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Julie Léonard

Doctorante en sociologie, université de Picardie Jules Verne, responsable de l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel (PCI), association Bretagne Culture Diversité. jleonard chez bcd.bzh

Les clés de la chapelle : ethnographie du regard patrimonial

Résumé / Abstract

Cet article a pour objet les cadres sociaux du « regard patrimonial ». Il est issu d’une enquête de terrain débutée en février 2018 ayant pour contexte un projet culturel mené dans une petite commune rurale bretonne sur les pardons. Par extension, les chapelles comme lieu d’expression de ces pratiques rituelles, sociales et culturelles y sont traitées. S’appuyant sur les premières observations de terrain et les entretiens réalisés, cet essai ethnographique tend à rendre compte du « regard patrimonial » des différents acteurs du patrimoine par le truchement de la relation qu’ils entretiennent à ce dernier.

Mots-clés
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Les réflexions du présent article s’inscrivent dans le cadre des échanges tenus lors de séminaires mensuels organisés avec le LIRIS. Je remercie Jean-Yves Dartiguenave, Sophie Le Coq, Jean-Claude Quentel et Charles Quimbert pour leurs relectures attentives. Un merci particulier également à Diego Mens pour nos stimulants échanges.

Un matin de février 2018, dans la salle de réunion de la mairie d’une petite commune rurale bretonne [1] de 388 habitants, le maire, le prêtre de la paroisse et les représentants des comités de chapelles [2] du village sont réunis en présence du conservateur départemental du patrimoine, des antiquités et objets d’art, accompagné d’une ethnologue. À l’ordre du jour : une réflexion concertée autour des chapelles et pardons [3] de la commune.

Chacun des acteurs est présent au regard de la relation qu’il entretient avec les chapelles de la commune et du rôle qu’il occupe dans la gestion de ces dernières. Depuis la loi de séparation des Églises et de l’État (du 09 décembre 1905), l’élu, en sa qualité de maire est le propriétaire des chapelles et du mobilier religieux antérieur à cette date. Le prêtre de la paroisse en est l’affectataire exclusif (ou locataire). Les comités de chapelle, constitués en association de loi 1901, n’ont aucun rôle légal quant à la gestion des chapelles bien qu’ils en soient, nous le verrons, les principaux « gardiens ». Le conservateur du patrimoine « veille » à l’entretien et à la restauration du patrimoine mobilier protégé au titre des monuments historiques (loi de 1913). L’ethnologue coordonne, pour sa part, un inventaire régional des pardons et pèlerinages bretons [4].

Le « regard patrimonial » des différents acteurs en situation sera analysé par le biais de la relation [5] que chacun d’eux entretient à l’objet patrimonial en fonction de son rôle dans la gestion de cet « héritage ». Postulant qu’il existe un type de regard selon le rôle respectif des acteurs, nous nous intéresserons plus particulièrement aux situations de confrontation, de négociation et d’affrontement. L’objectif est, en effet, d’illustrer, malgré les décalages existants, leur nécessaire collaboration.

L’intérêt est moins porté à « l’objet regardé » qu’aux « sujets regardant » [6]. Nous inspirant des trois figures typiques dégagées d’un travail d’enquête à Belle-Île-en-Mer quant aux liens patrimoniaux, nous formaliserons trois types d’acteurs sociaux : « les natifs », « l’élu » [7] et « les professionnels du patrimoine » [8]. Chacun apparaît dans l’ordre qui illustre son rapport à l’objet patrimonial, du plus proche au plus éloigné, du plus régulier au plus ponctuel. Bien qu’elles n’épuisent pas la réalité des sujets, chacune de ces figures renvoie à un regard et à un type de légitimité [9] utile à la compréhension de la relation entretenue au patrimoine.

La méthode relève, quant à elle, de l’observation ethnographique.

1 Les « gardiens du temple » : un regard « domestique », une relation affective

Marie est née en 1950 à cinq kilomètres de là où elle habite aujourd’hui depuis 1980, tout juste en face de la chapelle du quartier (figure 1). Depuis des années, c’est elle qui s’occupe d’ouvrir la chapelle, « la plus ouverte de la commune, avec l’église paroissiale » [10]. Elle en a « bien sûr » un jeu de clés, comme d’autres dans le quartier.

Figure 1 : Vue du salon de Marie sur la chapelle du quartier. © Julie Léonard

JL : Et donc tous les jours, tu vas ouvrir la chapelle ?

Marie : Ouais, enfin quand il fait beau surtout.

JL : Tu fais ça depuis longtemps ?

Marie : Depuis que j’ai les clés.

JL : C’était quand ?

Marie : Oh ! je sais plus. Mais j’ouvre plus qu’avant. […] Aujourd’hui, j’ai pas ouvert, j’aurai dû ouvrir. […] Quand elle est pas ouverte, on vient me demander la clé. […] J’oublie de la fermer aussi souvent le soir. Ça, c’est autre chose. Je fais attention à ça aussi maintenant, vaut mieux. Ça m’est arrivé souvent d’oublier de fermer le soir. Y a quelques fois, je suis même allée la fermer en pleine nuit, je me levais.

Les clés de la chapelle sont le symbole du sentiment de propriété des natifs qui s’en occupent. Ils ont les clés de la chapelle comme ils ont les clés de leur maison. Quand j’évoque le sujet avec le conservateur du patrimoine, il sourit et poursuit :

« Ah, ça, c’est comme la clé de chez eux. Et très souvent, les mairies n’ont pas de clés. Moi je pose la question bête et méchante : si demain y a un vol ? si y a le feu ? Tout le monde se regarde… Mais un assureur en face, il va dire 1) c’est propriété de la commune, 2) ça a pris feu parce que le système électrique a été bricolé et ça c’est pas fait avec un consuel. […] Très souvent, ce que je leur dis – je fais toujours mon bon et mon mauvais flic en même temps – d’une part, je leur rappelle les règles de propriété. C’est un truc tout bête mais de rappeler qu’on est sur un édifice public, très souvent, je prends l’exemple de l’école maternelle : la mairie vous donnerait pas les clés et vous ne seriez pas en train de restaurer l’école maternelle sans l’avis du propriétaire. Ils me disent tous « oui, oui ! ». Donc, d’une part, y a le problème de propriété : ils ont pas forcément conscience, ni la mairie d’ailleurs, que c’est pas leur propriété. Au terme de la loi, ils n’existent pas. T’as le propriétaire, la commune, et l’affectataire, le curé […]. Donc il faut leur rappeler qu’ils ne sont pas proprio’, qu’ils n’ont aucun lien de responsabilité ». [11]

Et pourtant, la chapelle et son environnement sont pour Marie, « gardienne » tout autant qu’usagère, « une expérience vécue, quotidienne, ordinaire » [12] : c’est un peu chez elle. La chapelle en tant que « patrimoine de proximité » circonscrit le petit monde qui entoure Marie [13].

JL : Et pour toi, la chapelle, c’est quoi ?

Marie : Bah c’est le cœur du quartier quand même. Ça représente, c’est un point commun pour nous. On descend là, on passe par là, ça a toujours été là.

En ayant les clés de la chapelle, les natifs ont une responsabilité qui définit leur rôle autant que leur statut de « gardiens du temple ». Cette responsabilité participe de leur légitimité et leur permet de rentrer dans le jeu politique : « Je contribue donc ça m’appartient ». En négociant ainsi, ils affirment une forme de propriété. « Leur légitimité ne relève [donc] pas d’un ordre légal, mais s’appuie sur la force de la tradition » [14] tout autant que sur la proximité qu’ils entretiennent avec la chapelle, dont ils sont les principaux usagers.

« Il faut leur rappeler qu’ils ne sont pas proprio’, qu’ils n’ont « aucun lien de responsabilité » mais que, s’ils n’avaient pas été là, l’édifice serait par terre. Et clairement, moi, je ne peux pas les incriminer parce qu’1) ils ont fait avec les moyens du bord, très souvent en se démerdant avec les anciens maçons, les anciens couvreurs… tous ces corps de métiers. Ils les ont restaurées avec les matériaux comme ils pouvaient. Quand ils ont dégradé la chaux avec des enduits peints c’est parce que plus personne n’entretenait. […] Ils ont aussi remplacé les charpentes du XVIe par exemple, avec du pin, allègrement. Mais si ça n’avait pas été le cas, les chapelles seraient à terre. » [15]

Les travaux évoqués par le conservateur témoignent de la relation « domestique » que les bénévoles du comité de chapelle entretiennent avec l’édifice. La logique argumentative des natifs pour justifier leurs actions [16], tout comme pour justifier leur légitimité, repose sur la force de la tradition. L’argument est sans doute « qu’on s’est toujours occupé de la chapelle ». Telle que développé par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, le registre du « domestique » [17] est construit sur « le respect des aînés, les relations d’ordre, les rapports de confiance, l’attachement familial, le souci de transmission, l’appartenance commune : toutes exigences avec lesquelles la notion de patrimoine entre évidemment en consonance » [18].

Trois temporalités [19] semblent rythmer ce rapport domestique des natifs à l’objet patrimonial.

De manière périodique, les bénévoles du comité de chapelle réalisent des travaux d’entretien. Si la toiture a été entièrement rénovée (et payée) par la commune, le comité a, pour sa part, coulé une dalle de ciment dans l’ensemble de la chapelle, pour avoir un sol « propre ».

JL : Et la dalle qui a été coulée, c’est le comité aussi ?

Marie : Oui.

JL : Et tu te souviens pourquoi elle a été… parce qu’avant, c’était quoi ? de la terre battue ?

Marie : Terre battue oui. C’est le comité qui avait dit qu’il fallait mieux mettre du ciment là. C’était humide. Y avait de l’humidité, du coup, on a drainé autour.

Ils repeignent les portes régulièrement, agrémentent les jardinières de fleurs, fabriquent des socles pour poser les statues qu’ils n’hésitent pas à repeindre quand ils les estiment en « mauvais » état (figures 2, 2’ et 2’’).

Figures 2, 2’ et 2’’ : Exemples de mobiliers repeints par les bénévoles du comité. © DR

S’il est un événement ponctuel qui rythme la vie de la chapelle, du comité et du quartier, c’est le jour du pardon. Une véritable organisation bénévole se met alors en place : « à force des années, chacun sait ce qu’il a à faire » [20]. Ils ont développé une véritable « économie de la débrouille » et font appel aux compétences et/ou matériels de chacun. Les réseaux d’interconnaissances sont également activés : l’organiste pour la messe sera le fils du président du comité de chapelle, la crêpière qui officiera l’après-midi sa belle-sœur, le sonneur [21] réside, quant à lui, dans la commune, tout comme la personne qui animera le concours de palets sur route l’après-midi. Des jours avant le pardon, ils commencent à « s’occuper » de la chapelle : ils la nettoient, la rangent, la fleurissent… Elle doit être « propre » et « accueillante ». « Ils « vendent » leur chapelle ce jour-là » [22] tout autant qu’ils engagent leur légitimité. Se joue également leur reconnaissance sociale : l’appartenance au groupe est marquée par leur contribution qui les légitime dans leur rôle.

Le jour du pardon, une fois la messe célébrée, ils se réapproprient la chapelle pour les festivités du pardon (figures 3 et 3’).

Figures 3 et 3’ : Le jour du pardon, un stand de crêpes est installé dans la chapelle (à gauche). À la fin du pardon, tout est stocké dans la chapelle en attendant que les bénévoles viennent ranger le lendemain (à droite). ©Julie Léonard

Véritable enjeu financier, les recettes du pardon leur permettront d’assurer l’entretien périodique de la chapelle, en toute autonomie. Tout comme cet argent récolté leur permettra de s’inscrire dans le temps, de laisser une trace de leur passage : c’est ici notre troisième rapport au temps illustré par les créations contemporaines que les natifs peuvent réaliser afin de s’inscrire dans l’histoire de la chapelle. En apportant leur contribution, ils s’approprient « leur » patrimoine tout autant qu’ils laissent une trace. En 2005, le comité lance ainsi une demande de subventions pour créer un nouveau vitrail. En effet, les baies sont des espaces vides et les vitraux du XVIe siècle n’existent plus depuis longtemps.

Marie : Autrement, y a eu les vitraux. Le maître d’ouvrage était la mairie pour avoir les subventions. Mais le comité participait, donnait le complément. Oh bah j’ai eu affaire, ça s’est pas bien passé d’ailleurs, je m’en souviens de ça, d’avoir eu affaire à l’architecte des bâtiments de France [23]. […] Ça s’était pas très bien passé […] parce qu’autrefois […] tout, les bancs, les tables, étaient entreposés dans la chapelle [figure 4]. Et l’architecte avait dit « on ne peut quand même pas subventionner un hangar ! » parce qu’on conservait tout là-dedans (figure 4).

Figure 4 : L’architecte des bâtiments de France lors d’une visite en 2005 ©DR

L’architecte des bâtiments de France (ABF) émettra un avis défavorable quant à l’attribution des subventions nécessaires à la réalisation du vitrail. En cause, l’appropriation de la chapelle par les bénévoles pour « stocker » les éléments utilisés pour le pardon. C’est finalement le comité qui payera intégralement la réalisation du vitrail. Toutefois, pour éviter qu’à l’avenir cela se reproduise, il financera la construction d’un cabanon sur le terrain situé à l’arrière de la chapelle (propriété d’un des bénévoles du comité) afin d’entreposer les bancs, tables et le matériel utilisé pour les festivités organisées pour le pardon.

Cet exemple illustre le décalage entre deux relations à l’objet patrimonial : celle « institutionnelle » de l’ABF qui a une vision sanctuarisée de la chapelle, et celle « sociale » des bénévoles pour qui elle est un lieu de vie « vécu » au quotidien.

De plus, l’attachement à la chapelle s’inscrit souvent dans l’histoire personnelle, familiale, des natifs. Depuis bientôt quarante ans qu’elle habite dans ce quartier, Marie « s’occupe » du pardon de la chapelle auquel elle participe, parmi d’autres, depuis son enfance.

Marie : Oh bah déjà ma mère était une fan des pardons. Elle aimait les pardons, tous les pardons du coin et d’ailleurs : pardon de Sainte-Anne-d’Auray, elle aimait y aller tout le temps. Et moi j’étais habituée de par elle à ces pardons-là. Et à chaque fois, j’allais avec elle. Tous les pardons du coin. […] Et puis les pardons de la commune surtout, on les faisait tous.

Si la chapelle tombe, c’est un bout de son histoire, un bout d’elle-même qui meurt. Cette relation particulière, exprimée par l’attachement [24] à la chapelle, concrétise également un sentiment d’appartenance à un groupe [25] autant qu’il inscrit les bénévoles dans une continuité. Si juridiquement, les bénévoles du comité de quartier n’ont « aucun lien de responsabilité légale » concernant la chapelle, ils n’en ont pas moins le sentiment d’une « responsabilité patrimoniale ».

Marie : Les anciens, ils ont beaucoup travaillé pour le pardon. Pis nous, on a pris après eux. Mais maintenant, les nouvelles générations ne reprennent pas. C’est ça aussi qu’y est embêtant, enfin embêtant… mais on a fait beaucoup de travail : maintenant, la chapelle est hors d’eau, tout ça.

En s’occupant de la chapelle, ils « payent », en tant qu’« héritiers », leur « dette symbolique » [26] auprès des « anciens » dans le prolongement desquels ils s’inscrivent. Mais leur responsabilité est également en direction de l’avenir : ils ont « l’obligation de transmettre aux générations futures » [27] et c’est précisément sur ce point que se situent leurs « inquiétudes ». Leur sentiment de permanence est menacé. Les natifs vieillissant, la relève ne leur semble pas assurée. S’il y a moins de bénévoles pour l’organisation du pardon, il y aura moins de festivités organisées. Qui dit baisse de fréquentation dit donc diminution de l’argent récolté. Cette réduction du nombre de bénévoles couplée à une diminution financière peut, à terme, mettre la chapelle en péril.

C’est pour cela que le maire de la commune, conscient de la situation, a fait appel à des extérieurs, professionnels du patrimoine, afin de trouver des solutions pour tenter d’enrayer le phénomène.

2 Le regard « pragmatique » de l’élu

En 1906, la commune de L. comptait 1 384 habitants. En 2015, elle n’en compte plus que 388. Cette chute démographique s’explique pour partie par la mécanisation du monde agricole survenue dans les années 1950/1960. L’économie et la socio-démographie de la commune reposaient essentiellement sur les exploitations agricoles, passées d’une vingtaine au milieu du XXe siècle à quatre aujourd’hui. Face à ce constat, le maire cherche d’autres ressources possibles pour dynamiser la commune. Émerge alors « l’idée de faire des chapelles de la commune des phares » [28].

« Aujourd’hui, c’est vraiment important pour nous d’avoir une ouverture vers une économie nouvelle qui est celle du tourisme car la commune perd sa force économique – on n’a plus que quatre fermes sur la commune – et du coup, sa force démographique. Nous pensons donc vraiment qu’à travers le tourisme sur une base patrimoine, nous pouvons vraiment faire évoluer ça et donner envie aux personnes de venir vivre chez nous. » [29]

En sa qualité de propriétaire, le maire a une responsabilité légale envers les chapelles de la commune, une « légitimité de pouvoir de type légal, statutaire » [30]. « Gardien politique » (au sens où il gère la vie de la cité), le maire s’inclut dans la lignée des héritiers : tout comme eux, il est un « passeur ».

« Nous, notre rôle, on est que des passeurs, on doit toujours faire attention à ce qu’ils soient bien entretenus, qu’ils puissent passer à d’autres et que d’autres puissent avoir les mêmes réflexions que nous dans 80 ans. Il faut que la base du patrimoine reste. On est plus dans un cadre de sauvegarde dynamique que de sauvegarde passive. La sauvegarde passive, on ne peut plus parce qu’on n’a, économiquement, pas les moyens de l’assurer. Ça veut dire que si on continue comme ça, ces chapelles vont disparaître. C’est super important de s’en rendre compte. Et cette expérimentation, dont je suis fier d’être partenaire, dites-vous bien que c’est un enjeu concret de la sauvegarde de ce patrimoine et de ces chapelles dans le temps même si y a cette période de transition qu’on va dire qui est la nôtre, où on peut donner cette activité et cette attractivité qui va relancer le truc, l’idée, c’est de les garder, que demain je ne me retrouve pas à moins quatre chapelles alors que là, je suis à moins douze [en référence au nombre de chapelles anciennement présentes sur la commune]. » [31]

L’élu a conscience qu’il ne peut agir seul. En effet, les comités de chapelles ont une place centrale dans son projet et l’aide extérieure des professionnels du patrimoine est nécessaire :

« Les chapelles deviennent quelque chose d’un peu lourd à porter pour une petite commune comme la nôtre notamment en termes d’entretien, de fonctionnement… car les personnes qui s’en occupent sont de moins en moins nombreuses et le risque de perdre la mémoire de ces petits comités de vie qu’étaient, et que sont encore, les quartiers et leurs chapelles est important. » [32]

Cette interdépendance entre l’élu et les comités de chapelles vieillissants justifie la présence nouvelle de l’ethnologue dans le projet qu’il souhaite mener. Contrairement au conservateur du patrimoine, je ne suis pas une interlocutrice « habituelle » mais l’élu a conscience que la dimension immatérielle (pardons et comités de chapelles) du patrimoine matériel (chapelles) doit être prise en compte pour sa sauvegarde.

« L’idée serait de faire évoluer [les chapelles] vers quelque chose d’attractif, qu’elles s’insèrent dans un projet nouveau pour la commune tout en gardant ce patrimoine et son identité. […] Il faut leur redonner un rôle social tout en tenant compte que ce sont quand même des bâtiments qui doivent perdurer dans l’histoire. […] L’enjeu est important et pour cela, on travaille avec les gens de la paroisse, les personnes concernées par l’architecture, le patrimoine et avec les habitants bien évidemment. » [33]

C’est dans ce contexte qu’est organisée une première réunion avec l’ensemble des acteurs concernés en février 2018. L’élu souhaite réunir les représentants des comités de chapelles pour les inclure d’emblée dans le projet. Il sait que certains font preuve de résistances. Le prêtre de la paroisse est également présent, suite à l’invitation du maire. Le conservateur du patrimoine souhaite voir tous les acteurs pour « s’assurer que son message passe à tous ». Ils se connaissent et ont déjà « travaillé » ensemble. Pour l’ethnologue, cette réunion est l’occasion de rencontrer pour la première fois l’ensemble des acteurs en présence.

Les échanges entre le conservateur, l’ethnologue et le maire qui ont eu lieu précédemment permettent à ce dernier d’exposer le contexte (cf. supra) et aux deux spécialistes de proposer les orientations en réponse. L’objectif du projet est double.

La première action consiste en l’ouverture des chapelles, de manière régulière de mars à septembre. Compte-tenu de l’isolement de certains sites et de la faible ressource humaine sur place, il est proposé de doubler les ouvertures actuelles des chapelles par un système de grille garantissant la sécurité et une vision de l’intérieur de la chapelle. [34]

Obtenir l’approbation générale des représentants de chapelles est un véritable enjeu pour le maire de la commune au vu des réticences exprimées par certains qui, en creux, illustrent un sentiment d’intrusion dans leur monde. En outre, avec l’installation de grilles, il y a une crainte d’être dépossédé de leur rôle (même s’ils reconnaissent que certaines chapelles ne sont plus ouvertes que pour le pardon). Il y a également la peur du vol, d’où la proposition du conservateur en réponse de sceller les statues « après vérification de leur état sanitaire et d’une mise en sécurité des autres accès (sacristie notamment) ».

« Y a une identité qui est complètement posée sur cette chapelle parce que c’est multigénérationnel : « mon père s’est marié là, mon grand-père est celui qui a fourni l’argent pour la cloche ». […] Y a vraiment toute une micro-société qui s’oriente autour de cette chapelle. D’où la difficulté aujourd’hui de l’ouvrir parce que l’ouvrir c’est un peu pénétrer dans cet intimité-là […] Ouvrir une chapelle aujourd’hui, ça veut dire l’ouvrir au monde. Mais on a le problème aujourd’hui de se rendre compte que c’est nécessaire pour toutes ces personnes-là qui se sont rendu compte qu’elles n’ont plus les moyens humains de gérer ces chapelles-là. Donc, en fait, on arrive dans un moment de sauvegarde. C’est comme ça qu’on explique nous dans les débats sur le projet commun que nous avons ensemble. C’est vraiment de dire « Voilà, tout ce qui a été fait par vos aînés, donc on revient sur ce multigénérationnel, toute l’histoire va se perdre parce qu’aujourd’hui, on est plus capable d’ouvrir l’édifice, de s’en occuper et de lui donner de la vie » parce que la population diminue, parce qu’on a plus les moyens, parce qu’on devient plus âgé… Et ça, ça peut créer un entrain. » [35]

Si l’ouverture des chapelles est pensée « physiquement » (installation de grilles), elle est également pensée « symboliquement » avec l’installation d’un dispositif numérique qui donnerait accès à la vie de la chapelle, du pardon et de leurs gardiens :

« La seconde action est consécutive et permettra de développer la médiation sur site. Dans le cadre de la valorisation du patrimoine […], le Département réalise la mise en place d’une application numérique mobile, fonctionnant sur le principe de bornes Bluetooth. […] Une borne, placée sur chacune des chapelles de L., permettra au visiteur ou touriste […], de bénéficier sur tablette ou portable d’un dossier numérique complet. Il est complémentaire d’une signalétique tangible. Ce dossier numérique peut être composé d’images, de vidéos et de manière alternative, servir d’audioguide. Outre des documents d’archives, plans et autres informations, il permettra également d’intégrer des données du patrimoine immatériel [36] […] Des entretiens seront réalisés avec les présidents des comités de chapelle de L., ainsi que différents bénévoles afin de réaliser des portraits (audio et/ou audio-visuel) pour venir alimenter le dossier numérique de la commune pour l’application ci-dessus mentionnée. En complément, une collecte de documents et photographies privés, anecdotes… liés aux différents pardons de la commune sera réalisée auprès des habitants de la commune afin de venir illustrer les témoignages enregistrés. L’idée est de donner à voir aux curieux et visiteurs occasionnels la dimension humaine qui se cache derrière chacune des chapelles de la commune, ainsi que les pratiques sociales et événements festifs qui leur sont liés. » (maire de L.)

Lors de la réunion, les représentants des comités de chapelles sont en situation d’écoute. Passifs, ils interviennent peu, sauf pour exprimer certaines craintes. Leur positionnement défensif ressortira particulièrement à la fin de la réunion lorsque je leur demande leurs coordonnées afin de pouvoir les rencontrer dans le cadre d’entretiens. Sans l’insistance du maire, ils ne me les auraient probablement pas données. En effet, s’ils ont l’habitude de travailler avec le conservateur du patrimoine, ce n’est pas le cas me concernant : tous me diront, à leur manière, qu’ils « ne savent rien » et qu’ils n’ont pas « grand-chose à [me] raconter ». Il faudra une présence renouvelée sur le terrain (à partir de février 2018, je suis allée quasiment tous les mois à L.) pour qu’ils dépassent cette position défensive et acceptent de se mettre en récit. Les entretiens réalisés et nombreux échanges informels sont devenus, petit à petit, des occasions pour qu’ils « réagencent » leur histoire et acceptent la partie du projet qui les concerne directement. Symbole de mon acceptation, ils me confient maintenant les clés de leur chapelle quand j’en ai besoin sans que je ne sois accompagnée.

3 Les regards « experts » des professionnels du patrimoine et leurs confrontations

À l’issue de la réunion, j’accompagne le conservateur du patrimoine visiter l’une des quatre chapelles de la commune. À peine entré, ce dernier se met à inspecter, ouvre les placards, prend des photos, « fouille » dans la sacristie (figure 5 – à gauche) tout en commentant à mon attention ce qu’il voit, comme la statue de saint Salomon, dont je constate, pour ma part, qu’il lui manque un bras (figure 5’ – à droite).

Figures 5 et 5’ – Le conservateur du patrimoine en pleine inspection, février 2018. © Julie Léonard

Le conservateur découvre, par l’emplacement réservé sous le socle, qu’il s’agit d’une statue processionnelle qui, visiblement, n’est plus utilisée et est devenue « objet de décoration ».

Au fur et à mesure de la visite, je me rends compte que, la plupart du temps, je ne vois pas ce que me montre le conservateur, au sens où je ne perçois pas les caractéristiques de l’objet que nous sommes en train de regarder. Comme le constatait elle-même Nathalie Heinich, « ce qui différencie radicalement le chercheur – observé – du sociologue – observateur –, c’est que le premier est à l’évidence un expert du regard à la différence du second qui, désespérément profane, ne voit rien la plupart du temps dans ce qu’observe le premier » [37]. Formé à l’histoire et à l’histoire de l’art, le conservateur du patrimoine, en poste depuis plus de vingt ans, n’a pas seulement « une façon de regarder [mais une capacité à] porter son regard sur un objet, d’isoler celui-ci du contexte visuel ambiant pour en détailler les caractéristiques » [38].

Appréhendant la chapelle comme le lieu d’expression d’une pratique cultuelle, culturelle et festive, je m’intéresse pour ma part à certains indices qui témoignent des activités et usages sociaux contemporains qui sont faits dans la chapelle par les bénévoles du comité de quartier.

Figures 6 et 6’ – Exemples d’indices témoins des activités et usages sociaux contemporains de la chapelle. © Julie Léonard

Les chaises, bancs et tables (figure 6’ – à droite) témoignent, par exemple, de la fonction d’entrepôt attribuée par les bénévoles à la chapelle autant qu’ils témoignent de la « présence » du pardon qu’ils organisent chaque année. L’inscription de la date dans la dalle de ciment (figure 6 – à gauche) témoigne, quant à elle, des travaux réalisés par le comité dans les années 2000 avec la recette du pardon. Cette inscription « lapidaire » datée constitue pour les deux professionnels présents un outil de travail. Pour autant, nous ne nous en servirons pas aux mêmes fins : pour le conservateur, elle lui permet de documenter l’histoire de la chapelle à travers les travaux réalisés « qui lui échappent » ; pour l’ethnologue, elle servira de « déclencheur » pour aborder, par la suite, en entretien avec les bénévoles du comité, la question des travaux réalisés : comment s’organisent les travaux ? pourquoi ont-ils décidé de les réaliser ? Autant d’éléments qui permettront d’analyser le rôle et la relation entretenus par les bénévoles à l’objet patrimonial. Cette dimension « sociale » du patrimoine abordée en entretien échappe au conservateur du patrimoine. Sa relation à ce dernier est avec l’objet, tandis que la mienne est en lien avec les « gardiens » de l’objet.

Lors d’un échange écrit avec le conservateur, la question de ce rapport différencié à l’indice est abordée et nous offre l’occasion de confronter nos regards :

« Alors que le regard du conservateur est ponctuel, matériel, voire chirurgical, celui de l’ethnologue permet de donner un temps, un espace, un contexte social, humain, testimonial et distancié. Si le conservateur se veut un traducteur de patrimoine, pédagogue et spécialiste, il en oublie le plus souvent (et ignore) la vie des gardiens, leurs motivations et leurs désirs. Il ne s’explique pas et ne comprend pas celle-ci et les raisons de cet investissement personnel, entre traditions, héritages et proximité. Là où le gardien vit avec la chapelle sous les yeux, avec un calendrier défini, le conservateur ne fait que passer, fixant un temps, et ignorant le reste. Le regard de l’ethnologue oblige le conservateur, et de manière salutaire à mon sens, à sortir d’une approche micro et de contextualiser dans une approche sociale, d’écrire l’objet au temps présent, et non plus au subjonctif de l’imparfait, dans une seule analyse artistique, historique et technique. » [39]

Le jour du pardon, auquel nous avons été invités, le conservateur remarque un bouquet de fleurs apposé au pied d’une des statues de la chapelle. Ce dernier constitue pour lui « une possible source de dégradation pour l’œuvre et une incongruité esthétique » [40]. Pour l’ethnologue, ce bouquet illustre l’investissement des bénévoles du comité de chapelles : les fleurs viennent de leurs jardins, elles ont été disposées par l’une des bénévoles, ravie de mettre en pratique les cours de décoration florale qu’elle prend, et les commentaires qu’elle recevra sur l’esthétique et l’harmonie du bouquet participeront à la valoriser et à légitimer son rôle en tant que « gardienne ».

Si les regards entre professionnels du patrimoine se confrontent (autant qu’ils devraient se compléter), les regards entre le conservateur du patrimoine (professionnel « habituel » (et habitué) des chapelles) et les bénévoles du comité de quartier se confrontent tout autant comme je m’en aperçois en poursuivant la visite de la chapelle avec le conservateur du patrimoine. Ce dernier m’interpelle de nouveau me montrant du doigt ce qu’il y a d’accroché au mur : « on l’a fait restaurer et les deux anges aussi » (figure 7’’ – au dessous).

Figures 7 et 7’ (au dessus) : En 2005, avant restauration. © DR Figure 7’’ – En 2018, après restauration. © Julie Léonard

Il m’explique que, lors d’une de ces visites en 2005, il avait découvert les deux anges repeints et collés au-dessus de la porte d’accès à la sacristie (figures 7 et 7’ – au dessus). On en aperçoit encore les traces (figure 7’’).

« Ils ont voulu faire joli donc y a un mec qui les a repeints et qui les a collés au plâtre sur la porte. […] C’est de la déco. Le problème, c’est que ces objets-là sont totalement déconnectés de leur fonction première. On garde que les bouts jolis, […] on fait de la déco’. […] Y a dû y avoir un jour « tiens, c’est joli ça, tu me le repeints et tu me le colles là ». Quand j’ai vu ça, le problème, c’est que c’était collé au plâtre, le bois se dégradait complètement derrière. Ce n’était pas un élément qui était fait pour être collé contre le mur. Et en plus, ils avaient mis des vis à travers pour être sûr qu’on ne le vole pas. » [41]

La conservation et la restauration des éléments mobiliers est souvent source d’incompréhension, parfois de tensions entre le conservateur et les bénévoles :

« Tu leur dis « cette statue a besoin d’être restaurée », ils ne comprennent pas forcément pourquoi et ils ne voient pas forcément l’intérêt. Là aussi, faut prendre le temps d’examiner. Eux, ils ont la pièce en face d’eux, ils ne voient pas forcément les pathologies, les problèmes… moi ce que j’aime dire c’est que je suis un « traducteur de patrimoine » : […] je vais essayer de traduire des choses qu’ils ne voient pas ou qui ne vont pas. […] Moi, y a des restaurations qui ont duré, 4, 5, 6 ans. Parce qu’ils ne comprenaient pas. Parce que, quand on faisait le devis, 6 000€, ils ne comprenaient pas pourquoi ça coûtait aussi cher et qu’il suffisait de demander au fils de, de décaper ça et de repeindre. Ils n’ont pas une vision historique ou artistique. C’est leur statue, ils l’ont toujours vu depuis tout petit et quand ils la repeignent, eux, ils rendent « hommage » à la statue, ils la mettent propre, bon généralement, on n’a pas toujours la même définition de « mettre propre ». Monsieur […], on a mis au propre la chapelle. Généralement, j’ai une grosse panique à bord. » [42]

Le conservateur du patrimoine « apparaît comme un expert de la chaîne patrimoniale mobilisant davantage des connaissances scientifiques et des critères objectivables, que des valeurs esthétiques et émotionnelles » [43]. Son regard professionnel rentre en conflit avec la gestion domestique qu’a le comité de la chapelle. Pour atténuer ce décalage, il met en place différents procédés : l’écoute de « l’histoire de chaque pièce, qui l’a repeint, pourquoi elle est plus importante ou laissé de côté » [44], la négociation en proposant des « solutions alternatives par rapport aux envies des bénévoles » et la « constitution d’une culture commune par l’exercice du regard des destinataire » [45] en organisant souvent une visite de la chapelle avec les bénévoles ou en leur proposant d’aller à l’atelier où a lieu la restauration de « leur » statue.

Avec le « musée éclaté » [46] qu’il gère (6 000 objets répartis sur 1 200 lieux), le conservateur du patrimoine doit, d’une certaine manière, s’en remettre au comité de chapelles, aux gardiens d’où les négociations, accords tacites, rappels ponctuels à l’ordre (la loi) et formation à une culture commune pour former les comités à une certaine conscience patrimoniale (plus proche de la sienne). Cette situation crée, de fait, une relation d’interdépendance entre le professionnel du patrimoine et les natifs.

Pour conclure

« Les natifs », « l’élu » et « les professionnels du patrimoine » : chacun possède ses propres « clés » de la chapelle.

Les natifs, en tant que « gardiens du temple », ont les clés physiques de la chapelle, témoins du sentiment de propriété qu’ils ont vis-à-vis d’elle, ceci bien qu’il n’en ait aucune responsabilité légale. Principaux usagers, ils entretiennent une relation tout aussi domestique qu’affective, émotionnelle et mémorielle : la chapelle est une « expérience vécue » et inscrite dans leur quotidien, leur environnement tout autant que dans leur histoire personnelle, familiale ou sociale.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, le mouvement de création de comités de chapelles a été motivé par un projet patrimonial et social : la restauration de chapelles menacées par leur état. Aujourd’hui, la chapelle est en « bonne santé », et les créations contemporaines (réalisation de nouveaux vitraux par exemple) ne semblent plus suffisantes pour renouveler le projet social des comités de chapelles.

L’enjeu semble moins être l’objet patrimonial (la chapelle) que sa communauté (le comité) qui doit se réinventer. D’où la volonté du maire de la commune de créer une dynamique nouvelle avec la mise en place d’un projet culturel et touristique. Ainsi, l’élu a les clés politiques de la chapelle. Sa relation à la chapelle est pragmatique en ce qu’il a le souci de l’action patrimoniale et de sa réussite. En tant que propriétaire, il a la responsabilité légale d’assurer la conservation et la transmission des chapelles en tant que patrimoine. Mais face à la lourde gestion qu’elles représentent pour la commune, il ne peut pas travailler sans les comités qui, menacés, doivent être placés au cœur du projet. Pour cela, il fait appel à des professionnels du patrimoine : le conservateur du patrimoine avec qui il a l’habitude de travailler (pour les chapelles), l’ethnologue dont la présence est nouvellement justifiée par la nécessité de redonner un projet et un rôle nouveau au comité de chapelle.

Les professionnels du patrimoine ont, eux, les clés techniques de la chapelle. En tant qu’acteurs institutionnels, leur relation à cette dernière est « scientifique » et occasionnelle. Tout aussi différents, leurs regards n’en sont pas moins complémentaires. Toutefois, selon la catégorie patrimoniale dont chacun est spécialiste (l’un s’intéresse au patrimoine matériel, l’autre au patrimoine immatériel), ils n’ont pas la même approche de l’objet patrimonial.

Ainsi, malgré les nombreux décalages (que ça soit dans le regard, la relation ou encore le rôle), on constate une interdépendance (nécessaire ?) entre chacun des principaux acteurs évoqués.

L’enquête ethnographique démarrée en février 2018 dans la commune de L. n’en est encore qu’à ces premiers constats. Il serait intéressant dans les prochains mois d’analyser « l’enjeu de la suite » avec la mise en place du projet touristico-culturel évoqué. Plus largement, il est également envisagé d’interroger la transposabilité du modèle esquissé ici dans d’autres communes rurales bretonnes.

Références bibliographiques

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Poisson O., 2008, Icônes et idoles, regard sur l’objet monument historique, ACAOAF, Arles, Actes Sud.

Weber M., 1976, Économie et société, Paris, Plon.


Notes

[1Tous les noms de lieu ont été anonymisés ainsi que les personnes pour qui le prénom a été modifié. Ceux choisis en remplacement l’ont été avec le souci qu’ils se rapprochent au mieux des caractéristiques sociales associées aux prénoms anonymisés, ce afin de conserver le sens implicite qu’ils peuvent transmettre.

[2Les comités de chapelles sont des comités d’habitants qui, au niveau d’une commune ou d’un quartier, se regroupent autour d’une chapelle. Certains sont constitués en association loi de 1901 quand d’autres n’ont pas de statut formel. Ils apparaissent durant la seconde moitié du XXe siècle en réaction, notamment, au délabrement des chapelles qu’ils décident de restaurer bénévolement.

[3Les pardons sont des processions religieuses particulièrement présentes en Bretagne. Événements pluriels et polymorphes, ils allient aspects cultuels et culturels où la fête et le sacré s’entremêlent. Si les nombreux pardons qui ont lieu chaque année en Bretagne se ressemblent en plusieurs points – ils s’organisent à une date fixée à l’avance sur un lieu déterminé et célèbrent un-e saint-e dédié-e – il existe une multitude de pardons, chacun avec ses spécificités propres.

[4Coordonné par l’association Bretagne Culture Diversité, cet inventaire régional a été lancé en décembre 2017. La rédaction d’une fiche d’inventaire sur les pardons et pèlerinages bretons est également en cours de rédaction pour inscrire ces derniers à l’Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel (PCI) du ministère de la Culture.

[5LE COQ S., 2017, « Procédures et processus de patrimonialisation à Belle-Île-en-Mer », in Barrère C., Busquet G., Diaconu A., Girard M., Iosa I. (coord.), Mémoires et patrimoines. Des revendications aux conflits, Paris, L’Harmattan, pp. 105-118.

[6HEINICH N., 2010b, « La construction d’un regard collectif : le cas de l’Inventaire du patrimoine », Gradhiva, [En ligne], 11, p.164.

[7Dans son article sur les « Procédures et processus de patrimonialisation à Belle-Île-en-Mer », Sophie Le Coq formalise « trois figures « influentes » de l’île : l’ « élu », le « natif », le « fortuné » » (LE COQ, 2017, p ?). Nous inspirant de ce principe, nous ne retiendrons toutefois que les figures de l’« élu » et du « natif », celle du « fortuné », non adaptée ici, étant remplacée par celle du « professionnel du patrimoine ».

[8J’ai ici deux positionnements qui n’ont de cesse de s’entremêler : une posture d’observatrice tout en étant présente à titre professionnel en tant qu’actrice institutionnelle du patrimoine. J’ai ainsi essayé de rester à « égale distance » de chacun des acteurs évoqués afin de pouvoir avoir un regard sur les pratiques et discours du conservateur en tant que professionnel tout aussi bien que sur ceux des « natifs » et de « l’élu ».

[9WEBER M., 1976, Économie et société, Paris, Plon.

[10Extrait de l’entretien réalisé avec Marie en juillet 2018.

[11Propos extraits de l’entretien réalisé avec le conservateur, avril 2018.

[12AGIER M., 2016, Les migrants et nous. Comprendre Babel, Paris, CNRS Éditions. Nous avons transposé ici les critères de la condition cosmopolite développés par Michel Agier en ce qu’ils s’appliquent également à la condition patrimoniale en tant que principes généraux.

[13MORISSET L.K., « Le patrimoine et ses limites », Hermès, La Revue, n°63, 2012 p. 57-62. p.60.

[14LE COQ S., op. cit., 2017, p. ??.

[15Propos extraits de l’entretien réalisé avec le conservateur, avril 2018.

[16BOLTANSKI L., THÉVENOT L., 1991, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard.

[17Luc Boltanski et Laurent Thévenot parlent de « cité domestique ». Le terme de cité renvoie à « une logique de justification basée sur une conception du bien commun ». Parmi les six grands principes déclinés par les auteurs, dans la « cité domestique », le bien commun est définit par la tradition et les relations personnelles.

[18HEINICH N., 2010a, « L’administration de l’authenticité. De l’expertise collective à la décision patrimoniale », Ethnologie française, vol. 39, p. 517.

[19Les temporalités « ont une origine collective (ce sont des « cadres » fournissant des repères communs), elles sont plurielles comme le sont les groupes humains qui les produisent par leur action (ce sont des attitudes, croyances, des « milieux » foncièrement pluralistes) et elles sont sources d’intelligibilité des phénomènes humains (ce sont des « cartes » comme dit Nicolas Hatzfeld permettant de comprendre et repérer les liens du présent au passé) » (DUBAR C., ROLLE C., 2008, « Les temporalités dans les sciences sociales – Introduction », Temporalités [En ligne], 8 | 2008, mis en ligne le 09 juillet 2009, consulté le 07 novembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/temporalites/57  ; DOI : 10.4000/temporalites.57

[20Propos extraits de l’entretien réalisé avec Marie, juillet 2015.

[21Musicien, le sonneur joue un répertoire dit traditionnel breton.

[22Propos retranscrits à partir d’une discussion avec le conservateur du patrimoine, septembre 2018.

[23L’avis simple (et non conforme car l’édifice n’est pas protégé) de l’architecte des bâtiments de France, en tant que caution technique, avait été requis dans le cadre d’un dispositif d’aides mis en place par le conservateur du patrimoine pour la création de vitraux pour les chapelles en collaboration avec un artiste et un maître verrier.

[24CHASTEL A., 1993, « La notion du patrimoine », in NORA P., Les Lieux de Mémoire, La Nation, tome 2, Paris, Gallimard.

[25GRAVARI-BARBAS M., 1995, « Le sang et le sol, le patrimoine facteur d’appartenance à un territoire urbain », communication au colloque Le territoire, lien ou frontière ? Identités, conflits ethniques, enjeux et recompositions territoriales, 2-4 octobre, Paris, p.3. [en ligne] http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers08-09/010014865-69.pdf

[26LE COQ S., op. cit., 2017, p. ??

[27DAVALLON J., 2014, « À propos des régimes de patrimonialisation : enjeux et questions », Patrimonializção e sustentabilidade do património : reflexão e prospectiva, Lisboa, Portugal. <halshs-01123906>.

[28Extrait du discours d’ouverture du maire de L., réunion régionale sur l’inventaire régional des pardons et pèlerinages, avril 2018.

[29Ibid., 2018.

[30LE COQ S., op. cit., 2017. p. ??

[31Extrait de l’entretien réalisé avec le maire de L., mars 2018.

[32Extrait du discours d’ouverture du maire de L., réunion régionale sur l’inventaire régional des pardons et pèlerinages, avril 2018.

[33Ibid., 2018.

[34Extrait de la note d’intention rédigée par le conservateur et l’ethnologue à l’issue de la réunion.

[35Extrait de l’entretien réalisé avec le maire de L., mars 2018.

[36Défini par la Convention de 2003 de l’Unesco, le patrimoine culturel immatériel se compose « des pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. [Il] se manifeste notamment dans les domaines suivants : (a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; (b) les arts du spectacle ; (c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; (d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; (e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. » (Art. 1&2).

[37HEINICH N., op. cit., 2010b, p.166.

[38Ibid., 2010b, p.164.

[39Propos extraits d’un échange écrit avec le conservateur du patrimoine, septembre 2018.

[40Ibid., 2018.

[41Propos extraits de l’entretien réalisé avec le conservateur du patrimoine, avril 2018.

[42Propos extraits de l’entretien réalisé avec le conservateur du patrimoine, avril 2018.

[43HEINICH N., La fabrique du patrimoine. De la cathédrale à la petite cuillère, Maison des Sciences de l’Homme, coll. « Ethnologie de la France », 2009, p. 44.

[44Propos extraits de l’entretien réalisé avec le conservateur du patrimoine, avril 2018.

[45HEINICH N., op. cit., 2010b, p.165.

[46POISSON O., Icônes et idoles, regard sur l’objet monument historique. ACAOAF. Actes Sud, Arles, 2008.


Pour citer l'article

Julie Léonard« Les clés de la chapelle : ethnographie du regard patrimonial », in Tétralogiques, N°24, Processus de patrimonialisation.

URL : http://www.tetralogiques.fr/spip.php?article125