières sur les places publiques des villes changeant les monuments, les pièces de théâtre aux décors projetés, les images virtuelles, ces réalités relèvent chacune d’une technique particulière en dépit du chromatisme qui voudrait les réduire au mélange additif RVB. Les teintes lumineuses virent facilement à leur degré de saturation maximale. Et l’enseignant d’arts plastiques de souligner un usage nouveau, sinon de s’étonner devant les productions de peinture des collégiens souvent hautes en couleurs vives alors qu’il est demandé d’observer « le paysage ». Les teintes « observables » sont ainsi traitées par des teintes saturées ; mais ce que l’élève observe avec sa technique n’est pas ce que le regardeur enseignant voit.
2 Réalité praxique des couleurs : la couleur en forme naturelle
Rappel de ce premier moment de la dialectique supposé par analyse et manifesté par les pathologies en rapport avec la vision des couleurs : les dyschromatopsies ne sont pas seules en cause mais les apraxies, à partir du moment où la praxie fait voir les couleurs en tant que moyen et fin dans l’action qui sous-tend le regard. Ajoutons que les troubles de la couleur manipulée risquent fort de passer inaperçus, masqués par ceux des sons ordinairement et prioritairement destinés au langage.
La forme dont il question qui fait voir les couleurs est celle qui introduit dans le champ visuel une ségrégation entre un fond et une forme. La simplicité du fait ordinairement appréhendé en terme de théorie de la Gestalt que le français Paul Guillaume (1979, reprenant Guillaume, 1925) contribua à faire connaître provient du privilège ordinairement accordé à la représentation. Si par l’hypothèse d’une raison diffractée, la perception est soumise à déconstruction, la forme praxique peut s’exprimer autrement, en termes d’espace où le plein tangible s’oppose au vide sans consistance. Dès lors les expériences de creusement ou de mise en saillie de la zone en observation font partie de cette réalité praxique. Et s’y réfèrent implicitement les propos sur le bleu dématérialisant qu’on rapporte à la couleur du ciel, à l’opposé du rouge fortement ressenti comme relief. La préhension de la couleur est en cause, sans parler de la manipulation outillée, sur laquelle ce propos s’engage plus avant.
Le chapitre de Guillaume relatif à l’action qui examine les mouvements oculaires dit bien la part de la conduite appareillée tant elle fournit une explication par métaphore, celle de la machine à écrire, même si elle est détrônée par la proposition de conclusion qu’une forme existe qui ne se résout pas en une addition des parties. La machine y est présentée comme « ensemble de liaisons mécaniques rigides et préformées », à l’opposé du « dynamisme du processus physique qui détermine la forme » (ibid., p. 138).
Le point principal porte sur la mise en avant de la motricité dans la vision : « sensorium et motorium forment un seul appareil et le dynamisme de la réaction se rattache directement à celui du champ récepteur ». L’instinct y est mis en balance avec cette « machine » et valorisé comme processus fondamentalement adapté au milieu. Nous ne sommes pas loin des thèses de Jacob von Uexküll (1965) et de Augustin Berque que reprend Jean-Michel Le Bot : « L’existence écouménale se caractérise par la trajectivité. Cela veut dire que l’être de toute chose de l’écoumène chevauche le subjectif et l’objectif et qu’il excède son lieu matériel tout en le supposant nécessairement. De même le milieu est à la fois matériel et immatériel, subjectif et objectif ; et telle va l’écoumène dans son ensemble (Berque, 2000, p. 148). Plutôt que de trajectivité nous préférons toutefois parler de dialectique » (Le Bot, 2014, p. 207). Certes, Le Bot ne fait que traduire en terme médiationniste la trajectivité de Berque, mais la synonymie ainsi introduite risque de concurrencer, par homonymie, la trajectivité au sens de réalité de l’action instrumentale au plan spécifique de l’activité outillée [5].
Voir une page blanche dans des milieux ambiants différents la rend bleu, violette rose ou verte et cependant un fait de constance intervient par lequel on dédifférencie ces nuances. Il suffit de prendre en main dans la lumière du soir un papier légèrement teinté d’une nuance de violet pour réaliser que spontanément on a tendance à corriger l’effet et à voir blanc la feuille de papier. Mettre en cause une certaine résistance subjective aux changements de circonstance est l’explication généralement avancée. Si l’on fait place à la constitution du trajet, une autre explication se fait jour.
Des expériences de mélanges sur des supports dont la teinte n’est pas utile et qui dès lors ne nous conduisent pas à les voir, tel par exemple un récipient, montrent qu’on identifie les faits en négligeant les variations d’effets. Tel ce mélange par transparence d’une résine au latex plutôt blanche, sur un couvercle de boîte plutôt noir qui peut être identifié comme gris contre une sensation de blanc bleuté si l’on s’appesantit dans le rapport à ce qui se voit. Identifier n’est pas voir. Une première forme d’utilité dématérialise le réel, le proposant en tant que moyen et fin par l’action qui le transforme. La réduction des effets par raison utilitaire n’est pas nécessairement liée aux techniques du contretypage [6]. Nous procédons spontanément à cette correction parce que nous manipulons ce qui a valeur de moyen et de fin, l’action l’emporte alors sur les sensations.
2.1 Objectivitation physique et réalité technique : quanta et qualia
La réfutation du physicalisme qui fait parler de qualia [7] par opposition aux quanta [8] de la physique dure, gagnerait à composer avec les quanta. Pour la raison fondamentale avancée par l’anthropologie clinique médiationniste, entre autres théories des sciences humaines, que deux axes structurent les capacités humaines, que ce soit par Gestalt ou par analyse des formes qu’elle constitue. Qualité et quantité y sont de ce fait également présentes, pour une structuration par différences et segments, identités et unités.
Car le retranchement dans une phénoménologie de l’esprit se confond avec l’abandon de la méthode et l’adhésion à un relativisme ordinaire des pensées qui, sous couvert de modestie, est une catastrophe.
Quand on compte, on différencie implicitement puisqu’on n’additionne pas des ânes et des carottes. Les unités sont posées en faisant discrètement l’hypothèse d’une identité dans le classement par différences des réalités. Rabattre la conscience sur la perception pour lui confier le destin des qualia, c’est renoncer à la sémiologie en n’accordant de confiance qu’à la générativité des mots. Derrière les qualia, l’hypothèse médiationniste permet de pointer le principe de l’analyse qualitative opérant à tous les plans de la rationalité de l’humain.
Plutôt que d’opposer l’intuition à la démarche scientifique, ce à quoi aboutit le débat sur les expériences de pensée, et notamment la connaissance des couleurs, on doit considérer, quitte à passer pour un empirio-criticiste, l’expérience du franchissement involontaire d’un feu rouge vu par un daltonien. On n’a pas que les mots pour connaître le monde et les appellations vert et rouge n’ont pas de pertinence lorsqu’il s’agit de prendre en compte une technique de signaux lumineux. Sauf à imaginer l’hypothèse d’école que le daltonisme ou la dyschromatopsie survient d’un seul coup face à un système de signaux, le daltonien a depuis longtemps compensé sa déficience, parce qu’il vit en société et parce qu’il sait aussi à quoi servent les choses ouvragées de son milieu ordinaire. Bref, il est technicien. En conséquence, l’éclairage et le zonage peuvent « machinalement » gérer les changements de lumières et le positionnement du feu opérant.
Faisons place à l’activité technique et une autre dimension s’ouvre à nous dans l’appréhension des capacités humaines. La confiance qu’on accorde aux dispositifs par l’esprit pratique vaut celle qu’on accorde aux mots par la science.
D’ailleurs, la science invoquée n’est pas exempte de techniques dont la diversité rejoint l’irréductible inefficacité des dispositifs, si chère à la conscience de l’ingénieur. Les perfectionnements n’iront pas jusqu’à la perfection, cette certitude dans le rapport à l’incertain est au fondement de toute industrie dynamique qui tend à augmenter et à remplacer les appareils pour de meilleurs résultats, elle a aussi une conséquence théorique à savoir que l’ouvrage ne se débarrasse pas de son ombre, celle de la négligence du technicien. Et donc, la conduite appuyée sur une structure d’assurances diverses et distinctes, comporte toujours une part d’attention qui corrige l’inefficacité des fonctionnements, jamais complètement adéquats.
À travers le spectrographe, le principal dispositif en cause et en action relativement à la couleur, le physicien constructeur dispose d’un dispositif parmi ceux élaborés pour la métrologie. Ce à quoi sert le prisme, dans la mesure des longueurs d’onde, ne satisfait pas aux exigences du chercheur dont l’objet porte sur la réalité ondulatoire ou particulaire du monde, l’effet visible peut intéresser le coloriste soucieux de définir et de tester sa sensibilité.
3 Les formes techniques et les couleurs : la couleur productible
3.1 Contre le réalisme de « la couleur »
Ces mots de Goethe :
« Au commencement était l’action. »
« Les couleurs sont des actions de la lumière... »
De la théorie des couleurs
L’avant-propos de Rudolf Steiner qui tient lieu d’introduction à la première traduction intégrale du traité des couleurs de Goethe insiste sur la subjectivité du rapport à la lumière, que celle-ci soit analysée par la physique théorique en termes de mouvements atomiques ou qu’elle soit ce qui est perceptible par les sens. Ce monde des sens et des sensations de couleurs est ouvert par des expériences qui font place aux actions outillées de la physique, de l’optique et de la chimie. Et les physiciens de maintenant que la mécanique ondulatoire et particulaire intéresse plus que la couleur, ne sont pas insensibles, comme l’atteste cette remarque de Robert Paris [9] :
« Lorsqu’on observe l’arc en ciel, on croit à la continuité du spectre des fréquences lumineuses qui correspondent aux couleurs. Cependant cette apparente continuité est une somme de bandes discontinues correspondant aux fréquences d’émission et d’absorption des corps. »
Et en illustration Robert Paris nous montre les « discontinuités du spectre du Soleil à haute résolution entre 400 et 700 nm, obtenu avec le spectrographe du télescope MacMath de l’observatoire Kitt Peak en Arizona. »
Dans ce monde perçu, l’autre monde transformé de l’activité outillée apparaît par la segmentation que la forme technique introduit jusque dans nos expériences de sensations relatives au continuum coloré. L’action et la technique font voir, pas seulement lorsqu’on est équipé d’un spectrographe. mais dans toute activité.
L’invention de l’atechnie remet en cause l’unité praxique des gestes et une analyse proprement technique émerge. Dans ces conditions, introduites par l’équipe de cliniciens médiationnistes, une forme de faculté technique culturelle double la réalité naturelle de l’action, dualité que la théorie de la médiation nomme « outil » versus « instrument ».
À quelle condition peut-on maintenant parler de formes techniques faisant voir les couleurs ?
D’abord, il ne s’agit pas d’une forme au sens de la Gestalt gnosique induisant la séparation visuelle entre un fond et une forme, un plein et un vide. L’activité ne nie pas cette forme, elle apporte une autre analyse celle d’une réalité praxique en parallèle recoupée par la technique. La pluralité et la diversité des moyens et des fins de la technique met en forme les couleurs en négligeant l’infinie diversité des actions car tel enduit pourra servir à changer la teinte des murs, à chauffer la lunette arrière de la voiture pour la dégivrer ou à isoler du piratage une salle informatique. L’hypothèse médiationniste à explorer et exploiter pose une transformation résultante qui se manifeste par un aveuglement et une voyance spécifique d’une structure et d’une dialectique. Ces deux processus déterminent la conduite du constructeur de la couleur qui se trouve ainsi placé et déplacé, dans l’action et dans la technique, bref dans l’action technique.
Les deux formes des rapports à la réalité colorée ne sont dissociables que par analyse, car elles coexistent, se manifestant par l’attention à la couleur à produire et par la relative négligence du faisable par la technique disponible. Le regard ainsi résultant, est réduit aux couleurs productibles et augmenté de ce qu’elles apportent d’inattendu, mais la vision des couleurs ne se produit pas en dehors des matériaux et dispositifs qui la gèrent. L’artificialité annule l’hypothèse des couleurs « naturelles », et les couleurs artificielles sont « natives », s’imposant d’emblée. La couleur est ainsi déjà faite, réaménageant dans l’œuf, l’infinité praxique supposée des actions qui voudraient la refaire.
Dès lors, s’agissant de l’activité technique qui, parce qu’elle les fait, contribue à faire exister les couleurs, l’ergologue se doit de dissocier la production de la fabrication. Si les vocables ne sont plus synonymes, on peut parler de la production de la couleur ; en revanche, il n’y a pas de fabrication qui soit celle de la couleur. Avec le processus abstrait de la forme de l’outil prend place l’indifférence technique aux finalités industrielles.
« Les couleurs » ou « la couleur » sont les vocables d’une réduction conceptuelle d’un effet qui ne se limite pas aux trois paramètres de la science standard, à savoir la teinte ou longueur d’onde (dont on se demande laquelle prendre puisque les variations conjoncturelles font que le rayonnement monochromatique n’existe pas), l’intensité ou degré de saturation, et la clarté ou valeur. Hormis ces trois axes du volume hélicoïde de Munsell, rien n’est désigné par les appellations en cause. Malgré une réalité de perception qui dépasse cette caractérisation somme toute relative dans une métrologie qui n’est pas unique. De quelque façon qu’on s’y prenne, l’inefficacité fait partie du produit industriel incapable de gérer le premier problème des couleurs métamères [10]. Fort de « températures-couleurs », d’un colorimètre, et de filtres associés, le déni de la machine chromatisation-éclairage est patent, et l’industrie relègue les variations liées à l’éclairage dans l’acceptable, faisant valoir la référence à un éclairement naturel supposé lumière blanche.
Loin de récuser l’histoire des œuvres, il y a donc à s’occuper de l’art qui s’occupe lui-même des faits et effets relatifs aux couleurs. Mais l’art suppose plus que la prise en compte du résultat et de sa préparation matérielle. Rayonnement, pigment, touche, couche et support [11], que celui-ci soit ou non rebaptisé « subjectile », ne sauraient être pris en compte comme des évidences sans, impérativement, questionner leur fondement.
C’est le mérite de l’anthropologie clinique d’avoir mis à jour et interrogé et les processus impliqués dans la production de l’œuvre, où perce une abstraction technique irréductible capable de mettre à distance les rationalisations technologiques. Le préalable consiste à prendre en compte ce caractère abstrait du processus : il ne s’agit pas de décrire « l’œuvre en train de se faire » ni, moins naïvement en termes de causes et d’effets, de s’interroger tous azimuts sur les multiples raisons qui ont été déterminantes. Ce réalisme qui défie les intentions annoncées, masque entre autres, la médiatisation spécifique de l’art, la manipulation. Celle-ci n’a pas l’évidence des affaires qu’on a matériellement en main ; la dimension de l’implicite des processus impliqués est capitale. Elle est d’abord posée en termes de capacités attestées cliniquement et pathologiquement par leurs défaillances manifestant la dualité des fonctions naturelles et des facultés culturelles de l’humain et s’agissant de l’activité, une capacité praxique et technique. On ne peut ainsi concevoir leur mise en action par la seule analyse structurale, comme ce structuralisme qu’on a un peu vite invoqué pour stigmatiser une autre anthropologie. L’anthropologie médiationniste intègre à la structure, outre la discrétion de l’implicite, sa mise en œuvre dialectique en trois moments également mais diversement formateurs.
Ces présupposés ne viennent pas de nulle part, leurs sources ont été clairement énoncées et identifiées : Ferdinand de Saussure, Karl Marx et Sigmund Freud à qui nous devons respectivement, une théorie du signe propre au langage, la dialectique historique et matérialiste, l’implicite de l’inconscient.
S’agissant de l’art [12], la mise en évidence de la raison agissante n’est pas de l’ordre d’une prise de distance volontaire par rapport à ce qui se fait en art. Il y a à pointer et circonscrire une distance déjà là qui n’oublie pas le rapport à l’activité toujours particulière, ce qui implique de ne pas rompre avec le réel de la production. Donc, ni idéalisme ni matérialisme : l’option prise est celle de la valeur de leur rencontre lorsqu’il s’agit d’expliquer, en s’appuyant sur des critères qui s’accordent au matériel et au spirituel. De même que le sens du langage n’est pas le contenu de l’idée mais un ensemble de sens différenciés et segmentés par les sons du langage, la fin de la technique n’est pas la chose à faire mais un ensemble fini de fins matériellement organisées dont la réalité tient aux différences de dispositifs et à leur segmentation. Toute l’importance de la dialectique apparaît par cette négation structurale reniée, réaménagement de cette finitude qui n’implique pas dès lors un caractère définitif mais devient évolutive et provisoire.
On peut sur cette base méthodologique, entrer et sortir du rapport à l’activité de production des couleurs pour la mettre en perspective avec nos divers rapports à la couleur, qu’ils soient ceux des industriels de profession ou ceux de chacun de nous, dans le quotidien.
Contre le réalisme, l’ergologie postule que « la » couleur n’existe pas. Il y a à faire valoir une réalité produite relativement, fonction des techniques impliquées, à l’opposé de l’universalisme de l’article indéfini à valeur universelle.
L’objection qui s’impose rapidement insiste sur la dimension physiologique et ophtalmologique du phénomène en question : il y aurait bien un canal sensoriel qui organisé d’une façon spécifique permettrait au sujet biologique humain de voir dans l’interchangeabilité supposée des individus de l’espèce. Partant, les cas pathologiques étant considérés comme des extrêmes, s’imposerait une moyenne de sujets qui distingueraient de la même façon la lumière et donc, les couleurs. La sensation-perception des couleurs est ainsi posée, par un principe biologique transcendant les singularités.
La première restriction avancée par l’anthropologie médiationniste tient à l’objet perçu ainsi défini : celui-ci prend trop de place parce que nous n’avons pas que notre physiologie optique pour percevoir : nous appréhendons le monde par le langage et plus. Et la théorie de la médiation d’ajouter : ce que nous voyons dans le rapport à la lumière, présente d’autres dimensions aussi culturelles que le langage. Les déterminants cognitifs et expressifs, qui relativisent la vision en sociétés et en sujets, en normes et en projets au pluriel ne sont pas principalement déterminants : les couleurs pourraient-elles exister sans technique pour les produire ? Ou, tout au moins, la vision des couleurs peut-elle se départir de leur analyse technique ? Question récurrente qui inclut le rapport à la couleur « perçue ».
Quelles conséquences tirer de cette hypothèse que le technicien est toujours présent quelle que soit la réalité en cause ? Cette heuristique voudrait accréditer le développement qui suit.
3.2 Pas de fabriquant ni de fabriqué propre à la gestion des couleurs
La fabrication traverse la couleur tandis que la production s’en préoccupe. Tandis qu’on décloisonne les industries par la prise en compte des formes de l’outil dans l’ouvrage, on multiplie les spécificités de la production en prêtant attention à la variété sans limite des actions conjoncturelles. C’est en ce sens que la couleur à produire s’oppose à la couleur productible, tendant à nier les limites embrassant les contraintes et les possibilités liées à la structure technique.
L’opposition n’est pas telle qu’on dispose d’un ensemble de moyens pour parvenir à une fin. Poser l’outil en tant que processus d’analyse emporte comme conséquence principale que le productible est formé autant par un ensemble de fins que de moyens. La fin, couleur à produire, n’est pas la fin technique, fondamentalement indifférente à la chose à faire.
Pour l’analyse proprement technique, l’expression de Kant désignant l’esthétique comme « finalité sans fin » peut servir : il suffit d’inverser la formule et de proposer à titre de fabriqué : « fins sans finalités ».
Les formes techniques qui médiatisent nos rapports aux couleurs ne lui sont pas spécifiques, pas plus que la grammaire le serait de certains champs sémantiques. Loin de rationaliser des effets de sensations colorées, il s’agit, par-delà la déictique colorée qui oriente certaines productions, de mettre en évidence des analyses qui les structurent, structurant en même temps d’autres industries.
Ainsi, pas de matériaux et de dispositifs qui soient réservés à la production des couleurs. Et il n’y a pas de fabrication de la couleur qui ne soit aussi une fabrication formant d’autres finalités.
Pour autant, l’enjeu est de prendre en compte ces « formants » qui transforment naturellement et culturellement les couleurs.
3.4 Matériaux et dispositifs [13] opérant en peinture, gravure et sérigraphie, comme ailleurs
Quels matériaux concernent le trajet outillé de la couleur ? D’abord, et par hypothèse structurale, ce ne sont pas les finalités visées qui pourraient les définir. La question majeure pour accéder au plan de la manipulation de la couleur et rompre avec sa représentation porte sur la triade usuelle : hue (longueurs d’onde), chroma (intensité ou saturation), et value (clarté). Elle est pensée comme nécessaire et suffisante pour appréhender n’importe quelle couleur. Mais s’agissant de la couleur productible, à quel titre ces trois paramètres constituent-ils des identités de matériaux, de sorte qu’on pourrait les transposer de leur réalité d’objets physiques en pouvoirs colorants (hue), pouvoir saturant (chroma) et pouvoir de clarté (value) ? Un premier problème, souligné par les colorimétristes outillés de spectrographes, tient au fait qu’on ne peut mesurer le pouvoir colorant indépendamment de son intensité. Qu’est-ce qui permet alors de poser séparément ce pouvoir de saturation ? Certainement pas le nuancier qui procède par asservissement au modèle de la nuance à produire et qui n’est pas là pour qualifier telle ou telle teinte. Et le paramètre en cause ne pourrait-il pas correspondre tout simplement à l’écart existant entre deux productions de teintes, mettant en évidence la simple inefficacité de l’outil ? À quelle condition peut-on voir l’intensité comme un matériau ?
Pour y répondre, faisons un petit détour par l’évolution des techniques. La découverte de l’aniline a constitué une aubaine pour les teinturiers confrontés à des techniques d’imprégnation des tissus allongées de nombreux chantiers successifs, elle a permis l’intensification des teintes. Peut-on dire qu’un nouveau matériau était né par cette rencontre des industries chimiques et tinctoriales ? La nouveauté est à repenser en tant que restructuration dialectique d’une technique rencontrant un problème et sa solution par intégration d’une autre technique. Ce fait ne peut être rapidement relégué au chapitre de l’histoire des techniques : un nouveau corps produit par mélange chimique élabore un pouvoir faire que les dispositifs du mordançage avaient déjà pointé, à savoir que l’imprégnation en colorants dépendait d’un pouvoir corrosif ouvrant les fibres aux pigments. L’aniline ne faisait que renforcer cette possibilité d’augmenter la saturation des couleurs ou « vivacité des teintes ». Ce fait qu’on dit « historique », ne place pas la saturation des teintes en dehors des dispositifs disponibles. L’assurance trouvée provient d’une difficulté posée par la technique employée qui exigeait un long et pénible traitement. Que la technique de l’autre, celle du chimiste, soit exploitée la fait participer ipso facto à la technique du teinturier, et techniquement l’unification est réalisée. Mais le fait analytique principal à retenir tient à cette vision pratique différentielle qui rend l’aniline plus efficace que ne l’étaient les teintes disponibles additionnées des pouvoirs corrosifs. Par comparaison de deux unités de moyens portant du pouvoir colorant, émerge un autre matériau que le pouvoir colorant : le pouvoir de saturation ; les couleurs à l’aniline sont mises en opposition avec les autres colorants et s’en dégage un pouvoir faire, une facilité technique sans que la collaboration involontaire nécessaire ait été recherchée, les deux constructeurs poursuivant parallèlement leur travail.
Les recherches portant sur les couleurs productibles et résultant des techniques de mélange sont nombreuses. Elles ne sont pas loin d’une pratique analytique oppositionnelle ; il suffit de considérer la pâte de couleur issue du mélange : liant et pigment font la couleur diversement. Le broyage fait passer l’oxyde du statut de charge à celle du pigment et plus on broie l’oxyde plus on tend à la transparence de l’encre : la finesse des particules est en cause. Bref, les couleurs résultant de ces protocoles de traitements mécaniques, dont la chimie, sont comparées, faisant ressortir le matériau de l’intensité. Telle pâte de colorant, comme celle de l’indigotier s’avère plus colorante que le pastel ou la guède et tel mélange détrône le précédent. Autrement dit ce sont les pâtes opposées entre elles qui fournissent le matériau, non la substance elle-même. La diversité des liants peut aussi être considérée sans cet angle… Reste le travail, du vernisseur, de l’encadreur, du peintre, qui font de cette intensité recherchée pratiquement une qualité utile ou plastiquement une texture.
Les qualités utiles, les textures et jusqu’aux pouvoirs d’influence des couleurs modulent les matériaux déjà là qui ne sont ceux du peintre que par son attention à l’effet visé : art des contrastes de couleurs. Le lapis-lazuli broyé offre le pigment du bleu le plus vif contre le recours à l’azurite ou au smalt. Mais le peintre modifie cette hiérarchie passant de la « palette pigmentaire » à la « palette visuelle » comme le suggère Michel Pastoureau.
Les couleurs du peintre sont à l’encontre de la couleur hypostasiée : le peintre ne peut ni ne veut abstraire la couleur de ses conditions de réalisation. Il ne connaît que les mises en scènes de la peinture produites par les matériaux et les machines disponibles. Il conduit à distance, loin de l’hypostase de la couleur, cette banalité d’une vision chromatique de la couleur réduite à la teinte (hue), l’intensité (chroma, saturation) et la clarté (value), interprétation qui voudrait n’en retenir que de la lumière pure, cet éther que chérissait l’esthète des siècles passés et que reprend par méprise le physicien qui s’intéresse au peintre en pensant trouver enfin dans les hautes technologies, les moyens d’y parvenir. À l’inverse, un matérialisme sec voudrait que seul le peintre en bâtiment paraisse faire la couleur par des surfaces superposables aux plans d’une représentation qui ne connaît que l’œil. Pour aller vers une implication du peintre tout entier constructeur mais rien que constructeur [14], la charge de peinture ne peut se limiter à celle du pinceau.
Pour éviter l’effet secondaire du lavage qui déteint les tissus, on jette dans le lave-linge une lingette qui absorbe les colorants de l’eau de lavage. Elle peut de cette façon à la fin de la tournée se trouver porteuse de couleurs... Pascal Pinaud [15] l’a bien compris et l’exploite autrement, en l’intégrant au sein d’un éventail de pratiques fortement hétérogènes.
Sans aller jusqu’aux marges de la peinture convenue qu’on signale à titre de curiosité, un simple fait propre à la technique soustractive, est à constater pour souligner la diversité des techniques qui permettent ou non de séparer la teinte de son intensité [16] sans recours aux valeurs par adjonction de noir ou de blanc ou de la complémentaire : une telle possibilité n’existe que par le mélange additif. Tel jaune pourra par variation d’éclairage se faire plus intense par augmentation des rayonnements bleu et vert. Équivalent de la polyphtonguie du phonème, l’unité de moyen peut se réaliser par plusieurs énergies physiquement distinctes ; l’énergie du courant n’est pas celle des vagues : les longueurs d’ondes ne sont pas leur quantité. Le peintre n’a pas l’appareillage de la colorimétrie des physiciens ou des imprimeurs, s’il distingue la saturation de la teinte, c’est en raison d’autres techniques qui bien qu’elles ne soient pas généralement mises à disposition restent virtuellement disponibles et forment ainsi ce qu’il peut voir dans « sa » palette qui n’est la sienne que par appropriation de la technique de l’autre. La relativité de la saturation se montre en changeant de technique : une production particulière permettant d’élaborer de la saturation consiste à faire entrer la lumière dans le colorant : le sérigraphe obtient ce fait par une sérigraphie consistant à fragmenter la couche de mastic portant le colorant en la faisant passer à travers les ouvertures de mailles du tissu : appliquée au dos du support, elle ressort de l’autre côté en petits picots, ce qui fait du tissu une filière et de la couche de couleur, un tapis. Autre réalité du mélange soustractif, le rabattement des teintes par la technique du mélange : si le peintre ne dispose pas de l’oxyde minéral qui lui permettrait de produire l’orange, il mélange le rouge et le jaune mais finalement il ne peut obtenir qu’une couleur rabattue (qu’on dit « sale »). Obtenir une couleur particulière fait partie du contrat de clientèle de l’imprimeur : ce qu’il désigne par les techniques de « contretypage ». Il est aidé dans son problème par la CIE (commission internationale de l’éclairage) :
[Définir] « des espaces de couleur que l’on peut considérer comme des espaces élémentaires. Ces espaces élémentaires, adaptés à la description d’un appareil particulier, présentent un inconvénient : ils ne peuvent constituer des références absolues, ce qui a conduit à définir des espaces de référence. Ces derniers sont utilisés en particulier comme espaces de connexion de profil pour assurer la traduction entre deux appareils. »
Autrement dit une colorimétrie semble mettre tout le monde d’accord, et les constructeurs et les exploitants, ce qui trahit l’absence de « référence absolue ».
La couleur par quantité est également en cause : outre l’épaisseur de la couche d’encre, l’étendue du format augmente ou diminue la sensation de saturation. On sait que le petit échantillon offre une couleur qui ne produit pas le même effet sur la grande surface à peindre ; l’augmentation de surface augmente l’intensité.
On met ainsi en évidence la relativité des trajets de la couleur : impossible convergence des techniques cependant tentée par les constructeurs qui, échangeant leur système de fabrication, sont amenés à produire un système de référence : pour deux valeurs propres à chacun de leurs chantiers d’appareillage, ils font correspondre une troisième censée être équivalente. Le principe de la transaction (disant la part de convention et d’action productive), plus que de la traduction (liée aux échanges de langues) est à pointer : il manifeste l’inefficacité de l’outil et rompt avec une couleur objet et sensation colorée. Les interactions des couleurs sont le casse-tête constant et elles ne se limitent pas à la juxtaposition des zones d’encre ; pour souligner la complémentarité des couleurs, la sérigraphie, l’offset, l’impression numérique, toutes ces techniques montrent l’interdépendance du support et du colorant [17] : le blanc du papier (teinte), sa porosité, sa lisséité (son « couché » ou son « lustre »), sa transparence (son « épair »), autant de matériaux qui participent à l’effet final : les encres sont ainsi élaborées en fonction du support.
On rabat bien souvent la peinture sur ces problèmes de chromatisation. La peinture est le véhicule de dispositifs et véhiculée par ceux-ci en grand nombre de machines, bien plus que la chromatisation intégrée à l’enduit, au mélange et à l’éclairage. La prévalence accordée à la fin fait oublier non seulement les fins techniques qui forment et déforment les couleurs, mais encore le réinvestissement en tant que fins des moyens techniques par invention dialectique. Tension, tissage, aplanissage, séchage, projection, modelage, diffusion, réflexion, absorption, répulsion, collage, déchirage, obturation, occultation, combustion, etc., tout y passe dans les limites des dispositifs techniquement existants.
Il faut maintenant envisager les singularités que les modalités de production, pratique [18], magique et plastique [19], confèrent à la mise en actions et en machines de ces dispositifs.
4 Réalité industrielle des rapports aux couleurs : la couleur à produire
On peut avancer qu’il y a des qualités utiles pour la couleur en raison de leur élaboration contre le matériau. C’est dire par là que se présentent structurellement des contre-pouvoirs que l’action ne peut que contrer pour parvenir à une relative efficacité.
Envisager les problèmes liés à la production de sensations colorées ne saurait aller dans le sens d’une focalisation sur l’activité sans prendre en compte la distinction apportée par l’ergologie entre fabrication et production. La dualité de la conduite technique conditionne l’accès à la réalité du trajet outillé sans lequel la couleur n’est pas, qu’il s’agisse de production à visée plastique ou de « perception » ordinaire. En préférant rapporter, plutôt qu’au non-sens, au conflit de l’instrument et de l’outil, de la technique et de l’action, les productions de sensations de l’art abstrait, comme ici en cause, celles de couleurs, c’est l’abstraction de l’art qui est visée. Car bien des faits produits relèvent de l’inefficacité fondamentale de l’outil. S’il arrive qu’on les qualifie de « non-sens », on ne pointe pas alors d’autre raison que la représentation en abondant dans le sens du privilège qu’on lui accorde communément.
4.1 La couleur, trajet outillé [20]
Que la chose soit ou non ouvrée, qu’elle soit ou non à gérer, qu’elle soit celle du ciel, des arbres ou du mur à peindre ou des spectacles de lumière, elle est toujours un tant soit peu discrètement formée des techniques disponibles. Et il n’est pas nécessaire qu’elle soit à faire, pour qu’elle apparaisse doublement en tant que moyen, par les matériaux et les engins qui la traitent, en tant que fin outillée par les dispositifs et les machines disponibles. Dans le rapport à la neige, par exemple, ce sont des actions, difficultés de déneigement ou plaisirs de glisse, qui la font exister sous différents aspects autant que les catégories de la pensée qui désigne ses « blancs ». Un blanc lisse va de pair avec une neige compressée qui montre une certaine brillance, avec le glacé hygiénique de l’hôpital, un blanc cotonneux est réservé aux flocons proches de la boule de coton, et le manteau de neige dit celui qu’on enfile. Bref, la réalité de la neige est aussi changeante que nos actions outillées qui la produisent. Elle présente aussi une constance qui tient aux techniques disponibles qui ne sont pas illimitées.
4.2 La couleur à produire
Au dossier de la couleur à produire, versons ce titre mentionné par Michel Pastoureau (2000) : « La couleur en noir et blanc (XVe – XVIIIe siècle) » ; l’article se réfère à des gravures tentant de transcrire les différences de valeurs propres aux couleurs, distinctes de celles de la lumière ambiante. Pari difficile à tenir puisque la technique du noir et blanc a priori ne gère pas cette distinction. Comment du coup y parvenir ? Dialogue sur le coloris contient des éléments historiques de réponse [21] : lorsque la gravure procède par traits le noir des lignes n’existe qu’en raison d’une désignation des choses — le dessin désigne — ce qui le rend invisible au regard d’une visée de perception des lumières transcrites. On peut concevoir que les variations de grisé puissent de la même façon, par zones homogènes se rapporter aux teintes des choses plus qu’à leur éclairement. Sachant que la séparation de ces effets que la peinture distingue reste impossible à gérer par la gravure, on touche ici à la confiance que chacun fait à la technique qui s’offre à lui. Mais les gravures rehaussées de couleurs existent aussi, ce qui trahit l’incomplétude du constructeur attentif à l’effet de fidélité au tableau dont il veut rendre les couleurs. Plus généralement, cet exemple montre la part de l’outil dans l’ouvrage principalement orienté par l’instrument.
Plutôt qu’un objet « couleur », ce sont alors des trajets outillés qui s’imposent ; et s’y constate la rencontre de l’outil et de l’instrument selon trois modalités : pratique, plastique et magique.
Fabrication | Pratique | Magique | Plastique |
---|---|---|---|
matériau | 1 - qualité utile | 2 - qualité influente | 3 - texture |
engin | 4 - ustensile | 5 - pied | 6 - métrique |
covalence | 7 - succédané | 8 - parallèle | 9 - métaplastique |
covariance | 10 - ajustement | 11 - lien | 12 - passage |
tâche | 13 - opération | 14 - opérateur | 15 - registre d’opéra |
machine | 16 - appareillage | 17 - automate | 18 - involution |
type | 19 - secteur | 20 - rapprochement | 21 - isomorphisme |
syndèse | 22 - chantier | 23 - entraînement | 24 - unisme [22] |
La couleur peut prendre du coup des valeurs diverses dont la diversité est structurée par les moyens et les fins techniques : on pourra particulariser les modalités magiques, pratiques et plastiques du tableau ci-dessus. Ce qui amène quelques changements : des tons fondus pour le lien, la touche de couleur pour le pied, la couleur métamère [23] pour le succédané, le proche pour le rapprochement, le bain pour l’entraînement... On pourra contester l’importation du parallèle, ordinairement affecté à la rhétorique de la représentation, mais la géométrie aussi peut justifier l’appellation. Pour le reste, soulignons la texture qui renvoie aux « couleurs de surfaces » invoquées par Claude Romano [24] contre « les couleurs filmiques », à la texture du vêtement et de sa théorie (Balut, 2013), les suggestions du chantier de la couleur, plus chantante que « l’atelier », de l’unisme qui est aussi le nom d’un courant de peintres soucieux du plan, de l’isomorphisme n’est pas loin de la « morphologie » que n’ignore pas l’enseignement des « écoles de beaux-arts », de l’opérateur libérant le constructeur de l’attention, emprunté aux mathématiques qui dit à mon sens une conduite fortement déterminée par le fonctionnement d’un dispositif prédominant alors dans la mise en forme, ce que redit l’automate en étendant le fonctionnement à l’unité de la machine toute entière, sans choix de dispositif particulier : la conduite « machinale » ou automatique peut être une référence, l’involution évoque la feuille sur la tige enroulée ce qui explicite en image l’endocentrisme de la plastique, le registre d’opéra magnifie le « registre formel » d’acception usuelle, le métaplastique est soutenu par la figure de rhétorique [25] du « métaplasme », la qualité influente s’illustre dans la photothérapie.
Une telle complexité peut paraître dissuasive, elle voudrait rejoindre non les intérêts divers qu’on peut trouver dans le rapport aux couleurs mais les nécessités diverses qui, par fabrication, infléchissent la production. Le tableau synoptique présente l’inconvénient d’être largement magique et mythique : les catégories avancées le sont en fonction d’un modèle d’appréhension du faire qui n’est pas toujours servi d’exemples ; mais la rationalité de la production n’est pas sa rationalisation, dit en substance Jean Gagnepain qui cite à plaisir le baron Münchhausen et sa technique impuissante à s’extirper du marais en se tirant par les cheveux [26]. S’étonne-t-on que dans la rhétorique on ait recensé tant de « figures » ? Au lieu de mettre en remorque de la représentation la couleur comme le dessin en formalisant ses messages, cultivons la productivité de la technique et ses inventions pratiques, magiques et plastiques.
Par ailleurs, le recours à des registres de langues aussi nettement contrastés que la trivialité et le langage savant est chaotique, mais sommes-nous, ne serait-ce qu’en tant que constructeur, constructeur d’une seule et même technique ?
4.3 La couleur produite et la productivité technique
Focalisé sur le rendement, le constructeur est attentif à l’efficacité, à la finition du « produit » : cette attention caractérise toute production selon les trois modalités précédemment invoquées. Ce faisant, il nie l’inefficacité des dispositifs qu’il a mis en action. Dans le même temps et parce qu’il est technicien, il regarde son matériel et exploite ses dysfonctionnements par excès et par défaut.
La technologie des panneaux solaires fournit un exemple de production de colorant, celui au dioxyde de titane, prévu pour être remplacé par un autre à la pérovskite au pouvoir électrique plus prometteur, qu’on utilise dans les panneaux solaires. Noirs ou de couleurs, rappelons que la couleur n’y est que secondaire, bien que le noir y joue par sa captation de la quasi-totalité du spectre, un rôle important. Des dispositifs d’éclairage produisent de la couleur sans que celle-ci soit là pour être montrée et pour être vue : lecture des disques ou découpage au laser. La couleur de nos murs est autant là pour masquer que pour être vue. La couleur incidemment produite fait partie des singularités de l’art contemporain : les nettoyages de Bernard Bazile [27] remettant à neuf les surfaces, et les dissolvants et les grattages, les frappes de Leon Golub décapant ses propres tableaux, ravivent ou affadissent les teintes. Il se produit un effet coloré qui exploite tous les sous-produits et les bévues de nos peintures, ce qui se produit qui n’était pas visé et ce qui ne s’est pas produit que ce soit pratiquement, plastiquement ou magiquement.
Les couleurs attendues n’ont pas nécessairement une valeur intentionnelle : Claude Romano rapporte une hypothèse soulevée par Hume quant à « une personne qui a perçu toutes les couleurs à l’exception d’une nuance » (Romano, 2010, p.132). Et il commente la réponse faite à la question posée de savoir si cette « personne » peut imaginer cette nuance inconnue à ses yeux : « Il est vrai que les couleurs forment système. Il est vrai que ce système des couleurs permet d’anticiper par l’imagination une teinte que l’on n’a jamais vue auparavant. » La suggestion d’un esprit de système opposé à un esprit de finesse rejoint la dualité de la conduite que pose dialectiquement l’ergologie, à condition toutefois de transposer l’opposition au plan de l’activité. Le regard induit par l’outil suppose une certaine négligence des détails non utiles et contre cet aveuglement, une voyance faisant ressortir les entités techniques ; inversement, et par l’attention spécifique de l’instrument, un regard affiné se concentre sur l’effectivité de la fin visée. En l’occurrence, la couleur manquante est-elle proprement imaginée ou sa réalité ne tient-elle qu’aux machines du spectrographe ou du mélange soustractif ou additif des couleurs ? Car on connaît les fluctuations historiques des interprétations et du décompte des couleurs de l’arc-en-ciel. En impliquant dans le fait relevé la voyance de la technique, on mesure en même temps la part d’aveuglement que la structure impose dans la vision des couleurs.
Tentons de préciser cette vision systématique ; non seulement l’imaginaire n’est pas en cause mais une identification et une uniformisation qui va à l’encontre tant de la sensibilité de la perception que l’arbitrarité des couleurs nominales. On sait que l’impressionnisme s’est fait reconnaître en rompant avec la couleur locale : Seurat radicalise le fait en distinguant trois couleurs : celle de la lumière ambiante, « illumination », celle de la couleur « locale » censée définir idéalement la chose dans son « essence » et la couleur complémentaire que le peintre tire des expériences de Chevreul. Les touches sont ainsi apposées par triades. On gagnerait en compréhension si l’on rapportait le systématisme de cette pratique respectivement aux dispositifs d’éclairage et d’éclairement de l’atelier et du dehors, à la couleur faisable compte tenu des tubes de couleurs et des oxydes existants et enfin, aux interactions physiologiques des couleurs, mesurées par les appareils de la métrologie. Les couleurs sont ainsi produites à l’insu du constructeur qui les utilise.
Lorsqu’il procède en conscience pour produire telle nuance, ce sont ces analyses pré-constituées qui se manifestent alors comme autant de facteurs contrariants ou surprenants. S’il s’agit d’élaborer de la saturation, le voilà traquant ou développant la diffusion et l’absorption des rayonnements. Recourant au glaçage des vernis, au plaquage de ses aquarelles contre le verre de ses présentations, introduisant du métal dans la peinture pour diffracter un peu plus les ondes, éteignant les reflets et les sources d’éclairements parasites. Tous les pouvoirs sont là, et pour son opéra il faut au peintre leur convergence, nécessité qui fait voir des contre-pouvoirs. Les qualités et les quantités utiles bien que disponibles ne sont pas mises à disposition, et leur élaboration suppose que le poste de travail ne soit pas encombré de matériel et de fonctionnements inutiles.
Entendons nous bien : l’utilité en cause est autant pratique, magique que plastique, ce qui la module nécessairement à supposer qu’aucun des trois processus ne puisse s’imposer pleinement. Le tableau synoptique montre toute la complexité de la production ; et s’il tente de rejoindre la variété infinie des actions par des catégories finies, c’est encore une manifestation de la forme technique qui systématise nos conduites.
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Notes
[1] cf. p. 145 : la couleur phénoménologique est située entre la logique formelle qui permet de supposer une couleur et la nécessité matérielle qui implique qu’une couleur a nécessairement une étendue et qu’elle est couleur de quelque chose : « En quoi consiste donc la différence entre une proposition nécessaire a priori formelle et une proposition nécessaire a priori matérielle ? Aucune n’est dépendante de l’expérience au sens où elle pourrait être invalidée par elle. Mais l’une de ces nécessités, tout en étant a priori n’est pas de nature logique : c’est une nécessité “factuelle” qui dépend des particularités de ce monde-ci, et plus précisément des particularités d’un domaine de ce monde, en l’occurrence le domaine des couleurs. C’est une impossibilité matérielle qu’une couleur se rencontre sans extension. [...] Et il en va de même de tous les a priori que la phénoménologie prend pour thème. »
[2] Position de James Gibson rapportée par Claude Romano : « La perception des couleurs aurait pour fin de mettre en évidence les invariants pertinents pour la vie animale dans son environnement. » Il cite l’exemple du chimpanzé capable de discerner avec acuité la couleur rouge du fruit dans l’épaisseur d’une végétation. Le concept d’« affordance » est avancé par James Gibson pour dire la suggestion d’agir que constituerait la couleur ainsi érigée en signal.
[3] Notamment, à propos de la distinction couleur unitaires (primaires) et couleur binaires, Claude Romano cite Wittgenstein : […] je puis toujours re-construire à nouveau, pour ainsi dire, le rouge pur (le bleu pur, etc.). C’est précisément un rouge qui ne penche ni d’un côté ni de l’autre, et je le reconnais sans avoir recours à un échantillon, comme par exemple l’angle droit par opposition à n’importe quel angle obtus ou aigu. Recherches philosophiques, I, § 372, p.171.
[4] Les néons de Dan Flavin, ceux de Keith Sonnier, le bleu spatial de James Turrel.
[5] L’enjeu étant qu’une position soucieuse de donner place à la culture technique et à la capacité d’action naturelle conduirait plutôt à inverser la proposition de Berque selon lequel « le milieu n’est pas seulement agi […] il est aussi perçu et conçu. » pour affirmer qu’il n’est pas seulement objectivé mais trajectivé en objet conçus et trajets produits — outre le sujet socialisé et le projet normé.
[6] « […] la couleur d’un objet (sa couleur apparente) varie sous la couleur d’éclairage, sa pose, le point de vue ainsi que de nombreux paramètres sensoriels. Pour des images d’extérieurs, la couleur de l’éclairage varie selon la temps et les conditions atmosphériques. Ainsi la position de l’objet et de la caméra influence l’illumination ambiante. Enfin, des paramètres sensoriels comme les ombres, l’inter-réflection modifient également la couleur de la scène. Par conséquent la couleur apparente d’un objet est déterminée par de nombreux facteurs externes. L’invariance couleur à pour objectif de ne garder que la couleur de surface de l’objet. Cette approche fait partie du domaine de la constance de la couleur. » Fabien Pélisson, Description couleur, 2002 :
http://www-prima.inrialpes.fr/pelisson/description_couleur/node7.html (consulté le 3 mars 2018)
[7] Qualia : terme par lequel on désigne les qualités de l’expérience. Mickael Cozic cite Jakson (Epiphenomenal qualia, 1982) en réfutation du caractère de propriété physique des qualia. Cf. http://mikael.cozic.free.fr/philoSCHS0910/philoSCHS-0910-esprit4-np.pdf (consulté le 3 mars 2018)
[8] Quanta :
- En physique : quantité minimale d’une grandeur physique pouvant séparer deux valeurs de cette grandeur (Lav.-Pollet 1982). On pourra, pour parler rapidement, exprimer un quantum en unité de potentiel, par exemple en volts (M. de Broglie, Rayons X, 1922, p. 18). D’une manière plus générale, toute quantité physique indivisible, d’énergie, de moment cinétique, etc., est appelée quantum (Musset-Lloret, 1964). Le photon est le quantum du rayonnement électromagnétique (Lav.-Pollet, 1982).
- Théorie des quanta : théorie due à Planck selon laquelle certaines grandeurs physiques ne varient pas de façon continue mais passent par des valeurs discontinues (discrètes) correspondant chacune à un nombre entier de quanta`` (Lav.-Pollet 1982).
(http://www.cnrtl.fr/definition/quanta)
[9] Cf. http://www.matierevolution.fr/spip.php?article938 (consulté le 3 mars 2018)… où Joss Moll tente de mettre « Paris » en bouteille.
[10] Par exemple, considérons deux lampes électriques dont l’une a un pic monochromatique dans le jaune et l’autre, deux pics monochromatiques dans le rouge et dans le vert. Si les couleurs de 2 objets différents éclairés par ces sources paraissent identiques sous les 2 éclairages, on dit que leurs couleurs sont métamères.
[11] La liste est longue des catégories censées saisir le « concret ».
[12] Et il s’agit, chaque fois qu’on l’invoque, de le circonscrire et de dire ce que l’art n’est pas.
[13] L’appellation globale « matériaux et dispositifs » correspond à une commodité d’expression : elle masque en effet l’analyse en termes d’identité et d’unité. Et il faudrait encore convier l’analyse par similarité et complémentarité…
[14] Il n’est pas question de l’appréhender comme un témoignage de vie avec un début et une fin marquée par des empâtements et des épuisements de charge.
[15] Exposition « Sur la route », FRAC de Bretagne, 2015. Cf. http://www.pascalpinaud.org/
[16] Jean-Claude Sirost mentionne, p. 28, un fait qui contredit l’indépendance des paramètres : « l’effet Abney influence la variation de teinte lorsqu’on désature une couleur. »
Pour compléter l’indication : toute lumière est ainsi considérée par la colorimétrie forte de la loi d’Abney comme métamère de deux lumières : monochromatique et blanche ; la pureté colorimétrique est ainsi mesurée par le rapport fractionnel des deux luminances.
[17] Dans La Fabrication en question (Le Guennec, 2015), le titre de la rubrique est, p. 74 : « l’interdépendance du subjectile et du colorant ». Il serait préférable, plutôt que de subjectile, de parler de trajectile, en cohérence avec l’avancée ergologique du trajet.
[18] Jean Gagnepain emploie le vocable d’« empirie » (Gagnepain, 1990, p. 206).
[19] ... « magique et plastique » souvent confondues
[20] « Il faut voir certainement dans l’identification dénoncée de la tâche ou de la machine à la fin la cause principale du privilège du trajet ; privilège redoutable, d’ailleurs, puisqu’en le promouvant, du même coup on l’oblitère […]. » (Gagnepain, 1990, p. 173)
[21] « Ce n’est pas qu’il soit toujours nécessaire d’imiter les corps des couleurs par les degrés du clair-obscur, mais il se trouve souvent des occasions où il le faut faire indispensablement » (Piles, 1699, p. 67).
[22] Strzeminski écrit dans son livre, L’unisme dans la peinture, publié en 1925 : « l’art comme création de l’unité de formes dont l’organicité est parallèle à celle de la nature ; parmi les lois fondamentales de la formation des œuvres picturales, il souligne l’importance de la planéité découlant de la toile plane sur le châssis. »
[23] Mettons ce fait en rapport avec le commentaire Wikipédia sur le métamérisme et l’on prendra la mesure de l’homogénéisation relative des couleurs assurée par la technique : « Deux couleurs métamères ou homochromes sont deux lumières visibles dont le spectre physique est différent, mais que la vision humaine ne différencie pas. [...] » Le mot « métamère » est emprunté à la chimie, où il désigne des substances isomères, mais ayant des propriétés différentes.
[24] Claude Romano (2010, p. 148) mentionne les travaux de Katz (1935). Les expériences de celui-ci visent à mettre en évidence des modes d’apparaître différents des couleurs que l’on peut regrouper sous trois rubriques principales : couleurs pelliculaires ou filmiques, dont les couleurs de n’importe quel rayon de lumière colorée, couleurs de surface, appartenant aux « objets » et définissant leur volume, ce qu’apporte la vision binoculaire, et couleurs de volume, qui suppose un espace rempli de couleur(s) transparente(s).
[25] Des monuments sont en cause : Pierre Fontanier (2009) et Dominique Noguez qui inventorie notamment les métagraphes par transposition des métaplasmes (Noguez, 1974).
[26] Ce qu’il réalise pourtant avec l’aide magique de Gustave Doré.
[27] Dans les années 1980, Bernard Bazile réalise des actions de « nettoyage », intitulées Brillances, sur différents types de matériaux au sein de lieux divers.
Gilles Le Guennec« La couleur produite et productible », in Tétralogiques, N°23, Le modèle médiationniste de la technique.