Jacques Laisis
De l’homme de parole à l’homme de loi
Résumé / Abstract
Séminaire du 19 novembre 1987
Mots-clés
déconstruction | doxa | épistémologie | langage | langue | Linguistique | sciences humaines | théorie de la médiation |
Je vais essayer de formuler cette année en quoi nous sommes toujours, d’une manière ou d’une autre, des « hommes de Loi ». Le titre d’aujourd’hui est « De l’homme de parole à l’homme de loi ». C’est une façon comme une autre d’ailleurs de vous dire que ce que je raconte le jeudi après-midi est la même chose que ce que je raconte le jeudi matin en licence, sauf que c’est au carré. Alors j’ai fait comme il paraît qu’on doit faire, c’est-à-dire que j’ai fait fonctionner « la preuve par neuf », c’est-à-dire qu’il y a trois parties, chacune constituée de trois parties :
1. Le rapport redoublé de la théorie de la médiation à l’épistémologie.
2. La doxa surprise par la dissociation des plans.
3. Le passage du porte-à-faux de la langue au porte-à-faux de la linguistique.
1. Rapport redoublé de la théorie de la médiation à l’épistémologie
De toute façon, qu’on le veuille ou non, « entrer en théorie de la médiation », c’est entrer dans cet enjeu, qu’on qualifie habituellement d’« épistémologique », qui fait que le savoir n’étant jamais unifié, on y prend nécessairement position. Par conséquent, dans le sens un peu banal du terme, qu’on peut qualifier de « post-bachelardien » – enfin pour moi c’est le sens banal de l’épistémologie –, il est vrai qu’il y a un enjeu épistémologique dans le passage même de la linguistique à la théorie de la médiation ; on l’expose jusqu’à un certain point à partir de la licence. Mais il est vrai que la dimension de l’épistémologie est toujours présente dans notre enseignement, et elle s’illustre dans ce passage, évidemment polémique et présenté comme tel, qui va de la linguistique à la théorie de la médiation. J’ai carrément intitulé comme cela mon U.V [1] de licence. D’une certaine manière, nous sommes de fait épistémologiques, précisément parce que nous sommes des mutants. Et je pense que précisément, comme le dit Bachelard, on a beau travailler encore « à l’union de la preuve », puisqu’on n’y a pas renoncé, il se trouve que l’union qu’on propose maintenant est la nôtre, et pas la leur. Par conséquent, comme le dit Bachelard aussi précisément, « après chaque mutation de base, la solitude nous guette », et nous sommes dans la solitude.
Cette prise de parole qu’est la théorie de la médiation est une prise de position dans le savoir, et une prise de position contestataire. Et cela date de l’origine, en tout cas pour ce que j’en ai vu. Pour avoir assisté à la naissance de l’U.E.R [2], je peux vous garantir que c’est comme cela depuis le début. Cette U.E.R, qui vous apparaît complètement installée, le moins qu’on puisse dire est qu’il a fallu lui faire son trou, et là je remonte à pratiquement vingt ans en arrière, donc à une époque où... Alors on me traite de nostalgique, d’accord mais il n’empêche que fut un temps où l’U.E.R n’existait pas. Il faut quand même réussir à penser que fut un temps où la théorie de la médiation n’existait pas non plus. Bref, si nous avons à l’heure actuelle quelque place, c’est bien parce que nous l’avons conquise. Et cette place, je vous le garantis, a été conquise de haute lutte. Je ne vous dis pas le nombre de fois où on est allé sauver le principe du tiers-libre au Conseil d’Université ; je ne vous dis pas le nombre de fois où on est allé sauver la possibilité pour les étudiants de venir suivre des cours chez nous, parce que les cours d’épistémologie, ça passe par là aussi.
On a eu affaire à une sorte d’incompréhension de nos collègues, et même à une double incompréhension. C’est normal puisque nous sommes des mutants. Ce fut l’incompréhension d’abord de nos collègues linguistes, qui, pendant longtemps, ont passé leur temps à dire que, eux « savaient ce qu’était la linguistique », parce que ce que nous faisions n’en était pas. D’ailleurs on leur a donné raison : ça n’en est pas, puisqu’on ne saurait plus faire de linguistique ! Mais il y avait aussi des collègues d’une autre discipline qui passaient leur temps à nous oublier : des « actes manqués » d’une certaine façon, à tel point qu’il a fallu effectivement, au niveau institutionnel, se battre pour faire l’U.E.R. C’est tout con mais ça passe par là. Dans le séminaire que j’avais fait il y a bien plus d’une douzaine d’années maintenant, je parlais de l’épistémologie au sens de Gaston Bachelard ou Dominique Lecourt ; au sens de Michel Foucault ; au sens, à la limite, de Louis Althusser. C’est-à-dire que j’interprétais comme enjeu épistémologique l’enjeu qui se passait dans le savoir et dans l’institution. Alors, j’étais arrivé une fois à la proposition suivante : les autres, n’ayant point mutés, ne pouvaient plus nous voir – dans tous les sens du terme –, mais il est vrai que si on se mettait de leur point de vue, l’U.E.R du langage était invisible, parce qu’avant de creuser notre trou, et avant qu’on fasse souci à tout le monde, on avait affaire à qui ? Aux littéraires ou aux linguistes à la Claude Hagège, des linguistes de langue. D’ailleurs, aujourd’hui, j’ai reçu une convocation. Il y a deux clans de linguistes francophones, enfin de l’U.E.R de littérature, qui nous invitent à une réunion, enfin qui invitent tous les linguistes de cette Université pour causer ensemble. J’ai déjà fait remarquer que de toute façon, je n’étais pas concerné puisque je ne suis pas linguiste. Aller discuter de quoi ? Moi, je choisis de quoi et avec qui.
Bon, prenez ça d’un bout, et puis prenez d’autres bouts : la psycho ou l’ethno-socio, et vous avez le dispositif dans lequel on n’existe pas. On n’existe pas dans ce dispositif-là parce que si la linguistique générale consiste à décrire les langues, les copains le font déjà. Si ce sont des langues dominantes, c’est dans les sections de langue, si ce sont des langues dominées, c’est en celtique, et si c’est franchement minoritaire, pratiquement inconnu dans le coin, c’est en ethnologie à la rigueur. De toute façon, toutes ces linguistiques-là, de langue dominante comme de langue dominée, sont et restent des ethnographies, comme l’ethnographie du breton parlé à Douarnenez par deux marins-pêcheurs et demi. C’est la thèse du Per Denez [3]. Ethnographie du français parlé par les candidats aux élections présidentielles de 1967, c’est la thèse de Suzanne Allaire [4], etc. Je dis que ce sont des monographies d’ethnographes, c’est-à-dire que l’on décrit linguistiquement « comment ça cause dans ce coin-là ». Si c’est une langue dominante, comme on dit, c’est dans une vraie section de langue ; si c’est une langue dominée, ce n’est plus dans une section de langue vraiment, et la linguistique générale a eu la fâcheuse tendance à se confondre avec la linguistique de « langues qu’il n’y a personne dans le coin à causer » ; alors cela vous donne des sections comme à Paris je sais plus combien, la Sorbonne X ou Y, parce qu’ils ont tous voulu garder un morceau quand même, ils sont « Sorbonne nouvelle » ou je ne sais pas… Bon, il y a des U.E.R où la linguistique, soit est inféodée au français et aux langues, soit est devenue synonyme de linguistique africaine. C’est important parce que, finalement, cela donne des dispositifs dans lesquels nous ne sommes pas :
D’un côté, on décrit l’usage, et l’ethno-socio je la mettrais plutôt de ce côté, c’est une forme d’ethno-sociologie rampante qui ne se reconnaît pas comme telle.
Et puis de l’autre côté, qu’est-ce qu’il y a ? Les gars qui vous racontent sous couvert de psychogénétique, pour l’essentiel, l’accès à l’usage, et plus exactement la participation progressive à l’usage.
Dans cette situation-là, nous avons muté. La mutation est la mauvaise surprise qu’on réserve à tout le monde quand on fait le clivage du plan I et du plan III [5]. On n’est plus nulle part, ni là, ni là ; on n’est plus en linguistique des langues, et il n’est pas question qu’on aille en psychogénétique. D’une certaine manière, soit on est en trop parce qu’on fait la même chose que ce qui est déjà fait, soit on n’a aucune raison d’être dans ce schéma de pensée-là, dans ce que découpe l’Université, telle qu’elle existe à l’heure actuelle encore. Finalement, on n’a pas besoin de nous. On n’a tellement pas besoin de nous, d’ailleurs, qu’on nous a régulièrement oublié, et de bonne foi, parce que pour qu’on ait besoin de nous, il faut qu’on leur ait infligé notre service. Il faut qu’on leur inflige le service éminemment paradoxal qu’on leur rend. Le problème est que ce service qu’on peut leur apporter suppose qu’on ait déconstruit les plans, et ils n’y tiennent pas. Pourquoi ? Parce que cela les chamboule au moins autant.
Alors si vous voulez, on est, de fait, dans l’épistémologie pour cela. On a muté dans la discipline ; pour eux on est en trop, ou on est invisible. Si on part de l’intérieur de leur façon de penser, ils ne comprennent pas ce qu’on fait, ils ne voient pas pourquoi. S’ils croient qu’on est encore des linguistes comme eux, ils butent sur le fait qu’on leur renvoie que ce n’est pas le cas, et à ce moment-là, la question devient « mais alors qu’est-ce que vous faites donc ? », « Autre chose ! » je dis. On est parti ailleurs ; on est ailleurs.
Donc, on est curieusement et simultanément en moins ou en trop : en tout cas nous sommes devenus, de ce point de vue-là, déplacés. Nous sommes devenus des voisins simultanément invisibles et encombrants. C’est beaucoup moins vrai maintenant, mais à l’époque où l’U.E.R s’est montée, dans l’après 1968, on l’était. Gagnepain a profité de ce qui se passait en 1968 pour faire l’U.E.R, « creuser le trou » : puisque c’était la zone, autant en profiter. Mais tu étais là aussi Jean-Claude [s’adressant à son collègue Jean-Claude Quentel]. On a été obligé aussi, je dirais, de lutter… enfin, je dirais de soutenir l’après-68, parce que c’était l’époque où tout le monde carburait au politique. C’est fini ça. Mais enfin le problème était à l’époque d’avoir un projet scientifique qui obtiendrait plus ou moins, si je puis dire, la bénédiction des étudiants politisés, parce que vous vous doutez peut-être un minimum que si le structuralisme était la resucée ultime de l’idéologie bourgeoise – je résume – comment l’U.E.R du langage avait-elle vocation à exister, sachant que l’état-major de 1968 pratiquement était dans l’amphi de Gagnepain en même temps ? Il y a eu toute une série de rapports marrants entre nous et les étudiants « militants », et à l’époque les étudiants étaient tous militants pratiquement, parce qu’on les embêtait. On n’aurait été que des linguistes, alors là notre compte était réglé d’avance, no problem. Mais ils étaient bien embêtés avec le clivage du plan I et du plan III, avec la langue qui n’avait point de statut linguistique, mais avait un statut intégralement sociologique, par conséquent politique. C’est tout juste s’ils ne nous en voulaient pas de l’avoir dit nous-mêmes, parce que normalement, dans leur répartition du boulot, c’était à eux de nous le dire. C’était assez rigolo, et je ne vous dis pas les discussions échevelées – parce qu’en plus c’était la tenue de rigueur ! Quand on a sorti l’ergologie, alors là, c’était : « Pas touche ! », parce que les « moyens de production » étaient pour eux. On avait des experts en trotskysme, léninisme et autre : « alors là pas question ! ». C’est tout de même assez drôle, parce que j’ai fait, pratiquement à mes débuts à l’U.H.B [6], un séminaire, une fois, sur une cafetière.
Et on est né là-dedans aussi, enfin moi je suis né là-dedans en tout cas, c’est-à-dire dans le débat, y compris politique, dans l’articulation d’une recherche scientifique avec la question politique de l’époque. À l’époque, on carburait à Althusser, à Lecourt, à Foucault, à Lefèvre, les trucs de la vie quotidienne [7]. Bref, on était toujours dans un certain type de conflit qui articulait l’une à l’autre la question de l’explication et la question du politique, tout le temps. On n’avait pas encore sorti la dissociation plan III/plan IV, on n’osait pas, parce qu’attaquer de front la Loi ! C’étaient des freudo-marxistes qui carburaient aux machines désirantes. Mais grosso modo, il y avait un conflit entre l’explication de la science et le politique ; et on les perturbait d’une certaine manière. C’est pour cela qu’on avait autant d’emmerdements, moi en tout cas, car tout ce qu’ils n’osaient pas dire à Gagnepain, c’est moi qui le ramassais.
J.-C. Quentel - Comment ils t’appelaient à l’époque ?
Ils m’appelaient « la voix de son maître ». C’est là que j’avais du répondant, alors j’ai fait mes armes comme cela, un peu dos au mur mais quand on commence, on est toujours dos au mur. Ça m’a appris aussi pas mal de choses. J’ai eu une formation à l’épistémologie, si j’ose dire, sur le tas. C’est intéressant parce que mine de rien, et au-delà de l’anecdote – parce que si c’était simplement pour l’anecdote je ne vous en parlerais pas –, c’était déjà la question dont je vais vous parler cette année, précisément parce qu’à formuler de la loi scientifique sans faire attention, on peut impliquer un certain état du politique. Donc, ils n’avaient d’une certaine manière pas tort, même s’ils voyaient un antagonisme entre le scientifique et le politique – ça c’est une autre discussion qu’on pourra avoir plus tard. Mais en tout cas, je vous garantis que dans cette salle-là, le vendredi après-midi, c’était le tir à vue ! Je ne vous dis pas le scandale de l’ergologie !
Vous vous rendez compte ? une théorie non sociologique du technique ! Quand vous avez en face de vous des étudiants marxistes, ou qui se prétendent marxistes. Ils étaient contents de notre dissociation du signe et de la langue, ça les arrangeait. Mais pas quand on leur faisait remarquer, sur les mêmes principes, que l’on dissociait les moyens de production et une théorie socio-historique de l’outillage, à ne pas confondre avec une théorie ergologique de l’outil. On leur faisait remarquer : « c’est marrant, un coup ça vous arrange, un coup ça vous dérange ». Pour eux, Lefebvre avait dit l’essentiel sur la cafetière, ou Baudrillard ! On était emmerdé parce que dans ce qui est devenu à ce moment-là la glossologie, on avait quand même des trucs à dire. Je vous parle des temps héroïques où on commençait à se dire qu’il faudrait foutre dans la théorie de la médiation un fameux 2e plan consacré à l’ergologie, et il fallait par conséquent trouver des malades. Alors je ne vous dis pas ce qu’il y a de très drôle à prendre effectivement comme sujet de thèse l’atechnie, et à aller à l’hôpital se faire seriner par des médecins bien réalistes, « hommes de bon sens » comme nos collègues d’ici, que ça n’existait pas parce qu’ils ne l’avaient jamais observé. En plus, si vous voulez, on partait là au charbon sans bifteck, parce que là-bas, en traversant la rue, on tombait sur qui ? Sur des gens solidement réalistes, des bons empiristes, sûrement bons médecins dans le cadre du savoir acquis. Pour l’aphasie, ils avaient été d’accord – c’est tout le rapport d’Olivier Sabouraud à la théorie de la médiation que je résume grosso modo – l’aphasie de Wernicke, l’aphasie de Broca existaient déjà, et il y a une certaine élégance pour le médecin à dire pareil qu’avant, mais en utilisant le vocabulaire new-look, « ça fait cultivé ». Mais ils ne sont plus d’accord quand le linguiste devient trop encombrant, c’est-à-dire qu’il pose au médecin une question saugrenue, à savoir qu’il fait remarquer qu’il devrait – le scandale des scandales ! – y avoir une pathologie parce que le modèle veut qu’il y en ait une. Vous vous rendez compte ! La théorie invente la clinique ! Il devrait y avoir une maladie qu’on appelait déjà l’atechnie. Les médecins, hommes du bon sens, nous renvoyaient une conception parfaitement empirique, parfaitement réaliste de l’observation clinique.
Alors là, ce n’est plus Foucault, ce n’est plus Althusser, ce n’est plus Lecourt ou Lefebvre. Là c’est Bachelard, Canguilhem. C’est là que j’ai appris aussi sur le tas à renvoyer à Sabouraud que s’il n’avait pas vu les atechniques, c’est parce qu’il pensait d’une certaine manière. Au bout de trois ans, on en a trouvé. Il y a une atechnie taxinomique et une atechnie générative, puisqu’il y avait une aphasie de Broca et une aphasie de Wernicke. Je lui ai gentiment offert un axe mais il a ri jaune, le brave homme ! Parce qu’il n’est pas encore sûr que ce soit vraiment ça. Mais pourquoi il résistait ? Parce que là, du coup, on commence à prendre le savoir en place en neurologie, on commence à le prendre en diagonale. Il ne peut plus avoir le confort qu’il a pour l’aphasie. Ça devrait s’entendre encore demain après-midi durant une thèse sur l’atechnie où il est dans le jury. L’atechnie, il en veut quand même maintenant, du moment que ça ne gêne pas la sacro-sainte apraxie à laquelle il ne veut pas toucher. Normalement, il devrait être emmerdé demain parce que toute la thèse est consacrée à la discussion du concept d’apraxie et de son déplacement.
Enfin je vous raconte tout ça pour vous dire que de toute façon, quoi que vous fassiez, à partir du moment où vous êtes en théorie de la médiation, vous êtes dans l’épistémologie au sens que je qualifie de « banal ». Au sens où, comme Althusser l’entendait, c’est la politique dans le savoir, au sens de Lecourt, au sens de Foucault, voire au sens de Canguilhem. De fait, c’est le premier rapport de la théorie de la médiation à l’épistémologie. « On est dedans », mais c’est un rapport qui se redouble. Le pire, d’une certaine manière, c’est « qu’à peine rentrés dedans, on en sort », parce que dans la mesure où cette épistémologie, au sens pour moi banal du terme, est désormais un discours au second degré sur la science, elle est une répétition pure et simple. On en parle comme cela maintenant, de ce discours sur le langage auquel on a renoncé nous autres, qui avons déconstruit pour x ou y raisons le langage. Nous en sommes venus à déconstruire ce dont parlent les épistémologues : « La science comme étant une question ».
Ça bouge, parce que là où, d’une manière plus ou moins indistincte, tous ces gens-là, Canguilhem, Bachelard, etc., parlent d’épistémologie, c’est bien de la science en définitive qu’ils entendent traiter. Simplement, la question est de savoir – enfin pour moi ce n’est plus une question – si la science, au sens où on l’entend, nous, « banal », est une question. Je sais bien qu’une certaine tradition philosophique d’abord, sépare la science du reste. On isole la question épistémologique de la science.
Ceci étant, apprenant sur le territoire du langage un certain nombre de choses, grosso modo, sur le signe, sur l’outil, sur la norme, il est devenu au bout d’un moment difficile de ne pas voir tout ce qui est en cause dans ce qu’auparavant on appelait le langage. Et c’est pour cela que l’on déconstruit le langage. Il est difficile de ne pas voir qu’il y a tout cela également dans tous les problèmes qui gravitent autour de cette question de la science. Bref, c’est l’effet en retour de la déconstruction du langage, qui est une déconstruction épistémologique, et l’effet en retour de la déconstruction sur l’épistémologie elle-même, ou sur la façon qu’on avait jusqu’à présent de traiter d’épistémologie. Ça veut dire qu’il ne faut pas confondre cela avec « la science dont tout le monde parle », dont parle Bachelard par exemple. Pour simplifier, je vais me référer tout le temps à Bachelard. La science dont parle Bachelard n’est pas, et n’est vraiment pas, cette espèce de modalité rhétorique en tant qu’elle est opposable au mythe. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de ça, puisque dans l’œuvre bachelardienne on va en trouver des effets, mais ce n’est pas de cela qu’il parle. Ce dont parle Bachelard en même temps, c’est d’une certaine modalité que Gagnepain appelle lui effectivement l’épistémologie, c’est-à-dire une certaine modalité politique qu’il oppose à la politique conservatrice – ça permet d’ailleurs d’opposer l’épistémologie au positivisme –, mais c’est aussi au 4e plan une modalité morale, au sens où quasiment Freud situait la science par rapport à la philosophie de la métaphysique, et puis l’art, etc. Au sens où la science est une morale qui affronte le principe de réalité (lire sur ce point Paul-Laurent Assoun : Freud, la philosophie et les philosophes [8]). Et puis au sens où Nietzsche s’en prend à la pseudo-froideur du réaliste.
Grosso modo, à rapporter une certaine dimension de ce qui se dit en science à une éthique sous-jacente qui est toujours présente, quoiqu’en disent certains empiristes prétendument objectifs et froids, la science va toujours, d’une manière ou d’une autre, de l’angoisse à la méthode. C’est à peu près tout ce qu’on peut retirer du bouquin de Georges Devereux qui s’appelle comme ça [9]. Ce qu’il y a de mieux dans le bouquin est le titre. Après, il y a des exemples. Enfin... au 4e plan, on va toujours, d’une manière ou d’une autre, de l’angoisse à la méthode. Et puis, il est quand même difficile d’ignorer à quel point on a affaire aussi là-dedans, si peu qu’on commence à fabriquer, et on fabrique dès qu’on commence à écrire ou à faire des tableaux, à une modalité industrielle. C’est ostensible quand il s’agit de faire de la physique ou de la chimie – il n’y a pas de physicien sans ingénieur – et la physique est effectivement une mécanique sous-tendue par une mécanologie.
Ce que je veux vous dire là simplement, c’est que, du jour où on reconnaît qu’il y a finalement une sorte de répétition, ayant déconstruit le langage, il faut, à moins d’être inconséquent, déconstruire la science, « la question de la science ». À partir de ce moment-là, on a un tout autre rapport à l’épistémologique parce que là où il y avait une question, pour nous il y en a au moins quatre. Ce qu’on repère à ce moment-là, y compris dans cette parole au sens banal du terme qu’est la « parole du scientifique », c’est qu’il y a des effets de signe, il y a des effets de personne, il y a des effets éthiques et y a des effets d’outil, et qu’il serait temps de s’en apercevoir. À partir de ce moment-là, on ne peut plus faire de l’épistémologie au sens de Canguilhem, on ne peut plus faire de l’épistémologie au sens où Bachelard l’entendait. Plus exactement, on commence à comprendre pourquoi, à chaque fois, dans tous les livres de Bachelard, on fait une singulière promenade, parce qu’il prend le problème à l’inverse.
Si vous prenez La Formation de l’esprit scientifique, Le Rationalisme appliqué, vous vous apercevrez que Bachelard éprouve des problèmes de ce genre, et que ça fait ses chapitres jusqu’à un certain point. Il n’a pas trouvé les quatre plans, mais il y a quelque chose qui le travaille déjà. A contrario, ce qui apparaît quand on reprend le bouquin que Dominique Lecourt a consacré à Bachelard, qui s’appelle Le Jour et la nuit [10], est qu’il y a une espèce de résistance. Ça provoque une résistance chez nous de voir comment Dominique Lecourt cherche à réduire Bachelard à seulement de l’historique. Autrement dit, Lecourt – et c’est là qu’on voit que c’est un soixante-huitard, d’une certaine manière, c’est encore un politique – tire tout Bachelard vers le seul 3e plan. Ça ne marche pas, parce que ça ne peut pas marcher. Et nous on comprend d’avance pourquoi, mais on est juge et partie, puisque nous déconstruisons. La première chose qui mute dans notre rapport à l’épistémologie par conséquent, est que de toute façon, effet en retour de la théorie de la médiation, c’est une question primo déconstruite.
Et puis il y a un autre effet en retour, et celui-là il est plus radical encore, et c’est ce pourquoi on ne peut plus faire d’épistémologie franchement, au sens où on l’entend d’habitude. Et c’est la contestation bachelardienne par excellence. Fut un temps où il y avait ce que j’appelle « un surplomb philosophique ». Il y avait les philosophes, perpétuels inspecteurs des travaux finis, qui passaient leur temps, trois siècles après les autres, à leur donner des leçons sur ce qu’ils avaient fait. Je suis allé de temps en temps en face [11], en philo. Ils sont encore en train d’épiloguer sur la mutation du savoir à l’époque de Newton. J’ai envie de leur dire qu’il y a de l’eau qui est passée sous les ponts entre-temps. N’empêche que ces gens-là ont une propension extraordinaire à décider à la place du scientifique de ce qu’est la raison scientifique. Ils expliquent aux scientifiques ce qu’ils font, etc. Jusque sous la plume de Francis Jacques dans son bouquin, L’Espace logique de l’interlocution [12], vous entendez dire que c’est au philosophe de décider des questions que le linguiste ira vérifier expérimentalement. On a affaire à un surplomb : le philosophe donneur de leçons, tenant son discours sur la rationalité, l’entendement, et le scientifique en bleu de travail.
Moi je dis : insurrection bachelardienne. Toutes les expressions que j’ai utilisées sont d’origine bachelardienne : « inspecteur des travaux finis », c’est du Bachelard. Bachelard a sa réponse précisément parce qu’il a une histoire, enfin précisément parce que l’esprit a une histoire : un discours de la méthode est toujours un discours de circonstance. Et une bonne partie de l’insurrection bachelardienne, c’est précisément de lutter contre l’éternité philosophique pour mettre de l’histoire là-dedans. Bachelard se débarrasse du philosophe, comme au XIXe siècle on s’est débarrassé de l’universel et de l’éternel du XVIIIe, avec comme argument l’historicisation : quasiment du Ferdinand de Saussure ! On sort de la philosophie par l’argument arbitraire de la contingence. C’est marrant mais il va falloir ne pas tomber dans le panneau !
À ce moment-là, il y a une sorte de prise de tangente, une tangente épistémologique, parce que si vous y regardez bien, la philosophie classique faisait correspondre à la science une instance. Elle est devenue pour nous parfaitement inadmissible, mais au moins il y avait une instance. Maintenant qu’on est dans l’épistémologie, donc dans l’histoire, la réflexion sur la science est une sorte de tangente, c’est-à-dire qu’on prend l’histoire de la science dans son mouvement et on épilogue là-dessus, mais il n’y a rien derrière, sauf chez Bachelard où il fait aussi « les rêveries sur le feu, l’eau, le gaz, l’électricité », bon. La théorie de la médiation a remplacé par les sciences humaines les « rêveries de Bachelard ». Et grosso modo, l’épistémologie nous mettait en position de tangente, dans le sens où on l’entend, c’est-à-dire que vous partez dans le vide parce que vous partez sur un rien finalement : il n’y a plus rien qui vous soutient. C’est vrai qu’on a perdu le soutien, grosso modo, métaphysique ; mais l’épistémologie est une demi-rupture, c’est-à-dire qu’elle rompt avec le surplomb philosophique, mais qu’il y a une sorte de discours de 2e degré sur la science qui ne sait plus où s’originer. Dominique Lecourt l’a parfaitement bien pigé chez Bachelard, à savoir que quitte à aller vers l’histoire, au moins on va à l’histoire tout court, et on implante une réflexion sur l’historicité de la science dans une théorie de l’histoire.
C’est là que notre rapport à l’épistémologie change à nouveau. D’accord, on est dedans ; d’accord, on a déconstruit ; d’accord aussi sur un scénario d’anthropologisation historique de la raison épistémologique – parallèle à celui de Lecourt quand il dit finalement que Bachelard n’est pas allé jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’il est parti vers l’histoire et qu’il n’avait qu’à aller dans l’histoire carrément ; il aurait trouvé là une instance explicative, une théorie de l’histoire permettant de rendre compte de ce qui se constate à propos de la science. C’est la thèse délibérée de Lecourt dans Le Jour et la nuit. On rapporte l’histoire de la science à ses raisons anthropologiques tout court, enfin à ce qui fait qu’il y a de l’histoire dans la science. C’est la même chose que ce qui fait qu’il y a de l’histoire tout court. Bon, voilà la première esquisse par conséquent d’une anthropologisation historique de la raison épistémologique. Bachelard avait fait la raison épistémologique et Lecourt, en bon marxiste qu’il est, continue et récupère Bachelard. Je trouve qu’il n’a pas complètement tort ; l’objection est qu’il ne le récupère qu’une fois alors que nous le récupérons quatre fois. Et que de l’épistémologie, il fait un endroit, entre autres et parmi d’autres, d’effectuation de l’histoire, gouverné par le même principe d’historicité.
Si vous y regardez bien, on a changé les termes : ce n’est plus un surplomb, ce n’est pas une tangente : c’est une circularité anthropologique. Grosso modo, c’est parce qu’il y a dans l’humanité quelque chose qui, au niveau du principe, l’historicise, et dont on peut faire la théorie, qu’on peut comprendre l’histoire des sciences. Je crois que ce n’est pas exagéré de dire que c’est à l’horizon du propos de Lecourt que nous déconstruisons, mais que nous ne lisons pas que du Lecourt.
On n’a pas eu de mal non plus à faire remarquer que ce scénario-là, celui de l’anthropologisation de ce qui est au principe de l’histoire des sciences, Bachelard l’avait laissé en suspens. Le suspens s’appelait l’épistémologie alors que Lecourt dit que c’est de l’histoire tout court. Nous, on le fait quatre fois, c’est-à-dire qu’on se retrouve dans la situation de dire qu’il est normal que ce que fait l’homme soit historique, puisque c’est l’homme qui est au principe même de l’historique. On n’en sort plus, on est dans le cercle dont parle Gagnepain.
Il est normal que l’on trouve des effets de concepts puisque la science, à ce moment-là, est une parole. Il y a par conséquent moyen de reprendre à La Philosophie des formes symboliques de Ernst Cassirer ce qu’on peut qualifier comme tel : une anthropologisation glossologique de la raison théorique. C’est d’ailleurs le propos délibéré de quelqu’un comme Cassirer qui, explicitement, refuse de laisser la logique, la mathématique, dans une sorte d’isolement superbe, et qui entreprend de les rapporter à leur condition perpétuelle de possibilité, en faisant remarquer que, du mythe à la science, rhétoriquement pour nous, certes opposables, il y a de toute façon commune dépendance à une signification sous-jacente.
La philosophie des formes symboliques de Cassirer est la poursuite, dans toutes les modalités rhétoriques, du fait qu’elles sont toutes rapportables – si opposables soient-elles d’emblée apparemment – à la même forme symbolique qu’il caractérise tout au long de son bouquin. Avec, en plein milieu, tout un chapitre consacré à « La pathologie de la raison théorique » qu’est effectivement l’aphasie. En parallèle, si vous voulez, Lecourt vous donne les éléments d’un scénario d’anthropologisation historique. Il donne les éléments pour reconnaître que la science procède aussi de la personne. Et Cassirer – lisez le tome 3 – vous donne un scénario d’anthropologisation glossologique grammatical de la science. Par conséquent, cela consiste à reconnaître dans cette fameuse science qu’effectivement il y a des effets de concepts, et qu’on fasse de la physique ou de la chimie, ce n’est jamais qu’une question de vocabulaire. Bref, la science est nécessairement nominaliste. C’est marrant comme tout.
Si vous prenez le bouquin de Bachelard consacré à la chimie, il vous donne pratiquement, vous suggère presque, que le classement périodique des éléments chimiques est une théorie morphologique de la matière et que la théorie quantique est une théorie syntaxique de la matière. C’est pratiquement suggéré par Bachelard. Vous retrouvez les deux axes, leur intersection : c’est marrant comme tout. Mais un élément chimique, comme par hasard, se définit toujours à l’intersection de deux coordonnées de formalisation. Bref, c’est reconnaître que l’objet même du physicien, du chimiste, est un objet de parole.
La troisième perspective possible d’anthropologisation, je l’appellerais à ce moment-là une anthropologisation psychanalytique de la raison heuristique. Il s’agit de reconnaître que la science est toujours tributaire de la contradiction qu’il peut y avoir entre un principe de plaisir et un principe de réalité, et qu’on y retrouvera de la scotomisation – pour parler comme les autres ! Bref, il s’agit de reconnaître qu’elle est, d’une manière ou d’une autre, plus ou moins sublime, donc nécessairement refoulée. Et que l’originalité de la position de la science par rapport à la position philosophique – dixit Freud –, « c’est que le philosophe élucubre en chambre ». Il rêve donc tout haut pour lui, c’est-à-dire que dans le conflit qui règne entre la satisfaction et le manque, comme un rêveur, le philosophe résout le problème au profit de la satisfaction. Pour Freud, la philosophie est une grande cathédrale de vocabulaire, et avec un malin plaisir de garnement, il constate que les grandes cathédrales dégringolent vite.
Et il oppose quoi à cela ? La science, c’est-à-dire la confrontation perpétuelle avec ce manque que le principe de réalité introduit. Et le manque introduit la possibilité d’un principe de réalité. Je dis qu’à ce moment-là, c’est à Assoun [13] qu’il faut s’adresser pour un scénario possible « d’anthropologisation psychanalytique de la raison heuristique ». C’est la dimension de la vérité – en tant qu’elle perd sa majuscule, et comme je dis toujours, « heuristique » s’écrit avec un « h » comme « heureux ». S’il y a la discipline de la méthode, il y a quand même aussi le plaisir de la démonstration. C’est pour cela que je passerai mon séminaire de l’année prochaine sur « Les règles de la méthode et l’esprit de contradiction », l’esprit étant à lire au sens de Freud et de mot d’esprit.
Ce qui m’intéresse de vous faire remarquer, est que ce n’est pas n’importe quoi qui se joue dans notre rapport à l’épistémologie. Primo, il est vrai qu’on en fait ; d’une certaine manière, on est pris dans l’épistémologie de Bachelard, Canguilhem – j’ai fait mes classes avec eux, je me suis nourri d’eux et ils m’ont bien aidé pour donner du répondant, je vous le garantis –, mais après on déconstruit. Secondo, à une épistémologie en suspens, parce qu’elle n’a plus de surplomb philosophique – et qu’il n’est pas question de s’en redonner un – qu’est-ce qu’il faut faire correspondre ? Un dialogue entre l’homme et ses œuvres. Toutes les sciences sont humaines en ce sens, la physique aussi bien. Par conséquent, il y a un dialogue à faire entre les sciences de la nature et les sciences humaines, mais c’est à nous, sciences humaines, d’expliquer qu’on a pu faire des sciences humaines de la nature. Par conséquent, il faut bien qu’on reconnaisse que nous sommes les auteurs de nos œuvres. Du coup, on est dans un cercle, et de ce cercle-là, à moins de réintroduire une dimension métaphysique, on n’en sortira pas.
Il se joue donc quelque chose dans le rapport de la théorie de la médiation à l’épistémologie, mais si vous y regardez bien, c’est la répétition pure de ce qui s’est passé d’abord sur le langage et après sur la question de la science. Bref, ce qui se répète là, et c’est pour ça que j’ai appelé mon séminaire « De l’homme de parole à l’homme de loi », c’est que « l’homme de parole » que nous étudions en le déconstruisant, se révèle être aussi, quand il analyse le langage, « un homme de loi » au sens de la loi scientifique. De l’homme de parole à l’homme de loi, la conséquence est à peu près cohérente. On retrouve, en énonçant de la loi, ce même problème que l’on trouve quand on énonce quelque chose sur le langage. Ainsi le veut la circularité. Cela change pas mal de choses. Il y a par conséquent un lien intime. D’ailleurs, je dirais que c’est le même problème au carré. Vous allez voir se jouer ce rapport au carré dans la deuxième partie précisément, parce que je dis que « la doxa est surprise par la dissociation des plans ».
2. La doxa surprise par la dissociation des plans
On va voir jouer le concept, et on va voir jouer le déplacement dans le savoir. On va passer continuellement du vernaculaire à la doxa, comme on passe de la parole à la loi. Enfin, on passe – pour être plus précis – du signe à l’objet comme on passe du vernaculaire à la doxa (il faudra voir ce que cela peut donner sur le 4e plan).
Pourquoi dit-on que l’objet « langage » est un objet insoutenable ? Pourquoi déconstruit-on le langage après que Saussure a décidé, lui, déjà, de le déconstruire ? C’est parce qu’on n’arrive jamais à établir un rapport de nécessité suffisant entre ça – qui se désigne comme le langage – et une seule analyse. Les formules de Bachelard, Saussure, etc., le montrent : c’est un truc complètement hétéroclite ; à cheval sur plusieurs domaines ; on ne peut pas faire de la science de cela ; c’est un tout global inconnaissable. Ceci étant, le langage continue de faire « tout » quand même, comme je l’ai fait remarquer, et j’y reviendrai parce que c’est important de voir comment Ferdinand de Saussure a attaqué le problème et comment il le résout en emportant avec lui tous les péchés du positivisme. Mais il n’empêche que, si on examine la question qui se pose, aussi bien d’un objet que celle d’une discipline, finalement il n’y a pas de différence. Qu’est-ce qu’une chose ? C’est ce qui ne se confond pas avec le reste, c’est ce qui est distingué et séparé, mais ce n’est pas sans rapport de ressemblance, de familiarité avec le reste, ce n’est pas toujours avec, parce que ça ne ferait plus qu’une seule chose. Bref, spontanément, tout locuteur pose de la chose dans le monde, et c’est ce que vous apprenez en glossologie. Simplement, spontanément, vous avez désigné le monde et vous pouvez le décliner en choses, avec une morphologie et une syntaxe. C’est « le monde des choses » !
C’est ce qu’il faut comprendre quand on s’invite à une U.V sur le principe de glossologie par exemple : on ne peut pas partir de la chose pour comprendre ce qu’est le Nom. Nous, on n’a aucun problème d’accord entre les mots et les choses, c’est fait d’avance. Mais pas si vous vous mettez au second degré, à épiloguer sur le statut d’existence de l’objet de la science, de telle ou telle science, par exemple la glossologie ou la linguistique, etc., de telle spécialité... Gagnepain appelle une spécialité la « discipline » mais ça m’embête parce que je trouve que la discipline va tellement bien au 4e plan que c’est dommage de l’avoir foutu au 3e. Moi je dis « spécialité » au sens où je fais de la glossologie, pas de la linguistique, pas de la psychologie, etc. Bon, qu’est-ce que cela suppose ?
1°) Qu’on énonce l’existence de l’intelligible, peu importe dans quoi, à la limite : dans le langage, dans la langue, dans l’inconscient, ce que vous voudrez : il y a un principe d’intelligibilité.
2°) Qu’on implique aussi que cette intelligibilité-là est spécifiable.
C’est comme cela d’ailleurs que théoriquement le problème se présente : on ne fait de sciences humaines qu’à la condition de refuser en même temps l’ennemi visible du réductionnisme, les méchants physiologistes. Mais on pense rarement à l’autre réductionnisme, l’ennemi des sciences humaines, qui est le réductionnisme spéculatif, le logicisme par exemple. Des gens comme Chomsky, voire Jung, y ont succombé. Expliquer le langage par une logique, l’inconscient par des archétypes, c’est un peu se tirer par les cheveux pour s’empêcher de se noyer.
3°) Mais en même temps, et c’est le problème des sciences humaines, il faut lutter contre un irrationalisme. « L’humanité est irrationnelle » : il y a même des psychologues qui ont carrément fait métier de l’irrationnel, et la profondeur est tellement insondable, quelque part... ! C’est drôle parce que l’irrationalisme est la signature toujours d’une pensée substantialiste. On y reviendra.
Ces temps-ci, on vous oppose beaucoup la singularité splendide du sujet humain ! Lisez donc le bouquin de Maurice Dayan Inconscient et réalité [14] et vous verrez comment il pédale dans la choucroute parce que, quand on est psychanalyste, respectueux de la singularité du sujet : « Comment peut-on se permettre encore de faire une théorie de l’inconscient ? » Le nombre de fois où vous avez entendu ce genre de conneries… je dirais qu’il est rare de ne pas l’entendre. C’est important parce que principe d’intelligibilité et principe de spécificité, refus du réductionnisme et refus de l’irrationalisme, sont profondément liés. Le problème est qu’historiquement, c’est contre un réductionnisme qu’on énonce un irrationalisme quelconque. C’est ce qui est drôle parce que si vous y regardez bien, qu’est-ce que le principe d’intelligibilité sinon l’introduction du principe d’identité taxinomique, un certain type d’exploitation de la polysémie ? Et c’est quoi le refus du réductionnisme sinon l’exploitation du principe génératif de séparation, de séparabilité ?
Il n’empêche qu’on a perpétuellement sur le dos ce problème de l’assignation du phénomène à un principe qui le rationalise et qui par conséquent l’homogénéise. En même temps qu’on a toujours affaire à deux problèmes différents :
1) La constitution du phénomène dans son rapport à ce que Kant puis Bachelard – dans un autre sens mais enfin... – ont appelé le noumène, ce dépassement de la pure événementialité, de l’aléatoire, pour retrouver l’identité d’un principe sous-jacent. Autrement dit, à chaque fois qu’il y a une pomme qui tombe, il n’y a pas une nouvelle loi : c’est toujours la loi de la gravitation. C’est la même chose qui se passe derrière, le principe est identique, et de ce point de vue-là, il identifie toutes ces chutes de pommes.
2) On est aussi toujours lié à la problématique du rapport du phénomène et de l’épiphénomène, quel que soit l’endroit où on bosse. La question du linguiste comme du psychologue, comme du sociologue, jusqu’à preuve du contraire, est quand même bien d’expliquer le principe d’intelligibilité, par conséquent une théorie du phénomène, car il n’y a pas de phénomène avant la théorie. Il faudrait expliquer cela aux sociologues qui sont empiristes. Et puis on est obligé d’énoncer que ce type-là de faits est non réductible à une autre explication, autrement dit, que ce n’est pas l’épiphénomène d’autre chose. Exemple : longtemps, la chimie s’est crue une science à part, séparée de la physique, jusqu’au jour où, via la théorie quantique, elle a perdu strictement toute spécificité. Le chimique est un épiphénomène du physique. Il n’y a plus encore que dans l’enseignement que l’on sépare la chimie de la physique, mais théoriquement il n’y a plus de chimie, c’est fini depuis un bon bout de temps déjà.
Donc : problématique du phénomène dans son rapport au noumène ; problématique du phénomène et de l’épiphénomène.
C’est notre problème perpétuel par rapport à quelqu’un comme Bourdieu par exemple qui, à force d’être sociologue et de regarder les conneries qu’on raconte sur la langue, est tellement tenté de dire que la langue est un épiphénomène du social. La langue oui. Mais le problème est que, comme il est saussurien à l’envers, en miroir, comme lui non plus ne dissocie pas les plans I et III, eh bien il embarque le tout, et il épiphénoménalise le signe, dont il ne sait pas trop quoi faire à vrai dire, parce qu’il sent bien qu’il y a un truc qui ne colle pas. Remarquez, cette épiphénoménalisation était inscrite dès le départ dans la définition saussurienne. De la même manière, on peut considérer qu’aussi longtemps que les psys fondent l’inconscient sur l’introjection de la loi, ils épiphénoménalisent leur inconscient, c’est une crypto-sociologie.
On a souvent cette discussion-là, je l’ai déjà dit : ce sont les deux dimensions du concept. Il n’y a pas à tortiller, de toute façon : quoi que ce soit dont on discute, précisément parce qu’on en parle, c’est grammaticalement formalisé. Vous allez voir jouer cela tous azimuts, parce que ce qui met la linguistique en crise, c’est qu’elle n’a pu répondre de manière tenable, ni à l’une, ni à l’autre de ses conditions d’existence. L’intelligibilité postulée par la linguistique saussurienne ne tient pas, et elle n’a pas non plus réussi à affronter sa spécification, à la trouver. Et on ne nous fera pas prendre les séances d’équilibriste du linguiste pour une explication. Le rapport, tel qu’il est formulé par les linguistes, du phénomène à son noumène, est loupé, et je dis qu’ils ont d’emblée fait du linguistique un épiphénomène du sociologique, et les autres ont raison de s’en apercevoir. On aura l’occasion, bien entendu, d’y revenir.
Vous allez retrouver jouer cela perpétuellement, et c’est là que, à nouveau, le fait de dissocier les plans change le jeu. C’est le sempiternel problème, que vous allez retrouver toujours, qui consiste à opposer du contenu à de la forme. C’est compliqué les relations du contenu et de la forme. L’introduction de la problématique de la forme – nous on appelle cela « remonter à l’instance » – est une réduction de la diversité. Mais comme on ne peut jamais réduire la diversité à une seule instance, c’est aussi et en même temps toujours une théorie de la complexité. Cela veut dire que la déconstruction est une théorie de la complexité. D’un certain point de vue, on réduit la diversité, mais on est obligé, je dirais, de rediversifier l’identique par la déconstruction. Cela donne une théorie de la complexité, et d’ailleurs vous avez bien senti que la déconstruction était de l’analyse.
La déconstruction veut dire quoi ? Que, tout n’étant point réductible à cette seule analyse-là, il faut bien séparer des instances différentes. C’est un truc de générativité. Autrement dit, la déconstruction, théorie de la complexité, est à mettre du côté génératif, car c’est une problématique de séparation. Et ce qui est curieux d’une certaine manière, c’est que la théorie de la médiation est une théorie compensée de la déconstruction. La compensation de la déconstruction, c’est quoi à part l’analogie ? Mais après, vous vous demandez pourquoi les quatre plans de Gagnepain ont un faux air de classement périodique, sinon des éléments chimiques, du moins des questions à se poser. C’est une morphologie du savoir, une morphologisation du savoir, le traitement du rapport du phénomène à son noumène, un traitement du rapport du phénomène et de l’épiphénomène. On a les deux axes ensemble, et c’est très compliqué.
Pourquoi ? Parce que, quel que soit l’évènement concret auquel on s’adresse, il n’est jamais réductible à une seule formalisation. Il est toujours complexe, au sens où il est gouverné simultanément par plusieurs instances. Quand quelqu’un ouvre le bec, comme moi par exemple ici, il y a un fait d’outil auquel on ne songerait pas, et pourtant j’en suis relativement conscient pour changer d’yeux quand je parle. Je vous garantis qu’on ne parle pas pareil dans un amphi ou dans une salle de ce genre, et je ne parle pas de la même manière ici que dans la salle à côté : ma parole est pour une part produite par le lieu architectural. À part cela, il est vrai que j’énonce du grammatical, mais je parle aussi en langue, et il est hors de question qu’on puisse sérieusement prétendre qu’on échange d’un côté des mots et puis de l’autre une certaine envie d’avoir raison. On n’échange pas des mots d’un côté, du désir de l’autre, la langue c’est l’appropriation ensemble et du sens, et de la légitimité de la parole.
Par exemple, si on s’amuse à faire l’analyse de la langue, on peut être fasciné et succomber au fétichisme du grammatical. Il est vrai qu’il y a du glossologique, mais comme vous le savez, ce n’est jamais du glossologique qu’on échange, ce n’est pas le glossologique en tant que tel qu’on échange. Parce qu’en même temps qu’on échange ce qui, par ailleurs a statut glossologique, on échange quelque chose qui a toujours par ailleurs statut axiologique, éthique, qui implique le rapport à la vérité, à la conviction, voire à la résistance. Par conséquent, si j’analyse au 3e plan de la langue, ce que j’analyse est l’appropriation, et la désappropriation ensemble, du sens et de la conviction. Autrement dit, je ne confonds pas ce qui formalise l’échange avec ce qui co-formalise ce qui est échangé, parce que ce qui est échangé a bien entendu toujours un autre statut encore mais dans une autre analyse. Tout ce qui est échangé, quand on cause, est toujours glossologiquement co-formalisé en énonciation, mais l’échange en langue, ce n’est pas un échange d’énonciation, donc c’est ce qu’il faut piger.
De la même manière que quand on cause entre les gens, il y a une co-formalisation axiologique de l’initiative de parole. C’est là qu’il faut faire attention à ne pas se tromper d’analyse. C’est très exactement cela que Marx avait repéré quand il avait fait la dissociation de la valeur d’usage et de la valeur d’échange et quand il avait fait remarquer que cela dépendait de l’analyse que vous faisiez. Et se tromper d’analyse, c’est succomber au fétichisme de la marchandise ou de la grammaire. Bref, il y a un fétichisme grammatical, et les linguistes y ont succombé. Mais il peut y avoir un fétichisme du désir à mon avis, en matière d’échange par exemple, quand le psycho nous serine sur la demande. C’est un fétichisme du désir. C’est aussi con de croire que la demande relève du désir que de croire que la demande relève du signe. On aura l’occasion d’y revenir.
Mais si vous y regardez bien, comment ça se passe ? C’est dans la théorie de la médiation elle-même. Ce qui est drôle, c’est que la théorie de la médiation elle-même, comme œuvre de parole qui énonce la loi du genre, si j’ose dire, ne peut l’énoncer que sur le mode de ce dont elle parle. On est en pleine circularité. C’est pour cela que je vous fais remarquer que les quatre plans, la déconstruction et l’analogie, c’est la circularité grammaticale par excellence. Il n’y a pas à tortiller, comme dit Gagnepain : « parler c’est causer et causer c’est parler », tant qu’à faire il faut s’en apercevoir !
Si vous admettez cette circularité-là, que je viens d’illustrer sur le terrain glossologique – on y reviendra quand on discutera certaines des propositions de Saussure, c’est-à-dire d’Auguste Comte en fait – il va bien falloir admettre analogiquement le principe, quand on va changer de question, quand on va être surpris. La surprise, pour l’instant, je l’ai traitée sous l’angle glossologique : la doxa surprise par la dissociation des plans (I et III). La surprise, c’est de s’entendre dire que le signe n’a rien à voir avec la langue, que le signe n’a strictement rien à voir avec la communication, que le langage tel qu’on l’analyse en glossologie n’est pas du tout ce qui sert à communiquer.
Bon, il y a une surprise et c’est une surprise qui dure, et il va falloir en supporter la circularité. Si vous admettez que comprendre la glossologie, c’est muter par rapport au réaliste qu’on avait tendance à être, vous admettez par voie de conséquence que comprendre ce qui se joue dans la dissociation du plan I et du plan III, et comprendre le plan III, c’est muter par rapport à un certain réalisme dans lequel éventuellement vous auriez pu rester. On peut muter sur le premier et pas sur le second.
Tout à l’heure, je faisais remarquer que du concept à la science, la circularité était totale. Après tout, ce n’est jamais que du Cassirer. Mais si peu qu’on fasse bouger quelque chose sur le statut de la langue, cela entraîne virtuellement une mutation corrélative d’une certaine idée qu’on se fait de la loi. Vous êtes à peu près au courant que la langue est un concept en porte-à-faux, mais c’est toute la linguistique qui est en porte-à-faux.
3. Passage du porte-à-faux de la langue au porte-à-faux de la linguistique
Vous savez, et je ne vais pas épiloguer cent sept ans, que la linguistique est à l’heure actuelle en état d’impasse scientifique, c’est-à-dire, grosso modo, que l’objet qu’elle a défini est introuvable. Rémi Jolivet, qui est un fonctionnaliste suisse lui, – comme il n’est jamais venu ici, on ne peut pas le soupçonner de connivence d’emblée – avoue que la linguistique est à peu près incapable de définir ce qu’est une langue. Moi je trouve que c’est intéressant. C’est l’aveu que cette fameuse langue, que la linguistique saussurienne prétend se donner comme objet, résiste à la saisie linguistique. La langue est introuvable, elle leur file entre les pattes des linguistes. Ce n’est pas Jean-Marie [15] qui dirait le contraire. Précisément, sa thèse se construit sur le bénéfice qu’on peut tirer de cette dérobade. Il faudrait par contre qu’on se demande à quoi tient cette dérobade. Mais enfin, scientifiquement, la langue se dérobe à la saisie linguistique. Et on ne nous fera pas prendre les acrobaties, les branches auxquelles se raccrochent les linguistes, pour autre chose que ce que c’est, c’est-à-dire pour le retour d’un certain refoulé. Il y a quelque chose dans la linguistique qui relève de l’acte manqué, et que vous voyez cette année dans toutes les préfaces de bouquins de linguistique : c’est le sempiternel problème de la détermination des coordonnées synchronique, syntopique, syncratique, etc. avec la langue qui fonctionne comme une véritable peau de chagrin. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on essaie de mettre la main dessus, elle rapetisse encore un peu plus. Le ridicule étant d’avoir deux bretons et demi dans un amphi le jour où Per Denez soutient sa thèse, et on s’aperçoit qu’il a simplifié effectivement encore. C’est déjà simplifié et pourtant, même ces deux et demi, c’est truqué ! Bref, la linguistique n’a d’objet que parfaitement fictif.
Lisez après les préfaces du dictionnaire fait par J. Simon sur La prononciation du français standard [16], du bouquin de Mme Walter et d’André Martinet, plus démocratique [17] : ils sont dix-huit agrégés de la région parisienne, c’est déjà mieux ! Mais il y a un trucage permanent. Même Rémi Jolivet [18] fait remarquer que cela ne colle pas, parce que même Walter et Martinet, en réduisant l’échantillon sociologiquement à dix-huit personnes agrégées de la région parisienne, cela ne marche pas, et ils ne sont que dix-huit pourtant. Il y a aussi Denise François [19]. Elle a fait mieux encore : elle n’en a pris qu’un. L’idiolecte, qui porte bien son nom, comme je dis toujours : c’est idiot. Eh bien, même sur la parole d’un seul cela ne marche pas.
Bon, la linguistique est enrouée, c’est-à-dire que, d’une certaine manière, elle tourne comme un hamster dans sa cage entre les deux pôles également inexistants, qui formalisent toujours la définition qu’elle donne de son objet : ou on s’occupe de la langue, c’est collectif, ou on s’occupe de la parole, c’est individuel. Ils tournent en rond entre un idiolecte qui n’est pas individuel et un sociolecte qui n’est jamais collectif. C’est drôle comme tout, et toutes les préfaces de tous les linguistes descripteurs consistent à savoir comment on va réussir à se raccrocher, à quel genre de branche, en général généalogique. Comme quoi, il y a des choses qui tournent un peu trop rond dans la linguistique. C’est confirmé d’une certaine manière par l’impossible confrontation entre cette linguistique-là et la clinique. L’impasse scientifique se vérifie aussi bien dans l’impossible confrontation à la description et à la clinique. La plus belle chose qu’on reprend dans la figure, quand on confronte la linguistique à la clinique, est le clivage entre l’aphasie et la psychose, qui fait sauter la définition saussurienne.
C’est confirmé par ce que j’appelle moi l’inconfort épistémologique, dans lequel se trouve la linguistique en ce moment. J’ai préparé un certain nombre d’échantillons d’interventions des petits camarades d’à côté et ce n’est pas triste ! [20] « Nourrie des cadavres des langues mortes, la linguistique, parce qu’elle oscille d’objectivisme absent en subjectivisme idéaliste, est condamnée idéologiquement à la réification du moi ». Le langage est là comme une chose : la preuve en est qu’on peut en faire l’objet d’une science logico-positiviste, et le traiter avec les méthodes catéchétiques de la linguistique. La linguistique a l’art de faire parler le langage, mais à condition de ne rien lui faire dire, d’exclure le dire, sur quoi nécessairement se fonde le travail du linguiste. C’est bien pourquoi il n’y a aucun espoir de faire se rencontrer la psychanalyse et la linguistique, fût-ce en ennemis, comme autrefois sur un radeau deux empereurs… mais en pure perte.
Je passe sur Bourdieu car vous connaissez. Après, vous avez quelqu’un comme Monique Schneider [21] qui parle carrément de « l’objet formolisé des linguistes ». Lorsque l’anatomiste du langage se penche sur son objet, objet formalisé, formolisé, il ne découvre étalé devant son regard qu’un langage déjà discipliné par l’approche qui lui a permis d’être promu à la dignité d’objet d’analyse, et non plus pris dans le réseau des gestes et des actes. On reconnaît dans cette conception rationaliste ou intellectualiste de la parole, étouffant dans l’œuf l’accès aux conditions de son existence, une vision libérale qui se révèle n’être qu’un leurre, un cache, un processus de conjuration de l’enjeu de la prise de parole. Et puis, cette petite Monique Schneider, que j’aime beaucoup parce que je trouve qu’elle a raison, continue en disant qu’après tout, ce n’est jamais qu’une étourderie fondamentale du chercheur linguiste qui a tout oublié, tout simplement, des conditions de la prise de parole. Après, elle se demande comment peut-on finalement admettre que quelqu’un, à ce point-là étourdi, puisse énoncer quoi que ce soit de la langue sur la parole elle-même ?, etc.
Elle entreprend alors de réinterpréter le tout : comment celui qui ne sait plus accomplir la parole peut-il revendiquer le droit de légiférer sur elle ? Elle interprète cette étourderie comme une ruse guerrière : derrière, il y a une stratégie mortifère, et c’est cette stratégie mortifère qui sous-tend la construction de la parole. Mais elle rapporte cette parole désenvoûtée du linguiste au meurtre théorique, à la liturgie purificatrice, etc. Enfin bref, vus par les autres, on a bonne mine ! Grosso modo, on fait du mythe. Vous m’avez déjà entendu dire cela un certain nombre de fois. Cela suppose quoi ? Que précisément, ensemble, objet et discipline, vont devoir muter. Jusqu’à présent, vous vous êtes faits à l’idée qu’on allait muter d’objet, ce n’est jamais qu’un coup de déconstruction, d’accord. On va faire d’un côté une glossologie, théorie du signe, et puis de l’autre, sous couvert d’une sociologie, une théorie de la personne.
À se demander si cela vaut encore la peine de l’entreprendre. Il vaut la peine de se poser la question : ça vaut le coup de parler de la langue ? Parce que je veux bien parler de la langue mais il va falloir trouver l’argument aussi qui permette, primo de l’introduire dans un type de principe d’intelligibilité, et puis surtout de l’autonomiser. Ce n’est pas ma faute si l’ordinaire et le vraisemblable du linguiste sont, pour nous, devenus carrément invraisemblables. Vous êtes sûrs que cela vaut la peine de continuer à en parler ? Vous avez entendu dire que, quand la glossologie procède à une analyse, elle ne connaît rien qu’elle n’obtienne de l’intérieur de sa procédure de formalisation. Vous connaissez la musique !
En glossologie, il n’y a rien qui ne soit déduit de la dénotation et de la pertinence. Justement, en sociologie, dans la théorie de la personne, que voulez-vous connaître qui ne soit pas déduit de la réciprocité de la personne ?
Dans la sociologie de Gagnepain, on ne connaît que des faits de nexus et de munus [22], on ne connaît pas de différences entre la langue, la loi des juristes et la division du travail. Je disais tout à l’heure qu’il ne fallait pas confondre la forme et le contenu, sachant que le contenu avait toujours un autre statut. Et quand on commence à mettre la langue d’un côté, le droit des juristes, en gros le code, et puis la division du travail – pensez à Taylor – d’un autre côté, qu’est-ce qu’on énumère ? C’est plan I sur plan III, plan IV sur plan III, plan II sur plan III. Cette énumération-là se fait au nom du statut théorique dans la théorie de la médiation. On joue sur l’interférence des plans, comme on dit. Mais quand vous êtes au 3e plan de la sociologie, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je rappelle que, exactement comme la glossologie ne connaît rien qui ne se déduise de la pertinence et de la dénotation, de la même manière, dans la sociologie de Gagnepain, il n’y a que des faits de nexus et de munus, l’un par l’autre analysé. La sociologie de Gagnepain ignore forcément la différence de la langue et du code et de la division du travail. Il y a au moins un truc qui est sûr pour nous, c’est qu’on ne peut pas avoir de problème avec l’infrastructure et la superstructure. Voilà déjà un problème réglé.
Ces dissociations de la langue, du code et de la division du travail, ne sont pas des divisions de statut sociologique. On répartit là le social sur des arguments non sociologique. La mise à part de la langue du reste ne se fait pas sur un argument sociologique. Par conséquent, la sociologie n’a pas non plus à respecter cette mise à part. Je donne complètement raison là-dessus à quelqu’un comme Bourdieu. Et il y en a qui s’accusent après d’économistes, en liant perpétuellement la question de la langue à l’économique. Moi je veux bien puisqu’il y a toujours la question de l’enjeu de la légitimité et de la valeur. Cela ne me choque pas. Ce qui me choque est de mettre d’avance, au cœur du social, la dimension de l’économique, et ça c’est un autre problème. Et puis de lier le tout à la circulation des vélos, des « barouettes » [23], etc. comme Ferdinand Druaut [24] l’avait dit, etc. Effectivement, tout cela va ensemble, mais faites bien attention : il ne saurait être question de confondre la forme et le contenu sachant que, de surcroît, le contenu a toujours un autre statut formel que celui qu’on interroge. Si c’est de la sociologie que l’on fait, on essaie de faire émerger comment du social s’analyse en nexus et en munus, mais de l’intérieur du raisonnement sociologique. Vous ne trouverez aucun argument sérieux, tenable, aucun argument sociologique, pour isoler la langue.
Alors qu’est-ce que la langue ? C’est un reste de projection du savoir sur le social. Ce qui est drôle, c’est que cette projection du théorique sur le social ignore la spécificité de l’articulation de ce social. Autrement dit, on importe dans le social une division qui n’est pas de son ordre, vous êtes bien d’accord. Mais en retour, on pense d’emblée la plupart du temps cette division qu’on importe dans le social, mais qui n’est pas de son ordre, sur un mode social. Ce n’est pas par hasard que le saussurianisme inscrit d’emblée dans la définition théorique de son objet sa participation au social en tant que, paraît-il, « collective ». Au niveau du mot et au niveau de la description, dans le vernaculaire pour parler comme mon directeur, les linguistes tournent en rond comme des hamsters parce qu’ils courent après la langue. Il y a une sorte de circularité du même genre mais ce n’est pas la circularité anthropologique. Il y a une sorte de 2e cercle du hamster qui fait qu’on introduit – moi je dis illégitimement – dans le social une division qui n’est pas de son ordre, et qu’on appelle la langue. Autrement dit, c’est au nom de son statut par ailleurs glossologique que l’on divise le social, mais la personne n’est pas formalisée de cette manière-là. Il est curieux qu’en retour, ce grammatical au nom duquel on divise indûment le social, ce grammatical-là, on en donne une définition d’avance sociale. On voit se répéter par conséquent, au niveau de l’explication, le rouet que le linguiste rencontre au niveau de son traitement de descripteur.
Je vous invite à la chose suivante : repérer qu’il se passe, du vernaculaire à la doxa, la même chose que ce qui se passe de l’objet à la discipline. Si vous admettez trente secondes cette question incongrue que la langue, en fait, est un faux problème, on est en pleine surprise. C’est-à-dire que ce qui fait l’ordinaire et le vraisemblable du linguiste, pour nous, est parfaitement invraisemblable, c’est ce qui est marrant. Parce que de deux choses l’une : ou on fait de la glossologie, ou on fait de la sociologie, mais l’une comme l’autre ignorent la langue. Cela met tout le monde un peu en état de chamboulement. On met un certain temps à s’y faire. Alors, à la limite, on veut bien sur l’objet : d’accord le signe n’est pas pareil que la langue, qu’un fait de personne, etc. On veut d’autant mieux que la plupart du temps on s’en fout complètement, parce que, comme on n’est pas embringué dans une thèse de description linguistique, on n’a pas soi-même le problème. En fait, on n’est pas dérangé ! Les psychos, par exemple, qui sont notre public majoritaire, sont davantage gênés par le même problème mais sur le plan III et le plan IV. Là, ça commence à vous emmerder parce que vous êtes partie prenante. Mais quelqu’un qui viendrait de lettres ou de langues ne peut pas admettre notre clivage du plan I et du plan III. Vous vous en foutez, vous, à la limite ça vous arrange et vous êtes comme les militants politiques dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire que vous prenez la dissociation des plans quand ça vous arrange, et puis quand ça ne vous arrange plus, alors là vous l’oubliez.
C’est à prendre ou à laisser, mais d’un bout à l’autre. Et je voudrais vous faire remarquer que de l’objet à la discipline, par conséquent du vernaculaire à la doxa, se répète le même problème : dans les deux cas, on pose un principe d’intelligibilité et d’autonomie qui devient insoutenable. Pour moi, cette affaire-là est réglée : la linguistique est morte parce qu’elle est incapable de répondre autant de l’indication d’intelligibilité, que de l’implication d’autonomie. Pour moi, la linguistique est finie. La démonstration, à mon avis, est achevée. On peut rétrospectivement transformer l’acquis linguistique en démonstration par l’absurde de ce que je dis. Comme quoi, cela sert toujours à quelque chose quand même ! La linguistique est une grande démonstration par l’absurde.
Ceci étant, le problème se pose à nouveau de l’objet. L’objet ici est le vernaculaire. Vous êtes habitués à entendre dire ici qu’on le déconstruit et qu’un fait de langue n’est pas un fait glossologique. Je dis pour enfoncer davantage le clou qu’il n’y a pas de fait de langue. Je ne connais que des faits de signe ou de personne. Je ne connais pas de fait de langue. Je connais des faits de munus et des faits de nexus, mais pas de faits de langue, et je dis qu’on n’a pas à en connaître. Le vernaculaire, par conséquent, est au niveau de l’objet. Mais corrélativement, au niveau de la discipline, il va falloir muter aussi. Alors là, c’est plus coton ! Parce que, entre une glossologie qui méthodologiquement ignore désormais la dimension d’échange pour ne traiter que du signe et de la formalisation réciproque des deux faces, et une sociologie qui analyse la dimension de l’échange qu’à la condition de la vider de son contenu glossologique et d’en rompre l’isolement dans le reste de l’échangé, c’est la question de la langue qui s’évanouit. Prise en fourchette entre les deux analyses, la glossologie ne connaît plus rien de la langue, parce qu’elle se fonde sur la réciprocité des faces du signe. C’est pour cela qu’on n’a pas du tout le même concept de pertinence que celui de la linguistique fonctionnelle.
Avec une sociologie qui, par définition à mon sens, ignore ce secteur-là de l’échange – ce qu’on a l’habitude d’appeler la langue – parce que la sociologie ne connaît pas cette formalisation-là, c’est la question de la langue qui fout le camp. Alors il y a un problème parce qu’il va falloir remonter de l’objet à la discipline, du vernaculaire à la doxa, et cela veut dire être embringué. Pourquoi est-on embringué dans un machin pareil ? Vous m’accorderez qu’il n’y a pas de surprise en soi, il n’y a de surprise que par rapport à un certain savoir acquis, à un savoir traditionnel. Il n’y a de surprise qu’au regard du savoir dont vous vous étiez nourris quand vous êtes arrivés ici ; vous étiez nourris du savoir diffusé, donc du savoir historiquement vieux. Venir ici, c’est prendre un coup de jeune. Je pense que cela doit pouvoir se soutenir. Après tout, il y a des sociologues qui ont procédé à des études sur le temps social historique de la diffusion du savoir. Saussure, Martinet, Chomsky sont passés dans les mœurs quasiment courantes, et cela fait les fonds de commerce des profs de philo par exemple. Un petit coup de Saussure, un petit coup de Freud, etc. Vous arrivez ici nantis du vieux savoir, et le rapport pédagogique reproduit le conflit épistémologique entre la théorie de la médiation et la linguistique. C’est ce qui est drôle : c’est le même conflit. Mais je dis qu’il n’y a pas de surprise en soi, seulement relativement à un savoir acquis.
De la même manière qu’il n’y a pas en soi non plus d’irrationalité de la réalité. Alors avec cette fameuse langue, à force de se dérober à la saisie du linguistique, on va finir par croire qu’il y a un irrationnel. Ce n’est que l’irrationnel du linguiste. Il n’a qu’à changer de façon de penser et il retrouvera du rationnel. Mais justement, il faut changer de façon de penser et le prix c’est quoi ? Le prix, c’est de penser autrement, donc d’énoncer un nouveau type de rationalité. Grosso modo, la proposition est la suivante : la surprise, voire la résistance que rencontre la théorie de la médiation quand elle déconstruit la langue, quand elle pose la dissociation du plan I et du plan III, cette résistance-là ou cette surprise-là, épistémologique, dans la doxa, est strictement parallèle à la résistance que le linguiste rencontrait quand il essayait de plier le vernaculaire à sa définition de linguiste. Ça résiste ! Cela résiste au niveau descriptif, mais cela résiste aussi, quand on nous dit qu’il faut déconstruire, au niveau du savoir. La résistance du vernaculaire à la description linguistique, et la résistance du savoir acquis à la dissociation des plans I et III, impliquent la même chose, le même problème. C’est ce qu’il faut piger, c’est ce qui se joue au détour de la déconstruction de la langue, quand on parle de l’interférence du plan I et du plan III. Au niveau de l’objet, ça va, quoique si l’on gratte... Ce n’est jamais fini une déconstruction, même moi je me surprends.
Le problème dans la doxa est que, jusqu’à présent, on a entrepris d’énoncer la loi d’une manière qui répète ce qu’on dit du vernaculaire. La loi qu’on énonce est la répétition du rapport qu’on a au vernaculaire. En tout cas, le saussurianisme dont nous sortons via la contradiction qu’il a rencontrée, doit bien d’une manière ou d’une autre impliquer au niveau de la doxa le problème que nous rencontrons aujourd’hui, quand nous sommes surpris par la dissociation du plan I et du plan III. C’est notre saussurianisme à nous qui est choqué par cette dissociation. Et qu’est-ce que le saussurianisme, sinon une certaine idée de la loi. Et une idée de la loi qui curieusement postule comme axiome la superposition d’un principe de causalité, principe d’explication (plan I), et d’un principe sociologique de légalité, la synchronie (plan III). C’est pour cela que j’ai dit « de l’homme de parole à l’homme de loi », parce que je suis bien d’accord que, spontanément, ce n’est pas pour dire, mais l’homme de parole ne va pas déconstruire le langage, pour lui c’est tout un. Je voudrais vous faire remarquer que, pour le locuteur, spontanément, le langage et la langue, c’est tout un, et la langue est collective. A contrario, la gueule que font les gens quand on leur fait remarquer que ce n’est pas le cas ! La gueule de mon coiffeur ! Je lui ai fait le coup que tous les mots de la langue française étaient d’origine étrangère, c’est quand même curieux. Il était entêté le brave homme : il me dit « sur le marché des Lices, les pommes de terre ? » Je lui ai dit « ben justement » ! Ah, il avait du mal quand même ! « On est tous des métis » : il était embêté, ça l’a rendu complètement pourpre et il m’a coupé court du coup !
Je voudrais vous signaler au passage que, spontanément, le rapport du locuteur à la langue n’est pas de n’importe quel ordre, mais aussi que, dans la doxa, spontanément, le rapport à la loi n’est pas n’importe lequel non plus. C’est que d’une manière ou d’une autre, on a tendance, spontanément, à présupposer l’universel de la loi. Et le saussurianisme est délibérément la superposition du principe de causalité, c’est-à-dire de la dimension de l’explication, et du principe de légalité sociologique. Vous comprenez pourquoi il s’est rabattu sur la synchronie. Synchronie dont les linguistes, depuis, a contrario, ont démontré qu’elle était introuvable. Changer d’idée quant à la langue suppose de changer d’idée corrélativement quant à la loi. Cela suppose qu’on se mette à arrêter de confondre principe de causalité et principe de légalité, et pour les sciences humaines, c’est dramatique. Il y a un principe logique de causalité qui est pour nous, circularité anthropologique oblige, déductible de la grammaticalité. L’autre, le principe de légalité, circularité anthropologique oblige, est déductible de la personne.
Autrement dit, l’erreur de la linguistique a été de confondre, dans la langue, la grammaticalité et l’histoire. Elle a fait deux fois cette erreur-là, puisqu’elle l’a faite aussi au niveau de la doxa, dans son idée de la loi. La linguistique a rabattu l’un sur l’autre le principe de causalité et le principe de légalité, or c’est cela qui craque. La langue a craqué comme objet. Cette idée-là de la loi scientifique, corollairement, doit craquer.
Cela me paraît une bonne façon de finir aujourd’hui. Il faut quand même qu’il y ait plusieurs épisodes au feuilleton ! Mais je voudrais vous faire remarquer qu’on ne peut pas accepter la dissociation au niveau de l’objet, sans immédiatement en assumer la répercussion épistémologique. Cela nous conduit à ne plus confondre principes de causalité et de légalité. À mon sens, fondamentalement, la vraie surprise que réserve la théorie de la médiation quand elle dissocie les plans I et III, est celle-là. Quand on vient dire que le principe de causalité n’a rien à voir avec le principe de légalité, alors là, ça résiste dur ! Et je n’insiste pas sur le fait qu’avec le principe de légitimité, il y aurait le même compte à régler. Mais c’est une autre affaire. Grosso modo, vous voyez par conséquent que le séminaire de cette année sur l’homme de loi consiste à faire remarquer que ce dont nous sommes en train de nous séparer, en clivant ces deux principes (causal et légal), c’est de Ferdinand de Saussure, d’une certaine idée de la science, et d’une certaine idée de la loi.
Notes
[1] Unité de Valeur. A été remplacée par les European Credit Transfer and Accumulation System (ECTS), un système européen de crédits rattachés à chaque unité d’enseignement. Toutes les notes sont de la rédaction qui tient à remercier Jean-Yves Urien pour sa collaboration.
[2] L’Unité d’Enseignement et de Recherche (U.E.R) du langage a été créée à Rennes 2 en 1969. Jacques Laisis avait proposé, vers 1978, d’ajouter à l’intitulé : « et des sciences de la culture », mais le Conseil d’Université de l’époque a refusé, au motif que d’autres « Unités » traitaient aussi de sciences de la culture. Les U.E.R ont été remplacées par les Unités de Formation et de Recherche (U.F.R) en 1984.
[3] Per Denez (1921-2011) était linguiste, Maître de conférences à l’Université de Haute-Bretagne à Rennes. Il a soutenu une thèse de 3e cycle en 1968 : « Enquête sur le breton de Douarnenez », puis une thèse d’état en 1977 sous la direction de Jean Gagnepain : « Étude structurale d’un parler breton (Douarnenez) ». Il contribua de façon décisive à la création d’une licence de breton. Il a aussi enseigné la phonologie à l’U.E.R. du Langage entre 1975 et 1982.
[4] Maître de conférences puis professeur de linguistique française à l’Université de Haute-Bretagne. Sa thèse de 3e cycle a été publiée en 1973 aux éditions Klincksieck, sous le titre : La subordination dans le français parlé devant les micros de la Radiodiffusion. Elle fut une proche collaboratrice de Jean Gagnepain.
[5] Plans respectivement glossologique et sociologique.
[6] Université de Haute-Bretagne.
[7] Allusion à l’ouvrage Critique de la vie quotidienne de Henri Lefèvre.
[8] Paru en 1979 aux PUF.
[9] Georges Devereux, 1980, De l’Angoisse à la méthode, 1967. Trad. française : Flammarion.
[10] Dominique Lecourt, 1974, Bachelard ou le jour et la nuit, Paris, Grasset.
[11] « En face » c’est-à-dire à l’université Rennes 1, à laquelle appartient le département de philosophie, et qui est située de l’autre côté de la ville par rapport à Rennes 2.
[12] Francis Jacques, 1985, L’Espace logique de l’interlocution, « Philosophie d’aujourd’hui », Paris, PUF.
[13] Paul-Laurent Assoun, philosophe et psychanalyste, né en 1948.
[14] 1985, PUF, « Bibliothèque de psychanalyse ».
[15] Nous n’avons pu identifier précisément la personne en question.
[16] Il s’agit probablement d’un livre de Pierre Léon paru aux éditions Didier en 1966 et qui a fait l’objet de plusieurs rééditions depuis, notamment en 1985.
[17] André Martinet et Henriette Walter, 1973, Dictionnaire de la prononciation française dans son usage réel, Paris, France-Expansion.
[18] Élève d’André Martinet, Professeur de linguistique à l’Université de Lausanne.
[19] Probablement Denise François-Geiger, 1974, Français parlé : analyse des unités phoniques et significatives d’un corpus recueilli dans la région parisienne, préface André Martinet, Paris, Université René Descartes, UER de linguistique générale et appliquée, SELAF.
[20] Jacques Laisis évoque selon toute vraisemblance les psychologues.
[21] 1980, La Parole et l’inceste. De l’enclos linguistique à la liturgie psychanalytique, Paris, Aubier.
[22] Il s’agit des deux faces du plan III de la Personne. Le nexus (le lien) est la structuration culturelle de la sexualité naturelle en appartenances sociales. Le munus (le service rendu) est la structuration culturelle de la génitalité naturelle en responsabilités sociales.
[23] Variante de « brouettes ».
[24] Nous n’avons pas pu identifier la personne dont il est question.
Jacques Laisis« De l’homme de parole à l’homme de loi », in Tétralogiques, N°29, Épistémologie des sciences humaines : le gai savoir de Jacques Laisis.