Jacques Laisis
Entre autres choses. Petits fragments d’épistémo-logie
Résumé / Abstract
Article paru initialement dans Tétralogiques, n°15, L’hypothèse de la bi-axialité. Textes réunis sous la responsabilité de Jacques Laisis, 2003, PUR, pp. 51-75.
Mots-clés
épistémologie | explication | Freud | Linguistique | Pierre Bourdieu | psychanalyse | Saussure | sciences humaines | sociologie |
On sait qu’il n’est de « science humaine » qu’à la condition de rendre épistémologiquement tolérable la présence côte à côte de deux termes dont une certaine tradition avait affirmé qu’ils étaient nécessairement exclusifs l’un de l’autre. Réservant la « science » et toute pensée du déterminisme à une « matière » longtemps résumée à ce qu’en pouvait dire la seule physique selon un préjugé aujourd’hui encore fréquent et dont il ne faut surtout pas oublier que la chimie puis la biologie eurent chacune déjà à le surmonter [1], cette tradition renvoyait « l’humanité » à l’au-delà immatériel d’un « esprit » réservé à la seule réflexivité spéculative quand elle n’était pas vouée à l’insondable d’un « libre arbitre » devant lequel devait capituler toute ambition explicative [2].
C’est ce dualisme de la matière et de l’esprit que Saussure refuse [3] en affirmant la réalité d’un Signe qui, si abstrait qu’il soit, s’inscrit néanmoins dans le registre de ce qui est phénoménalement attestable – dans « la convention sociale de la langue », dit-il – et c’est ce refus qui donne épistémologiquement toute son envergure à l’introduction des notions de signifié et de signifiant. Luttant en même temps (et, dans le Cours tel que nous en disposons, dans les mêmes paragraphes) contre un réductionnisme naturaliste (phonétique ou cognitif) et contre un abductionnisme spiritualiste (et ses idées fantômes), Saussure nous invite à affronter l’existence assez énigmatique du mixte étrange d’une pensée-son dans laquelle le son cesse d’être seulement du son puisqu’il incorpore l’abstraction du signifiant dans sa relation toujours pertinente au sens en même temps que le sens cesse d’être seulement du sens puisqu’il incorpore l’abstraction toujours matériellement marquée du signifié.
Ce double refus est explicitement au principe de la théorie du Signe que promeut Saussure qui, après avoir déconstruit le langage en au moins deux déterminismes, refuse que quoi que ce soit de discernable préexiste – dans le son aussi bien que dans le sens – à son instauration oppositionnelle et négative, qu’il impute à ce qu’il nomme « l’ordre propre de la langue » constituant désormais « le domaine des articulations ». Renversant le pseudo-matérialisme d’une phonétique oublieuse de l’analyse qu’introduit le signifiant aussi bien que le caractère fantomatique d’une logique qui ne se croit préalable que parce qu’elle est inconsciente de l’analyse qu’introduit le signifié, Saussure, en même temps qu’il formule le principe de la valeur, clôt le Signe sur lui-même dans la « subdivision réciproque de ses faces » et affirme du même coup que le phénomène humain contient toujours déjà la formalisation qui lui est réellement incorporée. On ne soulignera jamais assez le caractère épistémologiquement toujours aussi incisif d’une telle prise de position, au regard de laquelle certaines affirmations cognitivistes d’aujourd’hui peuvent apparaître assez régressives.
Renversant la conception habituelle selon laquelle « le rôle de la langue vis-à-vis de la pensée serait de créer un moyen phonique matériel pour l’expression des idées », conception dont l’utilitarisme et l’associationnisme présupposent ce qu’il conviendrait bien plutôt de démontrer, en l’occurrence l’existence de moyens matériels aussi bien que d’idées dont le pluriel se décide très énigmatiquement en dehors du langage ou de la langue, Saussure va mettre en avant le rôle formellement instaurateur d’une langue qui, certes, continue de « servir d’intermédiaire entre la pensée et le son » mais « dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d’unités ». La langue devient le lieu où s’inscrit dans une réalité phénoménalement observable le principe de la valeur. Du même coup, ce principe instaurateur de tout facteur ou de tout élément phonétiquement ou sémantiquement discernables devient scientifiquement attestable dans une procédure qui tourne remarquablement le dos à ce qu’elle a refusé : rien n’est plus opposé au réductionnisme naturaliste d’une phonétique articulatoire ou acoustique que le signifiant saussurien ; réciproquement, rien n’est plus opposé à l’abductionnisme spiritualiste d’une sémantique logiciste que le signifié saussurien.
En affirmant que rien de discernable (dans le son aussi bien que dans le sens) ne préexiste à son instauration négative et oppositionnelle par la valeur dans le cadre de la langue, Saussure rompt partiellement [4] avec l’associationnisme substantialiste alors régnant en même temps qu’il nous délivre de tout réalisme en matière représentative. Il nous invite à reconduire tous ces sons, toutes ces idées ou toutes ces choses à leur instauration analytique par la langue elle-même alors que l’on avait jusqu’alors pensé qu’ils existaient en dehors de la langue, que cet en-dehors soit envisagé comme l’en-deçà que proposerait une réalité préalablement constituée en choses ou comme l’au-delà que proposerait un univers mental préalablement constitué en idées [5].
Selon la formule célèbre, rien ne peut désormais précéder comme objet ou comme chose (selon la terminologie à laquelle on est habitué) le point de vue qui l’informe, c’est-à-dire l’opération de construction dont au contraire il procède, laquelle consiste en l’introduction de l’abstraction analytique dans un réel dont il faut comprendre à quel point il est par nous toujours conçu [6]. Se rendant du même coup à l’invitation à réfléchir d’un Husserl [7], on peut donc, en tout « objet », retrouver ce en quoi il résulte d’une procédure d’objectivation et, entreprendre d’objectiver ces opérations de construction d’objet pour en faire l’objet à leur tour d’une science de l’objectité. N’en déplaise aux réalistes qui aimeraient pouvoir continuer de poser les choses d’un côté et les idées de l’autre, l’abstraction de la « cause », puisqu’elle est son principe instaurateur, cesse ainsi d’être opposable à la « chose ».
Qui plus est, en envisageant d’un côté une analyse in absentia et de l’autre une analyse in praesentia, Saussure nous amène à poursuivre cette instauration analytique dans la double perspective d’un discernement taxinomique des qualités et d’un dénombrement génératif des quantités. Rien, désormais, n’est discernable comme chose autrement qu’en reposant sur une distinctivité différentielle, rien désormais n’est énumérable comme chose autrement qu’en reposant sur une élémentarité contrastive. Il n’est dès lors de « chose » que pourvue d’un principe d’identité qui fait d’elle une classe de manifestations similaires, dans leur diversité même, parce qu’identifiées par leur relation différentielle à des manifestations relevant d’autres classes – ce qui fait que, quelle qu’en soit la couleur du poil, un chat est un chat et pas un chien – et pourvue d’un principe d’unité qui fait d’elle une classe de manifestations solidaires, dans leur multiplicité même, parce unifiées par leur relation contrastive de séparabilité décontextualisante à des manifestations relevant d’autres classes – ce qui fait qu’un chat n’est qu’un chat, c’est-à-dire ici non obligatoirement accompagné du fauteuil ou du radiateur sur lequel, en situation, il repose pourtant nécessairement.
Ces opérations abstraites d’objectivation et/ou de construction de choses, tout locuteur les effectue spontanément parce qu’il parle et que, parlant, il introduit la distinctivité taxinomique et la segmentativité générative. Mais on sait que le locuteur, spontanément « réaliste » [8] ne s’entend pas parler et ignore, dans une « chose » qu’il croit lui être extérieure, le fait qu’elle résulte d’une construction qu’il effectue et dont il est toujours glossologiquement le « causeur ». Du scientifique, par contre, on peut attendre qu’il soit un peu moins « réaliste » [9] parce que davantage préoccupé de surveiller de quoi il parle et à quelles conditions il en parle et qu’il travaille ainsi à rendre aussi explicites que possible des opérations théoriques d’objectivation que le locuteur ordinaire, inconscient de son propre « dire », laisse dans l’implicite à coup sûr mythique de ce que Bachelard appellera « l’obstacle verbal ».
Revendiquer au nom des sciences humaines la domiciliation anthropologique de toute forme de rationalité (qu’elle soit linguistique, technique, sociale ou éthique), c’est donc rappeler qu’il n’y a de science qu’humaine, que la science est nécessairement toujours anthropomorphique (fût-elle physico-galiléenne comme on se plaît si souvent à le dire aujourd’hui). Il s’agit, dès lors pour nous, de rapporter le fait qu’on appelle « épistémologique » à ses conditions anthropologiques de possibilité en en faisant un phénomène humainement banal, réductible aux propriétés inhérentes aux phénomènes aussi bien linguistiques que techniques, sociaux ou éthiques.
Les propos des scientifiques, surtout quand ils entreprennent d’installer dans le réel l’existence d’un nouvel objet, constituent alors pour nous autant d’occasions factuellement observables d’aller ressaisir l’opération éminemment abstraite de construction d’objet. On peut ainsi voir réellement à l’œuvre dans son propos la procédure par laquelle tout scientifique peut métalinguistiquement expliciter les implications logiques de son propos, ce que tout locuteur peut potentiellement faire. D’où la double lecture toujours possible que l’on peut faire de ces textes. Le psychologue peut s’inquiéter légitimement de ce dont parle Freud quand il parle de cette « chose » qu’est l’inconscient. Le sociologue peut, de son côté, s’interroger encore sur la volonté de Durkheim de traiter du social comme d’une « chose ». Mais, renversant la perspective en reconduisant la chose désignée aux modalités formelles de sa désignation, le linguiste glossologue peut en faire un exercice de sémantique dans la mesure où ces textes mettent en œuvre en les rendant ainsi explicitables les procédés grammatico-rhétoriques qui président, le plus souvent implicitement, à toute désignation de « chose ».
Ce dont nous voudrions donner rapidement quelques exemples. En commençant bien évidemment par Saussure lui-même.
Que disait-il en effet de l’objet de la linguistique ? Ceci, à quoi il faut toujours revenir et que d’aucuns ont la fâcheuse et régressive tendance à oublier : que cet objet ne saurait être le langage et qu’à vouloir parler encore du langage, scientifiquement on ne sait pas de quoi on parle, précisément parce qu’on mélange et télescope dans le cadre qu’impose cette notion usuelle ce qu’au nom de la science actuelle il conviendrait bien plutôt de différencier et de séparer : « Quelqu’un prononce le mot français /nu/ ; un observateur superficiel sera tenté d’y voir un objet linguistique concret ; mais un examen plus attentif y fera trouver successivement trois ou quatre choses parfaitement différentes, selon la manière dont on le considère : comme son, comme expression d’une idée, comme correspondant du latin /nudum/, etc. Bien loin que l’objet précède le point de vue, on dirait que c’est le point de vue qui crée l’objet. » Donc ce que dit quelqu’un n’est pas un phénomène mais plusieurs. Et il est essentiel de bien remarquer qu’il n’est chaque fois « phénomène » que d’être chaque fois considéré d’un certain point de vue, lequel point de vue consiste à le mettre en relation avec tel ou tel ensemble de phénomènes – qui ne sont de même « genre » que parce qu’on ne saurait les assimiler à d’autres – et à procéder à cette mise en relation dans le cadre d’un certain « ordre » qui ne trouve sa limite qu’en étant séparé d’autres mises en relations possibles, mais à ce moment exclues parce que ressortissant à d’autres perspectives explicatives auxquelles on ne saurait la réduire. D’où ce jeu sur l’identité et la différence, sur l’unité et la séparation, observable dans toute entreprise d’objectivation.
Le « phénomène » ou le « fait » ne sont donc pas à chercher là où l’observateur – « superficiel » parce que benoîtement « réaliste » – serait tenté de les trouver : dans le « donné » positivement observable, insidieusement déjà circonscrit par les deux versants d’une idée reçue dont il ne soupçonne même pas la présence, efficiente jusque dans la double résistance à la déconstruction qu’elle va entraîner. Seule son adhésion sans discussion à une idée reçue peut effectivement rendre superficiel un tel observateur en l’amenant à penser que, si diverses qu’elles soient, les manifestations du langage ne cessent pas pour autant de participer d’une similarité qui permet de les rapporter au « même » d’une chose qui reste identique à elle-même par-delà la variation de ses occurrences. Du langage humain à celui des abeilles, en passant par celui de la musique, de la peinture ou de l’architecture, sans oublier celui de l’ADN, comme on le sait on peut aller très loin dans la conviction qu’en définitive c’est du langage [10].
De cette aliénation doxique au savoir auquel on est accoutumé, endormi qu’il est dans ce que l’on croit être la réalité concrète – comme le disait si joliment Bachelard –, l’on retrouvera l’autre versant dans ce que l’on peut nommer l’esprit borné d’un observateur qui, trop convaincu qu’il est de pouvoir traiter du langage séparément du reste, cantonnera son attention aux seules manifestations verbales d’un processus interlocutif ou expressif en ignorant leur solidarité avec certaines autres manifestations non verbales du comportement de quelqu’un. Et l’on sait que cette focalisation sur le verbal peut être jugée sociologiquement ou axiologiquement parfaitement contestable. Il faut donc surveiller attentivement la procédure d’obtention des faits, telle qu’elle est déjà esquissée par Saussure qui nous permet de sortir d’une pensée substantialiste pour aller vers une pensée de la pure relation.
Certes, comme « son », /nu/ est « phonologiquement » envisageable comme étant constitué de « traits » et de « phonèmes », mais on sait – depuis le Cours, justement – que ce qui définit les « traits » et les « phonèmes » c’est qu’ils sont oppositionnels, toujours relatifs à d’autres, par distinction ou par segmentation. De la même manière, comme « expression d’une idée » /nu/ est « sémiologiquement » envisageable comme étant marque de « sème » ou de « mot », mais on sait maintenant qu’il en va des « sèmes » ou des « mots » comme il en va des « traits » et des « phonèmes » : qu’ils sont oppositionnels, toujours relatifs à d’autres, là encore par distinction ou par segmentation.
Mais dans les deux cas, du point de vue du signifiant comme du point de vue du signifié, /nu/ ne devient « fait » ou « phénomène » « phonème » ou « mot » que d’être mis en relation avec autre chose que lui-même, mise en relation – avec d’autres « phonèmes » ou d’autres « mots » – dans laquelle, seule, il trouve son statut, mise en relation qui, seule, constitue le « fait » explicatif et donc le « phénomène » scientifique, mais mise en relation caractéristique de la perspective « glossologique » et d’elle seule.
Car c’est bien cette mise en relation, constitutive du « fait » ou du « phénomène », que l’on retrouve encore dans cette autre façon de considérer /nu/, comme provenant du latin /nudum/ auquel il est supposé correspondre. Dans cette autre perspective, ce qui importe, ce n’est plus le signifiant ou le signifié, mais « l’héritage » historique avec son paradoxe : le français /nu/ n’est le correspondant du latin /nudum/ qu’à la condition de ne plus être /nudum/ ; /nu/, c’est et ce n’est plus /nudum/ : /nu/ n’est /nudum/ que transformé, devenu « néologiquement autre ». Et il ne peut être devenu « autre » que parce qu’il « appartient » désormais à la manière « autre » de parler de gens « autres » que les romains. Le « mot » a changé d’aspect en changeant de propriétaire. Autant dire que ce qui importe ici, c’est de remonter de l’altération constatable dans le néologisme à l’altérité socio-historique qui l’explique, laquelle implique que l’on mette en relation, par-delà leurs manières de parler, les gens qui parlent, selon les relations qui socio-historiquement définiront leur existence. C’est de relation qu’il s’agit encore, mais de relation cette fois « sociale ». Ce n’est plus à la glossologie qu’il appartient d’en rendre compte, c’est à la sociologie ou à l’histoire et il est clair que cette analyse ne peut être poursuivie qu’en récusant l’isolement abusivement supposé du langage dans la prise en compte de faits sociaux de tout ordre. Ainsi assiste-t-on aujourd’hui, avec la multiplication des recherches socio-linguistiques, au retour en force de l’extra-linguistique dans le champ linguistique sans que les implications épistémologiques en soient pour autant chaque fois assumées.
Puisque expliquer, c’est mettre « quelque » chose en rapport avec (au moins) quelque « autre » chose selon un type défini de relations où il trouve le principe de nécessité (causale) qu’on appelle une « explication » ; et puisque ce type de relations, lui-même, n’est défini – posé comme étant ce qu’il est – que d’être dissocié (distingue et séparé) d’un autre (au moins) type de relations, ce qui définit ce qu’il « est » étant à comprendre dans sa relation de différence et de séparation d’avec ce qu’il n’est pas, il faut prendre la mesure de la distance qui sépare ce qui, empiriquement, se donne (sur le mode du concret constatable) et ce qui, scientifiquement, s’obtient (sur le mode de l’observation construite) : Ce que l’on prend pour un « donné » concrètement constatable, est, pour la science, toujours trop complexe pour qu’une perspective explicative suffise, à elle seule, à en rendre compte. On résout cette complexité de l’apparemment « donné » en le « déconstruisant », c’est-à-dire en l’analysant. Quitte à comprendre récursivement que l’on n’a jamais déconstruit qu’une construction préalablement effectuée par un savoir toujours-déjà-là. Quitte à comprendre enfin que rien d’autre n’est jamais « donné à observer » que le résultat d’une construction reposant sur le principe même de l’abstraction.
Et comme analyser, c’est ne pas (tout) confondre – donc faire des différences – et ce n’est pas (tout) amalgamer – donc faire des séparations – on dira du « donné » concrètement constatable qu’il résulte de l’interférence de plusieurs déterminations, ce « plusieurs » renvoyant à l’obligation de les différencier (pour ne plus les confondre !) aussi bien qu’à l’obligation de les séparer (pour ne plus les amalgamer !). Ce qui revient à congédier épistémologiquement le savoir constructeur de ce que l’on a pris pour un « donné » alors qu’il n’est jamais, lui aussi, que « l’obtenu » d’une tradition.
C’est d’ailleurs par la complication croissante de l’analyse – toujours plus de différences, toujours plus de séparations – que l’on résout la complexité du « donné » concret, en posant la « simplicité » toujours relative et toujours provisoire de « l’obtenu » : pensons à l’atome que les physiciens « atomisent » (sic) en le bombardant de telle sorte qu’il cesse d’être a-« tome » (ce qui, ne se coupant pas lui-même, était tenu jusque-là pour l’élément simple ultime permettant de décomposer la « matière »).
C’est de cette façon qu’il faut, aujourd’hui encore, comprendre le bien-fondé de la célèbre opposition langue/parole par laquelle Saussure entend bien résoudre la « complexité » de ce langage dont il dit très clairement qu’il ne saurait faire l’objet d’une « science » : « amas confus de choses hétéroclites sans lien entre elles, multiforme et hétéroclite ; à cheval sur plusieurs domaines, à la fois physique, physiologique et psychique, il appartient encore au domaine individuel et au domaine social ; il ne se laisse classer dans aucune catégorie des faits humains, parce qu’on ne sait comment dégager son unité, il serait chimérique de réunir (tout cela) sous un même point de vue ; le tout global du langage est inconnaissable parce qu’il n’est pas homogène ».
Cette opposition, de la langue et de la parole, à laquelle on peut aujourd’hui ne plus guère accorder de crédit, a au moins le mérite – ce pourquoi on peut en conserver le principe « déconstructif » – de faire apparaître la nécessité d’obtenir, à l’analyse, par l’analyse et pour l’analyse, des « ensembles de phénomènes » qui, à l’encontre du « donné », seront homogènes (c’est-à-dire pas hétéroclites) et autonomes (c’est-à-dire pas à cheval sur plusieurs domaines). Ce qui se retrouve parfaitement dans ce que Saussure attend de la langue dont il ne fait l’hypothèse qu’en la distinguant et en la séparant de la parole dont il est obligé, corrélativement, de faire également l’hypothèse, l’une ne pouvant pas aller sans l’autre.
Dès lors, pour Saussure, à la différence du langage, « la langue seule paraît être susceptible d’une définition autonome » [...] « elle est un tout en soi et un principe de classification » [...] (avec elle) « nous introduisons un ordre dans un ensemble qui ne se prête à une autre classification » ; « elle est un objet bien défini dans l’ensemble hétéroclite des faits de langage ».
Mais il faut bien comprendre que la langue ne possède, aux yeux de Saussure, ces vertus de simplicité, d’homogénéité et d’autonomie, que d’être soustractivement obtenue, dans la déconstruction du langage, dans son opposition (justement) à la parole qui va se charger du « reste », si je puis nommer ainsi tout ce qui, dans le langage, est d’un autre ordre et qui fait dés-ordre. Là comme ailleurs, les choses ne sont « en ordre » qu’après qu’on ait fait le ménage, c’est-à-dire le tri, le classement, la répartition...
On peut désormais comprendre pourquoi « la langue, distincte de la parole, est un objet que l’on peut étudier séparément » [...] « Non seulement la science de la langue peut se passer des autres éléments du langage, mais elle n’est possible que si ces autres éléments n’y sont pas mêlés » [...] « Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi délimitée [qui dit délimiter dit tracer des frontières] est de nature homogène. »
« On peut également comprendre pourquoi la séparation des deux points de vue s’impose, et plus on l’observera rigoureusement mieux cela vaudra. La meilleure preuve en est que chacun d’eux crée une méthode distincte » [...] « la langue est un système qui ne connaît que son ordre propre » (mais, décidément, il n’est d’ordre propre qu’une fois effectué le ménage de l’analyse, et c’est tout un travail !).
Mais on peut surtout comprendre maintenant le pourquoi de l’avertissement qui conclut ces chapitres du C.L.G. : « il n’en est pas moins vrai qu’une certaine attention est nécessaire pour faire des distinctions de ce genre. Ainsi dans chaque cas on posera la question de la nature du phénomène, et, pour la résoudre, on observera cette règle... ».
Il importe peu, pour l’instant, de savoir de quelle règle il s’agit. Ce qui compte, c’est qu’il y en ait une, qui renvoie à la nécessité d’une mise en relation de ce qui est donné, mise en relation où ce donné trouve le principe de sa définition, où se résout la question de sa « nature », c’est-à-dire de son statut. Cela permet au passage de comprendre à quel point l’observation scientifique est une observation contrainte, contrainte par les règles que la science formule dans la définition qu’elle donne de son objet et des phénomènes dont elle traite. À chaque science sa règle, à chaque science ses phénomènes, à chaque science son objet, distingué et séparé de l’objet d’une autre science. Et il en va de la langue dont Saussure entreprend de traiter comme il en va dans tout savoir de toute chose et, scientifiquement, de tout objet : chose ou objet, la langue ne l’est que de résulter d’un ensemble d’opérations d’analyse liées à une manière de concevoir. Là aussi, c’est une affaire de point de vue et il n’est de fait de langue que pour un certain type d’observateur. Il se pourrait donc qu’on en vienne à reconnaître que son existence n’est scientifiquement pas soutenable alors qu’elle est aujourd’hui pourtant si évidente aux yeux de tant d’observateurs (réalistes ?) pour lesquels elle n’est pas loin de constituer un donné empiriquement incontournable. Auquel cas il arriverait à la langue ce qui est déjà arrivé au langage : à son tour victime d’une opération critique de dé-construction, la langue rejoindrait dans le néant du dé-passé toutes ces idées qui ont cessé d’être reçues après avoir pourtant fait les beaux jours des observateurs qui nous ont précédés. Jusqu’à ce qu’à notre tour, nous prenions un sacré coup de vieux, et avec nous ce que nous prenons pour la réalité des choses !
Tout cela est bien connu mais il faut faire valoir, en le reprenant dans une perspective qui bénéficie de ce que la glossologie permet de mettre en forme, à quel point ces remarques entretiennent avec la question du langage une double relation.
La première relation renvoie à la nécessité de déconstruire le langage. Ce que communément l’on appelle le langage fait alors l’objet d’une analyse qui, dans le concret de l’acte du locuteur, discerne (différencie et sépare) des phénomènes de statut chaque fois différent parce que renvoyant à des déterminismes différents, que l’on est donc en droit (ou plutôt dans l’obligation) d’examiner séparément les uns des autres.
La deuxième relation renvoie, dans le langage, à ce qui fait spécifiquement l’objet de la glossologie, c’est-à-dire à la théorie du signe. Pour la glossologie, parler c’est analyser, c’est-à-dire grammaticalement catégoriser le représenté en facteurs différenciés (sèmes) et en éléments segmentés (mots). Ne soyez donc pas surpris de retrouver ces propriétés de l’analyse rhétoriquement à l’œuvre dans la déconstruction du langage lui-même. Le langage – ou plus précisément désormais, dans ce que communément et confusément l’on appelle le langage, ce que la glossologie appelle le signe – n’est plus ici seulement objet de l’analyse. Il en est en même temps la condition de possibilité puisqu’il en introduit le principe.
Comme objet de la glossologie, le signe est, comme tous les objets scientifiques, obtenu au terme d’une procédure analytique de (dé)construction. Mais c’est un objet un peu particulier en ce sens qu’objet lui-même (désigné par la glossologie), il est (pour la glossologie) au principe de tous les objets désignés.
La glossologie devient dès lors cette science un peu spéciale qui a pour objet la procédure de construction des objets (en tant qu’ils sont humainement représentés, c’est-à-dire désignés). Et elle entretient avec l’analyse une relation redoublée. Œuvre elle-même d’analyse, elle a pour objet de rendre compte de ce qui nous rend capables d’analyse (scientifique ou non). Elle est analyse de ce qui nous rend capables d’analyse, analyse de l’analyse. Au lieu, comme les autres sciences, d’analyser quelque chose (qui fait leur objet, chaque fois distinct et séparé des autres), la glossologie se retourne sur la procédure d’analyse elle-même et se donne pour objet les opérations de différenciation et de segmentation dont résulte tout objet : en tant qu’objet il n’est que d’être désigné ; mais à toute désignation rhétorique préside implicitement une signification grammaticalement sous-jacente.
Comprendre qu’il n’est d’objet que (dé)construit est une première étape du raisonnement, qui peut conduire à la reconnaissance du déterminisme glossologique. La seconde étape de ce raisonnement conduit à examiner, pour elles-mêmes, les opérations de (dé)construction qui président à l’existence de tout objet. On passe ainsi de l’objet (le résultat) à l’objectivation (la procédure) et, en se donnant pour objet cette procédure d’objectivation, on entreprend d’objectiver l’objectivation, c’est-à-dire d’objectiver les conditions même de l’analyse en faisant une théorie de l’objectité [11]. Et l’on comprend du même coup à quel point la démarche suivie par Saussure est la mise en œuvre de ce qu’il a à dire du signe. Isomorphe à la forme logique de son objet, la forme de la démarche saussurienne illustre, à ce moment au moins du CLG, une circularité réflexive que nous appelons circularité anthropo-logique, circularité dont Husserl avait déjà relevé l’existence en la réservant au seul domaine de la logique alors que nous en faisons aujourd’hui un usage qu’il trouverait à coup sûr inconsidéré [12] !
C’est nécessairement là où elle s’affirme que la linguistique saussurienne sera ultérieurement critiquée, d’hypothéquer un certain registre d’identité et d’unité dans un phénoménal dont on peut penser qu’il résiste à cette assignation théorique. On le sait, c’est sur l’argument de l’arbitrarité que Saussure pose le principe d’autonomie de la langue et donc le principe d’unité de l’objet de sa linguistique, « l’ordre propre de la langue » échappant désormais à toute autre explication que celle qu’il propose. Et c’est en invoquant l’existence de la synchronie qu’il pose le principe d’identité de l’objet de sa linguistique, ce qui revient à assimiler l’une à l’autre et dès le départ l’homogénéité conventionnelle de l’usage social et l’homogénéité logique que toute explication implique ou induit entre les faits qu’elle construit.
D’où les deux objections que formule Bourdieu dans Ce que parler veut dire [13]. Il s’en prend d’une part à cette « illusion » qu’il qualifie non sans ironie terminologique de « pragmatique » et dont il montre qu’elle est la conséquence directe du « coup de force inaugural par lequel Saussure sépare la linguistique externe de la linguistique interne et exclut toutes les recherches qui mettent la langue en rapport avec l’ethnologie, l’histoire politique de ceux qui la parlent... parce qu’elles n’apporteraient rien à la connaissance de la langue prise en elle-même ». Cela revient à se tromper d’analyse en imputant aux mots eux-mêmes des propriétés de performativité sociale qui ne leur adviennent que parce que les relations que l’on qualifie peut-être à tort d’interlocutives sont inséparables de l’ensemble des paramètres qui définissent une situation sociale. Mais, soulignant le « fait si puissamment refoulé par les linguistes que la nature sociale de la langue est un de ses caractères internes et que l’hétérogénéité sociale est donc inhérente à la langue », il s’en prend aussi à cette autre « illusion », qu’il qualifie cette fois de « communiste » et dont il montre qu’elle est la conséquence de « la philosophie intellectualiste qui fait du langage un objet d’intellection plutôt qu’un instrument d’action et de pouvoir. Accepter le modèle saussurien et ses présupposés, c’est traiter le monde social comme un univers d’échanges symboliques. C’est réduire l’action à un acte de communication destiné à être déchiffré au moyen d’un code, et supposer l’appartenance des sujets à la même communauté, dans une sorte de participation mystique universellement et uniformément accessible, donc exclusive de toute dépossession. »
Sans épiloguer davantage sur ces illusions reprochées à la linguistique – elles permettent pourtant de soupçonner pour quelles raisons la langue peut être un jour déclarée introuvable [14] – nous nous contenterons de relever le fait que, dans l’argumentation critique de Bourdieu, elles ne sont que deux, qu’il n’y en a pas trois. Cela permet de rendre manifeste, jusque dans son propos à lui [15], le fait qu’un objet n’est scientifiquement soutenable comme objet qu’à la condition que le principe d’identité et le principe d’unité que l’élaboration théorique lui a conférés échappent à la critique et au démenti.
Pour autant donc qu’on trouve à redire à ce que dit quelqu’un, on ne peut s’en prendre qu’à ce qu’il dit quand il parle, qu’à ce qui s’effectue dans et par son propos, en l’occurrence l’identification différentielle et l’unification contrastive de l’ensemble des phénomènes relevant de la même « chose » ou, scientifiquement, du même objet.
Aussi bien Mauss [16], entreprenant d’établir qu’il existe des faits que l’on peut qualifier de sociaux et qu’ils peuvent donc faire l’objet d’une socio-logie, se doit d’affirmer que « les faits sociaux sont dans la nature, c’est-à-dire soumis au principe de l’ordre et du déterminisme universels, par suite intelligibles ». Et il ne peut invoquer, à l’appui de cette hypothèse, que le fait que l’on a vu « se révéler des régularités insoupçonnées, des concordances beaucoup plus précises qu’on ne pouvait le supposer d’abord », ce qui lui permet d’honorer les deux conditions que toute science lui semble devoir remplir pour avoir un objet : « il suffit, mais il faut : d’une part qu’elle s’applique à un ordre de faits nettement distincts de ceux dont s’occupent les autres sciences » ; d’autre part, que ces faits soient susceptibles d’être immédiatement reliés les uns aux autres, expliqués les uns par les autres, sans qu’il soit nécessaire d’intercaler des faits d’une autre espèce.
Luttant sur ces deux fronts d’une manière pour nous glossologiquement parfaitement exemplaire, Mauss va d’abord montrer comment le fait social n’est aucunement réductible au principe de nécessité inhérent à la nature et l’on retrouve l’argument de l’arbitrarité dans le constat que « même certains sentiments, qui semblent tout spontanés, sont en réalité le produit de la culture sociale puisqu’ils font défaut chez certains peuples et varient infiniment à l’intérieur d’une même société selon les couches de la population ». Leur diversité, leur complexité et leur caractère impératif sont autant de propriétés qui interdisent que l’on pense des faits sociaux « qu’ils dérivent de la nature organique et psychique de l’individu puisqu’ils seraient, sinon, les mêmes partout, alors que justement la nature propre du groupe, foule ou société, se reconnaît à ce qu’il détermine chez les individus certaines manières de sentir, de penser et d’agir, et que ces individus n’auraient ni les mêmes tendances, ni les mêmes habitudes, ni les mêmes préjugés s’ils avaient vécu dans d’autres groupes humains. Il faut donc les rapporter à une nature nouvelle, à des forces sui generis, sinon elles resteraient incompréhensibles ». Une fois qu’on les a séparées « de l’ensemble des phénomènes naturels et individuels, il est fondamental de tirer parti de ce que l’histoire comparée » (du droit, des religions, etc.) a permis d’établir, à savoir le fait que « ces habitudes collectives, ces manières d’agir et de penser consacrées par la tradition et que la société impose aux individus forment entre elles, entre institutions, un système, que les premières ne peuvent se transformer sans que les secondes se transforment également ». Autant dire que la séparation du naturel et du social appelle corrélativement – et c’est l’argument de la concordance – la solidarisation des multiples manifestations du social. « Il faut montrer les rapports que soutiennent les différentes institutions d’une même époque, il ne faut pas isoler une institution du milieu où elle est apparue. Il faut donc reconnaître que les institutions dépendent les unes des autres et dépendent toutes de la constitution du groupe social. » On aura reconnu dans le recours à cette interdépendance des phénomènes sociaux l’une des règles de la méthode formulées par Durkheim et qui, n’acceptant qu’on explique du social qu’en le mettant en rapport avec du social à l’exclusion de toute autre mise en rapport, clôt sur lui-même le domaine sociologique. Mais on aura reconnu également la délimitation contrastive d’un ensemble de manifestations relevant conceptuellement du même objet très exactement en ce que leur multiplicité ne saurait masquer leur solidarité, ce qui les rend solidairement – toutes ensemble – séparables de ce qui n’est pas social mais, par exemple, naturel ou psychologique.
Dans l’autre perspective, celle qui consiste à établir une identité de principe entre des manifestations dont la diversité même n’interdit nullement que l’on conçoive la similarité qui les rend intelligibles, il faudra distinguer entre plusieurs types de régularité et ne surtout pas se tromper d’analyse. Ainsi l’existence de déterminismes naturels se reconnaît-elle dans le fait que « tous les individus remplissent leurs fonctions organiques dans des conditions sensiblement identiques ; il en est de même des fonctions psychologiques : les phénomènes de sensation, de représentation, de réaction ou d’inhibition sont les mêmes chez tous les membres du groupe. Mais personne ne songe à les ranger dans la catégorie des faits sociaux malgré leur généralité. C’est qu’ils ne tiennent aucunement à la nature du groupement mais dérivent de la nature organique et psychique de l’individu. Aussi sont-ils les mêmes quel que soit le groupe auquel l’individu appartient ». Encore faut-il comprendre « qu’on ne voit pas comment les propriétés essentielles de la nature humaine – précisément parce qu’elles sont les mêmes partout, à des nuances et des degrés près – pourraient rendre compte des formes si variées qu’a prises successivement chaque institution. Les tendances indéterminées de l’homme ne sauraient rendre compte des formes si précises et si complexes sous lesquelles se présentent toujours les réalités historiques ». Et à en rester là, à ces « linéaments tout à fait généraux », dont il est pour nous particulièrement pertinent qu’ils soient dits « presque insaisissables à force d’indétermination, c’est la plus grande partie de la réalité sociale, tout le détail des institutions qui demeure inexpliqué et inexplicable ». Et l’on aboutit à cette position inacceptable – mais c’est justement celle qui prévaut aussi longtemps que n’émergent pas les sciences humaines [17] – qui voudrait que « seuls les phénomènes que détermine la nature humaine en général, toujours identique dans son fonds, seraient naturels et intelligibles ; tous les traits qui donnent aux institutions, suivant les temps et les lieux, leurs caractères propres, tout ce qui distingue les individualités sociales, tout cela est considéré comme artificiel et accidentel ».
Il est pour nous particulièrement remarquable que Mauss, naviguant entre deux écueils, passe de ce refus au refus tout aussi tranché des conséquences de l’attitude de « l’historien qui a naturellement tendance à ne voir dans les faits que ce qui les distingue les uns des autres, ce qui leur donne une physionomie propre dans chaque cas isolé, en un mot ce qui les rend incomparables. Porté à se défier de toute comparaison, de toute généralisation, quand il étudie une institution ce sont ses caractères les plus individuels qui attirent son attention, ceux qu’elle doit aux circonstances particulières dont elle est inséparable ». Ainsi les institutions ne peuvent-elles plus être considérées que comme « des combinaisons accidentelles et locales qui dépendent de conditions également accidentelles et locales ». À cette attitude « qui suppose dans les faits une infinie diversité ainsi qu’une infinie contingence parce qu’on n’admet pas qu’il y ait des causes générales partout agissantes », Mauss va opposer là encore les enseignements dus à « la méthode comparative qui a révélé l’existence d’institutions incontestablement identiques chez les peuples les plus différents, ce que l’on ne saurait considérer comme fortuit : des institutions semblables ne peuvent évidemment avoir dans telle peuplade sauvage des causes locales et accidentelles, et dans telle société civilisée d’autres causes, également locales et accidentelles ».
Refusant qu’« on explique des phénomènes comparables par des causes particulières à une société et à une époque » et invoquant le fait que « l’esprit se refuse à considérer comme fortuites la régularité et la similitude », Mauss s’en prend aux « historiens qui prétendent expliquer les faits en les enchaînant chronologiquement les uns aux autres parce que c’est d’une façon tout à fait arbitraire, nullement méthodique, et par conséquent tout à fait irrationnelle que les historiens assignent à un événement un autre événement qu’ils appellent sa cause ». Aussi importe-t-il de rappeler que « les procédés inductifs ne sont applicables que là où une comparaison est facile. Expliquant un fait unique par un autre fait unique, n’admettant pas qu’il y ait entre les faits des liens nécessaires et constants, ce que les historiens peuvent apercevoir comme causes échappe à toute réglementation comme à tout contrôle ». Et la conclusion s’impose, qui stipule que l’explication historique, impuissante à faire comprendre les similitudes observées, l’est même à rendre compte d’un événement particulier ; aussi bien peut-on dire qu’« elle n’offre à l’intelligence que des phénomènes inintelligibles parce qu’ils sont conçus comme singuliers, accidentels et arbitrairement enchaînés ». Comme quoi, là comme ailleurs, dans l’affrontement du hasard et de la nécessité, la passion de la singularité renvoie toujours à l’irrationalisme dont elle constitue d’ailleurs un symptôme [18].
Il faut encore remarquer que l’émergence d’une nouvelle science, impliquant le remaniement des manières de penser, entraîne en même temps la redistribution de ce qui fait la matière même des observations dans la mutation néologique d’un réel désormais autrement conçu. Ce qui équivaut, pour certains, à devoir supporter que les choses, n’étant plus ce qu’elles étaient, retournent au néant dont les avait sorties l’acte (de dénomination) qui présida à leur institution. « Une recherche sérieuse » peut ainsi « conduire à réunir ce que le vulgaire sépare ou à distinguer ce qu’il confond », puisqu’il faut la plupart du temps « substituer aux notions du sens commun des notions » qui pour être de première approximation scientifique n’en sont pas moins « construites puisqu’on y rassemble et désigne un ensemble de faits dont on prévoit la similarité fondamentale et qu’elles sont les résumés d’un premier travail, d’une première revue rapide des faits dont on distingue les qualités communes ». Se déclarant « libre vis-à-vis des classifications existantes », la sociologie peut « répartir le travail autrement qu’il ne l’a été jusqu’ici. Considérant comme siens un certain nombre de problèmes qui, jusqu’ici, ressortissaient à des sciences qui ne sont pas des “sciences sociales”, elle conteste leur unité factice, les décompose, leur abandonne ce qui est leur objet propre et retient pour elle tous les faits d’ordre exclusivement social ».
Pour mettre un terme de pure convenance conjoncturelle à une série d’exemples en droit parfaitement indéfinie puisque la glossologie postule, bien entendu, qu’il en va de même quel que soit l’objet particulier dont on parle – c’est sa manière à elle de mettre en œuvre le principe d’identité ! – c’est à Freud justifiant métapsychologiquement l’hypothèse de l’inconscient contre le savoir de son temps [19] que nous emprunterons ce qui permet d’illustrer à quel point sa démarche argumentative est, comme les autres, logiquement étayée par ce qui glossologiquement constitue les deux versants de toute conceptualisation. Nous n’épiloguerons donc pas sur le remaniement du savoir et donc du réel qu’implique l’introduction de cette nouvelle « chose », encore que le propos freudien le fasse bien apparaître. Nous ne nous interrogerons pas non plus sur la question de la légitimité d’une hypothèse que d’autres récuseraient éventuellement, dans un débat portant sur sa justification, débat dont on peut pourtant dire que c’est lui qui préoccupe l’auteur que nous allons citer. Conformément à la séparation des perspectives dont la théorie de la médiation proclame l’impérieuse nécessité, nous ne nous préoccuperons que de la dimension glossologique de ce qui s’énonce comme constituant l’inconscient et dont il importe de comprendre – en toute logique – que c’est avant tout un concept. Seule nous importe donc « l’objectité » de la « chose freudienne », telle qu’elle se formule dans un propos qui, dans son existence empirique, n’est bien entendu nullement réductible au commentaire déconstruit que nous en proposons. Les propriétés définissant glossologiquement l’objectité sont indifférentes à ce qui par ailleurs définirait l’inscription socio-historique de ce dont il s’agit dans un savoir du même coup épistémologiquement caractérisable (datable, situable). Elles sont tout autant indifférentes à ce qui par ailleurs ordonnerait la légitimation discursive de la démonstration freudienne. La « chose » n’a pas d’âge et il ne faut la confondre avec « l’étant », tout comme le concept n’est pas la doxa, étant et doxa dont l’arbitrarité contingente les rend toujours susceptibles de retourner au néant ; mais elle ne saurait pas davantage constituer le critère d’une « vérité » qui n’est de toute façon jamais « objective », quelle que soit l’occasion qu’elle a d’apparaître et quel que soit le registre d’expression où l’on tente d’en affronter la mise en question [20].
Donc autant le problème de Freud est de montrer en quoi « l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et qu’il possède de multiples preuves de son existence », autant le nôtre sera de souligner le statut glossologique de ses arguments, à commencer par le premier, celui qui consiste à affirmer que « les données de la conscience sont lacunaires (Lückenhaft) », accompagné qu’il est des remarques suivantes : « aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent (Voraussetzen) d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience ». Il est ensuite fait mention de « toutes ces idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine (Herkunft, provenance) et de résultats (Ergebnisse) de pensée dont l’élaboration (Ausarbeitung) nous est demeurée cachée ». Encore faut-il pouvoir introduire le principe d’une telle lacune (dans le psychisme), d’une telle incomplétude (de la conscience), d’une telle relation de présupposition par où se rétablirait ce qui manque dans l’actuellement donné ! Faisant remarquer que « tous ces actes conscients demeurent incohérents (Zusammenhanglos) et incompréhensibles (Unverstandlich) si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ». Freud s’en prend au conscientialisme alors régnant. Mais s’il lui conteste sa définition et sa délimitation du domaine du psychique, c’est bien pour relever son impuissance à rendre compte de la solidarité (Zusammenhang) et de l’intelligibilité (Verstandlichkeit) de tout un ensemble de phénomènes qui restent confinés dans l’irrationnel quand ils ne sont pas déclarés irréels. Établir la rationalité de ces faits, psychiques bien que non caractérisables comme conscients, c’est établir leur réalité, dans une rectification du réel qui résulte, bien entendu, du déplacement contestataire du savoir alors en place. On assiste ainsi à la redistribution d’un « psychisme » qui incorpore désormais des faits qu’on qualifiera de latents pour exprimer leur mode bien particulier de présence dans la réalité observable. Autrement dit, ces faits réputés irréels, incohérents et incompréhensibles, « s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence (Zusammenhang) si nous interpolons les actes inconscients inférés (Erschlossen). Or nous trouvons dans ce gain de sens (Sinn) et de cohérence une raison (Motiv) d’aller au-delà (Darüber hinaus) de l’expérience immédiate ».
Comme Freud entreprend de justifier sa prise de position, il ne faut pas s’étonner de le voir parler de preuves (de l’existence de l’inconscient). Il lui faut bien donner des gages de légitimité à son hypothèse, gages qu’il va bien entendu chercher dans son expérience thérapeutique : et « s’il s’avère de plus que nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse. L’on doit donc se ranger à l’avis que ce n’est qu’au prix d’une prétention intenable que l’on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience ». Mais nous voulons surtout souligner que c’est bien d’une hypothèse de rationalité qu’il s’agit dans le propos freudien. C’est cette hypothèse qui (très logiquement) pousse à interpoler comme réels, quand bien même ils resteraient latents, ces faits auxquels on accorde le statut de phénomène dès lors qu’on les ordonne à une perspective d’intelligibilité : « pour étayer la thèse d’un état psychique inconscient, nous pouvons avancer que la conscience ne comporte à chaque moment qu’un contenu minime si bien que, mis à part celui-ci, la plus grande partie de ce que nous nommons connaissance consciente se trouve nécessairement, pendant les plus longues périodes, en état de latence, donc d’inconscience psychique ». Et quand Freud ajoute que « si l’on tenait compte de tous nos souvenirs latents, il deviendrait parfaitement inconcevable de contester l’inconscient », il montre bien à quel point il n’est de phénomène psychique, conscient ou inconscient, que désigné comme tel, jusqu’à la tautologie ou le pléonasme : accepter de considérer du « latent », c’est, d’une certaine manière, avoir déjà accepté l’hypothèse de l’inconscient puisque c’est elle, et elle seule, qui permet d’en poser l’existence, réelle (bien que non actuelle) parce que rationnelle [21] !
Dans cette discussion où l’on s’interroge sur ce qui fait ou non le tout du psychisme, sur ce qui en fait ou non partie, Freud va inévitablement se heurter à « l’objection selon laquelle ces souvenirs latents ne devraient plus être qualifiés (Bezeichnet) de psychiques mais correspondraient aux restes de processus somatiques, dont le psychique pourrait resurgir (Hervorgehen) ». Et si la réponse est sans ambiguïté : « il n’est pas difficile de rétorquer qu’au contraire le souvenir latent est, indubitablement, le reste (Rückstand) d’un processus psychique », elle illustre fort bien à quel point nous assistons à l’affrontement de deux façons doxiquement divergentes de concevoir donc, glossologiquement, de définir et de délimiter un contenu phénoménalement attestable. Toutes deux catégorisent, identifient et unifient des phénomènes comme relevant ensemble d’une même assignation, sauf qu’elles ne procèdent pas selon les mêmes mises en rapports de différenciation et de séparation : « Il importe de bien se rendre compte que l’objection repose sur l’assimilation (Gleichstellung) non exprimée, mais posée d’emblée, entre le conscient et le psychique. On est en droit de répondre que l’assimilation conventionnelle du psychique et du conscient n’est absolument pas utilisable : elle brise les continuités psychiques, nous précipite dans les difficultés insolubles du parallélisme psycho-physique, prête le flanc au reproche de surestimer, sans fondement évident, le rôle de la conscience et nous contraint à abandonner prématurément le domaine de la recherche psychologique sans pouvoir nous apporter de dédommagements tirés d’autres domaines. »
De domaine en domaine, d’assimilation en assimilation, de reste en reste, de continuité brisée en continuité rétablie, nous voyons bien jouer l’une sur l’autre, dans la redistribution corrélative des phénomènes tels qu’elles les désignent, deux conceptions du psychisme dont l’une pratique une équivalence (Gleichstellung) que l’autre récuse en même temps qu’elle rapporte certains phénomènes à une détermination physique qui, en les épiphénoménalisant de la sorte, appauvrit d’autant l’étendue d’un domaine psychologique qui aura, du coup, à reconquérir son droit à les contenir (Umfassen). Aussi bien Freud est-il loin d’avoir tort quand il relève que « la question de savoir si l’on doit concevoir les états latents de la vie psychiques qui sont incontestables comme des états psychiques inconscients ou comme des états physiques, menace d’aboutir à une querelle de mots (Wortstreit) ». On a même envie de dire que cette querelle n’est que cela, une querelle de mots, qui nécessairement s’accomplit dans une querelle de catégorisation du réel dont la définition et la délimitation du « psychique » constitue précisément l’enjeu. De deux « choses » l’une, en effet ! Ou bien le psychisme équivaut à la conscience, auquel cas les phénomènes dont Freud parle ne sont plus qualifiables comme psychiques parce qu’ils ne sont pas conscients, ce qui les rend épiphénoménalisables en restes de processus somatiques ; ou bien le psychique n’équivaut pas et ne se réduit pas à la conscience et les phénomènes dont Freud entend traiter méritent leur statut de « phénomènes latents » en relevant de plein droit – comme restes de processus eux-mêmes psychiques – d’un domaine « psychologique » autrement défini et délimité. Auquel cas, on identifiera et autonomisera le domaine du psychique sur d’autres arguments que ceux qui traditionnellement le superposaient à celui de la conscience. En retour, la conscience change de place dans un psychisme dont elle n’est dès lors plus qu’un état et non plus le tout, état dont il faudra justement élucider le caractère particulier et partiel, ce que Freud fera, entre autres en recourant à l’argument du refoulement.
Aussi Freud va-t-il contester toute vertu explicative au conscientialisme et au réductionnisme organiciste qui lui est nécessairement lié, ce qui passe par une argumentation dont on ne s’étonnera plus qu’elle soit à double tranchant : d’un côté, « ces états, qui font problème, nous sont à l’heure actuelle parfaitement inaccessibles (Unzugänglich) par leurs caractères physiques et, de l’autre, aucune représentation physiologique, aucun processus chimique ne peut nous fournir une idée de leur nature ». Et la contre-argumentation ne surprendra pas davantage : non réductibles aux propriétés qui définissent et délimitent les domaines physique et physiologique – domaines dont il faut donc les distinguer et les disjoindre – « ces états entretiennent » par contre le contact « le plus large avec les processus psychiques conscients ». Ce faisant, Freud délie d’abord le lien d’épiphénoménalisation qui était supposé les rattacher à des processus somatiques. S’il procède à ce déplacement du contraste conceptuel qui unifie et sépare l’ensemble désigné, c’est bien entendu pour aussitôt relier ces actes à d’autres processus, cette fois psychiques et conscients, avec lesquels ils sont désormais réputés entrer en contact dans un rapport de solidarisation possible. En même temps, donc, qu’il autonomise un ensemble de phénomènes comme n’étant pas réductibles au domaine physico-physiologique, il les intègre au domaine psychologique, ce qui suppose qu’il désautonomise corrélativement la conscience, qui, comme nous l’avons déjà remarqué, cesse de constituer à elle seule le tout du psychisme. Mais Freud va bien évidemment et tout autant argumenter dans l’autre perspective du concept, en invoquant cette fois l’identification possible : « ces états obtiennent, moyennant un certain travail, d’être transposés en ces processus conscients, d’être remplacés par eux et ils peuvent être décrits avec toutes les catégories que nous appliquons aux actes psychiques conscients, tels que représentations, tendances, décisions et autres choses du même genre ». Si ces choses sont du même genre, c’est bien parce qu’il peut invoquer leur substituabilité ou leur transposabilité mutuelles, qu’il peut donc invoquer leur similarité et, logiquement, les identifier entre elles comme relevant toutes ensemble du psychisme. Descriptibles par les mêmes catégories, ces faits sont, dans leur diversité même, identifiables au même genre phénoménal. La conclusion ne surprendra pas, qui veut « qu’en vérité, nous sommes obligés de dire d’une bonne partie de ces états latents qu’ils ne se distinguent des états conscients qu’en tant que précisément la conscience leur fait défaut. Nous n’hésiterons donc pas à les traiter comme des objets de la recherche psychologique et à les mettre en un rapport très étroit avec les actes psychiques conscients ».
On voit bien comment Freud procède en mettant en œuvre ce que nous pouvons reconnaître comme relevant du principe taxinomique d’identité (quand il tire argument de la substituabilité Ersetzlichkeit) de symptômes désormais métaphoriquement similaires) et du principe génératif d’unité (quand il tire argument du lien (Zusammenhang) qui tient ensemble des manifestations désormais métonymiquement solidaires).
Nous n’épiloguerons pas davantage sur ce qui, à l’intérieur du genre « psychique », différencie néanmoins phénomènes latents et phénomènes conscients, cela équivaudrait à déterminer de quelle qualité particulière le conscient se distingue du reste du psychique. Nous soulignerons par contre le côté parfaitement logique de l’hypothèse et la rationalité conférée à la « chose inconscient » par le raisonnement freudien et le fait que ce raisonnement ne peut en affirmer la « réalité » qu’en en discernant la « rationalité ». Cela permet au moins de s’inquiéter de certains propos qui tendraient à faire de l’inconscient un haut lieu de l’irrationnel [22]. Cela permet surtout de rappeler que seul ce qui participe d’un principe de rationalité (quel qu’il soit) peut être considéré comme participant de l’objectité (ou de la choséité) donc du réel. On peut donc s’interroger sur cette étrange inconséquence à laquelle aboutit un irrationalisme qui parle encore – et toujours d’abondance – d’une « chose » dont il annonce qu’il ne peut rien dire, puisqu’il ne peut rien dire d’autre que le fait qu’elle échappe à toute analyse rationnelle, ce qui revient à revendiquer le fait qu’il ne peut la « causer ». On peut interroger sociologiquement et/ou axiologiquement ce rapport verbalement si virtuose à l’indicible, ce mystère si jalousement gardé, soigneusement entretenu comme peut l’être un secret professionnel, cette jouissance sceptique, véritable délectation morose devant l’impuissance de la Raison. Cela ne doit pas nous faire négliger le fait que, glossologiquement, le seul destin cohérent de l’irrationalisme devrait être le silence : pourquoi, en effet, faudrait-il encore consacrer tant de bavardages à l’indicible, l’ineffable, l’insondable...
Notes
[1] Il est paradoxalement rassurant pour les sciences humaines de savoir que la proclamation d’a-scientificité et donc d’irrationnel qu’elles rencontrent aujourd’hui n’est jamais que la dernière version en date d’une incapacité, typique du scientisme, à tolérer que, confronté à la spécificité irréductible d’un nouveau domaine d’investigation, l’on ait à admettre que la rationalité puisse prendre un autre visage que celui dont on est trop fier. Comme l’ont bien montré Bachelard puis Canguilhem, on a vu à répétition dans l’histoire les adeptes de cette raison, close sur ses mérites passés, annoncer l’impossibilité de ce qui était pourtant en train d’advenir, comme la chimie puis la biologie aux beaux temps du physicalisme triomphant. Il est aussi très émouvant d’apprendre qu’aux alentours du XIIe siècle, la mathématique fut à ce point inféodée à la perspective géométrique qu’elle s’y aliéna presque, et qu’il fut considéré que raisonner sur des équations à plus de trois inconnues allait à l’encontre de la nature même de l’esprit !
[2] On peut en emprunter à Émile Meyerson (1951, Identité et Réalité, Paris, Vrin) une formulation très claire et encore bien récente : « La science a pour but la prévision ; son domaine embrassera donc tout ce qui est susceptible d’être prévu, c’est-à-dire l’ensemble des faits soumis à des règles. Là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de science. Le libre arbitre, à supposer qu’il existe, est certainement en dehors de ce domaine... Selon que nous affinerons ou nierons le libre arbitre, ou que nous lui assignerons un domaine plus ou moins étendu, celui de la science se rétrécira ou s’agrandira... » Mais peut-on, sans se contredire et sans galvauder les termes mêmes que l’on met en œuvre, « supposer l’existence de phénomènes libres, entièrement soustraits à la domination de la loi et à notre prévision » ? Dans le même ordre (d’absence) d’idées, nous devons à René Haby d’avoir déclaré, alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale (1978), que « quand les sciences humaines auront percé tous les secrets de l’apprentissage, l’éducation risquera fort de devenir une science exacte de la manipulation. Notre ignorance est peut-être une dernière protection de la liberté, celle des enfants et de leurs éducateurs. »
[3] Ce qui fait de Saussure l’exact contemporain d’un Durkheim ou d’un Freud qui procèdent pratiquement dans les mêmes termes à la même opération dans leurs domaines respectifs. Leur façon de procéder à la domiciliation anthropologique de la rationalité en en socialisant le principe dans le récit d’une introjection les inscrit tous, comme Mauss que nous allons citer plus loin, dans un moment épistémologiquement caractérisable de l’histoire, celui précisément auquel nous devons l’émergence des sciences humaines, celui aussi dont – à l’invitation de Jean Gagnepain – nous devons aujourd’hui nous émanciper en nous débarrassant de son onto-centrisme, qui superposant le conte et le compte, assimile en l’homme toute forme de causalité à une légalité toujours suspecte de juridisme.
[4] C’est peut-être parce qu’il n’est pas allé assez loin dans ce refus que Saussure, hésitant entre négativité de la valeur et positivité de l’association conventionnelle, fait coexister, d’une façon très ambiguë, deux définitions du signifiant, deux définitions de la langue et aboutit à la malencontreuse hypothèse de la synchronie sans se rendre compte qu’il est en train de commettre – dans le registre de la relation entre contemporains – l’erreur dont il avait pourtant repéré qu’elle invalidait souvent les comparaisons des philologues ainsi que leur rapport au passé.
[5] Edmund Husserl, Logische Untersuchungen, (Halle, Niemeyer à partir de 1913. Trad. fr. Paris, P.U.F. à partir de 1959). On trouve dans la première de ses Recherches Logiques l’évocation d’un monde d’idées existant en dehors de toute humanité, ce qui d’ailleurs le rend susceptible de lui survivre. Hanté qu’il était par la recherche d’un fondement absolu de la connaissance, on sait que Husserl refusa tout anthropologisme au nom des conséquences à ses yeux immanquablement sceptiques qu’entraînerait toute inscription du principe de la connaissance dans la contingence socio-historique. Mais il est vrai que l’anthropologie de l’époque se résumait à ce propos sur l’arbitrarité et la contingence et qu’elle était bien la première à ne pas pouvoir l’envisager autrement, en soustrayant certains registres de phénomènes au social et à l’histoire. Ce qui ne change qu’avec la théorie de la médiation et la diffraction de la rationalité qu’elle suppose.
[6] Sur ce point, c’est plutôt de Cassirer et de sa Philosophie des Formes Symboliques que la glossologie de Jean Gagnepain doit être rapprochée. Faisant remarquer, dans le chapitre 3 de Mythe et langage, que « l’explication que la logique traditionnelle donne de la constitution des représentations générales et de la constitution des concepts génériques présuppose, comme si elle avait déjà eu lieu, la formation des concepts nominaux dont on cherche ici à déterminer les conditions de possibilité », Cassirer cherche « à éclairer et à clarifier la forme et la particularité des concepts linguistiques primaires en affirmant [ce qu’il nous intéresse vraiment d’entendre, émanant d’un philosophe !] qu’aussi longtemps que cette élucidation n’est pas faite, la théorie purement logique du concept reste elle aussi incomplète. Car tous les concepts de la connaissance théorique ne forment en quelque sorte qu’une superstructure logique appuyée sur une autre structure, celle des concepts linguistiques. Avant que puisse commencer le travail intellectuel de conception et de compréhension des phénomènes, il faut que le travail de dénomination ait été effectué jusqu’à un certain point. Car c’est ce travail qui transforme le monde des impressions sensibles, semblables à celles de l’animal, en un monde de représentations et de significations. » Il faudra donc toujours tenir compte du fait « que toute connaissance théorique prend son point de départ dans un monde déjà formé par le langage : le naturaliste, l’historien, le philosophe lui-même ne vit d’abord avec les objets qu’en fonction de la manière dont le langage les conduit à lui. Et ce lien immédiat et inconscient est plus difficile à saisir que tout ce que l’esprit crée de façon médiate, par une activité consciente de la pensée ».
[7] Qu’il ne soit pas facile de réfléchir alors même qu’il est indispensable de le faire, c’est bien ce qu’indique Husserl au début de sa seconde « Recherche logique », quand il relève que « la source de toutes ces difficultés réside dans l’orientation antinaturelle de l’intuition et de la pensée que l’analyse phénoménologique exige. Au lieu de nous consacrer à l’accomplissement des actes édifiés de diverses manières les uns sur les autres, et par là, de poser, naïvement en quelque sorte, comme existants, les objets visés dans le sens de ces actes, de les déterminer ou de les prendre comme hypothèses, de tirer à partir de là des conséquences, et ainsi de suite, nous devons bien plutôt “réfléchir”, c’est-à-dire transformer en objets ces actes eux-mêmes, et le sens immanent qu’ils comportent ». À rebours donc de ce que nous dicterait notre réalisme spontané de locuteur ne s’entendant pas parler et ne reconnaissant pas dans la « chose » dont il parle l’effet sur le monde de sa propre parole, « ce sont justement ces actes, jusque-là dénués de toute objectivité, qui doivent désormais devenir les objets de l’appréhension et de la position théorique ; c’est eux que nous devons considérer dans de nouveaux actes d’intuition et de pensée, analyser d’après leur essence, décrire, rendre objets d’une pensée empirique ou idéatrice ». C’est bien pourquoi Husserl ajoute que « c’est là une orientation de pensée contraire à nos habitudes les mieux ancrées, se renforçant sans cesse depuis l’origine de notre développement psychique. D’où le penchant presque indéracinable à retomber constamment de l’attitude de pensée phénoménologique dans l’attitude simplement objective ».
[8] Dans le même ordre d’idées, Bachelard a laissé entendre du réalisme, entre autres dans le Rationalisme appliqué, que c’est nécessairement la toute première prise de position philosophique, celle dans laquelle on s’installe comme un observateur qui ne s’observe pas observant.
[9] On peut attendre du locuteur scientifique qu’il soit un peu moins naïf, aurait dit Husserl, et qu’à propos de toute chose, il conçoive qu’il conçoit. Ceci étant, il nous arrive bien entendu de rencontrer l’attestation du contraire, par exemple dans les propos d’un physicien dont personne ne discutera les mérites de physicien mais qui, tout ministre de la recherche qu’il fut, n’en fut pas moins préoccupé par le « caractère imparfait des langues nationales, qui n’est pas seulement lié à leur incommunicabilité d’un groupe linguistique à un autre puisqu’il est également dû à leur manque de rigueur, à leurs ambiguïtés propres... ». Comme on le sait, les langues que d’aucuns curieusement disent « naturelles », « peuvent être truffées d’illogismes, de non-dits, d’à-peu-près ou d’ambigus qui les rendent impropres à la conceptualisation rigoureuse exigée par les universaux scientifiques ». Comme beaucoup d’autres avant lui, dont certains entreprirent la réforme d’un instrument aussi calamiteux en invitant du même coup l’humanité à procéder à sa propre rédemption, Hubert Curien annonce certes – dans l’Encyclopédia Universalis – que, pour lui, « il ne s’agit plus de définir un langage capable d’être effectivement commun à tous les peuples ». Il envisage néanmoins toujours de construire une « écriture rationnelle » qui aurait cette vertu pour nous miraculeuse d’être « en rapport direct avec les choses sans passer par le détour des mots et dont la syntaxe serait affranchie des contraintes contingentes des grammaires empiriques ». On ne s’étonnera pas trop, non plus, de le voir espérer une « langue s’écrivant comme la langue chinoise, non à l’aide de phonèmes mais à base d’idéogrammes puisque l’intérêt que présente ce type d’écriture idéographique », c’est, paraît-il, « qu’il transcende les langues nationales ». On appréciera tout particulièrement qu’il rappelle le fait que « c’est aussi le cas du langage gestuel des sourds ».
[10] Et l’on sait qu’à ce jeu, on peut aller très loin, comme en témoigne le galvaudage sémioticien de la notion de langage, lequel triomphe dans l’ahurissant Tout est langage qu’un éditeur opportuniste imposa à une Françoise Dolto qui ne le pensait pas vraiment, comme le prouve d’ailleurs ce qu’elle affirme dans l’ouvrage ainsi fâcheusement intitulé.
[11] « L’objectité de l’objet » pour Husserl dans les Recherches logiques. « La choséité de la chose » pour Heidegger quand il se demande « Qu’est-ce qu’une chose ? » ou qu’il pose « Le principe de raison ».
[12] Parce qu’il déconstruit la rationalité, le quartésianisme de Jean Gagnepain exige que l’on assume quatre fois cet effet de circularité. Bourdieu l’a bien compris en ce qui le concerne quand, rappelant ce que parler veut dire de son point de vue de sociologue, il rappelle que « la science sociale doit englober dans la théorie du monde social une théorie de l’effet de théorie, effet qui, en contribuant à imposer une manière de voir, contribue à faire la réalité de ce monde ».
[13] Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Fayard 1982.
[14] Françoise Gadet et Michel Pécheux, La langue introuvable, Paris, Maspero 1981.
[15] Quand bien même il se serait ingénié, en contestant tout droit d’existence autonome à une réflexion purement linguistique, à en rendre scientifiquement improbable le fondement « intellectuel ». Bourdieu a eu beau se défendre de tout sociologisme, il n’empêche qu’il ne laisse guère de place, quand il s’agit de l’homme, à un raisonnement autre que celui que tient la sociologie. Et quand il fait allusion à la Philosophie des Formes Symboliques de Cassirer, on est en droit de penser que cette allusion lui permet surtout de faire l’économie d’une théorie anthropologique du concept et du langage. Cela le dispense du même coup d’avoir à se prononcer sur certains phénomènes qui, tout en étant proprement humains parce que non réductibles aux propriétés de la « nature », ne sont peut-être pas pour autant réductibles aux seules propriétés que peut construire une analyse historique ou sociologique. Au sociologue qui critique la sociologie spontanée du linguiste, on peut peut-être rétorquer qu’à l’instar de tout locuteur, il profite du bénéfice d’une linguistique spontanée, puisqu’il parle et qu’il sait du même coup toujours d’avance que c’est à des mots qu’il a affaire. Comme on le sait, l’une des difficultés majeures que présente la théorie de Gagnepain réside dans cette diffraction de la rationalité qui oblige à penser la différenciation et la séparation de quatre perspectives, et postule donc que l’humain cesse d’être réductible à la seule dimension ontocentrique invoquée par le positivisme de la fin du XIXe siècle, positivisme dont nous connaissons deux versions complices, historiciste d’un côté, subjectiviste de l’autre. Il est décidément difficile d’avoir à penser qu’un phénomène spécifiquement humain – c’est-à-dire non naturel – n’est pas nécessairement de statut social ou subjectif pour autant. À la différence de la linguistique saussurienne, et en partie pour des raisons que l’on peut reprendre à la critique menée par Bourdieu, la glossologie, bien que science humaine, n’est pas science sociale.
[16] Marcel Mauss, La Sociologie, Objet et Méthode, 1901 dans Œuvres, Paris, Minuit, 1985, Tome 3.
[17] On aura reconnu Saussure, avouant au passage qu’il n’a « pu prendre le terme de loi que dans le sens juridique », et se demandant s’il est envisageable qu’il y ait « un point de vue panchronique ». Il fait remarquer que cela implique qu’« il y aurait peut-être dans la langue des lois dans le sens où l’entendent les sciences physiques et naturelles, c’est-à-dire des rapports qui se vérifient partout et toujours ». On connaît la réponse qui rappelle qu’« un changement phonétique, quelle que soit d’ailleurs son extension, est limité à un temps et un territoire déterminés ; aucun ne se produit dans tous les temps et dans tous les lieux ; il n’existe que diachroniquement. Et c’est justement un critère auquel on peut reconnaître ce qui est de la langue et ce qui n’en est pas ». Donc l’humain se reconnaît à ceci qu’il n’est pas toujours et pas partout le même, inscrit qu’il est dans la singularité arbitraire d’un maintenant et d’un ici. C’est épistémologiquement le hic de la linguistique saussurienne, qui devient de plus en plus son nunc.
[18] Curieusement, on veut toujours que le particulier fasse exception à la généralité de la loi alors que c’est la loi, dans sa généralité même, qui permet de rendre compte de sa règle de particularisation. On retrouvera, chez certains « psy », une exploitation « subjectiviste » de cette attitude et l’invocation de la singularité des sujets servira d’alibi à l’impuissance à penser la généralité logiquement envisageable de la singularisation des sujets, dans une démarche pourtant seule à même de donner un objet à leurs propos ! La généralisation n’implique nullement l’universalisation que l’on peut être amené à refuser à juste titre. Encore faut-il rompre avec l’usage que la tradition a installé en rendant synonymes ces deux termes, parce qu’il n’y a, en science naturelle, aucune raison de faire le distinguo entre eux. Encore faut-il également rompre avec l’empirisme qui préside encore trop à la saisie du phénomène dans les sciences humaines. Empiriquement saisi, comme il l’est encore la plupart du temps, le fait humain concret contient toujours, comme l’une de ses dimensions – c’est précisément ce que l’on n’aura jamais à dire d’un phénomène « naturel » – l’arbitrarité à laquelle il ne se résume pourtant pas mais qui contribue à l’instaurer en instituant son particularisme socio-historique ou sa singularité subjective. Ce que fait la théorie de la médiation quand, dissociant les registres et sortant de l’ontocentrisme positiviste, elle renvoie la généralisation à la théorie logique du signe et l’universalisation à la théorie politique de la personne.
[19] Sigmund Freud, Das Unbewusste, 1913, GW X, Trad. Fr., Gallimard, 1968.
[20] Contrairement à ce que pensait l’étudiant qui, visiblement peu informé du contenu du cours, avait cru à la présence d’une faute de frappe dans l’intitulé du sujet d’une épreuve portant sur l’objectité... et l’avait corrigée en rétablissant dans son intégralité une objectivité selon lui malencontreusement écornée.
[21] L’hypothèse du latent n’a rien d’exorbitant qui consiste, là comme ailleurs, une fois saisie la régularité des manifestations et une fois formulée cette régularité, à aller au-delà de l’expérience immédiate en inférant l’existence virtuelle de ce qui n’est pas actuellement donné. Comme le dit si bien la chanson du fou chantant, Charles Trenet, la lune est là, sur orbite justement, même quand on ne la voit pas !
[22] Ainsi Maurice Dayan n’est-il pas loin, en guise d’introduction à son ouvrage Inconscient et réalité, Paris, P.U.F. 1985, de nous faire douter de la réalité de l’inconscient : « L’inconscient nie l’ensemble des positivités fixées par le langage et consacrées par les discours scientifiques » [...] « Surpris dans le langage, l’inconscient se tapit dans le corps ; assimilé à l’expression d’une vie pulsionnelle, il reparaît dans les plus subtiles de nos pensées. Sans résidence et sans but assignable, il n’est pas moins “charnel” que “spirituel”. Circulant entre les sources multiples de tension et de plaisir qui se partagent les divers courants de la vie psychique, l’inconscient est à la fois immuable et changeant, attaché au même et passionné de l’autre, astreint à la répétition et prodigue de différences... » Cette chasse au dahu est d’autant plus intrigante qu’elle conduit à penser ce qu’un physicien ne renierait d’ailleurs absolument pas, à savoir « qu’il n’est pas de connaissance qui puisse venir à bout de cette intarissable source d’interrogation ; pas de système du savoir qui puisse lui désigner sa place parmi les êtres et phénomènes connaissables ». L’affaire se corse vraiment quand on aboutit à la remarque qui veut qu’« inobservable, l’inconscient est également inconstructible, car aucune formule ne permet d’en prédire les effets. S’il est universel, il est plus profondément encore individuel, cause et support de l’individuation psychique, et par principe différent en chaque être où il se constitue ». C’est à se demander pourquoi Freud s’est décarcassé sa vie durant à essayer de parler de quelque chose en parlant d’inconscient. Dénoncer l’inadéquation des catégories traditionnelles n’implique pourtant pas que l’on doive renoncer à parler et à penser. Il faut bien plutôt affronter l’inédit, c’est-à-dire une forme de rationalité jusqu’alors non repérée telle qu’elle régit un domaine de phénomènes auquel on ne s’était pas encore risqué. Ce à quoi, heureusement, Dayan ne se refuse pas complètement ; mais son propos, teinté d’irrationalisme, laisse transparaître un scientisme rémanent (au fait : qu’observe un physicien, la gravitation ?) quand il rappelle qu’« on ne franchit pas aisément l’écart entre les formations individuelles, telles que l’expérience de la cure les fait affleurer, et une représentation d’ensemble des processus qu’elles impliquent. La situation de l’analyste n’est pas celle d’un expérimentateur construisant un dispositif de validation et de “falsification” d’hypothèses traitées comme des conséquences nécessaires d’une théorie testable ». Il ajoute que « cette situation est celle d’un praticien astreint à l’écoute d’une parole singulière et imprévisible », ce à quoi nous pouvons évidemment souscrire – en soulignant toutefois que l’on passe, sans trop prévenir, du registre de la relation logique entre phénomènes et catégories au registre de la relation socioprofessionnelle entre personnes, ce qui témoigne d’après nous d’un empirisme maintenu. Reste quand même que si Dayan peut poursuivre – en disant du praticien qu’« il se soucie principalement de suivre, par le mouvement de l’interprétation, le progrès indéterminé des connexions qui se forment au gré de cette parole et de ses insistances » – c’est bien parce qu’il est en mesure de dire que « c’est dans le champ ouvert par le transfert que ce progrès s’effectue ». Et il doit de pouvoir le dire à la possibilité dans laquelle il se trouve, malgré tout encore, « de soumettre l’expérience (singulière) à une interrogation visant un certain niveau de généralité des processus psychiques, quand bien même cela ne pourrait se faire que dans un temps second, à la faveur d’une réflexion conduite hors de la situation analytique », la situation de cure en l’occurrence.
Jacques Laisis« Entre autres choses. Petits fragments d’épistémo-logie », in Tétralogiques, N°29, Épistémologie des sciences humaines : le gai savoir de Jacques Laisis.