Le modèle médiationniste de la technique, pour un renouveau des sciences de l’art. Présentation du numéro
Pour son numéro 23, Tétralogiques a souhaité se pencher sur la question de la technique, ou de l’art. La théorie de la médiation en fait l’objet singulier d’une ergologie. C’est une de ses spécificités. La technique, quoique parfois sujet d’investigation de la philosophie, de l’anthropologie sociale, de l’histoire et de l’archéologie — en plus de constituer, par les développements de l’ingénierie, un fondement de la civilisation contemporaine — demeure le parent pauvre des capacités humaines telles que la réflexion scientifique les comprend. Elle n’y a de fait nulle part ailleurs le statut d’objet de science que lui confère la théorie de la médiation, pour qui elle est une faculté définitoire de l’humain au même titre que le langage, la socialité ou le désir.
C’est très naturellement que nous avons proposé la responsabilité scientifique de ce numéro à Pierre-Yves Balut. Enseignant-chercheur en histoire de l’art et archéologie à la Sorbonne, il a œuvré à remodeler profondément la perspective de ces disciplines depuis quarante ans, notamment grâce à la revue RAMAGES (et aujourd’hui au site anthropologiedelart.org). Auprès de Philippe Bruneau, et avec les nombreux élèves qu’ils ont formés, il a fait émerger une archéologie générale, qui ne serait plus un simple auxiliaire de l’histoire ni ne resterait prisonnière de la fouille, mais serait une véritable « anthropologie de l’ars » : c’est-à-dire de la technique. Une telle rupture avec les usages et les méthodes, on l’imagine, ne s’est pas produite sans heurts.
Nous avons souhaité rendre hommage à ce travail, et en présenter la vitalité continue. A la suite d’une présentation générale de ces recherches et de leur esprit par Pierre-Yves Balut, Tétralogiques publie huit articles montrant un éventail des travaux effectués dans cette optique, qui illustrent la façon dont cette « école de Paris » a fait le modèle de Jean Gagnepain à sa main, démontant grâce à lui de façon profondément originale les objets anciens comme les théories qui les avaient produits, pour mettre en évidence les mécanismes anthropologiques qui y sont à l’œuvre (articles de Gilles Bellan, Hélène Brun-Kyriakidis, Romaric Bardet, Antoine Gournay, Aude Le Guennec, Marie-Laure Portal Cabanel, Antonin Merieux et Frédéric Le Gouriérec).
C’est la clinique des pathologies cérébrales acquises qui a permis à Jean Gagnepain, Olivier Sabouraud et leurs collaborateurs, au début des années 1970, de poser l’hypothèse d’une faculté technique. Le numéro se poursuit par une synthèse de l’état de l’art en la matière (Christophe Jarry) ainsi que par une réflexion sur la méthode clinique en lien avec un cas d’atechnie (Christine Le Gac-Prime). Hors des recherches cliniques, les arts plastiques se sont tôt intéressés aux potentialités de l’ergologie pour leur réflexion, de même que, débordant du champ universitaire, des artistes de profession : des travaux sur la couleur (Gilles Le Guennec) et la théorie musicale viennent ici en témoigner (Yann-Fañch Perroches), avant que le numéro se conclue par l’exploration du domaine on ne peut plus contemporain qu’est l’informatique, montrant comment ce que le sens commun se plaît à baptiser de « virtuel » ne fait que s’enraciner dans la faculté technique (Bernard Couty).
Biface acheuléen ou logiciel sophistiqué, l’outil fait l’humain, et sa raison ne se trouve pas plus dans un physicalisme de la matière ou un biologisme du geste manipulatoire que dans l’idéalisme d’une « pensée » dont il serait le prolongement transparent ou dans l’histoire de ses usages.
« Le modèle médiationniste de la technique, pour un renouveau des sciences de l’art. Présentation du numéro », in Tétralogiques.