Jacques Laisis

Identité individuelle, identité collective ?

Résumé / Abstract

Il s’agit d’une nouvelle édition d’un article paru dans : Travail social. La reconquête d’un sens, sous la direction de Jean-Yves Dartiguenave et Jean-François Garnier, Paris, L’Harmattan, 1998, pp. 107-125.

Il est issu de la transcription d’une conférence prononcée à l’IRTS (Institut Régional du Travail Social) de Rennes.

Mots-clés
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Ma première réaction, en voyant que j’étais invité à parler de l’identité, soit individuelle soit collective, a été de me demander si j’avais vraiment à venir parce que je récuse cette opposition-là. Par conséquent, je suis assez mal placé pour en répondre. Je voudrais faire une petite allusion aux implications épistémologiques de ce refus-là. Toucher à ces questions, c’est toucher à une forme de pensée qui prédomine dans les sciences humaines, en se demandant d’ailleurs, si elles sont humaines ou sociales (d’ailleurs hélas pour l’instant les sciences humaines ne sont que des sciences sociales). Ce qu’il faut prendre en compte, c’est le fait que les sciences humaines doivent leur existence, dans le courant de la deuxième moitié du XIXe siècle, à la mise en place d’une certaine manière de penser qu’on appelle, en règle générale, le positivisme.

Chez les français, le père fondateur s’appelle Auguste Comte. Et ses continuateurs directs s’appellent Ferdinand de Saussure ou Émile Durkheim. C’est à ce courant de pensée qu’on doit de s’être mis à penser l’homme dans la double perspective d’une individualité supposée et d’une collectivité supposée. Je suis habitué à poser ce genre de problème sur le terrain de ce qui fut ma propre discipline, à savoir la linguistique. C’est-à-dire que je suis habitué à faire remarquer que la construction saussurienne, par exemple, présuppose cette opposition de l’individuel et du collectif, dans la fameuse opposition de la parole et de la langue. Il paraît que la parole est individuelle et il paraît que la langue est collective, ce qu’elles ne sont ni l’une ni l’autre. D’ailleurs, le naufrage scientifique de la linguistique s’explique là.

Ceci dit, il n’y a pas que Ferdinand de Saussure à penser comme cela et cette opposition fait pour une bonne part la ligne de partage des eaux entre une certaine discipline qui s’appelle psychologie et une autre qui s’appelle sociologie. En tout cas, si l’on s’en tient à ce que disait Durkheim, c’est clair et net. Et le problème est d’importance parce que c’est à cette manière de penser qu’on est malgré tout redevable, aussi contestable que cela puisse paraître aujourd’hui, de l’existence même des sciences humaines parce qu’il ne faut pas oublier ce qu’il y avait avant. Avant, il y avait l’humanisme et, dans le cadre de l’humanisme, on acceptait que de la loi il y ait, à condition d’en réserver le domaine d’application à ce qu’on appelait la nature. Quant à l’homme, précisément pour l’humanisme, il se définissait par une sorte d’immatérialité transcendantale, pour le dire d’un vocabulaire philosophique. En tout cas, l’humanisme a toujours mis l’homme hors-la-loi. On doit, par conséquent, à ce positivisme, auquel pourtant je vais m’en prendre à partir de maintenant, d’avoir introduit l’idée que l’homme lui aussi participait d’un principe de légalité quelconque, était soumis à une juridiction quelconque, cessait d’être un hors-la-loi pour rentrer dans le registre de la loi, donc de l’explicable. Et par conséquent, c’est à ces gens-là qu’on doit que l’homme ait pu, à son tour, devenir objet de science.

Toutes les sciences de l’homme sont inauguralement marquées, quelle que soit la discipline, par cette idée que la loi à laquelle l’homme obéit ne peut être que socio-historique, puisque pour le positivisme la preuve que l’homme est humain, c’est qu’il échappe à l’éternité ou à l’universalité de la nature, ou de l’Esprit (avec un E majuscule, tel que les philosophes en parlaient) pour rentrer dans une sorte de demi-mesure, de demi-loi, pour rentrer dans cette seule forme de nécessité à laquelle on reconnaît que l’homme puisse obéir, à savoir qu’à l’intérieur de l’arbitraire qui définit l’homme, la seule forme de nécessité qu’on puisse y faire réapparaître, c’est ce genre-là de « nécessitations » que font peser sur les uns certains autres, tout simplement parce qu’historiquement ils les ont précédés.

L’humanisme, en général, pensait l’homme en l’inscrivant sous la juridiction d’un père éternel, créateur de toute chose. Moi, je crois que le positivisme a de la loi une drôle d’idée. C’est-à-dire qu’en fait, pour moi, le positivisme est un paternalisme. Il nous installe toujours sous la juridiction de nos prédécesseurs : expliquer l’homme c’est le rapporter à son histoire, c’est-à-dire à l’intérieur de ce qui sinon reste totalement arbitraire. C’est ça qui définit l’homme : il est arbitraire précisément d’échapper à une juridiction universelle et éternelle. Cela vaut pour la nature. L’homme va se spécifier, chez Saussure et chez Durkheim, d’être une sorte de caprice. Mais c’est un caprice qui va être historiquement nécessité. Autrement dit, la seule forme de « nécessitation » qu’on accepte de ressaisir à propos de l’homme, c’est précisément dans l’arbitraire qu’il définit : cette « nécessitation » de l’être de quelqu’un par son inscription quelconque dans un lignage.

Alors, le positivisme est un paternalisme. Finalement, son explication privilégiée, c’est l’histoire. Et expliquer l’homme, c’est le rapporter à son histoire, peu importe qu’on saisisse l’homme individuellement, cela deviendra une psycho-genèse (il n’y a de psychologie que génétique dans ce cadre-là), ou qu’on le saisisse à plusieurs, auquel cas on assistera aux démêlés un peu compliqués entre une sociologie et une histoire, en se demandant en permanence laquelle des deux finalement commande l’autre. Il ne faut jamais oublier que le positivisme nous propose deux versants. C’est très volontiers un historicisme ou un génétisme ; autrement dit, la raison de ce que je suis est à chercher dans ce qui historiquement m’engendre. Le scénario classique de l’explication psychologique par exemple, consistera à chercher un mécanisme dit d’intériorisation. Cette idée-là est profondément solidaire du positivisme. Expliquer quelqu’un c’est expliquer comment il a intériorisé je ne sais quoi dont il paraît qu’au départ ça lui aurait été extérieur. Le psychologue raisonnera comme ça et Durkheim ne cesse de raisonner de cette manière-là. Peu importe qu’il s’agisse d’introjecter le dictionnaire ou la loi, de toute façon l’explication positiviste est une explication par le raisonnement de l’introjection. C’est quelque chose qui vous est extérieur, qui vous était extérieur, qui subitement devient intérieur. On est en droit subsidiairement de demander : où se définit cette frontière entre cet intérieur qu’on invoque et cet extérieur qu’on invoque également ?

Le positivisme présente un autre visage. Il suffit de lire les deux premiers chapitres du cours de philosophie positive d’Auguste Comte pour le repérer. Le positivisme n’est pas seulement une pensée de l’histoire de l’évolution d’une genèse. Le positivisme est toujours en même temps une pensée de l’état. Et l’autre visage du positivisme, celui auquel on ne songe guère, c’est ce qui plus récemment s’est appelé le structuralisme. Les deux visages du positivisme, de ce point de vue-là, ce sont l’évolutionnisme d’un côté, le structuralisme de l’autre. À une pensée de la genèse, on substitue une pensée de l’état. Mais dans les deux cas, on postule soit une continuité dans le développement, soit une communauté dans l’état.

Il y a là toute une série d’idées auxquelles Ferdinand de Saussure participait éminemment, puisque ce qui l’a rendu célèbre c’est très exactement ce en quoi il ne faisait jamais que redire ce que d’autres avaient dit auparavant. C’est un peu le drame de Ferdinand de Saussure : ce qui l’a rendu célèbre auprès des gens, c’est cette fameuse opposition des langues et de la parole que les gens ont acceptée d’autant plus facilement qu’ils y ont retrouvée l’opposition de l’individuel et du collectif qui préexistait à la formulation saussurienne. Quant à la deuxième dichotomie saussurienne, celle qui l’a aussi rendu célèbre, à savoir l’opposition de la synchronie et de la diachronie, c’est tout simplement la reprise d’une idée déjà formulée par Auguste Comte, qui a toujours dit que le social était soit une statique, soit une dynamique. Ce qu’il y a d’intéressant chez Ferdinand de Saussure c’est qu’il est comme tout le monde : il n’a aucune idée personnelle. Moi non plus d’ailleurs ! C’est pour cela qu’il était pertinent de rappeler que dans ce que je vais vous dire, je me demande bien ce que je ne dois pas à Jean Gagnepain.

Alors, je vais commencer d’écorner par conséquent les deux termes de l’opposition. Mais j’ai éprouvé le besoin de vous rappeler que cette opposition-là, on était peut-être obligé aujourd’hui de penser avec, mais on n’avait pas toujours été obligé de penser avec. Si on retourne au dispositif épistémologique du XVIIIe siècle, c’est une question qui n’aurait jamais effleuré les gens. Je me dis que si on a pu penser sans cette opposition-là, on doit pouvoir réussir à penser encore sans elle. Autrement dit, elle n’est pas en soi nécessaire. Elle est peut-être caractéristique d’un certain moment de la pensée occidentale, mais on peut peut-être s’en débarrasser. De toute façon, les deux termes qu’elle postule sont parfaitement fantomatiques. Sur le terrain de la linguistique, c’est clair, aucun linguiste n’a jamais réussi à démontrer que la langue était collective. Plus exactement, en permanence le travail du linguiste consiste à démontrer que c’est faux. C’est un peu le drame de la linguistique, elle continue de faire l’hypothèse de l’existence d’une langue supposée collective, et sa description même fait apparaître une hétérogénéité redoutable. À tel point que le linguiste est confronté systématiquement à la nécessité de restreindre de plus en plus l’amplitude sociale de l’échantillon concerné, pour essayer malgré tout de mettre la main sur un espace ou un moment, ou un milieu social, où on parlerait de manière un tant soit peu homogène. Le drame du linguiste est que plus sa description se précise, plus ce qu’il fait apparaître est l’inverse de ce qu’il prétend. Plus sa description est précise et plus ce qu’il fait ressortir, c’est l’hétérogénéité sociale, radicale, foncière, de l’usage linguistique. Et puis, ce n’est pas une hétérogénéité douillette, puisque même le linguiste est obligé de reconnaître que cette hétérogénéité est conflictuelle. À savoir que ce qu’il rencontre, non seulement ce sont des usages différents, mais aussi des usages qui veulent être différents.

Le drame de la linguistique est allé jusqu’au bout. D’aucuns ont tellement poursuivi ce travail de restriction descriptive qu’à force de désespérer de la synchronie, ils en sont arrivés à se dire que la meilleure façon d’en trouver malgré tout un petit peu encore, consisterait à le chercher dans la parole d’un seul. Alors, certains linguistes se sont spécialisés dans la description de ce qu’ils ont appelé des idiolectes : la parole d’un seul. Des idiolectes auxquels, moralement, je rajoute toujours un « t » à l’endroit que vous devinez, parce qu’il devient pour le moins paradoxal d’aller chercher dans la parole d’un seul ce qui est supposé être au fondement du collectif. Le drame du paradoxe, ou la rigolade totale, est que le linguiste même dans la parole d’un seul est bien obligé de reconnaître qu’elle n’est pas régulière. C’est-à-dire qu’un locuteur tout seul n’est même pas synchronique avec lui-même. Ce que le linguiste découvre avec stupeur, sans que cela l’arrange, c’est que « Un » est polyglotte. « Un » participe simultanément de plusieurs usages linguistiques. Et si on précise de plus en plus, c’est-à-dire même là où apparemment on se trouve devant du plus commun, on accepte l’idée que du côté des mots, des valeurs sémantiques, grammaticales, etc., il y ait une hétérogénéité et une diversité suffisante. Mais on se console en règle générale en espérant au moins que du côté de la phonologie, du côté des sons, on aura quelque chose de commun. Justement non. Madame Walter, linguiste, a produit des descriptions d’une finesse suffisante pour pouvoir montrer que quelqu’un n’est, même là, pas régulier avec son propre usage, qu’il participe de plusieurs systèmes phonologiques en même temps à l’intérieur de ce que l’on a du mal à appeler le français (en tout cas on ne sait pas où il est). Finalement, il met en œuvre un système phonologique différent selon les types de mots qui se caractérisent par les circonstances sociales dans lesquelles il les a appris.

Voici en résumé le parcours de la linguistique depuis à peu près un siècle. Force est de constater (cela vaut scientifiquement ce que valent toutes les démonstrations par l’absurde) que la langue n’est pas collective, et la parole n’est pas individuelle. C’est ce que le linguiste démontre en sciant la branche sur laquelle il est assis. Cela ne doit pas être un hasard.

L’autre façon d’aborder ce problème est ici. Ceux qui m’ont invité savent que je n’ai accepté qu’avec quelques réticences, parce qu’en fait je suis comme les joueurs de football, je n’aime pas jouer à l’extérieur. Plus exactement je me demande quel jeu il va falloir que je joue, puisque d’une certaine manière il y a quelque chose de la situation qui m’échappe et que du coup je ne sais plus ni ce que j’ai à dire, ni, au fait, qui j’ai à être. Ce que le linguiste découvre dans sa façon d’écrire les mots, on va pouvoir le reprendre si on cherche à rendre compte de ce que les gens disent. Le premier des exemples qu’on peut prendre, c’est celui qui a lieu ici. Qu’ai-je à vous dire ? D’une certaine manière, je ne le sais pas. Plus exactement, mon propos procède de cette tentative d’appropriation ou d’anticipation de ce que vous pouvez bien être, de ce que vous pouvez bien penser, de la façon que vous aurez d’entendre ce que je vous raconte. Je suis dans une drôle de situation puisque finalement, je ne vous parle que d’essayer d’anticiper ce que vous vous diriez. Dans ce que je dis, ce qui ne provient pas de cette anticipation-là, me vient de ce fameux Jean Gagnepain qui m’a précédé ici. Par conséquent, je suis en ce moment parlé, plutôt que je ne parle. Plus exactement, ce que je dis procède de cette rencontre en moi, rencontre de ce que Gagnepain et un certain nombre d’autres gens m’ont dit, et des idées que je vous prête et que j’essaye de ressaisir en partant d’une certaine expérience que je peux avoir de gens dans votre genre. Ce à quoi je veux en venir c’est l’idée suivante : ce que je dis ce n’est pas ce que Gagnepain m’a appris, encore que cela le soit, mais c’est ce qu’il m’a appris, remanié ou retravaillé par l’anticipation que je fais de ce que vous êtes susceptibles de penser. Par conséquent, cela produit en moi une sorte de mélange un peu bizarre, que j’essaye d’une manière ou d’une autre de ressaisir, puisque c’est ainsi que je peux réussir à mettre la main, vaille que vaille, sur ce que j’aurais, paraît-il, à vous dire. Ceci étant, j’interviens aussi dans le cadre d’un savoir qui n’est pas homogène. Il est épistémologiquement hétérogène et conflictuel. Il y a des positions dans le savoir qui sont loin d’être toutes compatibles les unes avec les autres. Ce que j’ai dit précédemment de la linguistique ne ferait pas plaisir à beaucoup de linguistes.

Mon propos est le résultat d’interférences. Votre façon de m’entendre est aussi le résultat d’une interférence, parce que ce que vous entendez n’est bien entendu pas ce que je dis, mais ce que vous me faites dire, puisque vous ne pouvez comprendre qu’à la condition d’intégrer ce que vous entendez à ce que vous pensez déjà. Les idées dans lesquelles vous intégrez ce que je vous dis ne sont pas forcément les mêmes. Ce sont justement les idées après lesquelles moi je cours, puisqu’on essaye toujours en parlant d’anticiper la façon qu’on a d’être compris.

Bref, si je me demande où est mon identité en ce moment, je suis obligé de reconnaître que cela tient plus de la Place de la Concorde aux heures de pointe qu’à autre chose. Pour moi, c’est sûr, je l’ai admis et cela me paraît tout à fait supportable, je n’ai strictement aucune idée personnelle. Aucune idée n’est de moi : je ne pense que dans l’emprunt. Et je ne parle que dans l’emprunt parce que je n’ai aucun mot en propre, et vous non plus d’ailleurs. C’est un peu étrange parce qu’on pense ou on parle dans l’emprunt et dans des emprunts d’emprunts. Ce qu’on va retrouver d’ailleurs vaguement du côté du collectif de la langue. L’exemple est vite compris. Il suffit d’écouter France-Inter le matin à 6 h 45 : mot par mot, quelqu’un vous explique quelle espèce d’horrible néologisme vous proférez quand vous parlez le français d’aujourd’hui [1]. Tous les mots de langue française sont d’origine étrangère. Ils ont au moins un point commun, mais comme ils ont tous été empruntés par nous, ils ont tous été empruntés de travers. Par exemple : il n’y a que les français qui peuvent croire que les allemands parlent de « choucroute », « Sauerkraut  ». Comme on a vu vaguement de quoi il retournait, on a cru comprendre, c’est là le drame (mais on ne peut pas comprendre autrement qu’en croyant comprendre), en voyant les allemands dire « Sauerkraut  », que « Kraut  » c’était « croûte ». Ça ressemble. Quant à « sauer  », ils ont vu qu’il y avait du chou à mettre quelque part, ils l’ont mis. Ils se sont dit que « chou » c’était « sauer  ». Le problème c’est qu’en allemand « chou » c’est « Kraut  ». C’est pour cela que le problème des français maintenant c’est de mettre de la croûte là-dedans ! Dans certaines brasseries à l’heure actuelle, on fait des gratinés pour essayer de donner raison au mot quand même. Autre exemple : ce mot qu’on doit aux Américains, lesquels le doivent à je ne sais quelle population : « bikini ». Suite à la guerre, les Américains se sont occupés des Japonais et de certaines îles de là-bas. Ils y ont même mis des bases, où on a installé les GI et leurs femmes. Cela a enclenché un certain mode de vie plutôt balnéaire. Bref, plan Marshall et films américains aidant, cela nous est arrivé. Sur les planches de Deauville, on a vu certaines élégantes se promener en « bikini ». Mais nous sommes des Français. Je ne sais pas ce que veut dire « bikini » dans sa langue d’origine, mais je sais que pour un Français, il est difficile d’entendre « bikini » sans faire de « bi » immédiatement un préfixe. Dans ce mot d’origine polynésienne ou autre, les Français entendent le « bi » qui nous vient du latin. La preuve qu’on est Français, c’est qu’on adapte ce mot d’origine polynésienne avec certains mots, cet autre emprunt qu’on a déjà fait du latin. Le plus normalement du monde, pour des Français, de « bikini », nous passons à « monokini ». Preuve encore que nous sommes de bons Français, nous avons inventé le « zéro-kini » qui doit prouver que notre connaissance du grec est assez approximative. Le problème est que tous les mots de la langue, sans exception, sont construits comme ça. Gagnepain propose de cesser d’appeler une langue pour dire plutôt le vernaculaire. C’est une sorte de créole entre du saxon qu’on n’est plus tout à fait. C’est pour cela que certains mots anglais ressemblent à des mots allemands. Et puis c’est un créole parce qu’on est quand même allé leur rendre visite, pour essayer de les civiliser un peu, à l’époque de Guillaume le Conquérant, ce qui fait que dès qu’un anglais pense, il pense en français d’une certaine façon. Tout le vocabulaire abstrait ou intellectuel des anglophones vient de chez nous. Ils en ont fait des faux-amis ! Par conséquent, où qu’on le saisisse, l’usage linguistique va témoigner précisément du fait qu’il n’est d’usage que d’interférer ou d’interlocuter. Je ne peux pas faire la différence entre le collectif supposé ou l’individuel supposé puisque dans les deux extrêmes que le positivisme nous a habitué à envisager, on va retrouver cette même chose.

Et puis, il n’y a pas que les mots. Si vous allez faire votre marché le samedi matin, ne négligez pas le fait suivant : il n’y a que des fruits et des légumes exotiques. On ne consomme que de l’emprunt : aucun légume autochtone. Il n’y a pas que les mangues ou les kiwis. Il y a les pommes de terre, les carottes, les pommes, les poires... Et puis, le Prince de Bretagne il est d’origine arabe. On est confronté à l’idée suivante : c’est que dans tous les domaines, la particularité de l’usage social est qu’il est le résultat d’une drôle de cuisine, d’une cuisine d’interférences. Cette interférence historicise l’usage, puisque c’est le mélange ou le métissage qui est créateur. Cela fait des nouveaux mots, des nouveaux légumes. On doit à Christophe Colomb d’avoir ramené des grosses fraises blanches qu’on a pu mélanger avec nos petites fraises rouges des bois. Cela donne les fraises qu’on consomme aujourd’hui qui ne préexistaient pas à la découverte du Nouveau Monde.

Les exemples n’importent pas tant que le phénomène systématique auquel il nous renvoie. On va le retrouver dans tous les domaines. C’est pour cela que l’historien pourra à chaque fois construire dans quelque segment que ce soit de l’usage, la trace de l’histoire dont il résulte. Cela se passe aussi bien du côté du supposé individu, dont on est obligé désormais de comprendre à quel point il n’est ce qu’il est que de n’être pas individuel, que du côté du collectif dont on est obligé de reconnaître précisément que collectif il n’est jamais. Ce qui nous fait rentrer dans le registre du social c’est d’échapper à ce qui doit quand même bien tenir à une condition biologique d’existence, pour participer d’une autre modalité d’existence. Il ne suffit pas de récuser une opposition, il faut se demander pourquoi on l’a mise en avant, pourquoi on a pu la penser et éventuellement à quel registre de réalité elle peut correspondre malgré tout encore. Si on est obligé de reconnaître que le social se définit de n’être ni individuel ni collectif, il faut se demander si cette fameuse opposition de l’individuel et du collectif n’est pas la trace, dans le propos psychologique ou sociologique qu’on tient sur l’homme, d’un fait qui a sa raison d’être dans le discours biologique.

En tout cas, c’est ce que Gagnepain propose d’envisager, en rappelant que si l’être humain se définit humainement de n’être jamais individu et s’il se définit dans un social qui n’est pas collectif, il n’en cesse pas moins, pour autant, de participer d’une existence biologique dans laquelle il est effectivement pertinent d’introduire le concept d’individuation. Cette individuation n’est pas proprement humaine puisqu’elle est la condition d’existence de tout être vivant. En même temps de sa participation au cadre général d’une espèce. Autrement dit, ces oppositions-là, on les manipule encore en sciences humaines, sur le terrain psychologique ou sociologique, mais il s’agit peut-être des traces encombrantes d’un héritage biologique mal assumé, c’est-à-dire un héritage par rapport auquel on n’a pas pris assez de distances.

Je ne crois pas qu’on puisse réduire totalement à néant cette idée qu’il y aurait de l’individuel ou cette idée qu’il y aurait du collectif, même si sur le terrain sociologique j’en réduis systématiquement la pertinence. Si ce n’est pas sociologique, cela doit peut-être tenir au fait que de toute façon, il n’est de vie sociale qu’élaborée par-dessus une vie biologique qui persiste malgré tout et avec laquelle on ne cesse de faire encore. Autant le concept d’individu est inadmissible en sociologie ou en psychopathologie, autant il a peut-être sa raison d’être dans un autre discours. Auquel cas il faut prendre en compte la problématique purement biologique d’individuation. C’est l’opération par laquelle un être vivant se pose par rapport à un milieu. C’est peut-être là seulement que l’opposition intérieur-extérieur a quelque sens. Cela tient peut-être à l’inscription de la vie sociale dans une vie biologique qui persiste que d’avoir malgré tout à traîner avec nous cette question d’individuel et cette question du collectif. Le collectif, à ce moment-là, est simplement l’horizon d’appartenance à l’espèce biologique. C’est un horizon d’appartenance à une grégarité à l’intérieur de laquelle il n’y a absolument aucune distinction. On peut comprendre que le collectif ne puisse qu’être co-extensif à l’espèce. Mais c’est l’espèce biologique en nous, à ce moment-là encore. De la même manière, l’individu doit bien renvoyer, d’une manière ou d’une autre, à une opération, à laquelle nous procédons nous aussi, par laquelle un organisme vivant se pose en posant un soi et un non-soi, et un dehors et un dedans. C’est l’opération par laquelle tout être vivant se pose en posant son milieu. Ce n’est pas proprement humain, mais on le fait aussi. Par conséquent, cette opposition qu’on récuse au nom de la sociologie ou de la psychanalyse par exemple, il va falloir lui rendre sa bonne place.

Pour le reste, dès qu’on quitte ce terrain-là, on va bien être obligé systématiquement d’admettre que le paradoxe de l’identité consiste en ce que l’on n’est jamais ce que l’on est. Si je fais l’inventaire de ce que je suis supposé avoir intériorisé, je vais faire le tour de tous mes emprunts. Finalement, je vais passer mon temps à restituer l’ensemble de mes rencontres. C’est d’ailleurs le cadeau paradoxal que Freud a fait à la psychologie que de lui révéler que dans l’inconscient au moins il y avait un monde. Jacques Lacan s’est fait un plaisir de tirer de ce genre-là d’observations toute une théorie qu’il a appelé l’excentration du sujet, c’est-à-dire, la nécessité pour la psychanalyse de penser que ce qui fait que le sujet humain est sujet humain c’est précisément qu’il n’est pas individuel. Par conséquent, l’autre est perpétuellement en lui. Ce que le sociologue Pierre Bourdieu va de son point de vue aussi en permanence réaffirmer avec sa théorie de l’habitus, qui consiste de sa part simplement à rappeler que l’étoffe dont nous sommes faits n’est faite que d’emprunt.

C’est autant d’idées auxquelles je souscris avec énormément de facilité puisqu’elles me rendent rationnel l’échec scientifique de ma discipline de départ, la linguistique. Je pourrais être triste de voir ma linguistique échouer dans les sables d’une individualité qu’elle n’arrive jamais à rencontrer ou d’une collectivité qu’elle n’arrive jamais à retrouver. Mais je constate que, le psychanalyste d’un côté, le sociologue de l’autre me permettent de penser qu’après tout, c’est peut-être normal. Cette idée qu’il y a un paradoxe dans la question de l’identité, à savoir qu’on voudrait toujours rendre raison de l’identité dans un contenu qu’on aurait en propre et que si on va chercher l’identité à cet endroit-là, on va trouver l’inverse de ce qu’on cherche, puisqu’on ne va trouver que de l’emprunt.

Peut-être finalement que l’identité, on gagnerait à poser la question en y introduisant l’idée de ce que j’appelle le Néant. La condition de possibilité d’existence pour nous d’une profondeur dans l’espace est que jamais nous ne coïncidions avec l’endroit où nous sommes. Quand vous allez à Paris, vous êtes encore à Rennes d’une certaine façon, et quand vous rentrez à Rennes, vous êtes resté un peu à Paris. Ce qui fait qu’il y a espace, voire géographie, c’est précisément cette espèce de propriété un peu étrange qui fait qu’en même temps vous êtes là et n’y êtes pas. Il n’y a pas d’espace humain sans cette ubiquité-là. Finalement, on est peut-être, mais même dans notre manière d’être là, ce qui est essentiel c’est que jamais nous ne nous réduisions à notre être-là. Nous n’avons d’histoire qu’à la même condition. Nous n’avons d’histoire qu’à la condition de ne jamais coïncider avec quelque moment que ce soit dans notre existence. Là encore, on est là et on n’y est pas. En tout cas, on n’y est pas réductible. On est encore celui qu’on n’est plus et on est déjà celui qu’on ne sait pas qu’on va devenir... D’où cette idée qui a d’ailleurs théologiquement débouché sur la question de l’âme ou de l’éternité, à savoir que d’une manière ou d’une autre, on a un mode d’existence qui consiste dans notre être-là, un être-pas-là, dans notre façon d’être-ici-et-maintenant, à ne jamais-être-ici-et-maintenant. Nous portons en nous la possibilité permanente de nous décontextualiser. Ce que j’appelle l’ubiquité de la personne. Cette petite éternité, dont nous portons en nous le principe, nous fait transcender tous les lieux ou tous les moments.

Alors, c’est peut-être comme ça qu’on peut arriver à résoudre ce qui sinon ne reste que pure contradiction, à savoir ce paradoxe qui veut qu’on doit bien être, mais qu’on ne doit sans doute pas être là où on attend notre être. Si je cherche à rendre compte de ce que je suis en faisant le bilan de ce que je suis, je ne vais pouvoir restituer que des emprunts, par conséquent je suis de ne pas être moi.

Cette idée a été soutenue aussi bien d’un point de vue psychanalytique que sociologique. La seule façon que j’ai à ce moment-là de réintroduire le principe d’une identité consiste à faire remarquer que mon identité va se fonder dans ma possibilité permanente de ne jamais coïncider avec quelque manière d’être que je ne détiens que de l’emprunté. Mon identité est au-delà de toutes les manières d’être. Mon identité est le contraire de ce qu’on en a cherché longtemps : c’est le vide, ou la possibilité en permanence de faire le vide. Chaque rencontre me rend autre, je deviens quelqu’un d’autre. Chaque rencontre m’altère, mais je porte en moi cette possibilité de dépasser en permanence ce que je suis. Mais cette possibilité-là me renvoie à un vide. Finalement, l’identité c’est le vide par excellence ou le Néant. C’est-à-dire la possibilité toute simple d’entrer en relation, la possibilité de n’être réductible à strictement aucune de ces relations.

Pour reprendre l’exemple, mon identité doit tenir au fait suivant : mon identité consiste précisément dans la possibilité de m’arracher à une certaine manière d’être lié à une certaine situation et à un certain type de relation, pour rentrer dans une autre manière d’être liée à un autre type de situation et à d’autres relations. Je suis perpétuellement entre les emprunts, entre les situations, entre les lieux, entre les gens, mais je ne suis jamais moi-même. Ainsi, par moi-même, je cherche à être vraiment quelqu’un, à supposer que je le cherche encore. Gagnepain rappelle que quelqu’un, on ne le devient que le jour où on est mort et où quelqu’un prononce notre éloge funèbre. On est quelqu’un le jour où on est fini. Le jour où cesse ce jeu, où en permanence on réintroduit le fait qu’on n’est pas réductible à celui que l’on donne l’impression d’être. On est, par conséquent, que de n’être pas. On va retrouver cela dans tous les domaines.

J’ai pris des exemples plutôt du côté du terrain de l’identité où on l’entend assez souvent. Mais un autre lieu d’identité possible va consister à rentrer dans la problématique de la répartition socio-professionnelle des compétences. On n’est pas seulement d’être Breton ou fils de je ne sais qui ou le voisin... On est aussi de participer d’une manière ou d’une autre d’une répartition socio-professionnelle des compétences. Là aussi on retrouve ce problème. C’est un problème qui doit vous hanter quelque peu. La question est la suivante : comment se fait-il que dans une boulangerie on puisse acheter aussi des bonbons, du café, du lait longue conservation, alors que dans l’épicerie d’à côté on pourra aussi acheter du pain ?

Dans toutes les professions on retrouve la trace de l’emprunt. Et dans toutes les professions on fait toujours « un peu » ce que les autres font « aussi ». Tout le problème pour une profession qui s’intègre historiquement c’est de s’intercaler. C’est de se caler entre. Vos prédécesseurs n’existent que de s’être intercalés à leur tour. Rien n’est plus plastique, n’est plus fuyant que le contenu professionnel d’une corporation. Elle a d’ailleurs tout à fait intérêt à pratiquer cette distance à soi-même qui permet de se révolutionner, parce que si vous vous confondez avec une manière de travailler, l’histoire se chargera de vous rendre parfaitement périmé. Il y a même sur le terrain du métier la possibilité de repérer ce vide.

Ceci étant, la plupart du temps, on vit notre identité à l’envers. C’est-à-dire que là où la sociologie ou la psychanalyse nous invite à faire le vide (et le vide on le fait en rentrant dans l’interrelation), nous aurions une certaine propension à faire du plein. Il est difficile d’ignorer, dans un certain rapport que l’on peut entretenir avec la question de l’identité, une certaine propension qu’on a malgré tout à vouloir être quelqu’un, et à ne pas y retrouver la signature de cette relation que l’on peut entretenir y compris à soi-même qui s’appelle le narcissisme. En précisant d’ailleurs au passage que le narcissisme ne concerne pas seulement la relation qu’on entretient avec soi-même, puisque le soi-même qu’on cultive narcissiquement est toujours un soi-même adossé à une certaine situation dans laquelle il est en relation avec un certain nombre d’autres. Ce qui fait que derrière ce qu’on appelle psychologiquement le narcissisme, il faut peut-être comprendre une tentative de maîtriser la situation et dans la situation qu’on entretient avec les autres. Je ne crois pas que le narcissisme soit si égocentrique que cela. En général, le narcissisme on l’entend sur le mode trop restrictif d’une certaine relation qu’on aurait avec soi-même et je crois que le soi-même dont il s’agit, c’est la tentative de prise de maîtrise qu’on essaye d’effectuer sur un soi-même toujours en situation, donc en relation avec les autres. Finalement, c’est pas de soi-même dont il s’agit dans le narcissisme, c’est d’une certaine maîtrise de l’interrelation.

Comment voulez-vous être maître de vous autrement qu’en essayant d’être maître de vous en relation avec autrui ? Ce que d’ailleurs les publicitaires ont parfaitement bien compris. Les publicitaires nous renvoient ça en permanence. Par exemple, le petit spot Clearasil avec les boutons qui apparaissent tout d’un coup sur la figure des adolescents est bien fait : c’est bien sur le regard de la copine qui va sonner à la porte d’entrée que le garçon, tout d’un coup dans la glace de la salle de bain, découvre qu’il a des boutons. Le narcissisme là, c’est une certaine façon d’anticiper le regard de l’autre et d’essayer de maîtriser ce regard de l’autre pour essayer de se posséder soi- même.

Cela permet de rentrer dans une autre manière de considérer la question de l’identité. On cherche à la résoudre en lui donnant un contenu positif. C’est peut-être la tentative d’appropriation qu’on fait de notre existence. De la même manière que le professionnel va tenter de s’approprier son métier en essayant d’en circonscrire le contenu, en disant : « c’est ça que je fais ». Pourtant, d’une certaine manière, ce n’est pas là que le métier se définit. Et ce n’est pas là que le soi se définit. Je joue un jeu un peu redoublé. En même temps que je conteste la pertinence d’une opposition « individuel et collectif », en même temps j’essaye de comprendre pourquoi on a pu les penser et quelle place on pourrait essayer de leur trouver quand même en les décalant complètement.

La pensée de l’individu est vraisemblablement un héritage biologique mal géré par les sciences humaines d’aujourd’hui. Mais cet héritage biologique rendu à la biologie peut peut-être retrouver son principe de pertinence. Il y a quelque chose qui doit correspondre à l’inscription biologique de l’individu dans un corps et dans un milieu.

Ceci dit, du point de vue des sciences humaines, l’individu est aussi peu soutenable que le collectif. Ceci étant, on en réintroduit en permanence sur le mode du fantasme ou de l’imaginaire la potentialité. On ne peut par conséquent se contenter de récuser. Il faut comprendre qu’on ait à lutter contre cela. Si ce qui nous pose dans l’existence est une sorte d’étrange non-être, peut-être que nous ne pouvons pas nous résoudre à ce vide-là, ce non-être, et que nous cherchons sans cesse à donner à cela un contenu existentiel.

Ce qui ferait de la personne dont parle Gagnepain, la contradiction permanente entre de la présence et de l’absence. L’absence c’est de la présence. En tout cas, je crois qu’on gagne, sur cette question, à accepter de faire avec le paradoxe qu’elle contient. Poser la question de l’identité, c’est nécessairement affronter la reconnaissance de la non-individualité, mais c’est affronter également la reconnaissance de la non-collectivité. Bref, c’est affronter le positivisme dans toute sa splendeur et le récuser. On ne peut pas faire l’économie de la réflexion qui consiste, en n’en étant plus dupe, à rendre à ces notions-là leur genre de pertinence. Il y en a deux : d’un côté le biologique et de l’autre cette certaine dimension de notre existence et de nos relations que les psychanalystes aussi bien que les sociologues soulignent et qui rappelle que nous n’avons de relation à l’autre qu’imaginaire et de relation à nous même que narcissique. On ne peut pas par conséquent, balancer cela comme n’étant rien. Par conséquent, faire sa place paradoxalement à un certain sentiment d’être, tout en ayant compris pourquoi il est sous-tendu en permanence par quelque chose qui le contredit. Par conséquent, il s’agit d’en traiter en termes de contradiction ou de paradoxe. À ce moment-là, on parle de l’identité en retournant simplement à ce qui pose l’être.

On est devant quelque chose qui ressemble d’assez près, finalement, à la définition qu’on donne du signifiant et du signifié quand on parle du langage. Le paradoxe du signifiant est qu’il vient exprimer ce qui dans le son du langage par définition n’est pas sonore, et qui ne se manifeste qu’en étant investi dans un contenu sonore. Le phonème, par définition, c’est le silence. Mais c’est un silence qui est au principe de la sonorisation, c’est-à-dire de la prononciation. De la même manière, ce que les linguistes appellent le signifié, ce n’est pas le sens. À la limite c’est le non-sens. Mais c’est ce non-sens qui permet au sens d’advenir.

Peut-être que finalement, l’identité est un non-être et que c’est ce non-être qui permet à l’être d’advenir, d’une certaine façon. En tout cas, vous avez vraisemblablement intérêt à affronter ce paradoxe, parce qu’on est simplement confronté à affronter un phénomène qui est de lui-même déjà dialectique.


Notes

[1Jacques Laisis fait ici allusion à la chronique quotidienne d’Alain Rey sur cette chaîne entre 1993 et 2006, intitulée « Le Mot de la fin ». Le linguiste et lexicographe y prenait chaque fois un mot différent, pour remonter à son étymologie et faire l’histoire de son usage à travers le temps.


Pour citer l'article

Jacques Laisis« Identité individuelle, identité collective ? », in Tétralogiques, N°29, Épistémologie des sciences humaines : le gai savoir de Jacques Laisis.

URL : http://www.tetralogiques.fr/spip.php?article264