Gilles Le Guennec

Maître de conférences, Arts Plastiques, Université de Rennes 2

L’exemplarité de l’image dans le rapport au modèle

Résumé / Abstract

Note de la rédaction : au texte de cette communication était associé un diaporama permettant de voir les images commentées, chacune étiquetée D+numéro. Le site http://www.uhb.fr/ak/graciAM où ce diaporama était visible n’est aujourd’hui plus en ligne. Nous avons néanmoins choisi de republier le texte tel qu’on le trouvait dans la publication papier du numéro.

Mots-clés
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On peut se demander pourquoi, dans ce colloque qui précise qu’il sera question d’expliquer, (D2) non de décrire, le rapport à l’image peut une heure durant intéresser autrement que sur un mode négatif, à savoir comment se débarrasser de l’image puisqu’elle handicape la pensée en la focalisant sur un objet qui la dévie métaphoriquement de ce qu’il faut désigner. Je rappelle combien Bachelard a traqué la persistance des images dans les explications prétendues scientifiques. Circonstance aggravante, l’image dont je m’occupe relève d’une production d’image. Redoublant ainsi l’imposition d’une représentation fallacieuse. Pour plaider ma cause, j’invoque la démarche anthropologique qui veut qu’on ne traite pas seulement de ce qui devrait être mais de ce qui est. Or ce qui est, correspond au lieu conventionnel d’où je parle, dans cet établissement des arts plastiques où les images sont développées sans grand souci de la visée scientifique, la formation de l’esprit plastique étant davantage notre préoccupation. Pourquoi, dans ces conditions s’intéresser à la distinction posée de la description et de l’explication ? La réponse peut être apportée en deux temps : la volonté d’expliquer que la Médiation a quelque chose à apporter à ceux que la manipulation de l’image intéresse suppose de partir du rapport à la déictique de l’image, pour, ensuite, repérer et souligner combien cette image, qu’elle soit ou non construite pour comprendre et expliquer un modèle, infléchit notre représentation (D3) au-delà et en deçà de l’objet à montrer.

La déictique de l’image n’est pas loin d’une déontologie qui oriente le constructeur vers une image conforme à la légende, ici médiationniste.

J’entends ceux qui, science oblige, sont aux antipodes de ce prêt-à-penser que sont les concepts lorsqu’ils ne servent pas à prendre en compte le réel.

Le réel est ici : il s’agit par exemple de savoir par l’image montrer un rapport au trajet, non à l’objet, non au sujet, de dissocier la manipulation de la représentation et la représentation d’une reconnaissance, de quel matériau nous parlons, et surtout avec quel matériau nous opérons, etc. Il y a donc ce que l’image devrait faire et, à titre de point de résistance à lever ou à interroger, ce que l’image fait et pourrait faire. (D4)

1. Ce que l’image devrait faire

Elle doit construire l’exemplarité et donc sa transparence par rapport à son contenu ; ce qui implique qu’elle a à :
• dire l’objet conçu
• prendre en compte Gestalt et structure aux quatre plans
Il s’agit alors de construire et d’exploiter l’image dans le sens de l’objet conçu relatif au modèle médiationniste. Ce qui a pour conséquence de la mettre en remorque d’une pensée qu’elle a en charge de seulement illustrer, et de traquer les inventions comme des écarts par rapport à ce qu’il faut comprendre. On ne peut sortir de la légitimité douteuse qui transparaît ainsi qu’en soulignant au pinceau constamment et performance à l’appui que l’art n’est pas réductible au langage, qu’il produit des représentations, des façons d’être et d’être libre.

Considérons la stratégie de l’illustration de la déconstruction avec trois procédés : le croquis explicatif, quatre rapports à une chose par la photographie, et quatre séries d’images spécifiques des quatre réalités. Ils tendent à imposer une légende, celle de la Médiation, ce qui ne satisfait pas la visée consistant à dire l’objet conçu. L’autre écueil correspond aux nécessités de la Gestalt et de la structure aux autres plans, technique, ethnique et éthique que véhicule l’image à la différence de l’écriture où domine une finalité de langage.

Le croquis explicatif : (D5)
• L’image fait valoir la chose comme pleine de quelque chose, ce qui contredit le non-substantialisme de la méthode médiationniste.
• En même temps l’écriture offre par polytropie une opportunité puisque le C fait configuration ouverte et vase duquel sortent les quatre réalités. Il y a donc un contenant qui serait le mot en contradiction avec les trois moments de la Gestalt, de la grammaire et de la rhétorique.
• Le non-substantialisme est géré par une grille (D6). La verticalité des lignes signe, outil, personne et norme introduit l’équivalent de la rupture culture/nature.
• L’interférence des plans est signalisée par la superposition des lettres.
Du coup il n’y a pas de plan-forme et de plan-contenu mais un effet de brouillage.
• De l’une à l’autre de ces deux configurations, un fond qui vaut pour un vide structural : le fait de mettre en continuité les termes avec des lignes produit l’illusion d’une identité (mot=ligne).

Quatre rapports à une chose par la photographie (D7)

La tétralogie de référence est bien là si l’on s’en tient aux quatre images. Mais c’est arbitrairement qu’on choisit de les décrire en assignant à la première à gauche de faire valoir le plan de la représentation : apparaît certes la configuration qui permet de désigner l’amphore et en même temps l’imitation en bois, sauf que l’échelle n’apparaît pas qui est pourtant une composante-objet. Le second plan paraît davantage au rendez-vous dans l’item en bas à droite où le dispositif de construction par assemblage est montré. Mais le fait que les enfants se servent du volume comme d’une cabane tendrait à le rapporter à l’usage et le plaisir d’y jouer au suffrage.

On hésite entre la toupie et l’amphore sur la photo prise au plus loin et en contre-jour, ce qui milite en faveur d’un rapport de reconnaissance à la chose ; mais l’intrigue est encore là à travers la vue fragmentaire. Reste la photo en haut à droite qui peut être rapportée à tous les plans.

Quatre séries d’images spécifiques des quatre réalités : (D8) PEF (illustrateur), Man RAY, Shusaku ARAKAWA, Joseph KOSUTH. La première série illustrative du plan du langage l’exploite différemment : Pef s’amuse (D9) de la structure par une paronymie mais l’incongruité est un plus qui n’est pas spécifiquement langagière. Man Ray (D1D) travaille avec l’homophonie qui nous fait entendre des Perlinpimpin, mais aussi voir plus sérieusement l’artificialité dénaturante de la peinture contre la vie que représente la nourriture. Arakawa (D11) interpelle le spectateur en lui demandant de voir des mots et leurs relations compliquées en un réseau de lignes qui les relient à chaque endroit d’un champ visuel signalisé par une droite verticale vue de profil. Message important puisqu’il est ainsi prétendu qu’on ne voit que la projection des mots qui laisse des zones invisibles : invisibilité culturelle de certains endroits. Je termine avec Kosuth (D12) pour le rejoindre dans sa proposition non verbale réductrice de la photographie et de l’ébénisterie-menuiserie, de montrer la catégorie chaise à travers des occurrences qui ne relèvent pas spécifiquement du langage mis à part le blow up qui affiche la définition du dictionnaire. L’invisible de la pensée est au rendez-vous comme identité sous-jacente à la série de chaises.

La suite voudrait montrer la manipulation, à commencer par celle de Max Ernst (D13) qui joue sur les mots pour mieux faire valoir le dispositif de découpage, principe actif de son image, où l’on repère une forme en retrait du découpé et qui reste le produit désaffecté du découpage. Frisant les mots une fois de plus (D14), l’enchaînement concret de ces choses hétéroclites disposées sur une table tend à montrer du trajet, celui de l’action de démarrage d’une voiture : nous voyons de gauche à droite, une bougie lointainement associée à la bougie électrique, une serrure, une clé de contact, une batterie suivie d’un poste radiophonique dont le magnétophone incorporé nous fait entendre le son du démarrage, objet sonore qui nous renvoie encore à la représentation. Le questionnement quant à la différence objet/trajet fonde la suite en question. La même distinction (D15) est à opérer s’agissant du sentier de charme : l’image qui plombe la compréhension du trajet est celle du déplacement de quelqu’un : les deux images risquent de conforter cette représentation. Ce qui vaut ce risque, c’est la mise en évidence par confrontation de deux prises de vues d’une action du photographe qui prend le moyen du contre-jour à droite pour obtenir le détachement de la silhouette sur le feuillage du fond. L’image de Roland Topor (D16) joue sur la confusion entre deux techniques qui se disputent le champ du paraître pour aboutir à un dispositif linéaire commun qui parvient de façon inattendue à imposer le même objet par la jonction du signal de signe et de l’icône. Polytropie si l’on considère que la hampe du p vaut aussi pour la bouche, synergie si l’on considère globalement la configuration du mot dans le rapport à ce qui manque au dessin de la tête sans entrer dans la vision détaillée.

Avec cet aménagement d’intérieur de McCallum (D17) proposé en installation, la production artistique est située sociologiquement, l’environnement de l’image envahit celle-ci réduite à un carré noir sur fond blanc opposé à celui de Malévitch qui questionne plutôt l’abstraction de l’art entre l’objet et le trajet de l’art abstrait. Le rapport à l’appropriation intervient ici sur le mode de la simulation distante de l’intérieur dit petit-bourgeois, l’installation tout entière fait insigne. Mais une autre vision peut s’imposer qui considère comme Georges Perec qu’on accroche des tableaux sur les murs pour ne plus voir le mur, puis avec le temps on ne voit même plus les tableaux. J’ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur, mais en oubliant le mur j’oublie aussi le tableau.
S’agit-il d’un cas de somatisation par une production schématique de l’environnement ? Il y a inversement le fait du site renommé (D18), un endroit de l’espace qu’il faut voir, il y a des flèches et des panneaux pour l’indiquer et sur le site lui-même, il y a comme ici la raison historique de son importance. Pour regarder l’image, il faut qu’elle compte historiquement et le tableau de Van Gogh médiatise le regard au point qu’on ne peut plus voir seulement la mairie d’Auvers-sur-Oise.

Pour tenter de préciser un rapport à l’image motivée (D19), le projet d’Adami offre par ses tableaux l’occasion de comprendre le concept de stratagème : dans l’exemple présenté, une zone éclairée éblouit le spectateur laissant le reste dans la pénombre, les doigts de Sigmund Freud saisissant le leurre, la mouche, assure le passage de l’une à l’autre, de même que ses lunettes au verre rond qui pourrait être celles d’un aveugle puisqu’elles masquent totalement les yeux. La zone éclairée correspond à un espace statique où sont exposées des mouches artificielles, un espace d’intérieur, intime qui est mis en continuité linéaire avec l’espace public et dynamique du dehors où les choses vont vite, trop vite pour que le regard s’appesantisse : le paysage défile et les choses avec, Freud nous est présenté comme faisant la relation entre les deux espaces. Où est le stratagème dans toute cette description ? Il est d’emblée affiché à, travers ce qui vaut comme projet artificiel plus qu’une allégorie, c’est un faire qui est en cause à travers l’équipement de la pêche à la ligne, considérée comme l’activité la plus hasardeuse. Il ne s’agit pas d’un jeu de mots mais d’une activité qui en remplace une autre.

Déconstruction, structure, dialectique, implicite, il n’est pas question d’entrer systématiquement dans les séries d’exemples qui soutiennent l’explicitation de ces principes, je voudrais juste souligner ce qui est à promouvoir suite à cette déconstruction de l’image par l’image. Une première conséquence est qu’elle fait évoluer la doxa en ce qui concerne le fond et la forme. Cette partition de l’espace déictique s’est imposée à travers la théorie de la forme et la pratique du Bauhaus. La déconstruction fait voir les formes autrement, non plus limitées au physiologique mais médiatisées aux quatre plans. Certes l’image relève spécifiquement de la forme technique, mais l’image par son contenu peut être explicative et descriptive, c’est le thème de ce colloque. Elle peut être constructive ou encore prescriptive, c’est redire autrement les secteurs industriels de la déictique, de la dynamique, de la schématique et de la cybernétique.

Ajoutons maintenant l’hypothèse d’un éclatement de la Gestalt telle que l’ont avancée au travers du concept de configuration Hubert Guyard, Clément de Guibert et Gilles Clerval lors du dernier colloque, ce qui fait huit réalités qui peuvent se manifester à travers l’image, sans compter que la transcription naturelle de l’objet, du trajet, du sujet, du projet n’est pas celle du symbole, de l’action, de la spécification, de la valeur, ce qui porterait ainsi à douze le nombre de formes ainsi décomptées.

Envisageons quelques exemples pour donner matière à ces formes en tant que configurations (D20). Le document s’évertue à perdre le regard dans un espace qui comporte beaucoup de sollicitations visuelles ; il faut du temps pour repérer le gramme OK réalisé par la chambre à air de vélo et la pantomime de celui qui la porte : la dispersion est seulement contrecarrée par le centrage de l’image sur un personnage qui devient alors porteur de l’énigme (D21). L’aide est fournie par le titre qui produit une structuration de l’image et sa re-focalisation. On retrouve ainsi les caractères cliniques de l’agnosie aperceptive ; je cite : l’agnosie aperceptive correspond à un éclatement des données perceptives, c’est-à-dire à la disparition de l’homogénéité « spontanée » de l’objet. L’image peut artificiellement troubler la perception.

Dans le rapport à la manipulation, le dessin suivant (D22) peut en les mimant, évoquer les troubles de l’orientation et de la direction de l’apraxie idéo-motrice : le geste part en tous sens, fait fausse route et se remanie, disent les trois auteurs de l’article. La main de l’apraxique manque de direction et d’orientation ; elle semble flotter, hésiter, tenter une posture pour la remanier, comme une recherche incertaine, décrit O. Sabouraud, cité dans l’article.

La projection du sujet (D23) est-elle en cause dans ce jeu sur la configuration focalisée et dispersée de Markus Raetz ? La dédifférenciation des traits est soudain levée par la reconnaissance d’un visage, visage d’enfant qui pourrait illustrer la dispersion de la situation de celui-qui est partout et nulle part.

La photographie de Philippe Cazal (D24) montre comme une tentative pour unifier environnement, favoriser la concentration au risque ne plus hiérarchiser : tout se vaut et pourrait rejoindre (D25) l’indistinction, analysée comme dispersion comportementale dans l’aboulie.

Axiologiquement, il y a à souligner que l’image est à construire ou bien qu’elle est déjà construite non seulement pour expliquer et pour présenter le modèle médiationniste mais plus naturellement pour être vue. La prise en compte de l’organisation gestaltique des configurations est une nécessité.

Et les hypothèses posant le concept de configuration sont à considérées à l’égard des exigences de perception, d’attention, d’attitude, et d’application de l’information visuelle.

La prise en compte des formes structurales (D26) est une autre nécessité et notamment celle qui tout à la fois structure et plombe la compréhension : à savoir la forme ethnique en son versant déontique qui se manifeste à travers la légende de l’image que celle-ci soit ou non écrite dans ou à côté de l’image. Pour rendre l’image explicative, il faut l’arracher à sa légende qui s’attache à décrire l’existant, le socialement admis. Une image légendaire en question : je choisis parmi les exemples le rapport à la légende parce qu’il concentre les questionnements. S’agit-il d’entrer dans la légende de la Médiation en l’illustrant au plus près du modèle ou s’agit-il d’expliquer un appareil conceptuel qui n’est tel que par des hypothèses confrontées scientifiquement au réel clinique ?

L’exemplarité relève d’un rapport à la bonne image, celle qui saura faire… à quel titre cette image dite « mythologique » peut-elle paraître exemplaire de la légende au sens du rapport déontographique à l’image ? Parce qu’elle montre l’écart entre ce qu’il faut voir et ce qu’on y voit. Elle suppose une histoire dont elle n’assure pas le récit sur la base de la participation du seul sujet à son espace. Il faut le texte et le contexte pour comprendre ; les configurations offertes ne permettent pas d’identifier des protagonistes (centaures) pour pouvoir ensuite décrire leur rôle et l’enjeu d’un combat. On en déduira que l’exemple est mauvais au sens où il est fait appel au principe d’altérité en même temps qu’à l’altruisme dont relève la légende. Remarquons encore que le sujet peut comprendre qu’il y a du combat : l’image pourrait-elle servir d’exemple d’une implication du seul sujet dans la compréhension de l’image ? Ceci revient à préciser par quels moyens l’image englobe fictivement de son espace artificiel (D27) l’espace réel du spectateur au point de produire l’illusion d’une continuité entre deux espaces. Le fait est que les personnages sont vus de profil, cette technique de représentation est-elle suffisamment illusionniste comme l’est la perspective linéaire ? La question est sans réponse comment connaître l’impressionnabilité du spectateur de l’époque, si l’on considère l’évolution que les techniques d’image ont connue, jusqu’à l’image en mouvement projetée à 360°. A l’opposé de la configuration qui impose sa légende, il y a encore celle qui n’a pas de nom (D28) et qu’on ne sait du coup interpréter : où finit l’unité iconique englobe-telle une partie de ce qu’on peut autrement considérer comme zone du fond ?

2. Ce qu’elle fait et peut faire

Quant au résultat, l’image produite tend à effacer l’image conçue, à jouer son propre jeu obscurcissant en dépit de la clarification visée.

L’image produite favoriserait l’image au détriment du concept et ce serait sa faiblesse quand il s’agit d’expliquer. Mais peut-on demander à l’image de produire ce pour quoi elle n’est pas faite ?

Ce qu’elle fait : quatre handicaps qui plombent l’exemplarité de l’image

L’image-objet (D29)

Quelle qu’elle soit, l’image n’étant pas écriture au sens stricte du gramme, signal de signe, elle échappe toujours un tant soit peu à la fonction de signal de signe qu’on voudrait lui assigner pour qu’elle serve d’exemple.

Nous cédons à un aveuglement par le fait des mots qui rendent l’image bavarde au-delà de ce qu’elle a à montrer. Ce qu’a bien vu Magritte, qui reprend sa pipe une fois encore en la désignant improprement et arbitrairement architecture. En fait il s’insurge contre un projet trop évident de l’image. L’image qui contient une cybernétique et une schématique insidieuse (D30).

L’image cybernétique (D31), ce peut être celle qui vient en renfort du projet explicatif qui tente de surdéterminer l’explication, pour ne pas la manquer. L’image vient en garant de la monosémie visée par les mots. Le problème, est que la visée de propriété n’est pas de son ordre. L’image ne peut donc être ni polysémique ni monosémique.

Quant à l’image schématique (D32), son procès est déjà entamé avec la déontographie. L’image tend à faire exister magiquement ce dont on parle.

Mieux qu’un réalisme photographique, il y a maintenant, par des installations vidéo, des bains de sons et de couleur qui visent un envahissement de l’être (D33). La continuité entre l’espace réel du sujet et l’espace artificiel s’établit ainsi dans l’espace des expositions qui, certes, n’affichent plus d’ambition explicative.

L’image dont la technique compte (D34)

A chaque technique son regard, la photographie ne traite pas le temps comme le fait la peinture plutôt faite pour traiter l’espace ou la vidéo apte à l’enregistrement du son et du mouvement. On peut du coup avoir l’impression de trop montrer ou de trop voir, simplement parce qu’on a appréhendé un objet produit par une technique avec le mode d’emploi d’un autre dispositif. L’imaginable pour le photographe (D35) c’est le photographiable et ainsi de suite… d’où les méprises qui sont aussi des traductions techniques.

L’image convenue (D36)

Prise dans le contexte de la proposition, l’image est dotée d’une légende par laquelle on y voit ce qu’on doit voir. Si l’on met ainsi l’image en remorque de la théorie, elle risque de ne faire qu’illustrer et de reprendre la légende la Médiation. La tendance est de s’asseoir confortablement sur ce qu’on connaît déjà (D37) ; peut-il en être autrement ?

Ce qu’elle peut faire : les représentations produites

On méconnaît ou sous-estime les « effets produits » par le recours à la technique. « […] elle ne laisse indemne rien de ce qu’elle touche ». (Artistique et archéologie, Ph. Bruneau, proposition (8Db)).

Sauf à parler de l’image au sens d’un processus spécifique de représentation, en recourant à l’image, industrie déictique. Le propos s’appuie sur une réalité qui n’est pas de son ordre. Les effets indésirables ne sont tels que dans cette perspective scientifique (D38) ; ils peuvent être aussi appréhendés en tant que produits spécifiques de l’activité et du coup ils acquièrent le statut d’inventions à l’opposé de l’artifice décrié.

La question de savoir dans quelle mesure l’image peut être appelée à servir un propos scientifique provient d’une perspective anthropo-logique.

Celle-ci provisoirement abandonnée pour une vision anthropo-tropique, l’exemplarité ne se pose plus comme exemple de réel objectivé mais à faire, trajectivé. Alors que dans le message, par le mythe comme par la science, l’objet est pris dans la structure du signe, dans l’ouvrage d’image, par empirie comme par magie, le trajet outillé comporte un autre moment de la dialectique, celui d’une action qui pour être imageante n’est pas pour autant imagination. Il se produit de l’objet sans que la pensée s’en mêle, fut-elle mythique. L’autoergie du plan II se manifeste ainsi, par la prépondérance de l’action imageante sur l’image comme sur le concept : indépendamment des autres préférences et bien qu’il s’agisse de faire concevoir, la finalité de l’image à faire prime sur celle de l’objet conçu ou à concevoir. Au lieu de désespérer considérons l’avantage lié à l’inconvénient : l’image pose problème et au-delà, renouvelle le questionnement même si ce n’est pas son rôle.

L’image fait penser, à défaut de penser (D39). Le concevable peut encore s’élargir au-delà de l’imaginaire par l’image produite. L’industrie de l’image ne limite pas ses effets de sens comme le langage par une restriction grammaticale et une rhétorique scientifique. Étant faite pour montrer, la libre interprétation de ce qui est en vue est favorisée par son inefficacité même. Elle n’est pas cependant sans détermination, elle y ajoute sa restriction systémique qui est celui de la technique. Dès lors qu’on y a recours, l’élargissement comme la restriction de ses possibilités constituent l’artificialisation de l’intelligence et de la bêtise.

Comment l’image, par l’inefficacité même de l’outil peut-elle produire de l’objet, de l’image et de la pensée au-delà et en deçà de ce qu’il y a à transcrire ?

Elle le fait par magie, par empirie et par la plastique.

Pour commencer l’aperçu des possibilités magiques de l’image, je voudrais juste invoquer l’image musicale. En complément d’une parole, elle est là pour prolonger magiquement la recherche d’un contenu qui ne peut être dit. D’où la profondeur de cette musique amenée par un message fragmentaire qui l’annonce et la nécessite, J’écoute par exemple France Culture, une émission sur Le Corbusier, Jean-Louis Cohen, historien de l’architecture, parle et sa parole est ponctuée de musique. Ronchamp s’élève un peu plus.

Le pouvoir magique de l’image n’est rien d’autre que le fait de rendre réel ce qui n’est que représentation : ainsi l’œil magique médiationniste qui fait valoir dialectiquement trois pupilles au lieu d’une, ce n’est évidemment pas comme cela qu’il faut voir le graphique mais l’image est possible, comme celle de l’œil de chat (D40) dont on sait qu’il voit mieux dans la nuit. Dans un rapport plus heuristique, ce sont des objets conçus qui peuvent apparaître magiquement : on sait que la grille (D41) force à remplir des cases et à trouver ce que la pensée non spatialisée (D42) ne savait faire, aussi par capacité insuffisante. Les grilles les plus sophistiquées sont celles que gère l’ordinateur. Parmi les caractères annexes à l’écriture (D43), il en est un qui nous interpelle particulièrement : la fameuse barre introduite par Saussure pour marquer l’opposition qui les sépare (p. 99). La barre dans sa transcription a subi une évolution : elle est passée de l’horizontalité à l’oblique, écriture linéaire oblige ; mais en même temps je constate que cette traduction rejoint un propos lacanien : l’écriture de gauche à droite impose l’idée que le signifiant est préséant par rapport au signifié que Saussure plaçait au-dessus. Et toujours à propos du graphique (D44), j’allais dire du signifiant, mais ce n’est pas le même) on peut mettre en rapport la page sur le traitement possible de la psychose, Écrits II de Jacques Lacan, paragraphe 2, avec le 5 : dans l’un un schéma £ qui doit montrer le tiraillement du sujet aux quatre coins : S, a, a’, A, dans l’autre un correctif : le £ de la mise-en-question du sujet dans son existence a une structure combinatoire qu’il ne faut pas confondre avec son aspect spatial. En somme la représentation qu’impose un schéma ne vaut qu’un temps, il faut l’abandonner pour comprendre la suite.

S’il s’agit de pointer la magie sur la base d’une icône (D45), voici le cas de l’image qui re-modélise magiquement le modèle qu’elle était censée illustrer. Au lieu de servir d’exemple, l’image s’impose à son tour comme modèle : elle est en effet irréductible à l’ordre signalétique auquel on voudrait la faire participer : ce qu’elle signalise ce n’est pas uniquement du signe comme l’écriture, en dépit des analyses extensives qui la conceptualisent.

Si je me réfère à tel dessin de Henri Laurens pour opposer deux processus de la conduite qui correspondent aux deux hypothèses principales de l’outil et de l’instrument, je sais d’avance que telle partie de l’image qui paraît illustrer l’instrument, ne s’inscrira pas totalement dans ce rapport. J’établis que le tracé est porteur d’une attention parce qu’il montre un détail du sujet, le nu porte par exemple, un poisson. Mais je repère immédiatement que pour réaliser ce détail observateur, le dessinateur a eu recours à des routines de telle sorte qu’on reconnaît un poisson mais non telle espèce de poisson : c’est un tracé convenu en même temps qu’il a recours à des ductus.

Pour illustrer le ductus et la routine de l’outil, je montre dans un premier temps ce qui s’affiche avec aisance : des boucles de cheveux, des zigzags, etc. ; puis je vois que la facilité se montre encore à travers des recoupements de lignes qui s’éloignent de la vision réaliste du modèle : du coup, ce n’est plus le ductus qui se montre mais la routine d’un traçage qui ne considère plus que le plan du dessin. Je suis passé ainsi presque insensiblement du ductus au geste machinal, d’une mécanique à une téléotique et ce, parce que le dessin offrait les deux aspects faciaux de l’outil. Je suis fortement enclin à embrayer sur l’image indicative de la légèreté transmise par cette façon de faire machinale.

Le pouvoir empirique de l’image est celui d’ancrer une représentation (D46), de favoriser naturellement une concentration de la pensée à l’encontre d’une aprosexie. Ainsi le tableau à doubles entrées contraint à n’omettre aucun cas en même temps qu’aucune case. On peut faire valoir à cet égard (D47), dans le rapport à la transcription de l’activité, que la vidéo constitue une sorte d’écriture plus proche empiriquement du réel à objectiver, puisque mieux encore que la photographie, elle transcrit le son.

Reste à interpréter ce qui se voit et s’entend.

Le pouvoir plastique de l’image est celui du développement d’une pensée dépendante de, et suscitée par l’espace spécifique de l’ouvrage.
Aucune image de hiérarchie ne s’impose par la grille synoptique ou le réseau tandis qu’à l’inverse, l’arborescence supposerait par inclusions successives la remontée vers un point alpha, fondateur ou causal.

Comment la plastique pourrait-elle en apporter quant à l’explication ou l’appropriation du modèle ? Par son principe de redondance, l’esthétique serait apte à faire valoir des relations entre items, dans la mesure où l’image plastique liée à l’ouvrage construit le retour de l’attention sur l’espace du signal en une exploration interrogative. Voici l’exemple offert par un étudiant faisant valoir la fabrication (D48) et le loisir de l’outil. En dépit du fait que tous les dispositifs fonctionnent, rien ne bouge. L’inefficacité qui oppose la technique et l’action, l’outil à l’instrument, est à son comble.

Pour finir, et en guise de réaffirmation de la possibilité d’une production analytique (D49), qu’avec le concours de Jean Gagnepain et d’Alexandre Stavropoulos, j’ai déjà nommé méturgie. Je me suis essayé à cette production analytique pour introniser un type de tire-bouchon en lui conférant la lourde responsabilité de porter la référence à ma compréhension du modèle médiationniste de l’art.

L’ustensile en cause utilise le principe des deux leviers articulés (levage et articulation). L’action de tirer outillée d’un manche et des doigts en crochets levier est niée par le fonctionnement (technique) des leviers qui aboutit au fait que la bouteille est palissée, et va dans le sens inverse du bouchon. L’effet final étant le doublement de la force mise en œuvre.

Conclusion

Je pense avoir ainsi présenté quelques raisons de ne pas négliger l’image dans le rapport à l’explication et à la description. Principalement, c’est la productivité de la technique qui l’habilite.

UNITÉ MACHINALE
Travaux théoriques… et pratiques de en matière d’ergologie.
http://www.uhb.fr/alc/grac/AM

Voir aussi :
ERGOTROPIE
Ce site présente les travaux de Gilles Le Guennec (Université de Haute-Bretagne, Rennes 2) en matière d’ergologie.
http:home.tele2.fr/ergotropie
[Nouveau site actif en 2024 : http://glg-ergoblog.blogspot.com/ NDLR]


Pour citer l'article

Gilles Le Guennec« L’exemplarité de l’image dans le rapport au modèle », in Tétralogiques, N°17, Description et explication dans les sciences humaines.

URL : http://www.tetralogiques.fr/spip.php?article250